Je manquai de rater la sortie indiquée, perdue dans mes pensées, coupée de l’extérieur, enveloppée par la musique en sourdine qui s’échappait de mes écouteurs. La sonnerie d’alarme finissait seulement de retentir alors que je me glissais entre les portes juste avant qu’elles ne se referment. J’inspirai profondément et dégageai mes cheveux d’un geste fébrile en réajustant ma veste tout en me laissant entraîner par la marée humaine des heures de pointe, m’emmenant d’elle-même dans les dédales du métro sous-terrain. Je levai les yeux sur l’insigne de l’entrée, par simple habitude. Le bruit de fond et les entrées virevoltantes et désordonnées des personnes qui m’entouraient ne me pouvaient me laisser douter quant au lieu recherché. Je souris légèrement en apercevant un signe de main au loin et m’avançai à mon tour, laissant les battements de mon cœur s’emporter au rythme des basses résonnant autour de nous, avant même que je n’aperçoive encore les musiciens au fond de la salle. Je fis glisser mon téléphone hors de ma poche en le sentant vibrer contre moi et plissai les yeux pour m’adapter à sa luminosité sous les néons tamisés pour l’occasion. Robin était arrivé. Je souris légèrement en lui répondant, presque surprise de le savoir déjà là, surprise qu’il ait accepté de venir sans plus poser de questions, sans plus hésiter. Si je ressentais pour lui une reconnaissance que j’avais du mal à exprimer, si je ne doutais pas des liens que nous avions pu tisser, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer qu’il ne voyait en moi qu’un cas supplémentaire, une ancienne adolescente de plus dont il avait du s’occuper et qui le renvoyait à ses heures passées en internat. Mais j’avais fait taire mes craintes et mon imagination déplacée. Je les avais fait taire en le croisant plus tôt dans la journée et en lui proposant de me rejoindre ici, s’il le souhaitait. Je les avais fait taire car il s’agissait d’un lieu neutre, d’un lieu où il n’aurait pas à me voir comme cela, comme cette fille malade mais inconsciente qu’il avait du rassurer et encourager plus d’une fois. Je les avais fait taire car le temps était passé. Je relevai les yeux pour l’apercevoir se frayer un chemin jusqu’à moi et un sourire se dessina sur mes lèvres. « Tu es venu. » remarquai-je en pressant son bras doucement pour le saluer. « C’est un vrai parcours du combattant pour arriver jusqu’ici ! » Je hochai la tête avec amusement. Le concert ne faisait que commencer mais l’ancienne station vibrait déjà de rires et de cris alors que nous nous serrions un peu plus pour nous rapprocher de la scène. « Tu vas bien ? » me demanda-t-il et je reportai mon regard dans le sien, presque amusée, une nouvelle fois. « Et toi ? Tu as réussi à te libérer de l’hôpital, j’espère que ça en vaudra le coup. » finis-je en indiquant d’un signe de tête les musiciens qui prenaient place l’un après l’autre non loin de nous. « J’allais boire quelque chose, tu m’accompagnes ? » rajoutai-je avec malice, consciente de ce que je lui demandais à nouveau comme effort, en me tournant vers le bar improvisé que j’apercevais au fond, et dont nous étions séparés par une foule de personnes agitées.