C'est pour ton bien Jodie
Les apparences..."
Nous y voilà". Je froissais nerveusement le bout de papier sur lequel était inscrit ces quelques mots : "Camden Town, Bat 244B, North London. Bises, Papa et Maman". N'importe quel gosse lambda aurait été heureux d'un tel cadeau. Un deux pièces en plein cœur de Londres, plutôt bien desservi par les transports en commun, et vraiment pas moche en façade. C'était un petit immeuble de 7 étages en bon état avec parking extérieur.
Je restais figée quelques instants, serrant ce trousseau de clé qui m'ouvrirait la porte de mon nouveau chez moi. Le cœur battant la chamade à l'idée de rentrer dans un appartement qui m'était totalement inconnu, je me posa sur une petite margelle pour me griller une clope. Je repensais, encore et encore à l'absurdité de la situation. Mes parents m'avaient offert cet appartement, que je n'avais jamais vu, ni même entendu parler, quelques semaines avant mon anniversaire. Ils avaient tenté de tourner ça de manière joyeuse, "
c'est pour ton bien ma chérie, une manière de prendre un nouveau départ, loin des problèmes". Et surtout loin d'eux, j'étais précisément LEUR problème. Je leur causais du tord, je n'étais pas la petite fille modèle qu'ils avaient tant souhaité. Celle qui reprendrai l'entreprise familiale, représentant fièrement la famille Holmes, si parfaite, si brillante lors des dîners mondains et autre conneries pompeuses du genre. Ils étaient passé maître dans l'art de lécher le cul des personnes les plus abjectes de ce bas monde, sous prétexte qu'ils étaient les meilleurs actionnaires. Une belle bande d'hypocrites, riant à gorge déployée tout en sirotant du champagne hors de prix.
Et moi, bein moi j'étais la petite merdeuse en jean troué, vidant sa bière à la vitesse de la lumière. Généralement lors de ces soirées, ils prenaient grand soin de me tenir à l'écart d'une manière ou d'une autre. Moi j'aime sortir, faire la fête, et jouer de la guitare. Ah et j'aime les filles, et ça bein, ça passe encore moins. "N'en parles surtout pas Jodie, tu imagines si quelqu'un l'apprenait ?"
Me voila donc ici, loin de mon Canada natal, à fixer un immeuble qui m'est inconnu, dans une ville toute aussi inconnue, "pour mon bien".
... sont parfois trompeuses !L'appart était pas mal c'est vrai. C'était un grand deux pièces, avec une cuisine américaine aménagée. J'étais au 7ème et dernier étage, surplombant le quartier. Concernant l'aménagement, il était plus que vétuste.
Dans le salon, une
énorme télé cathodique trônait fièrement sur un pauvre petit meuble. Le canapé, enfin le clic clac, semblait avoir fait la guerre. Il était dépourvu de housse et était orné de quatre grosses taches jaunâtres que j'espérais n'être que de l'humidité.
Devant se tenait une pauvre table passe bancale, sur laquelle je ne me serais jamais risquée à poser ma bière. La poussière était littéralement collée dessus. D'ailleurs, la poussière était collée partout, c’est comme si cet appartement avait été laissé à l’abandon depuis des siècles. Il puait le renfermé et la moisissure.
Il y avait aussi, à côté du canapé, cet amas de bois, sans doute une tentative avortée de bibliothèque. Les planches étaient de longueur différente, les clous sortaient de chaque planche et il en était de même pour les échardes. Maintenant que j’y pense, c’était peut être un outil de torture et non une bibliothèque.
La cuisine, que dire. C’est sur quand on dit cuisine américaine aménagée, ça fait de suite rêver. Mais là non. Le four à gaz contenait une telle couche de suie et de gras que je ne parvenais pas à en distinguer les parois. Le frigo devait m’arriver aux genoux, et j’eu beau chercher le congélateur, je ne l’ai jamais trouvé. Pas même un pauvre compartiment à glaçons. Le micro-onde croutait de l’intérieur, comme si toutes les ondes cherchaient à s’enfuir dans les repas qui j’y mettrais. Les plaques de cuissons électriques ne marchaient pas, à moi les plats tous prêts !
C’est avec la boule au ventre que je pénétrais dans la chambre, et mes craintes se confirmèrent. Le sommier était dépourvu de matelas, et il manquait une latte sur deux. L’armoire était aussi bancale que la bibliothèque du salon, et le luminaire n’était qu’une pauvre ampoule à la lumière jaunâtre. La fenêtre donnait néanmoins sur un petit parc verdoyant.
Il y avait du boulot pour restaurer cet appart, et en parlant de boulot il me fallait en trouver un au plus vite. Car si l’appart était vétuste, sa localisation coûtait surement bonbon.
«
Il me faut une colloc… » C’était une certitude, je n’y arriverais seule, et il devait bien y avoir quelqu’un dans cette ville de plus mal loti que moi. Et honnêtement je commençais à me sentir vraiment seule et déprimée. Je devais rédiger l’annonce dès maintenant. Un papier, un stylo, un texte plus ou moins réaliste et me voila dans la rue, à poster cette annonce sur la façade de mon nouveau chez moi.
Fille de 24ans cherche colocataire. Fille uniquement. Beau deux pièces bien situé sur Camden. Tout équipé. Petite remise à neuf à prévoir. Me contacter par téléphone pour convenir d’une visite, et discuter du loyer :
Jodie, (044) 452 5789. Texto uniquement merci.
"Bah c'est pas mal ça ! Plus qu'à attendre!" J'en profitais pour me griller une clope, observant le quartier du coin de l’œil, sans trop vouloir m'y aventurer.