"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici why should we lie down for them (abigail) 2979874845 why should we lie down for them (abigail) 1973890357
Le Deal du moment : -55%
Coffret d’outils – STANLEY – ...
Voir le deal
21.99 €


why should we lie down for them (abigail)

 :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Dim 31 Mai 2015 - 2:18 par Invité
Je n’avais pas eu envie de rentrer chez moi. Je n’avais pas eu envie d’emprunter ce même chemin, une fois encore, de l’hôpital à mon appartement. Je n’avais pas eu envie de m’enfermer dans cette boucle, aujourd’hui. J’aurais voulu pouvoir me perdre, juste une fois, dans les rues de Londres. Juste une fois, ignorer où les pas me mèneraient. Mais je connaissais trop bien cette ville. Je la connaissais par cœur. Il n’y avait nul part où m’aventurer. A la place, je gardais le visage légèrement relevé, depuis que je m’étais assise à la terrasse de ce café. Le ciel était dégagé. Je pouvais rester ici, juste quelques minutes, je pouvais le contempler. Il me paraissait immense. J’étais certaine que je pourrais m’y perdre, ici. L’air était tendre, le printemps était arrivé sans prévenir. Et ce n’était qu’une raison de plus, pour moi, de ne pas rentrer tout de suite. Je massai distraitement, d’une main égarée, mon avant-bras, légèrement irrité de la dialyse matinale. Chez moi, je n’aurais rien eu d’autre à faire que de penser à ce que j’avais perdu, que de revoir le visage de James à chaque endroit de l’appartement, même ceux qui ne lui appartenaient pas, même ceux où il ne s’était jamais aventuré. Chez moi, je n’aurais rien eu d’autre faire que de penser à nos disputes, à nos silences, à tout ce que nous n’étions pas parvenus à nous dire, ensuite. Chez moi, je n’aurais rien eu d’autre à faire que de croiser les regards inquiets de Kenzo. Elle se demandait ce que je lui cachais, ce qu’elle ignorait de cette rupture, ce qu’elle était supposée faire pour m’aider. Rester dehors semblait me maintenir en sursis, quelques minutes de plus, des secrets et des non-dits, des souvenirs déplacés. Ce n’était qu’une illusion, bien entendu, une nouvelle façon puérile de ne pas regarder la réalité en face. Mais je n’avais jamais cherché à le faire, et je n’allais pas changer maintenant. Je n’avais pas la force de changer quoique ce soit, pour le moment. Ce n’était qu’une illusion. Je le savais, car je baissai mon regard de temps en temps, sur mon téléphone, éteint. Je regardai le noir de son écran inactif. Je me forçai à le relever, toujours, après quelques secondes, en dégageant mes cheveux, comme si rien de tout cela n’importait réellement. Car j’aurais pu rester perdue dans la contemplation de cet écran noir qui brillait doucement. Ma jambe gauche trembla légèrement, sous les spasmes d’une crampe que je n’avais pas sentie venir. Je m’efforçai de réprimer le tremblement. Il n’était pas supposé arriver aussi vite, pas juste après une dialyse. Je m’efforçai de savoir attendre, de savoir rester immobile, juste quelques minutes, de ne rien faire. Je décroisai les jambes en me penchant sur la chaise d’à côté pour attraper mon sac. J’y extirpai un paquet de cigarettes, ces cigarettes fortes et âcres que je fumais plus que de raison au milieu de mon adolescence. J’avais su arrêter, et je m’efforçais aujourd’hui de ne pas reprendre. Ce n’était pas évident, ce n’était pas facile. Je n’aurais jamais du refumer, il y avait de cela quelques semaines. Je n’aurais jamais du, cela avait été si difficile de me montrer raisonnable la première fois, déjà. Si difficile de prendre une bonne décision, juste une fois dans ma vie, juste une fois, suivre les conseils de mon médecin. Mais il était sans doute trop tard, j’allumai la cigarette, la tenant du bout des doigts, au dessus du cendrier, mon coude posé sur la table. Je sentais la fumée s’élever puis revenir vers moi, portée par la brise, et je restais les yeux mi-clos dirigés vers le soleil. Je fis tomber les cendres à l’arrivée du serveur à ma table. Je les fis tomber au fond du cendrier, avant de me décider à porter mon regard sur la jeune femme brune, quelques tables en face. Je plissai les yeux, l’observant réellement pour la première fois. Je me permettais. Cela faisait quelques minutes que je sentais son regard sur moi, brûlant. Quelques minutes que je faisais mine de ne rien remarquer, mine de m’en moquer. Et c’était le cas, au début. C’était le cas, avant de me rendre compte qu’elle semblait reporter ses observations sur un feuillet devant elle. C’était le cas, avant de me rendre compte que ses jugements auraient sûrement une trace, à la fin de cet après-midi. « La même chose. » finis-je par indiquer au serveur en désignant d’un signe de tête la table de la jeune femme. Il tourna la tête dans sa direction avant de s’éloigner. Je me penchai légèrement en avant, pour attirer son attention, son attention réelle. « Je peux vous aider ? » demandai-je simplement, feignant presque de prendre des précautions. Je ne savais pas encore si j’étais agacée, lasse, intriguée. Je ne savais pas encore quelle était la réaction la plus appropriée. « Je gâche votre vue peut-être. » Derrière moi, il n’y avait que la rue, et ses bâtiments. Il y avait les passants qui se pressaient vers des destinations inconnues. Il y avait la vie. Je n’étais pas une artiste, mais tout me paraissait plus cohérent, tout me paraissait plus logique que de me prendre moi comme sujet. Mais je n’étais pas idiote. C’était sur moi que son regard se portait après chaque coup de crayon. Et je n’étais pas certaine d’apprécier cette attention. Je n’étais pas certaine d’apprécier que l’on cherche à me dessiner sans me demander mon avis, sans me demander mon autorisation, pas certaine que je sois en droit de lui pouvoir la lui donner. Je n’étais pas certaine de vouloir qu’une étrangère reparte chez elle, une image de moi dans ses affaires, pas certaine de savoir ce qu’elle pourrait en faire. J’ignorais pourquoi, le dessin finirait sûrement à la poubelle, de toutes les manières. C’était sûrement là sa place, je n’étais pas un sujet fascinant, elle s’en serait rendue compte bien assez tôt, mais j’avais voulu prendre les devants. J’avais voulu la prévenir, maintenant. J’avais voulu l’empêcher de perdre son temps, un peu plus encore.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Lun 15 Juin 2015 - 11:56 par Invité
Je me cachais des regards. J’étais là,  dans un coin d’ombre sur la terrasse d'un café, et je n’osais pas bouger. Comme si je ne voulais pas m’en aller, comme si je savais que j’avais quelque chose à réaliser ici même. Que c’était plus prudent de rester et de laisser la sueur couler entre mes orteils blessés. Je mis la main dans ma poche et j’y sentis un sachet d’herbe. Vivez dangereusement. Mais on ne viendrait jamais me voir, me déranger pour ça, m’amener au poste de police le plus proche. Je n’avais pas l’air suspect. Je n’avais pas d’air, en réalité. Je n’étais pas là. Encore une fois, j’hésitais à reprendre le chemin de la maison. De sa maison. J’avais l’impression qu’il me serait impossible de me sentir un jour en sécurité chez Theodore. Son regard était la plus grande menace. Le regard de mes deux frères, en vérité, puisque la lueur acharnée et mauvaise de Theodore se reflétait à présent chez Silas. Je détestais cela. Tu as été corrompu aussi. Comme nous. On l’avait marqué au fer rouge et j’avais scruté son épaule pour y voir le trèfle, sans succès. Je n’avais donc pas assez d’un frère pour me détester, il m’en fallait un deuxième pour m’éviter. Je secouai lentement la tête et ramenai mes cheveux en arrière d’un geste las. Le serveur s’approcha de moi. J’avais commandé un verre de vin. C’était simple et riche. Exactement ce qu’il me fallait pour penser à autre chose. Je fixai le rouge bordeaux de la boisson et m’imprégnai de ses teintes douces. J’avais l’impression de l’entendre parler, chuchoter de sa voix rauque à mon oreille. J’associais souvent les couleurs aux sons, les goûts aux odeurs, le concret à l’abstrait. Ce verre m’évoquait les nuits d’été paisibles dans des pays lointains, celles durant lesquelles on somnolait de bonheur, celles que l’on oubliait au réveil et dont on ne gardait qu’une sensation d’étrange bien-être, comme une sérénité que l’on avait volé, que l’on n’avait pas mérité. Je pris le verre et bus une gorgée, me délectant de chaque seconde de cette esquisse de bonheur avant de le reposer et de tout perdre, à nouveau.

Je tournai la tête. J’avais remarqué cette fille depuis qu’elle était arrivée et j’avais sorti de ma pochette quelques feuilles. Je tenais mon crayon dans ma main sans rien faire, le faisant tourner entre mes doigts, et je l’observai. J’étais presque captivée, sans l’être pour autant. Une part de moi cherchait à rompre l’humeur morose qui m’avait enveloppée. Une autre part restait focalisée sur ses gestes, la cascade dorée qu’imitaient ses cheveux blonds lorsqu’ils retombaient devant ses fines épaules, sa manière de se tenir et d’observer la rue, ses longues jambes croisées, gracieuses. Et pourtant, il lui manquait quelque chose. Elle avait l’air de ne plus briller alors qu’elle avait tout pour faire de l’ombre au soleil lui-même. Je laissai courir la pointe de mon crayon sur le papier épais, dessinant furtivement la forme de son visage et la courbe de son dos. Pas vraiment plus. Je n’hésitais pas, j’attendais un véritable signe. Quelque chose qui me ferait tomber amoureuse de ses traits fins sans prendre garde à son âme, celle que j’allais emprisonner sur ma feuille sans m’en rendre compte, sans m’en préoccuper. Peut-être que cela la dérangerait si elle se rendait compte que je la dessinais. Peut-être qu’elle l’avait déjà remarqué, puisque je ne cherchais pas à être discrète, je voulais simplement être précise. Moins on faisait de traits, plus le dessin serait réussi. Il ne fallait jamais trop le charger, de peur de trop devoir gommer ensuite et lui faire perdre sa vigueur. Ne jamais poser son doigt dessus non plus, le crayon n’avait besoin que de lui-même pour créer. Marquer le modèle dans son esprit pour toujours. Qui sait, peut-être qu’elle allait s’évaporer dans quelques secondes. Mais j’avais imprimé son visage sur ma rétine. Plus d’échappatoire. Elle m’ignorait, sûrement. Elle faisait comme si je n’étais pas là et je scrutai ses mouvements, un mince sourire posé sur les lèvres. Elle sortit un paquet de cigarettes et l’observa durant de longues secondes. Elle réfléchissait, et cela me plut énormément, si bien que je repris mon dessin avant qu’elle ne se décide à en allumer une. Elle avait le regard las et ses cheveux perdirent tout leur éclat à l’instant où elle souffla le premier nuage de fumée. Mais j’arrivai à trouver cela beau. J’arrivai à décrypter les secrets d’une splendeur passée dans les ombres qui parcouraient son visage et ses yeux. Elle avait des cernes et elle passait ses mains sur ses bras régulièrement, comme pour tenter d’effacer des traces que je ne pouvais voir. Ce n’était pas mon problème. Je ne désirais qu’une seule chose : qu’elle reste ici jusqu’au bout de la nuit pour que je puisse finir mon dessin de la meilleure façon possible. J’avais beau posséder une mémoire excellente, rien ne valait la présence du modèle devant mes  yeux avides et excités.  

Elle souffla quelques mots au serveur qui m’avait apporté mon verre. Lorsque celui-ci s’éloigna, elle se pencha vers moi mais je restai concentrée sur mon dessin. « Je peux vous aider ? » lâcha-t-elle enfin. Je ne cillai pas et continuai mon tracé. Peut-être un vague mouvement d’épaules, qui sait ? Sa voix était profonde et grave, comme les échos des pas sur le sol froid des églises. Je ne levai pas les yeux vers elle. Je désirai finir ma courbe et capturer la forme de ses yeux éteints. Elle ne tarda pas à me relancer. « Je gâche votre vue peut-être. » Cette remarque eut sur moi un autre effet et je suspendis mon tracé, relevant le crayon dans un mouvement synchronisé avec celui de mes prunelles que je plantai dans les siennes. Je le fis à nouveau tourner entre mes longs doigts avant de le poser, parallèle à la feuille de papier. Je pris le temps d’attraper à mon tour mes cigarettes dans la poche de mon blouson et en allumai une. Je ne me pressai pas. Elle n’allait pas s’envoler et la désinvolture dans sa voix m’indiquait qu’elle voulait me remettre vaguement à ma place avant de disparaître. Dommage qu’elle soit tombée sur moi. Je posai ma tête sur la paume de ma main gauche en m’accoudant à la table puis souris étrangement. « Oh, vous êtes de celles qui ne se trouvent pas belles ? » J’aurais pu la tutoyer pour la déstabiliser. Une autre fois, peut-être. Je laissai la fumée envelopper mon visage pour la seconde fois avant de poursuivre. « C’est dommage. J’avais pourtant l’impression que vous étiez perspicace. » Je haussai finalement les épaules de manière plus prononcée. « Peut-être que je juge les gens trop vite. » Peut-être aussi qu’à force de l’observer, j’avais pu admirer ce qu’elle refusait de voir. Ce qu’elle refusait de redécouvrir. C'était son choix, pas le mien.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Dim 28 Juin 2015 - 2:21 par Invité
Elle avait à peine réagi à ma première interpellation. Son visage était resté incliné au dessus de sa pochette. Je l’avais sentie m’observer depuis plusieurs minutes, sans rien dire. J’avais senti son regard glisser sur moi, à plusieurs reprises, et elle refusait à présent de me l’accorder lorsque j’attirais son attention. Je m’étais tournée légèrement sur la chaise, pour lui faire face et recommencer. Et ce n’était qu’à ce moment là qu’elle avait relevé ses yeux dans les miens, directement, sans hésiter. Je devais avoir l’air agacée, je n’avais pas essayé de le dissimuler. Je tentai une seconde de l’apercevoir comme elle avait eu le temps de le faire avant moi. Son regard était brûlant mais elle ne semblait pas le savoir, elle ne semblait pas le vouloir, adoptant cette attitude voilée de ceux qui avaient déjà vu les pires choses. De ceux qui savaient qu’il n’y avait plus grand chose de terrible à connaître. De ceux dont la vie avait déjà été trop pleine, trop dangereuse, trop contradictoire pour que l’on puisse leur raconter des histoires, pour que l’on puisse les tromper. « Oh, vous êtes de celles qui ne se trouvent pas belles ? » répondit-elle enfin en laissant un vague sourire venir se dessiner sur ses lèvres. J’arquai les sourcils face au jugement qui teintait le timbre de sa voix. Je ne me trouve pas. Je ne me posais pas ce genre de questions. Dans le pire des cas, je me trouvais malade. Et je méprisais quand cela arrivait, je méprisais que cela puisse se voir, que cela puisse devenir visible. Mais je ne me posais aucune autre question sur l’image que je pouvais renvoyer. Je pouvais cependant penser que je gâchais sa vue, qu’elle se méprenait très certainement. L’avenue piétonne derrière nous rayonnait d’une sérénité immaculée que je ne ressentais pas. Elle pouvait immortaliser cela. Elle pouvait s’en contenter. Si elle choisissait de s’en détourner, c’est qu’elle recherchait autre chose. Et je refusais de découvrir ce qu’elle avait deviné chez moi, ce qu’elle avait décidé de capturer entre les traits de son crayon. « C’est ce que vous avez compris ? » demandai-je simplement en autorisant un sourire à venir se dessiner sur le coin de mes lèvres. Je ne voulais pas lui laisser voir que je pouvais être agacée, que je pouvais ne pas comprendre ce qui avait provoqué cela, ce qui nous avait amenées à discuter de mon apparence avec une étrangère. « C’est dommage. J’avais pourtant l’impression que vous étiez perspicace. » J’inspirai légèrement en détournant le regard. Je décelais dans sa réponse un compliment voilé que je ne voulais pas entendre, un compliment auquel j’avais du mal à porter de l’attention. Je n’y croyais pas totalement, de plus. Sa manière d’énoncer les choses me faisait douter de sa sincérité et je ne pouvais croire en son innocence. Il résonnait quelques instants entre nos deux tables comme une tentative de manipulation. Je n’allais ni rougir, ni m’amadouer. Je n’allais ni passer outre, ni lui donner l’autorisation de continuer. Et je pouvais sourire de l’imaginer croire que cela puisse me déstabiliser, me faire hésiter. « Peut-être que je juge les gens trop vite. » conclut-elle en haussant les épaules une nouvelle fois et je restai impassible, le regard vrillé dans sa direction. Je m’emparai doucement du verre qui avait été apporté à ma table sans même que je ne m’en rende compte. « Peut-être. N’essayez pas de me connaître en quelques secondes, vous échoueriez à coup sûr, ça aurait été plus simple de me le demander. » Je laissai passer une seconde. Une seconde durant laquelle je me surpris à hésiter. Une seconde au terme de laquelle je me levai simplement pour rejoindre la table à laquelle elle était assise. Je restai debout, un instant, au dessus d’elle, portant mon verre à mes lèvres, sachant pertinemment que je ne devais pas le faire, que je le regretterais suffisamment tôt. Je me glissai sur la chaise à ses côtés sans même avoir besoin de la tirer en arrière. J’ignorai son regard et laissai mes prunelles se poser sur l’esquisse qu’elle avait posé sur la table. J’y reconnus mon visage avec plus de facilité que je ne l’aurais cru, mais je ne dis rien. Pas tout de suite. Je fronçai légèrement les sourcils en attirant le dessin vers moi. Je me reconnaissais, étrangement, et ce n’était pas ce que j’avais voulu voir en m’approchant. Ce n’était pas ce que j’avais espéré retrouver sous mes yeux. J’acceptais de vendre mon image à l’agence pour laquelle j’avais signé. J’acceptais de faire le mannequin. Car ce n’était que cela. Ce n’était pas moi. Je jouais le rôle que l’on décidait de m’attribuer. Je ne me reconnaissais sur aucune de ces photos. Les photographes de mode étaient pour moi d’étranges artistes, ils redessinaient les couleurs de la vie, gommaient le médiocre pour ne garder que les plus jolis traits, les courbes les plus émouvantes. Ce n’était pas moi qu’ils photographiaient. Ce n’était jamais moi sur la photo finale. Ce n’était pas le cas ici. Les traits les mieux dessinés étaient les lignes de fuite. Elle l’avait compris. Elle avait bien essayé, par touches, d’insuffler de la vie à la jeune femme désenchantée que je ne me plaisais plus à jouer, mais elle était juste, toujours. Je restais silencieuse, un instant. Je ne savais pas si j’en étais impressionnée ou seulement agacée. Je ne savais pas si je devais la remercier de me voir ainsi ou m’en indigner. « C’est plutôt réussi. » finis-je par souffler enfin en emmêlant mes cheveux d’une main distraite comme si cela me coûtait de l’admettre. « Peut-être que je devrais le garder, cela dit. » repris-je à voix basse, une lueur espiègle allumant mes prunelles avant que je ne me décide à lui accorder un nouveau regard. Peut-être que je devrais le garder, du coup. Il ne m’aurait suffi que d’une chose : m’apercevoir qu’elle n’était pas vraie, qu’elle n’était pas juste, qu’elle ne me voyait pas réellement. Il lui aurait suffi d’être moins talentueuse. J’aurais pu me lever et m’éloigner en ne me reconnaissant pas, peu soucieuse de cette image faussée qu’une inconnue possédait de moi. Mais ce n’était pas le cas.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Jeu 2 Juil 2015 - 18:33 par Invité
« C’est ce que vous avez compris ? » J’esquissai un sourire qui aurait pu paraître doux sur n’importe quel autre visage. Ici, entre mes lèvres pâles, il était simplement froid. J’avais compris qu’elle refusait quelque chose. En elle, hors d’elle, cela n’avait aucune importance. Je l’avais observée comme certains le faisaient parfois. J’avais vu des hommes hésiter à l’aborder mais elle les avait probablement ignorés avec une sorte de dédain naturel qu’on lui pardonnait parce que, quelque part, elle était comme ça. J’avais compris qu’elle était triste, ses traits creusés par la fatigue la trahissaient sans regret. Ou peut-être voulais-je le comprendre. Après tout, quoi de plus inspirant que la mélancolie ? Je baissai les yeux une maigre seconde sur le dessin pour l’évaluer. J’ignorai si elle voulait le voir. Il n’était pas terminé mais on pouvait la reconnaître. J’en décelai les défauts majeurs, cependant pour l’œil inattentif, le portrait était réussi. Mais ça, c’était parce que j’étais perfectionniste et qu’il s’agissait de l’une de mes créations. Je ne trouvai pas les défauts chez les chefs-d’œuvre des autres. « J’ai compris que vous aviez bien besoin de cette cigarette. » m’enquis-je finalement en faisant un signe de menton vers celle qu’elle avait allumé quelques minutes plus tôt. Si on avait été dans un endroit moins fréquenté, je lui aurais proposé l’herbe que je cachais dans mes poches. Je soufflai la fumée de ma propre cigarette avant de reprendre, le timbre plus grave : « J’ai compris que j’avais envie de vous dessiner. Et je l’ai fait. » Mes phrases étaient concises et sincères, si sincères qu’elles semblaient perdre de leur honnêteté. Comme si je me moquais d’elle en lui disant simplement la vérité. Mais pourquoi lui mentir ? Elle m’avait prise en flagrant délit, de toute évidence je n’allais pas pouvoir m’enfuir comme une voleuse. Je ne voulais pas le faire. Quelque chose chez elle m’attirait indubitablement et je voulais savoir quoi. Pourquoi elle parmi la foule ? Ce n’était pas que sa proximité et l’ombre qui régnait sur son visage pâle. Il y avait autre chose, à l’intérieur. Je haussai les épaules, comme si ma réponse n’avait pas d’importance. Comme si elle n’avait qu’à m’oublier, comme si c’était aussi simple que cela. Je bus une gorgée de vin avant de reporter mon attention sur elle, à nouveau. Un voile invisible recouvrait son âme et je tentais vainement de l’apercevoir. Pourtant ce n’était pas correct. C’était agaçant. C’était impoli.

« Peut-être. N’essayez pas de me connaître en quelques secondes, vous échoueriez à coup sûr, ça aurait été plus simple de me le demander. » Je laissai échapper un rire cristallin mais très peu complice, simplement amusé. Je ne prétendais pas la connaître en quelques secondes. J’avais d’ailleurs insisté sur le fait que je la voyais ainsi, que je jugeais trop vite, que ma subjectivité tachait mon regard de l’encre noire de l’opacité. Je ne pouvais pas observer ce qui se trouvait en elle mais je me permettais de le deviner. Que mes appréciations soient justes ou fausses ne changerait rien à sa vie ni à la mienne. Mais qu’elle le remarque, qu’elle y accorde de l’importance, c’était nouer fugacement un lien d’une manière étrange et inattendue. La muse rencontra l’artiste et son œuvre, puis tout trois allèrent danser ensemble dans la chaleur de la nuit. « Très bien, alors je vous le demande. » répondis-je avec malice. « Est-ce que vous vous trouvez belle ? » Je voulais qu’elle soit sincère à son tour. Qu’elle laisse de côté l’agacement et qu’elle se laisse aller à la rencontre fortuite qui se présentait à elle. Qu’attendait-elle d’une soirée comme celle-ci, de toute façon ? Elle allait finir sa cigarette et rentrer pensivement chez elle en songeant à cette journée qu’elle laissait se consumer derrière elle. Et c’était bien dommage, non ? Elle ne pouvait pas me répondre oui, mais si elle me répondait non, j’allais la convaincre qu’elle avait tort. Qu’elle ne pouvait pas admettre qu’elle était laide, ou tout simplement commune, alors qu’elle avait attiré mon regard tranchant et que j’en avais fait mon modèle improvisé. Je ne voulais pas me vanter, mais j’avais l’œil pour remarquer ce qui portait en soi un potentiel immense, comme un don indescriptible et incompréhensible. Tu es de ceux-là, peut-être. Prouve-le moi. Seulement, sa lassitude me montrait qu’elle ne désirait pas me le prouver. Qu’elle s’en moquait, qu’elle avait autre chose à faire, qu’elle n’en voyait pas l’intérêt. Et pourtant, c’était si libérateur. Mon dessin portait en lui un fragment de son âme. Je ne lui avais pas volé. Je l’avais simplement soulevé, lui parmi d’autres, pour lui montrer, pour qu’elle l’observe. Elle m’avait d’ailleurs rejoint à ma table, apportant avec elle un verre, identique au mien. Probablement la même bouteille et je souris devant cette similitude.

« C’est plutôt réussi. » Elle venait de saisir le dessin et l’observai à présent avec attention. Moi c’était elle que j’observais. La lueur qui s’alluma dans ses yeux absents. Sa façon de tenir le papier, du bout des doigts, à la fois désinvolte et attentive. Sa manière étrange de se redécouvrir elle-même. « Peut-être que je devrais le garder, cela dit. » Elle posa ses prunelles sur moi, à la fois résignée et amusée de me le dire. Ou peut-être un seul des deux, sans que je puisse savoir duquel il s’agissait. Je hochai la tête, lui offrant ainsi le dessin. Il était à elle, d’une certaine manière. Je n’avais pas eu le droit de le faire, pas sans sa permission, alors elle pouvait le garder. Je haussai les épaules. « Merci. » Ma voix n’était qu’un souffle enrobé de fumée. J’étais sobre, et pourtant mes doigts vibraient de manière inouïe. Le dessin provoquait cela, parfois. J’avais envie de sortir une nouvelle feuille et de recommencer, impoliment, abruptement, sans qu’elle ne s’y attende. Je voulais m’attaquer à ses mains cette fois, ces doigts qui tenaient cette cigarette salvatrice et ces bras nus recelant de cette lumière tamisée, comme ces couleurs que l’on gardait sur la rétine lorsque l’on fermait les yeux. Je me penchai en arrière pour détailler sa silhouette. « Vous n’avez pas l’habitude que l’on vous regarde ? » Mon ton était empreint d’étonnement. Quelque part, je refusais de croire que c’était la première fois que l’on s’attardait sur elle. Peut-être que son agacement provenait de là, d’ailleurs. Peut-être que justement, elle en avait assez qu’on la remarque pour des choses qu’elle n’était pas, qu’elle ne considérait pas posséder, ou bien qu’elle avait mais dont elle ne voyait pas la beauté. Je trouvais cela triste. Triste comme sa silhouette. Triste comme ses yeux éteints où autrefois brillait sûrement un éclat vif et immaculé.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Ven 17 Juil 2015 - 1:43 par Invité
Nous nous observions avec une minutie que j’espérais discrète, qu’elle semblait appuyer volontairement. Passé mon agacement premier, le reste me paraissait surveillé, réfléchi, presque calculé. Chacune de nous décidée à camper sur des positions dont j’ignorais encore la nature exacte. Cela se ressentait dans ce sourire impossible et éteint qu’elle m’adressait en reposant son crayon. Cela s’entendait même dans le tintement des bracelets autour de mon poignet lorsque je cendrais ma cigarette d’un geste distrait. « J’ai compris que vous aviez bien besoin de cette cigarette. » Je gardai mon regard ancré dans le sien alors que je sentais toujours les effluves de ma cigarette qui se consumait lentement au bout de mes doigts. Je ne l’avais toujours pas portée à mes lèvres. J’en ressentais le besoin alors que je n’en avais pas réellement envie. J’étais supposée avoir arrêté. Ou peut-être n’avais-je jamais réellement recommencé, tout simplement. J’avais fumé à la campagne. J’avais fumé car il me paraissait inconcevable de résister aux côtés de Thomas et de son parfum entêtant. J’avais fumé parce que j’avais tout oublié, l’espace de plusieurs heures. Parce que j’avais décidé que plus rien ne comptait réellement si je n’étais pas à Londres, hors du temps et de l’espace. « J’ai compris que j’avais envie de vous dessiner. Et je l’ai fait. » conclut-elle dans un souffle de fumée qui embrumait sa voix et ses intonations. Elle énonçait les choses comme si ces dernières étaient tout simplement aussi faciles, comme si elles n’avaient pas à être autrement. Comme si elle n’avait à se cacher de rien. Comme si elle n’avait à cacher aucune de ses intentions, aucune de ses volontés, aucune de ses actions. Je la fixais pourtant depuis plusieurs minutes et je décelais le mensonge qui se cachait derrière ses vérités clinquantes. Son visage était voilé. Son visage n’avait pas de sens. Je n’y voyais que des secrets, des pensées illisibles, même lorsqu’elle faisait semblant de le mettre nu, même lorsqu’elle faisait semblant de l’offrir. Son visage était ce livre en langue étrangère, qu’elle acceptait d’ouvrir simplement car nous ne saurions pas le déchiffrer. « Et vous faites toujours ce que vous avez envie de faire ? Sans vous poser d’autres questions. » m’enquis-je finalement en écrasant la cigarette au fond du cendrier de verre. Cela devait être plaisant, cette liberté. Cela devait demander beaucoup d’énergie également, au quotidien, jour après jour. Je le savais pour avoir essayer. Je le savais pour avoir vécu avec ces intentions durant plusieurs mois, refusant que mon diagnostic ne me prenne quoique ce soit d’autre que ma relation avec ma sœur. Je m’étais épuisée. Je m’épuisais encore. Je pouvais me reposer sur l’excuse pratique et rationnelle de la maladie mais je trouvais cela trop facile. « Très bien, alors je vous le demande … Est-ce que vous vous trouvez belle ? » Je remontai mon regard vers elle à sa question simplement pour me heurter à la malice de son sourire et l’insistance de son regard. Sa question était risquée. Sa question ne m’inspirait aucune réponse. Je ne me trouve pas. Je l’avais déjà dit. Ou en tout cas, pas en ce moment, pas vrai ? Je sentais le piège. Ou peut-être était-ce seulement moi et ma méfiance constante ? Je ne trouvais pas cela important, à vrai dire. Je ne trouvais pas cela décisif ou révélateur. Je voulais bien croire en la regardant qu’elle connaissait l’importance d’un physique avantageux et l’impact qu’il pouvait avoir. Je savais ce qu’on pouvait gagner si on acceptait de le jouer. Il y avait des beautés qui excusaient tout, qui rachetaient tout, même le mal qu’elles pouvaient faire. Mais j’ignorais encore ce que j’étais prête à lui répondre, ce que j’étais prête à lui apporter. Je n’avais toujours pas vu son dessin alors je n’avais pas décidé. « On devient belle lorsque l’on décide qu’on l’est, n’est-ce pas ? » répondis-je d’un ton sérieux malgré la lueur d’ironie qui éclairait mon regard au même moment. Comme si je ne me cachais pas d’éviter sa question, d’éviter une véritable question. Comme si j’assumais de lui présenter cette phrase toute faite, tout droit sortie de n’importe quel magazine féminin. Les psychologies assumées de ces femmes imparfaites mais belles car elles savaient ce qu’elles étaient. Car elles connaissaient leurs richesses, acceptaient leurs limites et décidaient d’en tirer le meilleur. Si c’était ainsi, si c’était prouvé, alors je ne l’étais pas, belle. Et elle devait l’avoir vu. Je m’étais assise à côté d’elle sans réellement lui demander l’autorisation. J’avais posé mon verre à côté du sien et m’étais emparé de son dessin avec scepticisme. Je voulais le garder. Ou pas vraiment, je ne savais pas encore. Je ne savais pas encore ce que je voulais en faire, l’emporter et le jeter, ou le garder sans jamais vouloir l’avouer. Je ne savais pas encore ce que je regardais réellement. Mais je l’avais énoncé à voix haute. Je m’étais préparée à l’entendre refuser. Je m’étais préparée à l’entendre rétorquer qu’il s’agissait de son dessin, ses perceptions, ses perspectives, ses coups de crayons, son temps investi. Oui, mais c’est mon visage. Et elle avait accepté, avec tout autant de simplicité qu’elle semblait mettre dans chacune de ses décisions. « Merci. » répondit-elle d’une voix grave et je ne pus qu’hocher la tête en reprenant mon verre. Je pouvais retourner à ma table à présent, n’est-ce pas ? Je pouvais retourner à mes pensées et mes obligations sans avoir à lui poser plus de questions, sans avoir à entendre des réponses que je n’étais pas certaine de saisir. Elle semblait ailleurs, concentrée, comme si ses instincts créatifs ne l’avaient pas encore quittée. « Vous n’avez pas l’habitude que l’on vous regarde ? » Je souris doucement en entendant la surprise dans sa voix. J’ignorai si elle lui avait échappé ou si elle n’avait tout simplement pas cherché à la retenir. Si je lui avouais maintenant que j’étais mannequin, que l’on me prenait en photos toutes les semaines, que j’étais payée pour que l’on me regarde, que j’étais payée pour être vue, elle rirait. J’essayais d’en faire de même. « On me voit mais on ne me regarde pas tant que ça, pas comme ça. Comme tout le monde, j’imagine. » répondis-je en haussant les épaules. Comme tout le monde. Il n’y avait rien d’extraordinaire en cela, rien de plus commun. Voilà ce que j’essayais de lui dire. Rares étaient les personnes qui regardaient réellement les autres. Rares étaient les personnes qui regardaient réellement quoique ce soit. Elle devait le savoir. Elle devait lutter contre ces nouveaux réflexes à chaque fois qu’elle s’emparait de son crayon. Il n’y avait qu’ainsi qu’elle pouvait réussir à saisir la réalité, il n’y avait qu’ainsi qu’elle pouvait servir son art. Je l’imaginais, tout du moins. Mais je n’étais pas une artiste. Comment était-je supposée le savoir. « C’est pour ça que j’ai du mal à voir l’intérêt de portraits, je trouve ça souvent réducteur. » finis-je tout de même avant de porter le verre à mes lèvres, l’observant, amusée, en son dessus. Ce n’était pas le cas avec son dessin, je lui avais déjà avoué, à demi-mots. Mais je ne pouvais m’empêcher de lui faire connaître ce ressenti, comme pour ne pas capituler complètement, pas déjà. Je me voyais sur des photographies et je me demandais inlassablement ce qu’avaient pu devenir les ombres de mes pensées, mes remords ou les déchirures. Je n’aimais pas la manière avec laquelle ils s’en étaient arrangés. Elle l’avait fait d’une façon que je n’arrivais pas à déprécier, peu importe à quel point elle pouvait me troubler.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Ven 14 Aoû 2015 - 17:31 par Invité
« Et vous faites toujours ce que vous avez envie de faire ? Sans vous poser d’autres questions. » Mon regard pensif glissa vers la rue animée. Oui. J’avais envie de lui mentir et de lui faire croire que c’était le cas. En réalité, c’était impossible, elle le savait et moi aussi. On m’avait empêchée toute ma vie de faire les choses que je voulais faire. Tu es trop jeune Abi, voilà ce que l’on s’était efforcé de me répéter chaque jour pour que je ne l’oublie pas, pour que cela s’incruste sous ma peau, dans mes gènes, dans le sang qui me faisait vivre. J’étais une fille qui avait brisé ces règles et qui marchait aujourd’hui sur les morceaux tranchant qui ornaient le sol. Je me coupais mais je ne sentais plus la douleur. Etait-ce triste ou puissant, de savoir que l’on était tant habitué à avoir mal que cela ne nous importait plus vraiment ? J’avais envie que l’on me dessine en retour, un jour. Que l’on me remarque dans la rue et que l’on trace les traits que l’on pouvait voir. Rien de plus, rien de moins, juste la simplicité d’un visage dans sa forme la plus originelle, comme si je venais de sortir d’un cocon, prête à affronter l’existence dans ce corps neuf où l’on pouvait déjà contempler les traces d’un passé que je cherchais à oublier. Je me demandais si je pouvais parvenir à me trouver belle, parfois. Je me demandais si cette jeune femme allait se trouver belle sur le dessin que je venais de faire. Je posai mon regard sur celui-ci : il n’était pas fini mais déjà abouti quelque part, menant vers ce que j’avais voulu atteindre lorsque je l’avais observée pour la première fois. Elle avait toujours une lueur de défi dans les yeux, mêlée à cet agacement qui s’estompait peu à peu, ainsi qu’une pointe de malice, sa manière d’être intriguée sans réellement l’admettre. « Si c’est ce que vous vous dites en me voyant, alors oui. Cette description peut me correspondre. » Je haussai les épaules à nouveau, feignant le détachement alors que j’étais réellement curieuse de savoir ce qu’elle voyait en moi. Personne ne me le disait jamais. Je l’imitai et portai à mes lèvres le verre de vin après avoir rabattu mon regard dans le sien. On ne me disait que ce que je savais déjà : que j’étais un fardeau, une teigne, une sorcière. Je le lisais dans les yeux de ceux qui prétendaient me connaître. Le fait que cette fois-ci soit une première rencontre me donnait l’opportunité d’en savoir plus sur moi-même, en réalité. Cela sonnait un peu cliché. Deux femmes parlant d’apparences, c’était un peu cliché, de toute façon.

« On devient belle lorsque l’on décide qu’on l’est, n’est-ce pas ? » J’affichai un sourire amusé, à nouveau. Je parlais de cliché et voilà les mots qu’elle osait prononcer. Elle avait adopté un ton sérieux mais je savais qu’elle n’y croyait pas vraiment. Quelle femme y croyait, en réalité ? Pas moi, en tout cas, d’où mon sourire peu convaincu. J’appréciai cependant sa répartie, elle convenait à l’absurdité de ma question. Elle semblait me dire qu’elle n’avait pas encore décidé d’être belle, qu’elle était détachée de tout cela, que ce n’était pas un but en soi. Ce qui était vrai. Mais l’admettre, c’était décider de s’en moquer, décider que le corps que l’on avait nous suffisait, que le visage que l’on arborait n’était plus un masque, qu’il était la vérité, que lorsqu’on le regardait, on nous voyait sous notre forme originelle. A quel moment décidions-nous que nous étions belles ? Peut-être que le fait qu’une inconnue nous dessine à l’improviste, comme ça, dans la rue, était une piste vers cet accord que l’on faisait avec soi-même. « On me voit mais on ne me regarde pas tant que ça, pas comme ça. Comme tout le monde, j’imagine. » Je hochai la tête pour signifier que je comprenais. Mais à nouveau, je me moquais de m’être introduite aussi habilement dans sa vie, sans lui dire. Je me moquais de lui avoir volé un morceau de son visage. Je lui avais rendu, de toute façon. Je me moquais de savoir si elle allait le brûler en rentrant chez elle ou bien si elle le garderait pour se souvenir de cette fois où une inconnue l’avait regardée de manière différente. « C’est pour ça que j’ai du mal à voir l’intérêt de portraits, je trouve ça souvent réducteur. » Mais le mien ne semblait pas appartenir à cette catégorie. Peut-être que si, en vérité, mais ne venait-elle pas de m’avouer que c’était réussi ? « J’en suis d’autant plus ravie d’apprendre que le mien vous plait alors. » répondis-je poliment, avec cette sorte de modestie qui dissimulait toutes mes pensées. Je ne me sentais pas particulièrement fière. J’avais fait des dessins plus réussis. Dessiner cette femme n’avait pas été difficile, cela avait été évident. Elle dégageait quelque chose de différent, quelque chose que je ne pouvais pas reproduire, et c’était justement cela qui avait attiré mon regard. Je voulais dessiner des idées, des pensées, l’invisible.

Je finis pas prendre une inspiration après avoir porté la cigarette à mes lèvres pour la dernière fois, la plantant ensuite d’un geste vif au milieu du cendrier. « Abigail Rottenford. Je suis étudiante en art, si ça peut répondre à certaines de vos questions. » Se présenter après cet échange me paraissait normal. Mais nous n’avions plus rien à faire ici et la nuit serait vite finie. Je lui accordai un nouveau sourire avant de ranger mon crayon dans mon sac et frotter le bord de ma main sur la table pour en chasser les traces de graphite. Je ramenai mes cheveux en arrière pour la toiser correctement. Je voulais sûrement l’intriguer, sans l’admettre complètement. Nos verres n’étaient pas vides, pourtant j’avais envie de partir. J’avais envie de voir si elle me suivrait. « Je devais aller danser. » Oui, on m’avait proposé et j’avais accepté, en sachant que je n’allais jamais retrouver personne. C’était dans l’un de ces clubs où toute l’ambiance était basée sur l’opposition entre l’ombre et la lumière. Où les couleurs redessinaient nos courbes et les traits de nos visages. Peut-être cherchait-elle un endroit tel que celui-ci. Là où on ne se préoccupait pas de ce à quoi le voisin ressemblait : on pensait voir quelque chose, mais tout n’était illusion. « Vous devriez venir avec moi. » Je sortis mon porte-monnaie et coinçai un billet sous mon verre, assez pour couvrir le prix du sien également. Puis je me levai et m’avançai vers la rue à pas lents, sans me retourner. Comme lui faisant confiance, comme si j’étais sûre qu’elle allait m’imiter. Je posai mon pied sur la chaussée et traversai sans regarder, sans me préoccuper de savoir si j’étais au bon endroit, si une voiture arrivait. Je ne me concentrai que sur cette nouvelle cigarette que je venais d’allumer et le nuage de fumée qui m’enveloppa un instant, laissant derrière moi une trainée blanche, éphémère, sa chance à elle de ne pas me perdre de vue, si elle le désirait.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Jeu 3 Sep 2015 - 3:53 par Invité
Je n’avais pas été certaine de la réponse à lui apporter. Je n’avais pas été certaine de la comprendre, de comprendre ce qu’elle impliquait, de comprendre ce qu’elle allait lui révéler, sur moi, sur ma manière de penser, sur ma manière d’être, tout simplement. Je n’avais pas été certaine et je l’avais esquivée, à ma manière, comme toujours. Comme toujours lorsque je sentais le contrôle m’échapper, que je refusais de le laisser faire, que je le ramenais à moi, quitte à passer pour quelqu’un que je n’étais pas sûre d’être, que je n’avais pas décidé d’être. Je n’avais pas décidé d’être belle, non, alors je n’étais pas certaine de l’être totalement. Je regardai le croquis face à moi, que les rayons du soleil ne semblaient plus vouloir éclairer à mesure qu’ils disparaissaient derrière les immeubles avoisinants. Ce n’était ni les longs cils, ni les sourcils finement dessinés qui finissaient de sublimer ces yeux que j’avais du mal à reconnaître comme étant les miens. C’était leur expression, celle qu’elle avait réussi à leur insuffler, leur mouvement, celui qu’elle avait réussi à suggérer, leur rayonnement, celui que je n’étais plus certaine de posséder à présent. Ce n’était pas une photographie, non, l’une des nombreuses que l’on avait déjà prises de moi. Ce dessin n’avait ni leur admirable couleur ni leur luminosité. Il ne s’agissait que de noir, et de blanc, de gris révélant les reliefs et les ombres. C’était curieux de constater le pouvoir de ces dernières. Curieux de constater qu’elles pouvaient changer ainsi les choses les plus quotidiennes et les visages les plus simples. Car je pouvais m’y reconnaître. Tout de même. Elles ne changeaient pas mes traits, elles les révélaient. C’était ainsi. Les ombres recouvraient les paysages et les êtres et révélaient ainsi leur vraie nature. « Si c’est ce que vous vous dites en me voyant, alors oui. Cette description peut me correspondre. » Je clignai des yeux distraitement en entendant la voix de la jeune femme résonner de nouveau à mes côtés et je reposai mon verre sur la table. Je ne savais pas si je pouvais la croire. Mon instinct me soufflait mon envie de le faire, mais mon expérience se chargeait de me rappeler aux vérités qui régissaient le monde. Ce monde où nos envies et nos désirs ne pouvaient que glisser, ouverts, souples, sans exigences ni contraintes. Ce monde où les retraits, les frustrations et les réticences arrivaient ensuite bien trop rapidement. Celui-là même où rien n’était acquis et où la notion de mérite était devenue hasardeuse et floue. Celui-là même qui m’empêchait de la croire totalement en entendant ces affirmations. Mais je hochai la tête sans rien dire, un léger sourire aux lèvres. Car j’étais désireuse, tout de même. Désireuse de la laisser dire, de me laisser l’entendre. Désireuse de pouvoir y croire. « J’en suis d’autant plus ravie d’apprendre que le mien vous plait alors. » répondit-elle avec une modestie que je n’avais pas encore réussi à déceler chez elle. Je relevai mon regard dans le sien en secouant une fois la tête dans sa direction. « J’ai dit qu’il était réussi. » la repris-je avec une once de malice. Réussi, il l’était. Je n’avais pas dit qu’il me plaisait. Je restais sur mes gardes, toujours. Je lui dirais peut-être. Un jour. Si nous étions amenées à nous revoir. Je trouvais cela presque étrange de m’y attendre déjà, d’y déceler une quelconque logique. Il y avait quelque chose chez elle qui m’intriguait sans que j’arrive à y poser le doigt. Ses longs cheveux noirs et lisses qu’elle rejetait derrière des épaules fines sans vraiment y prêter attention. Ses yeux noirs et ardents qui semblaient écouter et posséder la force de construire son empire, peu importe à quoi il pouvait ressembler. Elle semblait frêle et forte à la fois. Elle semblait dédaigner le monde et ses mirages. J’avais l’habitude de toiser ces impudents. J’avais l’habitude de m’en méfier. Mais j’avais l’impression de la connaître. « Abigail Rottenford. Je suis étudiante en art, si ça peut répondre à certaines de vos questions. » se présenta-t-elle en laissant mourir presque brutalement son mégot au fond du cendrier. Je laissai mes yeux balayer son visage une dernière fois, surprise sans le laisser paraître, intriguée, mais en comprenant les raisons cette fois-ci. Rottenford. Je laissai mon esprit vaquer, l’espace d’une seconde. Je le laissai remonter au fil de mes souvenirs, au fil des quelques anecdotes que j’avais pu entendre de la part de Sam sur son ex-coéquipier, Theodore, sur son ami. Elle ne m’avait jamais parlé d’une de ses sœurs. Elle ne m’avait jamais rien dit de trop personnel à son sujet. Et pourtant, je la regardai à présent. Et je ne pouvais m’imaginer me tromper. « Je devais aller danser. » reprit-elle alors que je ne répondais pas. Alors que je n’avais pas encore pris la peine de me présenter à mon tour. Les barrières prenaient du temps à s’effondrer. Elles avaient pris du temps à s’élever, après tout. Mais elle me proposait de l’accompagner malgré tout. Elle ne considérait pas cela comme une excuse suffisante de couper court à cette rencontre. Comme une raison suffisante de considérer que je n’en valais peut-être pas la peine, finalement. J’étais ainsi, après tout. Toujours désireuse de recevoir à tout prix mais incapable de donner. « Vous devriez venir avec moi. » Je l’observai sortir, à la dérobée, un billet de son porte-monnaie qu’elle glissa sous son verre. Elle s’octroyait le contrôle que j’avais tant de mal à abandonner. Elle disposait, elle dessinait, puis elle s’en défaisait, elle payait, sans jamais rien demander en retour. Je haussai un sourcil en la regardant se mettre en mouvement, en la regardant prête à se lever. Elle n’était plus totalement une inconnue, si proche, bientôt lointaine, bientôt partie même si je la suivais. Déjà elle s’éloignait, disparaissant subtilement sur l’autre versant du boulevard. Je laissai passer une seconde en la suivant du regard, remis en place la bride de ma sandale, qui avait glissé, le long de ma cheville, avant de me lever à mon tour. Je traversai la route, habituée à cette partie de la ville, sa cadence, son empressement et ses heures d’affluence. Je ne l’avais pas perdue de vue, j’ignorai même si cela était possible avec ces longs gestes amples et gracieux, et elle semblait le savoir. Je ralentis le pas en arrivant à sa hauteur, prêtes à traverser de nouveau. « Je suis Alexandra. Et où allons-nous exactement ? » Je pris la parole après quelques secondes à ses côtés. Je suis Alexandra, au fait. Comme si elle n’avait rien dérobé de plus intime déjà, dès le début. « Je serais presque gênée de penser peu importe. Après tout, j’ai tout le temps devant moi. » concédai-je, un sourire amusé au creux des lèvres. « Mais on pourrait avoir les mêmes fréquentations, je connais peut-être. » finis-je en haussant les épaules. La situation était étrange, je le savais déjà. Elle avait décidé de me dessiner sans me connaître, je décidais de la suivre, désirant en savoir plus sur ce que je pensais avoir compris. Et parmi ces millions de trajectoires solitaires, nous nous étions rencontrées à une seule de ces intersections, l’une des seules où il n’y avait plus de vide, mais peut-être une étincelle, curieuse de ne pas être encore dissipée.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Mar 8 Sep 2015 - 18:06 par Invité
« J’ai dit qu’il était réussi. » Elle resta impassible, excepté ses lèvres qui s’étirèrent légèrement, rien qu’un instant, comme le battement d’ailes d’un oisillon, et cette lueur amusée dans ses yeux malicieux. Je n’ai jamais dit ça, semblait-elle me dire, et en effet, elle avait raison. Je lui rendis un mince sourire, à la fois poli et de la même veine que le sien, presque moqueur. Elle notait chacun de mes mots, chacun des siens aussi. Elle ne cherchait pas à me piéger, mais nous étions dans un entre-deux étrange, là où nous ne savions pas si l’on ne faisait que jouer à qui aura le dernier mot ou bien si l’on défiait réellement l’autre, remarquant ses erreurs, ses faiblesses. Après tout, ce n’était pas sa beauté qui m’avait attirée – elle pouvait croire ce qu’elle voulait, elle captait l’attention de quelques passants dans la rue. Non, au contraire, je m’attachais à ses imperfections car c’était celles-ci qui la créaient. C’était celles-ci qui n’en faisaient pas qu’un simple buste de marbre. Je n’avais vu que sa main tenant la cigarette, j’avais pu palper dans l’air son hésitation et la résignation qui avait accompagné son geste. Comme si, plus que jamais, elle avait su qu’elle faisait le mauvais choix mais que, plus que jamais encore, elle avait été volontairement attirée par le danger. Comme si elle comptait le nombre de cigarettes qui la mèneraient au cancer et qu’il ne lui en restait plus qu’une dizaine, peut-être un peu moins, et qu’elle choisissait subtilement les moments adéquats pour les fumer. Une jeune femme à la terrasse d’un café au milieu de la ville, savourant un verre de vin. Cela faisait titre de tableau. Et pourtant, c’était si descriptif que ça n’en avait plus aucun intérêt. Je préférais l’abstraction, la recherche, cet instant où, devant une toile, on se racontait une histoire. Je voulais appeler mon dessin d’une manière mystérieuse, d’un titre court et, au lieu d’être efficace, j’en privilégiais le mystère, l’audace, le sens caché. Il n’était pas terminé qu’il suscitait déjà l’attention de son modèle, qu’il semblait déjà être ancré en elle. Il pouvait lui plaire ou elle pouvait le haïr, le sens en restait inchangé. La résignation. Peut-être que j’avais trouvé en ce simple mot le titre parfait. Le titre qui racontait l’histoire que j’avais lu entre les traits de son visage, entre les lignes de ses cheveux cuivrés. Mais elle battait en retraite, comme si elle voulait me faire croire qu’elle s’en détachait. Qu’elle n’était pas cette silhouette alors qu’elle s’y était reconnue. Que l’esquisse ne la touchait pas parce qu’elle ne s’émouvait plus elle-même, parce qu’elle ne voyait pas ce que j’avais vu en elle. C’était normal après tout. Elle ne s’était jamais vue. Elle ne s’était jamais rencontrée. Elle se disait détachée mais pourtant elle semblait accrochée à la seule vision d’elle-même qu’elle voyait tous les jours : ce regard éteint dans le miroir, cherchant en vain ce qu’on lui trouvait. Et demain, elle n’en changerait pas. J’allais faire partie de cet étrange public dont elle était l’objet mais dont elle ne partageait pas l’avis. Je n’étais pas là pour la persuader de quoi que ce soit. Je n’étais pas là pour jouer un certain rôle dans sa vie. A vrai dire, je n’avais pas pensé à l’instant où elle lèverait les yeux et me verrait lorsque j’avais commencé le dessin.

« Je suis Alexandra. Et où allons-nous exactement ? » Je tournai la tête dans sa direction, cessant de marcher, la regardant de haut en bas comme pour vérifier que c’était bien elle, que c’était bien son courage qu’elle avait pris à deux mains, que c’était bien le même visage, le même air malicieux, la même lueur intriguée dans les yeux. Je hochai la tête. Alexandra. Tout simplement, elle ne s’encombrait pas de son nom de famille comme je l’avais inutilement fait. Je posais un nom sur son physique comme j’en avais posé un sur son portrait, silencieusement. Elle m’avait suivie en ignorant où je la menais. En ne sachant de moi que ce que j’avais bien voulu laisser paraître. Peut-être qu’elle tentait à son tour de me voler quelque chose, comme je lui avais dérobé les traits fins de son visage et la douce courbe de son menton. « Je serais presque gênée de penser peu importe. Après tout, j’ai tout le temps devant moi. » Je clignai des paupières, la laissant conclure. « Mais on pourrait avoir les mêmes fréquentations, je connais peut-être. » Je restai figée une seconde avant de sourire à nouveau, amusée. Mes yeux se posèrent sur ses bras, sa peau, ses veines, la clarté du relief de son corps mais également les ombres qui s’y nichaient. Elle cachait probablement un mal particulier, mais il était différent du mien. Elle n’avait pas le regard d’un camé. Peut-être n’avait-elle jamais pris d’héroïne auparavant. Peut-être n’en prendrait-elle jamais. Mais sa remarque m’amusait tout de même. Elle avait des marques sur la peau. Des marques mystérieuses sur lesquelles je m’attardai, cependant je finis par retrouver son regard car c’était impoli. J’avais pourtant tant l’habitude de manquer de respect. Elle savait probablement que j’avais remarqué. Elle devait être habituée, et même si cela n’avait duré qu’une fraction de seconde, disons même une seconde entière, elle avait vu mes prunelles s’arrêter là où elles n’auraient pas dû. Je relevai le menton et m’humectai les lèvres avant de lui répondre : « Pas sûr. Tu as la peau trop lumineuse pour que l’on connaisse les mêmes personnes. » Vrai. Elle avait beau dissimuler un mal visible en elle, j’étais pâle et macabre comme la photo en noir et blanc d’un soldat à l’agonie. Elle devait même douter de mon existence, tant notre rencontre ressemblait à un songe impromptu et tant ma silhouette était celle d’un fantôme, comme si je ne fumais pas ma cigarette, comme si ma cigarette me fumait moi. Je gagnais en familiarité. J’aurais aimé dire que je gagnais en assurance, mais je savais déjà que je menais la danse. Je voulais la voir essayer à son tour, cependant. « Néanmoins ce n’est pas un problème. On reconnait jamais personne dans ce genre d’endroit. » Je n’y allais pas pour voir des amis. J’y allais pour ne plus penser à rien. Pour me fondre dans une fontaine de couleur, dans un clair-obscur, pour n’avoir à sourire à personne. Je ne lui demandais pas de me suivre. Elle l’avait fait d’elle-même. En vérité, il n’y avait aucune danse à mener. Juste un millier de chemins devant elle et je m’étais engagée  sur l’un d’eux. Elle m’avait emboîté le pas. Je ne pouvais pas mentir et dire que je n’en étais pas satisfaite. Mais je ne m’accordais aucun mérite, aucune fierté. Elle choisissait. Je voulais qu’elle choisisse.

Nous nous perdîmes dans un large dédale de ruelles, nous éloignant de l’agitation d’Oxford Street. Je marchais avec un détachement caractéristique, comme si j’ignorais où j’allais. Et nous arrivâmes finalement au lieu désiré, ces grands locaux autrefois délabrés, porteur d’une sombre histoire de faillite ou d’assassinat, racheté par un entrepreneur, le changeant en large boîte de nuit connue seulement de ceux qui y avaient déjà mis les pieds. Cela devenait commun à Londres, partout. On maquillait. Rien ne se créait, rien ne se perdait, tout se transformait, et on offrait à n’importe quoi une nouvelle vie, une nouvelle histoire, un nouvel avenir. Nous entrâmes comme deux ombres après un regard au videur, longeâmes un étroit couloir, passâmes quelques portes, descendîmes quelques escaliers. J’aimais entrer dans ces endroits. Y être n’avait aucun intérêt, mais s’y plonger était toujours une expérience étrangement prenante. Voir les lumières changer, nos yeux s’y habituer, entendre la musique gronder en sachant que ce n’était qu’une question de secondes avant qu’elle ne s’empare du rythme des battements de notre cœur. Croiser une, deux, trois, dix personnes, puis se perdre parmi la foule, n’y percevoir que des corps et non des âmes, des corps défiant les lois de la physique tant il paraissait impossible d’en contenir autant au même endroit, des corps brûlants et agités, se ressemblant tous, ne formant qu’une entité possédant mille bras et mille jambes. Les visages oscillant entre ombre et lumière, incapable de choisir entre les deux car ici, la différence n’existait pas. L’ombre était la lumière. La lumière était l’ombre. La musique avait un goût acide et fiévreux sur nos palais. Nos yeux se touchaient comme des mains se tenant furtivement, un instant, comme une étreinte électrique, éclectique. Mon regard se posa sur Alexandra alors que nous pénétrions dans la salle principale. Elle était méconnaissable mais je n’avais pas perdu cette envie de la dessiner. Elle s’était même accentuée : les couleurs jouaient un jeu onirique sur ses joues, son front, le creux de ses paupières, celui de son menton, et j’avais envie de la peindre. D’en capturer les teintes si singulières. Mais ce serait pour une autre fois. Je m’approchai du bar et demandai un verre d’eau. Puis, sans attendre, nous nous retirâmes dans un coin plus sombre. Je lui tendis le verre, fouillai dans ma poche et lui présentai au centre de ma paume un cachet d’ecstasy. « Tu as le choix. » commençai-je sobrement. « Tu peux n’en prendre aucun, prendre l’un des deux ou prendre les deux. » Ils auraient chacun une destinée, de toute façon, quelle que soit sans décision. « Tu en connais les conséquences. Mais c’est moi qui ignore ce que tu veux. » C’était ce qui m’intéressait. Les âmes disparaissaient. Il ne restait que les corps. Et les expériences. Nous ne comptions pas sur les souvenirs, là où nous nous trouvions.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Jeu 17 Sep 2015 - 1:36 par Invité
« Pas sûr. Tu as la peau trop lumineuse pour que l’on connaisse les mêmes personnes. » me rétorqua-t-elle après quelques secondes d’attention mal placée, quelques secondes de voyeurisme assumé. Ses yeux s’étaient promenés le long de mes bras nus et j’avais presque pu sentir mes veines me brûler. Je n’avais pourtant rien fait pour détourner son attention. Et je ne disais rien à présent non plus, me contentant de sourire vaguement à sa réflexion. Elle avait capturé un peu de mon essence pour la déverser dans son dessin. Elle avait déjà pris plus intime, plus intime que ces maux qu’elle semblait essayer de deviner au travers de ces infimes mais visibles manifestations. Elle serait de toute façon bien en peine de les identifier, bien en peine de les nommer, je ne me faisais aucun souci. Et elle se trompait. Elle s’appelait Abigail Rottenford, et je connaissais ce nom. Elle s’appelait Abigail Rottenford et ce nom pouvait être commun, mais ses traits ne l’étaient pas. Ses traits trahissaient un air de famille que je ne pouvais me décider d’ignorer. Alors je la suivais, la laissant se persuader que nous n’avions rien d’autre en commun que ce verre échangé à la terrasse d’un café. Je la laissais dicter les pas de cette danse si elle le désirait, je voulais en mener une autre. « Néanmoins ce n’est pas un problème. On reconnait jamais personne dans ce genre d’endroit. » Nous nous engageâmes dans une nouvelle ruelle et je levai les yeux une seconde sur l’enseigne du bâtiment dans lequel nous nous apprêtions à rentrer. J’ignorais si elle disait cela pour me rassurer, pour me conforter dans ma décision de la suivre. Je n’aurais aucune image en ce lieu, mais je n’avais de toute façon pas l’habitude qu’on me la vole. Elle avait été la seule, la seule que j’avais surprise, tout du moins. Et c’était pourtant elle que je suivais à présent dans les couloirs de la bâtisse. Nous descendîmes les escaliers aux marches inégales comme si nous les connaissions par cœur, comme si nous les reconnaissions dans l’obscurité, sachant parfaitement où nos pieds étaient supposés se poser. Peut-être était-ce son cas après tout. Peut-être était-elle déjà venue plusieurs fois, suffisamment de fois pour en connaître tous les recoins. Ce n’était pas mon cas, et pourtant. Ils se ressemblaient tous. Chaque descente dans les galeries secrètes de cette ville avait fini par se ressembler. Chaque exploration de ces lieux nocturnes permettait de s’éloigner quelque peu de la réalité, offrant l’exil au cœur de Londres. Les vibrations des basses lancinantes tremblèrent soudainement sous mes pieds, troublant familièrement l’obscurité et le silence extérieur. Nous pénétrâmes enfin dans la salle principale et je plissai les yeux un instant pour m’habituer à l’absence de luminosité. Je n’avais de toute façon pas besoin de voir pour reconnaître. Je n’avais pas besoin de voir pour ressentir les effluences du passé sulfureux émanant des murs et flottant dans la salle, se reflétant en ses quatre coins grâce aux lumières des néons tamisés sur les pistes glissantes et les visages anonymes que nous croisions. Je ne m’y attardais pas, je connaissais déjà ces illusions d’optiques, ces miroirs capables de se renvoyer la même image à l’infini, rendant ces visages inconnus presque familiers, comme si nous avions déjà partagé des nuits telles que celles-ci. Les jeux de lumière de ces pièces reculées peignaient sur nos visages les couleurs d’une vie imaginée et je ne m’y fiais plus.
Je laissai Abigail s’éloigner vers le bar en la suivant du regard quelques secondes. Je dégageai mes cheveux d’une main distraite avant de relaisser tomber mes bras le long du corps et me dirigeai sans réfléchir vers l’une des alcôves forgées dans les murs, salons privés et improvisés nichant tout au long de la grande salle sous-terraine. Abigail me rejoignit et je la laissai chercher quelque chose dans le fond de ses poches sans vraiment y prêter attention. Elle rappela mon attention en tendant sa paume ouverte vers mon cœur et j’y baissai les yeux. « Tu as le choix. » J’avais identifié le cachet d’ecstasy au creux de sa main avant de relever mon regard dans le sien. J’arquai les sourcils une fraction de seconde en entendant ses mots avant de retrouver une expression impassible, pour la laisser continuer. Nous nous soutenions l’une et l’autre, comme si nos regards étaient liés par un fil tendu et invisible, un monde nouveau s’offrant à nous alors que nous nous croyions habituées à tout, tâtonnant cependant depuis notre rencontre pour essayer de se comprendre. Mais je n’avais pas fait attention. Je me sentais stupide, tout d’un coup. Stupide et aveugle. Elle était pâle et fébrile. Mais je ne m’étais pas posée de questions, comme si, sans le contexte, je refusais de lire en elle ce qui semblait pourtant à présent flagrant. Je la lisais à présent dans le fond de ce regard qu’elle posait sur moi, piquant et défiant, pourtant éteint en son fond : la faim. Je la lisais à présent cette faim terrible qui n’était que du manque, du besoin, des frustrations capables d’obséder et de ronger. Ces besoins qui ne cherchaient qu’à engloutir ceux qui en souffraient et qu’elle n’avait pas l’air de combattre, pas aujourd’hui en tout cas, pas avec moi. « Tu peux n’en prendre aucun, prendre l’un des deux ou prendre les deux. » rajouta-t-elle, m’expliquant les règles d’un jeu qu’elle semblait inventer sur l’instant, par curiosité. Je me demandai un instant si elle savait, si elle avait vu quelque chose en moi qui l’avait encouragée à me faire cette proposition, qui l’avait poussée à m’offrir ce choix.
Je me demandais si elle avait deviné que j’avais déjà pu succomber à ces minuscules vanités, ces plaisirs illusoires et insidieux qui occupaient le corps et l’esprit, le temps d’un instant, d’abord euphoriques puis bien vite misérables. Je ne pensais pas avoir le choix, non. Mais je me taisais, curieuse de savoir ce qu’elle essayait de me dire, ce qu’elle désirait me voir faire. Je ne pensais pas avoir le choix. Ces pilules cachaient en leur sein des promesses irréalisables. Si nous ne voulions pas empoigner nos souffrances, si nous refusions de les regarder en face et de les clouer sur la croix. Nous n’étions obligés à rien, grâce à elles. Nous nous moquions bien d’être guéris ou non, nous avions pris notre revanche. Nous avions fait quelque chose de ces souffrances, quelque chose qui nous avait permis de vivre, de revivre, de survivre un peu plus longtemps. Mais cela ne fonctionnait jamais. Cela n’avait jamais fonctionné avec moi. Et je n’avais plus le choix, non. Mon corps ne me l’accordait plus. « Tu en connais les conséquences. Mais c’est moi qui ignore ce que tu veux. » Un sourire malicieux vint se dessiner sur mes lèvres, comme à son habitude, s’esquissant sans réellement attendre mon approbation, sans réellement chercher à se cacher, simplement car il s’agissait de sa place. Elle me parlait de conséquences, je les lisais désormais dans son regard, dans ses veines, dans ses gestes assurés mais indolents, exaltés mais minés. Elle les portait sur elle. Je ne prenais pas la pilule et l’histoire s’arrêtait là, ou continuait telle que maintenant, je pouvais croire ce que je souhaitais. Je la prenais et je pouvais compter sur Abigail pour m’aider à pousser les portes qu’elle commençait seulement à me révéler. Elle s’était déjà sans doute emparée de toutes leurs clés. Mais je n’y voyais que des ombres et des mensonges. La vérité n’était pas aussi simple que cela. Il y avait tout le reste et le reste était immense. Le reste était accablant. Le reste pouvait être mortel, pour moi. Il avait déjà failli l’être pour moins que cela. J’avais été passionnée et effrayée en même temps. La passion ne disait pas tout, gardait ses secrets. La passion pouvait me faire enrager, m’émouvoir, avant de me faire perdre courage lorsqu’elle finissait par passer. La peur, elle, restait. Je clignai des yeux lentement et rehaussai mes épaules, presque en rythme, alors qu’un nouveau son s’enchainait du précédent, avec fluidité. « J’en connais les conséquences, mais je n’y vois pas les intérêts. » Je me pinçai la lèvre, la défiant presque de me les exposer, la défiant presque de me les trouver. Je n’étais pas influençable. Je n’étais pas à la pourchasse d’expériences, capables de me laisser gisante sur le sol car incapable de les assumer. Elle ne pouvait pas le savoir, pas précisément. Elle connaissait pire, cela se voyait. Mais je n’étais pas désireuse de découvrir ce qui pourrait ensuite rester, noir sur blanc, si je faisais le mauvais choix. Son manque ou mon manquement, sa folie ou ma faute. Je tendis mes doigts vers les siens et les laissai en suspend un instant avant de refermer sa paume, simplement. « Tu n’essaies même pas de me le vendre. Alors dis moi, qu’est-ce que ça m’apporterait ? » Qu’est-ce que ça t’apporte ? Je relâchai sa main et adressai un signe presque imperceptible à l’un des serveurs qui sortaient de l’alcôve voisine. « Tu es celle qui doit faire un choix apparemment. S’il t’appartient toujours, je veux dire. » Je haussai les épaules avec désinvolture, toujours cette même esquisse de sourire sur mes lèvres. Je n’étais ni vertueuse ni intraitable. J’étais prête à l’entendre me répondre si elle le désirait. Je pouvais également me contenter de ses silences et apprendre à les lire, j’en avais l’habitude. Je me tournai vers la salle emportée par les gestes lascifs mêlés de mouvements effrénés dans lesquels je pouvais aisément trouver la place.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Jeu 24 Sep 2015 - 0:53 par Invité
Elle me toisa d’un air malicieux sans être amusée. Elle sourit sans étirer les lèvres et un éclat invisible s’alluma dans ses yeux. Il s’agissait d’un soupçon, simplement. Rien de plus qu’une lueur, pas d’étonnement. De la découverte, de la prise de conscience, peut-être. Elle avait un choix. Je lui donnais le choix. Comme s’il s’agissait d’une faveur, comme si je faisais preuve d’une quelconque humanité, d’une quelconque miséricorde. Le plafond bariolé dansa à la surface du verre d’eau mais c’était son regard défiant et ses traits détendus, d’une sagesse qui n’était pas habituelle chez les gens de son âge, de mon âge, qui capturèrent mes prunelles. Elle avait le choix mais aucune hésitation ne balaya ses iris, et pourtant elle restait là à me sourire mystérieusement, comme si elle voulait me faire croire qu’elle pesait le pour et le contre. Je n’y croyais pas. Elle avait posé ses yeux une ou deux secondes sur le cachet d’ecstasy avant de s’y désintéresser tout aussi rapidement. Mais elle tenait tout de même à me laisser dans le doute. J’avais vu assez de gamins être tentés pour reconnaître celui qui refusait avant même qu’on lui propose. J’ignorais pourquoi : c’était l’endroit, et si elle s’était remise à fumer, il existait quelque part une logique à ce qu’elle prenne le cachet et le verre. Quelque part. Dans un monde comme le mien, oui, c’était même évident. Mais je voyais sa décision même si l’on venait m’arracher les yeux et les écraser sur le sol tapissé de cette étrange mosaïque mouvante. Elle se redressa avec une grâce que je commençais à lui reconnaître, cette même grâce que j’avais voulu, et peut-être réussi à capturer sur mon dessin. « J’en connais les conséquences, mais je n’y vois pas les intérêts. » Ce fut à mon tour de sourire. Elle avait cette douceur en décalage avec son air droit, presque fier. Elle tenait à sa vie privée, à ce qu’on ne la dérange pas, à ce qu’on ne la regarde pas, comme si derrière cette fierté se cachait une honte infinie ou une incompréhension. Cela ne faisait qu’une poignée de minutes, quelques dizaines probablement, que je la connaissais. Et je voulais en savoir plus encore. Je voulais percer le mystère. Je voulais même inventer le mystère pour pouvoir le percer ensuite. J’avais envie qu’elle m’exprime son refus. Je ne voulais pas d’une nouvelle âme en peine se traînant sur la piste, aliénée par la drogue et les lumières. J’en étais déjà une. J’étais partisane des contraires qui s’attiraient. La complémentarité me plaisait. C’était mon idée de l’équilibre. Comment expliques-tu Ian alors ? Je restai concentrée sur le regard déterminé d’Alexandra. Je savais que si je détournais le  mien, la silhouette d’Ian pouvait apparaître au coin de mon œil et que j’allais douter de la réalité, à nouveau, à jamais. Alors je restai de marbre. Je ne répondis pas, pas immédiatement. Elle n’avait pas fini.

Elle tendit sa main et la plaça au-dessus de la mienne. Je faillis froncer les sourcils. Comme si je n’y croyais pas, que cela ne me plaisait plus. Qu’elle parlait d’intérêts inexistants mais qu’elle cherchait tout de même à retenir le suspense jusqu’à la fin. Puis, comme un souffle glissant sur mes phalanges, elle les replia d’un geste doux. Doux, encore. Je ne savais pas s’il s’agissait d’une douceur véritable mais cela me plaisait de l’appeler de la sorte. « Tu n’essaies même pas de me le vendre. Alors dis-moi, qu’est-ce que ça m’apporterait ? » Je penchai la tête, baissant les bras, les laissant retomber le long de mon corps. Je tenais le verre du bout des doigts et je serrai le cachet d’ecstasy au creux de ma paume alors qu’elle faisait signe à un serveur à quelques mètres de nous. Elle avait une désinvolture que l’on pouvait trouver agaçante. Selon moi cela lui allait bien. C’était ce qui rehaussait ses épaules et qui lui donnait ce teint plus lumineux. Elle l’avait deviné. Elle avait deviné ce que j’étais. « Tu es celle qui doit faire un choix apparemment. S’il t’appartient toujours, je veux dire. » Et puis, encore cette même assurance, l’accompagnant dans sa démarche et ses mouvements lorsqu’elle haussa les épaules et se tourna pour aller danser. Elle faisait partie du serpent à présent, de cette créature aux mille mains et aux mille pieds, comme si elle était une écaille sur une peau de cuir multicolore. Je restai en retrait, ne pouvant qu’apprécier l’instant d’encore être capable de l’observer avant de la perdre dans la foule. Elle me quittait donc ainsi. Après tout, nous n’avions rien de plus à nous dire. Non, ça ne lui apporterait rien et elle avait sûrement fait le bon choix. D’un point de vue moral et distingué, certes. Mais je n’étais pas assujettie à une quelconque morale. Et j’avais depuis longtemps abandonné la moindre trace de dignité. Je faisais honte à ma famille. Je ruinais le quotidien de mes frères par ma simple présence à leurs côtés. Et puis, et puis, il restait l’héroïne lorsque j’étais seule. Le choix ne m’appartenait plus. Il pouvait toujours revenir un jour mais j’aimais glisser vers ces états d’extase car l’espace d’un instant, je pouvais ressentir le bonheur absolu de palper le vide. Comme si j’entrais dans une sale insonorisée et que je ne pensais plus. Que je n’étais plus personne. Que mes nom et prénom n’étaient que quelques lettres tourbillonnant devant moi et se dispersant en une pluie brillante et magique. Je n’étais plus la sorcière. Je n’étais plus la camée. Je n’étais plus le fardeau né trop tard, le boiteux qui courait pour rattraper le train disparaissant dans le tunnel. Et ces quelques minutes, ces quelques secondes valaient bien toute la douleur du monde. J’étais si ancrée à l’intérieur de ce cycle infernal que je ne songeais même plus à m’en sortir. On ne m’assujettissait pas à la morale car j’étais déjà formatée pour un autre système.

Je finis par soupirer, poser le verre sur une table et ranger le cachet dans ma poche. Elle ne m’avait pas convaincue, non. J’allais le prendre. Plus tard. Lorsque j’allais être seule. Dans des lieux comme ceux-ci, se perdre dans la masse donnait une impression, accélérée et mouvementée, de ce que n’être personne voulait dire. Mais c’était une sensation physique : mon corps ne m’appartient plus, c’est la musique qui le contrôle. Ce sont les autres qui le guident et je guide ceux des autres. Il n’y avait pas de place pour oser danser en autonomie. C’était un dédale de bras et de jambes, de poitrines et de chevelures, comme autant de pièges et autant d’indications à suivre. Il y en avait trop, on ne pouvait que s’y perdre, et c’était ça, le but. La drogue, elle, aliénait du corps et de l’esprit. Elle les éteignait et on était capable de rêver éveillé. Là, non. On restait lucide si on le désirait. On sortait de la prison si on le voulait. On savait – en principe – faire la différence entre le songe et la réalité. Je repérai finalement l’éclat doré qui coulait des cheveux d’Alexandra et mon ombre glissa jusqu’à elle. J’entrai dans la gueule de l’animal et devins l’une de ses nombreuses griffes. Je tournoyai au rythme entraînant de la musique, sans la regarder. Elle ne devait pas me voir non plus. Et puis la tonalité changea et tous se plièrent à ces nouveaux battements de cœurs généraux. Moi aussi. Elle aussi. Je décidai à cet instant de la retrouver. Me plaçant devant elle, je la forçai à me fixer. A nouveau, nous étions des individus. C’était étrange. Il y avait une rupture. « Aucun intérêt. » commençai-je d’une voix forte pour couvrir le bruit ambiant. « J’étudie les comportements des autres parce que je me suis lassée du mien. » Il y avait une forme de vérité dans mes mots, mais c’était probablement une explication trop simple. Elle n’attendait pas d’explication, elle ne serait de toute évidence pas déçue. « On devrait se revoir. J’aime bien ta façon d’être. » Voilà que j’étais sincère à présent. Même si je restais évasive. Sa façon d’être. Cela voulait tout dire et ne rien dire à la fois. Mais elle était, au moins. Elle avait cet avantage. « J’aimerais bien te dessiner sans avoir l’impression de te voler ton âme, la prochaine fois. » ironisai-je enfin en lui adressant un franc sourire, laissant même apparaître mes dents. Je lui disais la prochaine fois comme si c’était acquis. Comme si dans ses mouvements brûlants et sensuels j’avais deviné un hochement de tête que j’avais considéré comme une réponse acceptable. Parfois il fallait pousser le destin pour qu’il joue de sa magie. Je prenais peut-être cette rencontre pour un exercice. Je semblais vouloir tout rattacher à mon cursus universitaire, comme pour me prouver que je faisais le bon choix, cette fois-là au moins. Il était vrai que j’avais des projets à réaliser dans lesquels elle pouvait être un modèle parfait. Mais c’était peut-être trop facile de penser que l’on trouvait la perle rare assise à la table d’un café, buvant seule un verre de vin distingué. Je ne voulais pas non plus taper dans les clichés.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé
() message posté par Contenu sponsorisé
Revenir en haut Aller en bas
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut
London Calling. :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
Aller à la page : 1, 2  Suivant
» abigail rottenford.
» I know you from somewhere - Abigail&Evan
» (Abigail & Charlotte) uh, do i know you?
» (Nava & Abigaïl) Who's this ?
» more tequila. more love. more anything. more is better. (abigail)

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
-