Rony ♣ Time to catch up

Ça allait commencer. La meilleure partie de la journée était sur le point de pointer le bout de son nez. Assise sur son canapé, les yeux rivés vers la petite fenêtre, Janis, tasse fumante à la main, n'attendait que ça. Le levé du jour. Elle avait toujours trouvé ce phénomène fascinant, comment en l'espace de quelques petites minutes tout pouvait changer, la nuit et l'obscurité faisaient alors place au jour tandis que le ciel paraissait se vider de ses étoiles pour devenir plus clair et plus éclatant. Elle était particulièrement heureuse en cette période de l'année où la nuit durait plus longtemps, elle n'avait donc pas à se lever trop tôt pour profiter des premiers rayons du soleil. Elle ne bossait pas ce jour là, ce qui devenait de plus en plus rare, elle pourrait donc consacrer toute sa journée à profiter de ce qu'elle n'avait jamais le temps de faire habituellement. Et voilà, déjà là bas au fond, le petit point de lumière commençait à s'agrandir et à s'intensifier. En moins de cinq minutes le ciel prenait des lueurs incroyables, les nuances de gris n'en finissaient plus de s'étendre dans l’immensité. Comme Janis aurait aimé voir le ciel tel qu'il l'était vraiment, avec ses traînées de couleurs changeantes. Ce qu'elle voyait elle devait être si fade pour les personnes normales, mais elle ne s'en rendait pas compte. Elle appréciait ce qu'elle avait devant elle, tout simplement, bien heureuse d'avoir la faculté de voir, même si ce n'était qu'en noir et blanc. Les couleurs devaient être particulièrement éclatantes ce matin là et Janis se nota mentalement qu'elle devrait demander conseil à son frère pour sa future coloration. "Comme le ciel le matin" qu'elle lui dirait. Ceci dit, River ne devait pas souvent prendre le temps de regarder le soleil se lever. La plupart des gens devaient trouver cette activité ennuyante à souhait, Janis la considérait de son coté comme apaisante. Elle aimait imaginer ce qu'elle ne pouvait voir. Imaginer ce qu'était vraiment le vert, le rouge et le bleu.

Lorsque que le soleil devint trop intense pour qu'elle puisse continuer à le regarder, Janis se leva, rangea sa tasse - c'est-à-dire la poser sur sa petite table - et commença à se préparer. Elle avait convenu avec Rony qu'elles se verraient ce jour-ci afin de rattraper le temps perdu. Janis l’appréciait beaucoup. Les deux jeunes femmes se connaissaient depuis près de deux ans désormais et pourtant, elles ne se voyaient pas beaucoup, seulement lorsque Rony revenait de Suède pour passer quelques jours, voire quelques heures dans la capitale anglaise. Dernièrement Janis avait appris que son amie s'installait à Londres pour un plus long moment cette fois. En réalité cela faisait même plusieurs mois que Rony était revenue de son pays natal mais elles avaient finalement eu peu d'occasions pour se retrouver. Du coup, Janis était heureuse de pouvoir enfin passer plus de temps avec elle sans avoir à écourter leur rencontre pour aller travailler ou pour ce genre d'obligation là. Elle s'était chargée de leur trouver un point de rendez-vous et avait opté pour un petit café/restaurant où elles pourraient converser tranquillement. Janis était largement en avance et en profita pour s'y rendre à pied. Elle avait envie de marcher, de vagabonder dans les rues tout en observant les installations des lumières de Noël et en jetant des coups d’œil aux vitrines des magasins, pour voir si elle trouvait par miracle une idée de cadeau à offrir. Mais le temps passait vite et déjà, Janis dû vraiment se mettre en route vers le café en question. Elle préférait arriver en avance pour choisir une bonne place, vers le mur ou la fenêtre de préférence afin de ne pas être trop entourée de monde.

En avance, elle l'était effectivement. Elle s'installa et attendit son amie avant de commander quoi que ce soit. Elle avait peu mangé en se levant et la faim commençait à se faire sentir. Elle entreprit alors d'étudier la carte du menu. Il n'était pas très diversifié mais tout à fait abordable, l'une des raisons pour lesquelles Janis Kipling avait jeté son dévolu sur ce café-ci. Elle se demanda ce qu'était devenu Rony depuis leur dernière rencontre. Il était vrai qu'elles n'avaient jamais vraiment parlé d'elles en détail, la plupart du temps elles discutaient plus ou moins de leurs vies et Janis s'intéressait au mode de vie suédois, mais elle s'était finalement rendue compte qu'elle ne connaissait pas exactement Rony. Ce n'était pas un problème en soi, bien au contraire, mais maintenant qu'elles avaient le temps ... Surtout que Janis avait bien envie de lui offrir un petit quelque chose pour Noël, une petite attention simplement, ce qui serait difficile si elle ne connaissait pas précisément ses goûts.

Un nouveau jour. Une nouvelle fois devoir prendre cette nouvelle vie et te balader avec ta nouvelle identité. C'est pas la tienne, cette identité. T'es une étrangère, et pas seulement parce que tu viens de Suède. T'es une étrangère, même envers toi-même. Tu la connais pas toi, Rony Karskral. C'est une étrangère. C'est pas toi. Étrange pourtant. C'est ça que tu dis à tout le monde. Le seul qui sait, c'est ton boss. Bah ouais, fallait bien un contrat de travail. Lui, il sait que ton vrai nom, c'est pas celui-là. Il sait que t'es pas la meuf Suédoise qu'est venue à Londres juste parce qu'elle aimait l'ambiance. Il sait pas pourquoi t'es là, pas exactement. Mais il sait que t'es pas celle que tu prétends être auprès des autres. Et il t'regarde mal quand tu mens ouvertement à tes potes qui viennent te voir au bar où t'es serveuse. Mais t'y peux rien, et t'aimerais bien qu'il pige. Que c'est pas toi qui décide de base. De base, c'est de sa faute à l'autre idiot de père. Pourtant, il dit jamais rien, ton boss. Il te r'garde faire, un sourire triste au visage. Pauvre gamine ! Devoir mentir sur son identité... C'est c'qu'il pense, à coup sur ouais. Mais toi, toi t'es plus une gamine. Tu mens, tu sais, tu l'as décidé aussi. Même si c'est pas entièrement de ta faute, c'est on choix de venir à Londres. De voir, de rencontrer, ta famille, la vraie, celle que t'aurais du connaître depuis le début. Mais t'as eu peur. Tu pouvais pas lui dire, à cette belle brune, que t'étais sa sœur. Alors quand elle t'a demandé ton nom, quand tu t'es présenté à elle, t'as inventé. T'as donné celui de Søren. Vous alliez vous marier avant que tu t'casses, alors au final, t'es pas complètement mytho, t'as juste avancé des trucs. T'as juste avancé un mariage qui arrivera jamais. Maintenant qu't'as rompu avec lui, tu t'es rendu compte. Que Søren, il était pas pour toi. Tu l'aimais, tu l'aimes encore probablement. Ah ça, il t'manque le mec qui t'as foutu dans le merde à la base, tu l'aimes, tu l'adores. Mais il était pas pour toi. Il était violent, lunatique, et il avait pas de fric. C'est pas une raison, hein, qu'il ait pas de fric. Mais le reste... T'es calme, tu vis avec le temps, t'aimes la nature. Il aimait rien de tout ça. T'ouvres les yeux, enfin. Parce que t'en as marre de penser. Alors t'essayes d'arrêter. T'ouvres ton ordi, et tu t'amuses quelques minutes, t'essayes de nouveaux trucs, tu souris à certains messages. A certains articles.

Et ton portable sonne. Et tu retournes à la réalité de ton mensonge. Ouais la mytho, aujourd'hui, tu vois Janis. Et t'es pas sure d'avoir envie. Pas qu'tu l'aimes pas, Janis. Tu l'adore. Tu l'aimes vraiment beaucoup. Mais tu sais que si tu la vois, cette fois ci, vous parlerez pas que de la Suède, et que cette fois ci, ouais, tu vas devoir lui dire. Lui raconter ta vie, ton passé. Enfin, celui de toi maintenant. Pas ton vrai passé. Celui que t'as inventé pour les autres Armanskij. Tu te prépares pourtant, parce que tu dois la voir, tu veux la voir. Et tu te diriges vers l'endroit du rendez-vous, même si au final, t'es pas certaine de pas faire demi-tour au dernier moment. T'as peur de pas aller jusqu'au bout, de pas oser lui mentir, pas à elle. Pas à la seule que tu connaissais avant. Pas à elle, celle qui était si gentille avec toi, même quand tu restais que deux heures à Londres. T'as pas envie de lui mentir. Pourtant, tu sais, tu sais que tu vas le faire. Tu vas entrer dans ce café, et tu vas la regarder dans les yeux. Tu vas commander un café, un truc à bouffer, et tu vas la regarder dans les yeux. Tu vas lui débiter des conneries sur un passé qu'a jamais existé, et tu vas la regarder dans les yeux. Parce que c'est comme ça, parce que c'est c'que tu dois faire. Parce que maintenant, tu peux plus retourner en arrière. Quelle conne ! Pourquoi t'as commencé ça en premier lieu ? Juste par peur ? Du rejet d'une fille qui te considérera jamais comme ce que tu es, comme sa sœur.

T'arrives au café, elle est déjà assise. Et tu la regardes, et tu souris. Et t'hésites. T'hésites vraiment, à faire demi-tour. T'as pas envie de lui mentir, pas à elle. Elle te ressemble trop, et t'aurais l'impression de te mentir à toi-même, un peu plus que tu ne le fais déjà. Mais tu l'fais pas. Tu l'fais pas parce que c'est Janis et que t'as envie de la voir. Alors t'entres dans le café, et tu vas t’assoies en face d'elle. Et tu continues de sourire. « Salut miss Janis. Ça fait un bail. » Tu passes une mèche de cheveux derrière ton oreille. T'es belle quand tu fais ça. Mais en vrai, quand tu fais ça, c'est qu't'es gênée, que t'es pas à l'aise. Et là, t'es pas à l'aise, parce que tu vas lui mentir, à Janis.  Et que t'as pas envie. Mais que tu sais, tu sais que tu vas lui mentir. Et que quand tu vas lui mentir, tu la regarderas dans les yeux. Et ça, ça, ça te fous mal à l'aise.

Lorsque Rony entra dans le café, Janis l'aperçue immédiatement. Elle relevait vivement la tête à chaque fois que la porte s'ouvrait, chaque fois espérant qu'il s'agirait de son amie suédoise. Cette fois, c'était bien elle. Elle hésita presque à lui faire un signe de la main mais Rony l'avait déjà repérée. Elle lui souriait et Janis en faisait autant, affichant un sourire chaleureux et surtout heureux. Elle était heureuse de la retrouver enfin, elle avait hâte de savoir tout ce qu'il s'était passé depuis leur dernière rencontre. La jeune femme se leva sans jamais finir de sourire et s'approcha d'elle pour l'étreindre. « Salut miss Janis. Ça fait un bail. » Janis se rassit en face d'elle. « Et comment ! Je sais que tu es à Londres depuis un moment déjà, je suis vraiment désolée de ne pas avoir pu te voir plus tôt. » Elle le regrettait sincèrement. Les amies devaient être plus importantes que le reste, Janis aurait bien pu lui trouver un moment. Mais l'erreur était désormais réparée, elle espéra simplement que Rony ne lui en voudrait pas. A sa manière de sourire elle n'en avait pas l'air et au fond d'elle, Janis en fut immédiatement soulagée. Comme à chaque fois qu'elles se retrouvaient après une longue période, Janis éprouvait une petite pointe d'appréhension. Comme la retrouverait-elle ? Allait-elle bien, ne l'avait-elle pas oublié depuis tout ce temps ? Avait-elle toujours envie de la revoir ? C'était ridicule, elle en était consciente mais en même temps, elle n'y pouvait rien. Heureusement dès qu'elle l'avait en face d'elle, cette crainte se dissipait rapidement. Tout allait bien se passer. « Alors, quoi de nouveau depuis la dernière fois ? » Il y avait tant à dire que Janis ne savait même pas par où commencer.

« Avant tout, je suis étonnée de te voir encore à Londres. C'est une bonne surprise bien sûr, je suis contente que tu restes parmi nous plus longtemps mais, tout va bien chez toi ? » Janis ne voulait pas s'enthousiasmer trop vite et voulu lui demander si la jeune femme comptait rentrer chez elle bientôt, mais ce n'était pas le bon moment. Elles venaient tout juste de se revoir, inutile de déjà aborder la question du retour. Elle aimerait que Rony reste à Londres le plus longtemps possible, voire même qu'elle installa pour de bon mais elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter de la raison pour laquelle elle n'était pas encore rentré chez elle. S'était-il passé quelque chose d'assez important pour expliquer ce retour ? Elle espérait que cela n'était pas le cas, que tout allait bien pour elle. C'était tout Janis ça, toujours espérer le bonheur des autres, comme si c'était vital pour elle de voir les gens heureux. En réalité c'était presque le cas. Janis dépendait beaucoup, sûrement trop même, du bien être des autres. Si quelqu'un dans son entourage était triste, elle l'était aussi. Il était presque impossible pour elle d'être à contre-courant, d'être heureuse et enjouée quand l'un de ses proches ne l'était pas. Bien sûr, cela ne marchait qu'avec les personnes qu'elle considérait comme proche. Elle se fichait un peu des inconnus. Le souvenir de sa dernière mésaventure sur une piste de ski la fit sourire. Janis dû se retenir pour ne pas la bombarder de questions, elle se contenta alors de prendre une gorgée ou deux d'eau en attendant la suite.« Je suis vraiment contente de te revoir, en tout cas ! »