| ( ✰) message posté Sam 19 Déc 2015 - 9:45 par Invité La voix répétait avec une grâce éthérée, une patience angélique, et les tons chastement séducteurs d'une jeune vierge qui lirait un discours de première communion, que le vol partirait bien piste 4, à l'heure prévue. Un léger retard aurait été apprécié, car il laissait un peu plus de temps à celui qu'Alaunus attendait pour arriver contre toute attente ; mais cela rallongeait aussi l'attente et ses affres. Bercé par cette voix céleste, il parvenait presque à se rasséréner, en se rappelant que de toute façon, il avait envie de ce voyage, et le ferait aussi très agréablement seul. Mais l'inquiétude de ne pas savoir demeurait, diffuse et bien légitime, et refusait de le laisser en paix. Il se saisit d'un magazine oublié sur un siège, le feuilleta, et sourit en reconnaissant l'une de ses propres affiches publicitaires au détour d'une page ; finalement, il le plia et le plaça dans sa poche, comme un talisman. Comment être sûr que son invité viendrait réellement ? La réponse était claire et cruelle : rien ne permettait de l'affirmer à coup sûr. Il fallait attendre et espérer, et seule son arrivée le délivrerait. Trois minutes exactement avant la fin des embarquements, il prendrait place à bord, sans cesser d'espérer, jusqu'à ce que l'avion décolle définitivement. Son coeur manqua soudain un battement, lorsqu'il crut le reconnaître au passage d'un portail. Déception, et retour aux affres de l'attente... Nerveusement, sa mince silhouette en costume d'un gris violacé oscillant au gré de la foule, Alaunus fit sauter dans sa bouche un quelconque chewing-gum au goût exotique, avant-gout des plaisirs du voyage. Il espérait que l'effort de mastication l'aiderait à dissiper le flot d'émotions contradictoires qui le ballottait si malicieusement. Dieu, qu'il détestait l'incertitude ! Mais cela lui apprendrait à inviter en voyage impromptu le premier inconnu qui partagerait, ou aurait l'air de partager, ses vues sur la vie, son goût pour les remarques publiques à voix haute, et sa curiosité pour la gastronomie et le tourisme. C'était fort plaisant, un nouvel ami, mais l'inconvénient restait l'impossibilité de se faire confiance, d'un côté comme de l'autre. Qui disait à ce jeune homme qu'Alaunus n'était pas un psychopathe, après tout ? Pourquoi ne pas décider, à tête reposée, de passer le dimanche matin au lit comme tant de bons Londoniens et de lui poser un lapin qui n'entraînerait aucune conséquence ? Lui-même n'avait pas osé parler de ce projet à sa mère, preuve qu'il n'était pas à l'aise avec sa propre conscience, dont cette dame respectable était l'incarnation dans le monde réel. Il avait eu peur d'être déçu, et d'essuyer, lorsqu'il viendrait s'en plaindre, des moqueries bien méritées. Brusquement, l'imposante carrure d'un militaire moustachu s'écarta, et son compagnon de voyage apparut dans l'ombre du géant ; cette fois, ce n'était pas une illusion. Alaunus se sentit chavirer de joie comme une jeune fille en fleurs, ou un convive affamé voyant arriver le plat qu'il n'attendait plus. Il empoigna sa valise, sachant fort bien que l'instant d'après, il risquait de se perdre dans la conversation et de l'oublier. D'un pas leste, il rejoignit celui qu'il pouvait, désormais, appeler son nouvel ami, et résistant à l'envie de se jeter dans ses bras, lui tendit la main avec un sourire éclatant : "Crois-moi, tu ne le regretteras pas !" |
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