“But if you can’t reveal your emotions, how do you go on? What do you do with them? Because, you see, I keep crying at odd moments.”
Deux coups secs qui claquent dans l’air. Des oiseaux quittant les arbres aux alentours. Puis une gamine qui pleure. Des grosses larmes chaudes qui brulent les yeux, les pommettes et les joues. Le souffle court. Paniquée. C’est approximativement dans cet état que la jeune femme s’extirpe de ce mauvais rêve. Terrible souvenir qui la hante depuis son enfance. A des milliers de mètres au-dessus de l’Océan Atlantique. Son voisin, qu’elle ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam, est encore absorbée par son ordinateur, comme la plupart des autres passagers de la classe business. Entourée, mais prise d’un terrible sentiment de solitude. Elle tente de faire disparaître tout cela d’un revers du bras. «
Madame, je peux faire quelque chose pour vous ? » Elle tourne la tête en direction de l’hôtesse qui vient de débarquer, une petite serviette en papier à la main. Teddy l’attrape du bout des doigts et continue de sécher ses joues. «
Merci. » Et elle la gratifie d’un sourire. Elle aurait bien pris un verre, mais pas dit qu’elle soit capable de se rendormie après. Piquée par la curiosité, elle jette un coup d’œil à son téléphone : pas de message, ni même de réseau de toute façon. Et puis, peu de personnes sont au courant qu’elle est dans cet avion. Elle n’a pas pris le temps de prévenir qui que ce soit. Après s’être isolée quelques jours pour composer, elle est partie sur un coup de tête essentiellement pour présenter son travail à sa maison de disque. Travail dont elle n’a parlé à personne, malgré une certaine fierté qui ne l’avait pas effleurée depuis longtemps. Son vol se terminera dans un sommeil intermittent.
«
Est-ce que… » C’est rare qu’elle hésite à demander quelque chose. D’habitude, Teddy n’a pas la moindre barrière, quitte à se retrouver dans une situation embarrassante par la suite. «
Tu crois que je pourrais rester un peu plus longtemps là-bas ? » Elle se mord la lèvre inférieure tout en se balançant d’un pied sur l’autre. Comme une enfant. «
Ça m’a fait pas mal de bien. Je reviendrais pour tout ce qui est promotionnel, la tournée s’il y en a une. » Enfin pour ce qui est d’une future tournée, la jeune femme a encore un gros travail de méditation et de gestion du stress à faire. Là-dessus, elle baisse la tête, comme pour cacher le fait qu’elle est capable de rougir à l’idée de retrouver certaines personnes à Londres. Malheureusement, dans cette position, elle n’est pas capable de voir la réaction de son manager et donc d’anticiper la question. «
Qu’as-tu trouvé d’autre que l’inspiration là-bas ? » Elle cligne des yeux, surprise. «
Je ne vois pas de quoi tu parles. » En réalité, elle a une petite idée, mais il fait fausse route, et puis sinon, cette partie de sa vie privée ne le regarde pas. Du moins, pas dans l’immédiat, parce que quelque part, il fait comme parti de la famille maintenant. Et puis, les papiers sont déjà prêts et le rendez-vous au Consulat déjà pris. Elle peut toujours prétendre avoir trouvé la personne idéale pour travailler le mastering de ce nouvel album. Elle a juste posé la question par principe, pour dire qu’elle ne reviendra probablement pas tout de suite au bercail, mais qu’elle ne lâche pas sa carrière pour autant. Et en entendant la réponse positive de son manager, elle a souri. A la fois satisfaite et un peu niaise sur les bords.
Vingt-deux octobre. Une nouvelle date que Teddy n’est pas capable d’oublier. Ce soir-là, il n’y avait pas grand monde autour de la table : son cher manager, Blake et quelques amis à eux. Le strict nécessaire pour un nouveau dîner d’adieu. Un peu à l’ancienne, la même équipe qui ne se lâche plus depuis l’expérience The Voice de la brunette. Ils ont tout arrêté en entendant les différentes alertes infos sur toutes les chaînes, ainsi que leurs téléphones, qui ont suivis le passage des patrouilles de police. «
Ce n’est pas la première fois qu’un fou furieux fait un carnage sur un campus, ni la dernière fois. », un des convives avait parfaitement résumé la situation dans un murmure. Mais c’est la première fois qu’elle s’est retrouvée aussi près d’un tel accident après le décès de sa meilleure amie d’enfance, après l’avoir vu perdre vie dans ses bras. Elle est devenue muette, livide. Ils ont fini par la faire respirer dans un sac en papier. «
Faut que tu te calmes, tu ne crains rien. » Blake lui a pris la main, plein de bonne attention, mais la chanteuse s’est dérobée aussitôt. Alors qu’il souhaitait juste la soutenir face au souvenir qui l’a envahie, elle n’a pas réussi à accepter ce contact physique inattendu. L’unique personne décédée ce jour a beau ne pas appartenir à l’entourage de la jeune femme, et bien que ses amis aient déjà quitté les bancs de l’université en question, Teddy s’est tout de même sentie concernée. Elle n’a pas pu prendre son avion pour Londres et faire comme si rien n’est arrivé. A la place, elle s’est rendue chez la famille du défunt. Exprimer son soutien. Puis, elle s’est glissée en toute discrétion sur le campus parmi les étudiants pour déposer une bougie.
La jeune femme visse une casquette de son équipe de baseball préférée sur sa tête et se cache derrière une énorme paire de lunettes de soleil. Tentative de faire ni vue, ni connue surtout après les derniers événements. Si elle pouvait éviter les titres du genre
« Country Singer Avoiding Terrible Events ». Eviter sa carrière qui bat de l’aile. Eviter les drames en lien avec les armes à feu. Eviter toute interview prouvant qu’elle serait capable de penser, voire pire voter, Democrats contrairement au reste de sa famille. Bien qu’elle ne partage pas leur avis sur la question, elle ne souhaite pas leur nuire. Eviter toute médiatisation, toute pression médiatique, toute foule d’une façon générale.
Personne ne l’attend à la sortie de l’aéroport. La jeune femme lâche un soupir de soulagement. Si elle pouvait éviter les explications sur son comportement dans l’immédiat. Alors elle se glisse dans un taxi pour retourner « chez elle », sans savoir si le reste de la colocation sera encore là. Tout au fond d’elle, Teddy a envie de retrouver la convivialité de cet appartement bordélique au possible.