Après sa mort, elle avait bien dû avancer. Ce fut laborieux et encore parfois elle était tentée de rester dans son lit, de ne plus rien faire, de mourir elle aussi. Heureusement son père avait été là, comme toujours. Il l’avait sorti, s’était occupée d’elle, l’avait veillé. Mais même avec toute l’attention du monde, même si son père avait stoppé ses affaires quelques jours pour être avec elle, ça avait été dur. Insurmontable même, au début. Mais après tout, June Fawkes ne laissait pas une épreuve (quelle que soit sa taille) l’empêcher d’avancer. Enfin tout de même, quelle sacrée épreuve. Son père avait essayé d’en parler, quelques semaines auparavant. Il lui avait dit, avec un sourire triste, que lui aussi avait perdu son amour, très jeune, et qu’ils étaient sans doute tous les deux faits pour aimer une unique personne et finir seul. Les yeux brillants d’émotion, il avait ajouté qu’il n’avait jamais retrouvé ce qu’il avait eu avec Angie. John était jeune quand il avait perdu sa femme, et vingt-deux ans plus tard il était encore seul. La jeune femme blonde se pensait destinée à vivre de la même façon, et c’était sans doute la raison pour laquelle elle se fichait que son travail lui prenne du temps : personne ne l’attendait.
Il avait fallu avancer donc, et comme l’appartement lui avait semblé trop grand, trop vide, trop froid après la mort de son copain, June avait décidé de le partager avec quelqu’un qui n’avait rien à voir avec le défunt. Du moins, c’était ce qu’elle croyait. La jeune blonde ne connaissait que trop cet état de manque, ce regard vide, ces moments complètement déconnectés de la réalité. Elle n’avait pas mis longtemps à découvrir le joli secret de sa nouvelle colocataire. Abigail était une droguée, une de plus. Une future jeune cliente pour les pompes funèbres. June n’avait rien dit, pas encore. Elle ne la connaissait pas encore assez pour se permettre une telle chose et elle espérait avoir le temps de la connaître avant qu’elle n’en crève. Et puis, June ne voulait pas franchement que sa nouvelle colocataire meurt, non seulement elle l’appréciait mais en plus, cela faisait tout de même un cadavre dont il fallait s’occuper et elle ne voulait pas que cette histoire retombe sur son père. Et elle n’avait pas non plus envie d’expliquer à la famille d’Abigail pourquoi elle était morte là, dans l’appartement de June. Non décidément, mieux valait qu’elle arrête ces conneries.
Après une journée passée à travailler, June s’accorda une pause. Elle retrouva Abi dans le canapé et soupirant, elle éteignit la télé qu’elle ne semblait pas regarder de toutes les manières. Et puis merde, même si elle ne la connaissait pas franchement, Abi vivait sous son toit alors elle pouvait bien se le permettre. « Tu te drogues depuis longtemps ? » Question conne, la réponse était sans doute oui, mais il fallait bien entamer le sujet d’une façon ou d’une autre, et June bien que fine quand il le fallait, n’aimait pas tourner autour du pot. Surtout après une journée entière à travailler. Elle espérait simplement un peu de franchise, histoire de lui faciliter la vie. Après tout, si June le voulait, elle finirait par savoir ce qu’elle voulait d’une façon ou d’une autre alors autant que ce soit Abi qui lui dise elle-même.
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(✰) message posté Mar 26 Jan 2016 - 20:00 par Invité
Mes doigts glissèrent sans enthousiasme sur l’écran tactile de mon portable et je relevai les yeux vers la télé pour en contempler non pas les images, mais la poussière qui en ornait l’écran. Je soupirai, indécise. J’avais fui l’appartement de mon frère pour en trouver un autre, comme si changer d’environnement me ferait naturellement me sentir chez moi. Tout est meilleur ailleurs. Mais l’air me semblait allergène partout. Je ne supportais probablement pas la vie elle-même. Elle me brûlait la peau et rien n’était à la hauteur, rien ne parvenait à me guérir. Ma sueur sentait l’héroïne et la peur. Je tentais en vain chaque matin, chaque soir de laver ce parfum funeste en frottant le savon contre ma peau, mais une douche rafraîchissant une demi-heure, pas une existence entière passée dans le déni et dans la drogue. Je voulais fermer les yeux et être dotée de télépathie : m’échapper dans un autre monde, un autre continent à la limite, là où le Clan n’ira pas me chercher pour me ramener au bercail. Je ne suis née nulle part, si ce n’est les décombres d’une famille qui n’a ce nom que pour le sang qui coule dans nos veines à tous. On ne faisait pas pousser des fleurs sur des terres stériles. Elles mourraient sous la lumière froide du soleil ou bien franchissait la frontière du crépuscule pour se faner dans la nuit obscure. Mais je renaissais chaque matin avec un peu plus de noirceur brodée au cœur et c’était vers un futur opaque que mes pas me menaient, incontrôlables.
Alors j’étais partie. J’avais définitivement claqué la porte de chez Theodore, bien décidée à cette fois ne plus lui adresser la parole. Jasmine me manquerait beaucoup mais elle était la cause de bien trop de tourments pour que je décide d’y prendre part. Son père s’était trompé sur toute la ligne. Pourtant, on ne jouait pas au même jeu que Theodore car il était toujours meilleur que les autres. Il devait être un as du poker à ses heures perdues, jouant dans des caves humides avec des billets qui sentaient encore le trafic tant celui-ci était récent. J’avais cru voir autre chose qu’une ombre dans ses yeux, durant les mois que nous avions passés ensembles, mais mon frère restait mon putain de frère : même quand il s’agissait de sa fille, il ne pouvait s’empêcher d’agir comme le monstre qui sommeillait en lui en permanence. J’avais été naïve de croire qu’il pouvait être autre chose et je payais aujourd’hui le prix de ma crédulité : je fuyais. C’était un héritage familial, ça aussi. On n’affrontait jamais le problème. On le contournait, on l’esquivait, on le laissait nous traverser en devenant invisibles, presque immatériels. Theodore devait avoir un plan de secours pour disparaître dans la nature. Oh, je devais même en avoir un moi aussi, mes parents me l’ayant concocté depuis ma naissance au cas où j’allais leur causer des problèmes. Il fallait le reconnaître, j’étais une gamine turbulente.
La télévision s’éteignit brusquement et cela me tira de mes pensées brumeuses. Je tournai la tête lorsque l’on s’assit à mes côtés et j’affichai un sourire que je voulus franc mais qui parut sûrement fatigué et triste. Par réflexe, je me frottai les bras et le creux des coudes qui me démangeaient trop, et ce depuis des années. J’observai la silhouette singulière de June, ses cheveux blonds et ses yeux bleus à la fois perçants et chaleureux. Cette fois, ils cachaient une interrogation que je l’avais déjà vue traîner derrière elle depuis quelques jours. Notre colocation était encore fraîche dans le temps mais c’était si facile de s’en rendre compte : je portais un mal en moi, quelque chose que l’on pensait pouvoir guérir mais dont les racines étaient en réalité bien trop profondes. Quelle que soit sa question, elle ne serait jamais la bonne. Est-ce que tu fais partie de la mafia ? Est-ce que tu fais partie de la mafia ? Est-ce que tu fais partie de la mafia ? Est-ce que … Elle prit son inspiration et se lança finalement, coupant court à mes réflexions vaines : « Tu te drogues depuis longtemps ? » Voilà. Mes répétitions et mes espoirs ne menaient à rien. Je souris plus franchement, osai même laisser échapper un rire entendu, presque jovialement déplacé, avant de secouer discrètement la tête et me mordre la lèvre inférieure, ayant depuis longtemps abandonné toute trace de honte au profit d’une franchise qui lui plairait certainement – ou du moins je l’espérais. « Bonjour à toi aussi, June. » ironisai-je avec malice. « Et la réponse est oui, mais je doute que tu avais besoin de l’entendre de ma bouche pour le savoir. » Je penchai la tête et retins un nouveau rire. J’étais tombé si profond que ses cheveux d’or ne reflétaient sur ma rétine qu’une lumière douce et rassurante. Ses mots étaient un bonheur simple et accessible. Je voulais croire qu’ils l’étaient. Je ramenai mes mèches folles derrière mes oreilles avant de reprendre : « On fait une session confidence ? » Je haussai les épaules avec désinvolture. « Comment t’as pu te retrouver en coloc avec une fille comme moi ? Ta vie d’avant ne devait pas valoir grand-chose. » Je l’appréciais déjà. Mais je savais pertinemment que les secrets avaient une limite : il y avait ceux qui, une fois révélés, soulageaient d’un poids et participaient au mystère. Et il y avait ceux qui restaient muets jusqu’à la fin des temps et que l’on déchiffrait à peine à travers l’écriture raide et effacée qui ornait nos tombes, une fois que l’on était enveloppé d’un linceul éternel.
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(✰) message posté Mer 27 Jan 2016 - 22:37 par Guest
La question était : June allait-elle pouvoir malgré tout continuer à vivre avec Abigail ? Pouvait-elle, psychologiquement, supporter de vivre avec une nouvelle personne dévorée par son addiction ? Elle avait vu son compagnon se consumer, lentement, à cause de tout ça. Elle avait vu en lui le même mal que portait Abigail, elle avait supporté cette douleur qui le dévorait sans trop qu’elle ne sache pourquoi. Elle l’avait observé se défoncer pour fuir ce monde dans lequel il ne se sentait pas à sa place. June l’avait regardé se détruire, impuissante. Pourtant elle avait essayé de lui en parler, elle avait essayé de le convaincre, en vain : elle avait beau hurler, pleurer, chuchoter… rien n’y faisait. Chaque fois, il lui promettait d’arrêter sans jamais y parvenir. Et malgré tous ses efforts, June n’avait jamais réussi à le sauver de lui-même, de son addiction, de ses fantômes. C’était impossible, et elle s’en était rendue compte bien trop tard. Il était impossible de vivre réellement avec une personne accro, impossible d’exister réellement, impossible de bâtir un avenir. Elle y avait vraiment cru pourtant, et sans doute que lui aussi. Elle avait été stupide d’y croire, stupide de s’accrocher à ses espoirs, mais elle avait tellement eu envie, elle n’avait pas pu l’abandonner… Alors forcément, elle avait cru pouvoir le sauver… mais face à une telle force, il fallait se rendre à l’évidence : elle n’était rien.
Laissant le rire d’Abi la ramener à la réalité, elle siffla pour que Jim vienne à ses côtés. Il s’assit, déposant sa tête sur ses genoux et June apprécia sa présence rassurante. Elle avait besoin de ce contact si simple, besoin de son affection, de sa loyauté aussi. Elle avait toujours vécu avec une présence canine, tant et si bien qu’elle ne pouvait plus s’en passer. Caressant la tête de son chien, elle écouta la réponse d’Abigail. Sa franchise lui faisait du bien, elle ne se sentait pas prête à se battre pour arracher la vérité à qui que ce soit, pas ce soir-là. Elle acquiesça en l’entendant confirmer ce qui était pourtant déjà une certitude. Oui, depuis longtemps. Pouvait-elle encore simplement être sauvée d’elle-même ? Posant son regard dans celui de son interlocutrice, elle s’apprêta à lui répondre, à lui dire qu’elle n’arrivait plus à supporter de voir ce regard vide, qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre avec elle et puis… Elle renonça, simplement. Quitte à s’empoisonner, autant le faire auprès de quelqu’un qui pourrait essayer de l’aider, quelqu’un qui l’emmènerait à l’hôpital au moment de son overdose et qui la sauverait peut-être, avec un peu de chance. Et de toutes les manières, elle n’eut pas l’occasion de s’exprimer que déjà sa colocataire reprenait.
June resta interdite un moment, peut-être fut-il un peu trop long, mais peu lui importait. Décrochant son regard d’Abigail, elle préféra se réfugier dans celui de Jim qui la contemplait avec bienveillance. Sa vie d’avant valait tellement plus que tout ce qu’elle avait connu depuis. Un sourire froid s’étira sur ses lèvres alors que le silence s’étirait. « Alors admettons, c’est une session confidence, j’imagine que c’est normal entre colocataires. » S’arrachant à la contemplation de son chien, elle se força à regarder Abigail. « Mon copain est mort d'une overdose, il y a quelques mois, c'est pour ça que tu es là Abigail. » Elle se sentait épuisée, et incroyablement lasse : la journée de travail l’avait vidée de son énergie, du moins c'était ce qu'elle préférait se dire. « Pour ça et parce que j’ai horreur de la solitude, et que cet appartement me semblait bien trop vide sans une deuxième personne. » Elle retint le rire ironique et nerveux qu’elle sentait monter. A croire qu’elle attirait les junkies à elle. Quand elle avait accepté Abigail, elle avait à peine fait attention à qui elle était, elle n’avait pas été intéressée par savoir avec qui elle allait vivre, elle voulait simplement quelqu’un. Mais elle aurait dû s’en rendre compte dès la première fois, elle aurait dû reconnaître ces signes évidents. Elle avait préféré être aveugle, une fois de plus. « Et toi, comment tu t’es retrouvée en quête de logement ? » Elle préférait de loin orienter le sujet sur Abigail, elle en avait déjà dit beaucoup, elle préférait garder les détails entre elle et son père. Retenant un soupir, elle songea au travail qui l’attendait encore pour éloigner ses pensées sombres. C’était mieux ainsi.