"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici shorter of breath and one day closer to death (lexie) 2979874845 shorter of breath and one day closer to death (lexie) 1973890357
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shorter of breath and one day closer to death (lexie)

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() message posté Mer 17 Juin 2015 - 17:28 par Invité
Attends Tom. Je grognai et posai l’arrière de mon crâne contre le mur de mon immeuble. Mes mains tremblaient et je les ouvris devant moi, étendant mes longs doigts maigres et blanchâtres devant mes yeux fatigués. Reste, reste. Je plaquai mes paumes sur la pierre et serrai les dents. Mes ongles grattèrent nerveusement la saleté qui s’était incrustée dans les fissures du bâtiment. Mon épaule retomba sur la gouttière et je soupirai. Rentre chez toi. Ne fais pas l’idiot. Mes yeux glissèrent vers la porte d’entrée mais je restai immobile. Qu’elle aille se faire foutre. Je frottai les semelles de mes chaussures contre le trottoir. Mes mains tremblaient toujours et je n’arrivai pas à me calmer. RENTRE CHEZ TOI. Je secouai la tête. La rue était vide, plongée dans les ténèbres mais j’avais l’impression que l’on m’observait. Peut-être qu’Elsa le faisait depuis ma fenêtre. Je ne levai pas les yeux pour vérifier. Je ne voulais pas prendre le risque qu’elle me voit hésiter. Mes mains tâtonnèrent jusqu’à mes poches et y trouvèrent mon paquet de cigarettes et mes allumettes. J’enfilai finalement les manches de mon manteau. J’étais parti en vitesse, je n’avais pas eu le temps de le faire. Je n’y avais pas pensé, de toute évidence. Je ne m’étais préoccupé que de sortir, de retrouver l’air libre, puisque l’on venait me voler celui que je respirais d’habitude. Je fumai et le tabac me transperça les poumons. Je toussai, une fois, deux fois, puis me raclai la gorge et soufflai le nuage empoisonné. Rentre chez toi. Je me mis en marche. Rentre chez toi. J’atteignis une rue plus animée et ne pris pas le temps d’observer les environs. Je les connaissais par cœur. La jeunesse qui fêtait la décadence sur un fond de musique entêtante, je connaissais. Les traces des artistes sur les parois de chaque immeuble, je connaissais. Le bruit terrifiant des pneus sur le bitume, au loin, je connaissais. Je me saisis de mon portable et retirai le mode avion. Diane avait continué à m’appeler. Réponds. Voilà ce qu’elle m’avait envoyé et je fronçai les sourcils. Elle n’était que très rarement aussi insistante. Surtout avec moi. Elle abandonnait avant que je ne devienne blessant. Ses appels manqués m’énervèrent et je me décidai à taper son numéro et à jouer le rôle du fils dédaigneux qu’elle n’avait pas élevé. Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries. Rentre chez toi. Quatre sonne ... La voix de Diane s’éleva. « Tom ? » Je restai immobile et attendis quelques secondes, les yeux fermés, l’air fébrile, avant de lui répondre. « J’aimerais savoir pourquoi Elsa vient me faire chier au milieu de la nuit parce qu’elle n’a nulle part où aller. Elle a fugué ou bien vous avez tout fait pour qu’elle arrête de vous emmerder ? » Un silence ponctua mes paroles et je reconnus là la froideur de ma mère, celle dont j’avais si bien hérité. Elle aurait voulu être devant moi pour me donner une claque. « Si tu répondais au téléphone, des choses pareilles n’arriveraient pas, tu sais ? » Je serrai à nouveau les dents et elle put les entendre grincer. J’attendais qu’elle me donne une réponse plus satisfaisante. « Elle voulait s’installer à Londres. Elle est venue te voir toi. Elle tient à toi, tu le sais très bien. » Je levai les yeux au ciel et fumai, agacé. Mes mains tremblaient toujours. « Elle peut tenir à moi de loin. Tu le fais si bien. » Sa réponse fut soudaine et claqua dans mes oreilles. « Tais-toi, Thomas. » Je fis la moue et recommençai à marcher, sans répliquer. « Tu n’as pas écouté mes messages ? » Sa voix s’était faite plus profonde, presque plus inquiète et je m’humectai les lèvres, perplexe, avant de lui lâcher un non, sec et rauque. Comme si cela était surprenant. Comme si elle s’était attendue à autre chose. Elle soupira et je ressentis une fatigue monstrueuse dans son souffle, ainsi qu’une exaspération qu’elle m’adressait – mais qu’elle semblait également adresser au monde entier, à cet instant. « Fais un effort, Tom. Elle est malade, elle a besoin de soutien. » Je fronçai de nouveau les sourcils et ouvris la bouche. « Quoi ? » Ce maigre son fut de nouveau suivi d’un silence et je m’arrêtai au passage clouté, sceptique. « Tu ne le savais pas ? » Nouveau soupir de sa part et je lui grognai que non. « Elle a Parkinson. Tu le remarquerais si tu t’intéressais à quelqu’un d’autre qu'à toi-même. » Mon cœur cessa de battre pendant une fraction de seconde et ma respiration se suspendit, laissant le tabac caresser les parois de mes poumons quelques temps encore. Je finis par souffler. Je fermai les yeux, m’adossai au mur le plus proche et ne dis rien. « Thomas ? » Je raccrochai, ouvrant finalement mes paupières et regardant le ciel étoilé sans y trouver le moindre apaisement. La moindre réponse. Mes doigts n’avaient pas cessé de trembler et ils serrèrent mon portable terriblement fort. Il risquait de se briser mais je m’en moquais. J’avais envie de le lancer, très loin, très fort. Je laissai ma cigarette tomber, l’oubliant un instant. Je glissai jusqu’au sol et le tissu de mon manteau rencontra des bouts de verre poussiéreux, sentant la vieille bière. Mes doigts griffèrent le béton lentement. D’un coup, je fermai le poing et frappai le trottoir en hurlant un juron dans le silence vespéral. Le verre transperça ma peau et je relevai la main pour constater les traces rouges qui ornaient à présent mes phalanges. Je pinçai le haut de mon nez en inspirant lentement pour me calmer. Impossible. Mon regard se dirigea vers l’angle de ma rue. Rentre chez toi et excuse-toi. Ce n’est pas si compliqué, Tom. Je toussai de nouveau avant de me remettre debout. Je n’allais pas rentrer chez moi. Le parfum sucré d’Elsa emplissait encore mes narines d’une douceur que je ne pouvais pas supporter car elle n’avait pas d’effet sur moi. Je fis quelques pas vers la chaussée et la traversai sans regarder. Une voiture s’arrêta et je finis par tourner la tête. C’était un taxi. Je levai deux doigts pour lui faire signe de m’attendre et m’approchai de la fenêtre en claudiquant. Le chauffeur me regarda, dubitatif. « Vous voulez que je vous amène à l’hôpital ? » Sa voix était dénuée d’ironie. Il était parfaitement sérieux et je fronçai du nez en l’entendant. A ce point-là ? J’ai une sale gueule à ce point-là ? Je finis par secouer la tête et poser ma main sur sa portière. « Hammersmith. » claquai-je sombrement en m’écrasant sur la banquette et passant une main toujours troublée et écarlate dans mes cheveux négligés. Il acquiesça en constatant que je n’étais pas ivre et mit son véhicule en marche. Je jetai un regard dans le rétroviseur. Je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou. J’ai juste mal et ça ne m’arrive jamais.

J’observai les bâtiments défiler devant mes yeux sans ciller. J’aurais voulu m’endormir mais j’en étais incapable. J’essayai de ne pas me poser la question de ma destination. Lexie, encore ? Tu crois pas qu’elle t’a assez vu ? Rentre chez toi, Tom. J’expirai lentement, tentant par la même occasion de chasser le visage scintillant d’Elsa de mon esprit. La gamine qui voulait devenir une princesse. Je lui rappelais que c’était impossible à chaque fois que je la voyais, mais elle possédait une véritable détermination. Elle avait décidé d’être heureuse malgré tout et je détestais cette idée, comme s’il s’agissait d’un vernis ambré faisant briller le pelage d’une bête hirsute. Je revis un instant ses mains trembler et j’eus un pincement au cœur. Elle a Parkinson. Tu le remarquerais si tu t’intéressais à quelqu’un d’autre qu'à toi-même. Les mots de ma mère résonnèrent dans mon crâne et je ne pus m’en débarrasser. Tu trembles, Elsa. Rentre chez toi, tu as froid. J’aurais dû le voir. J’aurais dû le remarquer dans ses prunelles suppliantes alors qu’elle n’était pas arrivée à me l’avouer. Je savais pourquoi elle ne me l’avait pas dit. Elle aurait voulu que je le devine, que je me penche vers elle, que je saisisse ses poignets et que je lui dise d’arrêter de trembler. Elle aurait voulu que je lui demande moi-même car elle n’avait pas eu la force de prononcer les mots justes. A la place, elle s’était murée dans le silence, me regardant dépérir et pensant que mon cas était plus grave que le sien. Voilà pourquoi je ne veux pas que tu m’approches, Elsa. Ma vie n’a aucune importance mais elle peut gâcher la tienne. Ne te laisse pas enduire du goudron sale qui recouvre la voie infinie sur laquelle j’erre. J’ai du mal à y marcher droit moi-même, tu n’en ressortiras pas vivante. Mais elle me suivrait partout. Pour toujours. Je lui avais fait une promesse et je ne la tenais pas. C’était ce qui la blessait le plus. Tomtom ? Emmène-moi avec toi, avait-elle soufflé à mon corps d’adolescent et elle s’était endormie sur ma réponse affirmative, contre moi, rêvant de son avenir doré et merveilleux. Sauf que j’étais parti. Je m’étais glissé à pas feutrés hors du lit le lendemain, dès les premières lueurs de l’aube, et j’étais parti sans lui dire au revoir. Comme le voleur qui lui avait volé son bonheur. Elle était venue le récupérer ce soir, son sourire timide brodé sur ses lèvres parfaites. Elsa n’était pas une fille timide mais elle n’osait pas me contredire. Je me contentais jour et nuit de cette injustice. Elle rompait l’équilibre en frappant à ma porte ce soir et je m’étais enfui, à nouveau, en claquant la porte pour ne pas qu’elle me retrouve. Elle ne partirait pas à ma recherche. Elle savait que j’étais comme ça, que j’allais finir par revenir, quitte à ignorer sa présence. Et si cette fois je décidais de rester caché ? Le visage de Lexie apparut devant mes yeux et je demeurai impassible, concentré. Et si cette fois je disparaissais pour de bon ?

Le chauffeur finit par se tourner vers moi. « Je vous dépose où ? » Je jetai un coup d’œil à l’extérieur. Nous étions arrivés, en effet. Je sortis mon porte-monnaie et réglai le montant indiqué sur le tableau de bord sans un mot avant de m’extirper du véhicule et de chanceler vers le trottoir. Je mis quelques secondes avant de retrouver mes repères puis me dirigeai d’une démarche traînante vers l’immeuble de Lexie. Une fois que je l’eus atteint, je pénétrai à l’intérieur, un maigre sourire aux lèvres. Tu y réfléchiras à deux fois avant de donner ton adresse à n’importe qui, la prochaine fois. Je m’écrasai au fond de l’ascenseur et appuyai sur le bouton de son étage de ma main blessée. Quelques égratignures, simplement, peut-être une ou deux coupures, mais cela restait douloureux, étrangement. La colère me brûlait les veines, en vérité. Je le savais. Peut-être que la voix de Lexie serait salvatrice. Peut-être qu’elle arriverait à m’apaiser, à me dire les mots justes. Mais j’étais un type borné, je savais d’avance que j’allais l’agacer, jouer avec ses répliques jusqu’à ce qu’elle abandonne. Une fois sur son pallier, je m’approchai de sa porte d’entrée et plaquai mon oreille contre le bois, exténué. Je voulais entendre sa respiration, peut-être qu’elle n’était pas loin. Peut-être qu’elle n’arrivait pas non plus à dormir. Peut-être qu’elle voulait s’enfuir, elle aussi. Mes ongles raclèrent la porte jusqu’à ce que je décide de serrer le poing et de frapper trois coups secs dessus. Je fermai les yeux et attendis quelques secondes. Je lui laissai le temps d’arriver. J’en avais oublié l’heure qu’il était. Finalement, j’entendis des pas glisser sur le parquet et s’arrêter, hésitant peut-être à ouvrir par une heure si tardive. Je soupirai. « Lexie, ouvre. » Je décollai mon crâne de la porte et me redressai tant bien que mal. Elle reconnaîtrait ma voix, je n’avais pas besoin de me présenter. Il fallait simplement que je sois sec et cynique. Comme d’habitude. Elle n’aurait ainsi plus de doute quant à mon identité. Elle ouvrit la porte et je plantai mes yeux noirs dans les siens. « Je peux emprunter ton canapé pour ne pas dormir cette nuit ? » Un faible sourire se posa sur mes lèvres. Oh, moquons-nous déjà de nos pires douleurs. Je levai ma main blessée vers elle. « Regarde, je suis impardonnable. » Je battis des cils. Ca va s’infecter, hein ? Mais le poison me ronge déjà les os jusqu’à la moelle, tu sais. Je laissai retomber mon bras le long du corps. « En plus t’es plus enceinte, je vais pouvoir fumer. » soufflai-je d’un ton morne. Et j’attendis qu’elle m’invite à entrer. Peut-être que nous allions parvenir à parler de ça aussi. De cet incident qui nous faisait mal et qui laissait sur nos cœurs respectifs le goût âpre de la rancœur. Je faisais preuve d’irrespect dès le pallier. Je ne voulais pas qu’elle oublie ce qu’elle allait laisser rentrer chez elle, si elle venait à accueillir ma carcasse sale et mes mauvaises manières dans la pénombre de son salon. Mais quelque chose me disait qu’elle commençait à le comprendre. Qu’elle commençait à l’accepter. Qu’elle commençait à s’en moquer, enfin. Et qu’elle commençait à savoir l’oublier lorsque je partais.
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() message posté Ven 19 Juin 2015 - 2:23 par Invité
Je retirai silencieusement la clé de la serrure avant de pousser la porte de l’appartement plongé dans l’obscurité. Je n’allumai aucune lumière et la refermai derrière moi dans un claquement sourd. Les effluves de l’alcool troublaient encore mon esprit chancelant et je fermai les yeux une seconde, en m’adossant au mur du salon. J’aurais voulu rester ici, dans cette position. J’aurais voulu me laisser glisser le long du mur et ne plus avoir à me relever. Mais je ne voulais pas effrayer Kenzo à son retour. Je ne voulais pas forcer le trait. Je n’allumai aucune lumière, celles de la ville me suffisaient pour m’avancer à l’aveugle, jusqu’à la salle de bain. J’ouvris l’eau du robinet et regardai l’eau couler, quelques instants, immobile. J’aurais voulu m’effacer du monde, juste maintenant, juste ce soir, avant de plonger mes mains sous l’eau froide qui se chargerait de me ramener à la vie. J’aurais voulu que tout soit aussi léger, que tout soit aussi simple. Je joignis mes mains en coupe pour les immerger d’eau avant de les remonter le long de mes bras nus. Je retirai mes chaussures distraitement, revenant à plat sur le carrelage frais de la pièce. Je tendis le bras dans la pénombre pour attraper mon short en jean et ce pull trop ample que je ne pouvais plus mettre. Je dégageai mes cheveux du col avant de les laisser m’envelopper de nouveau de leur chaleur familière. Je ne voulais plus me laisser l’opportunité de pouvoir ressortir, comme cela, sans hésiter. La soirée s’était achevée à la minute où je m’étais éclipsée, je voulais y mettre fin. Je regagnai le salon et me dirigeai lentement vers la fenêtre donnant sur la rue pour l’entrouvrir. Le souffle tiède de la nuit me parvint par bouffées, dans une odeur de jasmin, douce et entêtante. Les basses de la musique continuaient à résonner en moi, en une vague lente mais assourdissante, un murmure familier. Je me penchai à la fenêtre pour mieux respirer les arbres fleuris. Je m’étais surestimée. L’impossible m’avait attirée, une nouvelle fois, grâce à ses grands gestes et ses défis silencieux. Je l’avais reconnu, drapé dans son suaire de brouillard mais je m’étais avancée, tout de même. Je m’étais avancée, aveuglée par ce courage auquel je désespérais de m’accrocher. J’étais épuisée mais j’étais sortie. J’étais usagée mais j’avais du cran. J’avais voulu y croire. Et à présent, la réalité assaillait mon esprit avec violence. Je baissai mon regard une seconde sur le téléphone qui vibrait entre mes mains. J’inspirai profondément avant de glisser les comprimés entre mes lèvres. Il suffisait d’attendre, d’attendre que cela passe, comme toujours, et entre temps, je pouvais bien répondre à cet appel. « T’es passée où ? Je t’ai pris un verre. » La voix féminine à l’autre bout du fil me parvenait de loin, masquée par les percussions de fond et les éclats de voix enivrés. Je passai une main fatiguée sur mes yeux, distraitement. J’avais essayé de résister. J’avais essayé de rester, de donner le change, de ne leur laisser aucun doute sur la jeune femme sauvage et dynamique que j’étais supposée être. Sur la jeune femme en pleine santé que je me plaisais à jouer. J’avais regardé tourner, devant moi, ces danseurs improvisés, leurs visages renversés dans le rire, ou tendus dans l’attente. J’avais regardé ces filles, possessives, les mains des hommes passagers appuyées dans le creux de leur dos, le corps soumis au rythme. J’avais été persuadée que je pouvais me laisser entraîner dans ces minuscules vanités, juste ce soir, de nouveau. Cela aurait pu être libérateur, si je n’avais pas été si misérable. Si mon corps n’avait pas battu en retraite, si il n’avait pas failli dès les premières minutes. « Je suis partie. » J’entendis glousser à l’arrière et je secouai la tête doucement. « Avec qui ? » Bien sûr qu’il s’agissait ici de sa première pensée. Bien sûr qu’elle trouvait cela normal, presque rassurant. Vis, Alexandra. Vis. C’était son mantra. Cela semblait être, en réalité, son seul principe de vie, et cela m’allait, cette légèreté. Elle semblait craindre, à tout moment, de devoir assister à ma chute. Elle semblait redouter, à tout moment, que nous croisions une silhouette qui ressemblerait à James, un fantôme qui m’aurait fait rebrousser le chemin que j’étais déjà censée avoir parcouru. Je ne pouvais pas lui en vouloir de croire qu'il s'agissait ici de ma seule souffrance. Tout était supposé être aussi simple qu’une rupture amoureuse. C’était tout ce qu’elle connaissait. « Je suis rentrée chez moi, Emily. » Je me mordis l’intérieur de la joue en l’imaginant lever les yeux au ciel, à quelques kilomètres et me sentis obligée de continuer. « J’ai des photos à faire demain, je ne pouvais pas rester tard, je te l’avais dit. » me justifiai-je inutilement. Je le sus sur l’instant lorsque mes mots ne reçurent comme réponse qu’un silence agacé. « Tu plaisantes ? Depuis quand tu prends ça au sérieux ? » finit-elle par railler et je fronçai les sourcils, lassée. Je n’avais plus la force de jouer à ce jeu, je n’avais plus la force de faire semblant de me moquer de tout, de faire semblant d’aller bien. Je n’avais plus la force de faire semblant de me soucier des jugements de cette fille que je connaissais à peine, de cette fille qui ignorait vraisemblablement tout. « Depuis que ça paie mon loyer. » De nouveaux rires résonnèrent en fond et je décollai le téléphone de mon oreille, la paume en l’air. « Tu vieillis, Alexandra. » conclut-elle finalement et je hochai la tête doucement comme seule réponse avant de mettre fin machinalement à la conversation et de jeter mon téléphone sur le canapé derrière moi. Il restait le silence et un drôle de mépris dans la pièce vide. Tu vieillis, Alexandra. Tu ne crois pas si bien dire, pensai-je, presque amusée. Je vieillissais et cela serait officiel, dans quelques minutes. Je ne parvenais pas à me montrer enthousiaste. Je ne parvenais pas à ne pas vouloir l’oublier. Je me retournai lentement en entendant les coups secs portés à la porte d’entrée. Je croisai les bras contre la fenêtre une seconde en fronçant les sourcils avant de m’avancer silencieusement dans la pièce. Je ne comptais pas ouvrir. Je n’étais pas là. Je ne voulais pas l’être. La soirée s’était achevée à la minute où je m’étais éclipsée.
« Lexie, ouvre. » Je sentis mes muscles se relâcher en reconnaissant les intonations de Thomas, assourdies, de l’autre côté de la porte. Ce n’était pas sa voix qui m’éclaira, sur l’instant. C’était ce ton sec, sa demande déguisée sous la forme d’un ordre. Je commençais à y être habituée. Je m’avançai de quelques mètres encore avant de m’emparer de la poignée et de l’abaisser lentement pour me retrouver face à lui. « Je peux emprunter ton canapé pour ne pas dormir cette nuit ? » Ses mots cheminèrent dans mon esprit engourdi et je restai impassible sur l’instant en inclinant à peine la tête. Il les prononçait d’un ton railleur mais je tentai déjà de décoder ses expressions ombrageuses. Je fronçai légèrement les sourcils lorsqu’il releva ses phalanges blessées devant mon visage. Encore Thomas ? « Regarde, je suis impardonnable. » Je remontai mes prunelles dans les siennes lorsqu’il relâcha son bras avec désinvolture. Son regard était sombre et dur. Je me demandais s’il s’en rendait compte. Je me demandais s’il parvenait à l’adoucir, quelques fois. « Tu n’étais pas obligé de chercher une excuse pour revenir, tu sais. » Je laissai un léger sourire se dessiner sur mes lèvres. « Pas sûre que ça ne marche une seconde fois en plus. » me moquai-je à voix basse en appuyant mon épaule contre la porte ouverte. J’ignorais ce qui lui était arrivé. Je percevais, dans ses boucles désordonnées et ses traits émaciés, de nouveaux démons qu’il n’avait pas su chasser. Je saisissais, sous l’éclairage lugubre du couloir, l’ombre de ses cils sur sa joue mal rasée, ses élans orageux passés et sa main abîmée. Et j’étais déconcertée, tristement curieuse de ce qui était parvenu à déchaîner chez lui ses passions disproportionnées. Je fuis la compagnie ce soir, Thomas. Je la fustige à l’envie. Donne moi une bonne raison de refermer cette porte. « En plus t’es plus enceinte, je vais pouvoir fumer. » Voilà. Je lui lançai un regard entendu, comme pour le défier de faire mieux, le défier de faire pire. Il se plaisait à ouvrir les portes sur nos vulnérabilités. Et je n’arrivais plus à m’en offusquer. Un nouveau sourire se glissa sur mes lèvres, avec lassitude, tandis que je finissais d’entrouvrir la porte. « Rattrape-moi, Thomas, si tu veux toucher au cœur. Cette plaisanterie commence à dater. » laissai-je échapper avec ironie en reculant dans la pénombre du salon. Le temps faisait son travail, insidieusement. Déjà, je n’étais plus supposée souffrir. Plus physiquement. Mais cela ne marchait jamais ainsi. Mon corps semblait garder les traces de toutes ses douleurs oubliées, de toutes ces souffrances que je m’acharnais à vouloir faire disparaître. Thomas n’était pas obligé de l’entendre. Il le savait déjà. Et nous serions obligés d’y faire face, un jour. « Est-ce que tout va bien ? » soufflai-je enfin avec sincérité en plissant les yeux que je reportais dans les siens. Je chassai aussitôt d’un geste de main évasif ses sarcasmes à venir. Je les avais anticipés dès l’instant où ma question s’était heurtée à l’immobilité de Thomas. Je les avais entrevus dans l’ombre grise qui était venue voiler son regard. Tout n’allait pas bien. Il n’allait pas bien. Mais cela ne rendait pas les choses plus faciles de le savoir. « Dis-moi ce que tu fuis cette fois. » Dis-moi si je peux te suivre, encore une fois. Il me l’avait déjà permis. Il savait que je ne cherchais que cela, la fuite en avant. Il apparaissait devant moi, prêt à me conter la mort du ciel lui même, que je voyais sombrer dans ses yeux. Ses mots s’effondraient toujours autour de moi, dans une poussière d’étoiles éteintes et je restais, je le laissais entrer, une nouvelle fois.
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() message posté Sam 27 Juin 2015 - 11:59 par Invité
L'ancien et le nouveau, la douleur et le bien-être, l'inquiétude et la désinvolture se retrouvaient mêlés en moi de façon  si étrange. Je pouvais être la douce mélodie de la rivière ou les bourrasques violentes du vent, mais la plus part du temps, je n'étais qu'une statue de marbre qui se tenait immobile au milieu de la vie. C'était un combat que je ne voulais pas mener jusqu'au bout. C'était épuisant et je n'étais pas un homme qui aimait se fatiguer pour des futilités. Je soupirai en serrant la prise de ma main engourdie. Ce n'était pas une plaie lancinante qui me tranchait la peau et pourtant les nuances violacées, teintées de brun, de rouge et de bleu, s’infiltraient profondément dans mes muscles afin d'y marquer le passage de la détresse telle que je l'avais rarement connue. Je fermai les yeux et le visage larmoyant d'Elsa se dessina sous mes paupières comme une mauvaise vision du passé. Je la détestais de m'infliger ça. Je la détestais d'avoir bravé la maladie et de faire ressurgir les vestiges de l'ancien Thomas, cet adolescent méprisable et révolté que je croyais mort et enterré, mais qui réapparaissait tout à coup, imposant sa loi tyrannique et sa raison implacable. Allons, reprends-toi. Je secouai frénétiquement la tête afin d'étourdir mon esprit capricieux. Je ne voulais pas me reprendre. Je voulais qu'elle disparaisse et qu'elle tombe dans la décadence humaine comme toutes les âmes perdues de notre siècle. Ainsi, je pouvais juger sa chute en attendant la mienne. Je pouvais me moquer et me noyer dans l'apathie. Je soupirai. Presque machinalement, je plaquai ma main contre la poche de mon pantalon, tâtonnant à la recherche de ma petite boite d'allumettes. Mes doigts ressemblaient aux griffes acérées d'un monstre affamé. Ils creusaient de longs sillons sur ma cuisse fébrile. Ils écorchaient ma vanité, mais j'étais trop éteint pour ressentir le moindre mal. Mon cœur pompait une sorte de magma gluant dans mes veines glacées. Ce soir, je n'étais pas humain. Je me cachais derrière le plumage noirci d’un aigle impérial. Tu te crois aussi inatteignable que ça ? Rentre chez toi. Va la voir, ta petite sœur a besoin de toi.  J'étais en colère. Cette voix moralisatrice raisonnait en boucle dans ma tête. Elle s'épanchait dans ma poitrine afin d'animer en moi un violent besoin de nicotine. Je baissai les yeux vers les tiges en bois qui vibraient sur ma paume. Il suffisait d'une seule friction pour qu'elles s'enflamment. Je voulais m'imprégner du cycle éphémère du feu qui se consumait vainement sous le vent. Moi aussi, je désirais flamboyer pendant une fraction de seconde avant de m'éparpiller comme une traînée de poussière. Les allumettes dataient, et il me semblait que mon âme était aussi vieille, grise et lassée que cette décennie. Toutes ces inventions novatrices à la con, quand même. Je me redressai avec nonchalance devant la porte de l'appartement. Non Tom. Ne frappe pas. N'y vas pas. Il était trop tard. Lexie était déjà là. Mon venin s'était déjà propagé autour de sa silhouette fragile alors que je prononçai chaque mot avec un dédain presque naturel. Je m'abandonnais un peu trop facilement aux versants obscurs du monde. Je souris devant son visage étincelant d'une lumière terne, faible et éteinte. Quoi ? Tu veux encore me rejoindre au fond du gouffre de l'oubli ? Je t'avais prévenue. Je te briserai les ailes. Tu ne sauras plus voler ailleurs qu'à mes côtés, dans un ciel noir et sans lendemain. Nous sommes les enfants qui n'ont jamais connu l'insouciance. Je croisai son regard en arborant un air narquois, presque sulfureux. Le démon tangue devant ta porte mais toi seule peut le faire entrer. Je n'avais plus besoin de penser à Elsa.  Lexie se présentait à moi comme une belle distraction. Tu t'enfonces. Tu devrais partir.  Ma langue dansa contre mon palais alors que je m'apprêtais à la faire ployer. Très chère Lexie, si je tombe, tu tombes. Stop. Tu testes tes limites, encore. Tu penses que tu n'as plus rien à craindre, mais Tom, tu as tellement tout à perdre. Jusqu'à quand penses-tu blesser les personnes qui t'entourent ? Oh mais ferme-la, sérieux. Je refusais qu'on s'attache à moi, Lexie le savait, Elsa le savait. Je n'étais ni un héros, ni un fils, ni un frère, ni un ami. Je n'étais qu'une ombre qui chevauchait les lumières du jour en direction d'un horizon neutre et sans nuage. Je sentis un frisson de dégoût parcourir mes bras. Sans doute le manque. De discernement ? Je déglutis avec difficulté. Non. Bien sûr que non. Le manque de fumée dans l'ambiance morose d'un appartement qui n'était pas le mien. Cette obsession finira par te tuer. Mais vivement qu’elle le fasse, putain, j’eus envie de répondre, je n'attends plus que ça. J'observais Lexie avec une lueur un peu folle dans le regard. Elle savait que ma présence ici n'était pas anodine. Il y avait un million de ruelles sombres et solitaires à Londres. Une multitude de lampadaires cassés et fractionnés qui ceignaient mieux ma personnalité, et pourtant je l'avais choisi elle. Parmi tous les lieux de perdition où le désespoir avait trouvé refuge, c'était ces quatre murs qui attisaient le plus ma curiosité. Je fis un pas vers l'entrée sans m’immiscer dans son espace vital. Pas encore. Le prédateur guettait toujours le moment opportun avant de se lancer contre les jugulaires palpitantes de sa proie. Je divague, tu crois ? RENTRE CHEZ TOI TOM. A quoi bon rester là, Lexie n’a pas besoin de toi. On connait déjà la conclusion de cette histoire : tu vis seul, tu meurs seul. C'était faux. Je fronçai les sourcils en me concentrant sur l'expression dégagée de Lexie. Elle était là. Je n'étais pas seul. Et par conséquent, je n'allais pas rentrer chez moi. Ce choix me semblait logique. Entre le devoir et la déchéance, mon cœur ne balançait pas. Il se penchait sans jamais se redresser. Il tombait sans jamais s'écraser.

« Tu n’étais pas obligé de chercher une excuse pour revenir, tu sais. Pas sûre que ça ne marche une seconde fois en plus. » Sa voix me parvenait de loin. Elle s’élevait dans le vide avant de faire écho à mes pensées. C’était vrai. Je n’étais pas obligé de chercher une excuse à chaque fois,  et pourtant c’était ce que je faisais le mieux. Ma vie n’était qu’une succession d’excuses et d’opportunités. J’avais commencé à fumer pour mieux correspondre à l’image du mystère. Je m’étais noyé dans les philosophies allemandes pour comprendre les rouages de l’univers. J’avais quitté Glastonbury pour accomplir une destinée biaisée par la déception. J’utilisais des phrases courtes, succinctes et sanglantes pour avoir une chance d’en placer une face à la répartie de William. Et enfin, je me pointais au beau milieu de la nuit chez Lexie pour me cacher des voiles de l’ignorance, refusant d’assumer, refusant d’accepter. Il y avait toujours une raison. Je calculais chacun de mes gestes avec méthode. J’agitais ma main blessée sous son nez parce que je savais que la vue de mon malheur réussissait toujours à l’amadouer. Quoi qu’elle en pense. Quoi qu’elle en dise. Lexie était ce genre de fille dotée d’une étrange gentillesse, une qu’on ne lui devinait pas tout d’abord. Elle se sentait concernée par les autres même lorsque ces derniers, comme moi, s’en moquaient. Je haussai les épaules en levant les yeux au plafond. D’accord. Je te laisse avoir le dernier mot si ça t’amuse. Elle s’appuya contre la porte ouverte, et je restai là, aux aguets, attendant cet instant propice où mes ongles sales et mal limés s’enfonceraient dans le cuir brûlant de son canapé. Dis-moi, pourquoi tu continues à m’accueillir au sein de ton antre ? Tu es une menteuse Lexie. Vous êtes toutes des menteuses. Les voix des mystères et des mystiques ont toujours eu une connotation féminine. Elles me parlent d’amour, de trahison, d’indignation et d’espoir, mais jamais elles ne citent l’essence réelle de la vie. La révolte. La lassitude. La solitude. Toutes ces valeurs introuvables et non traduites dans le langage connu des Hommes. Tu es certainement comme Elsa. Tu dois être née par une belle journée d’été et tu penses que le soleil transfigure les ombres hivernales qui soupirent dans la nuit. Tu te trompes. Lorsqu’il fait noir, je ne soupire pas. Je me délecte des poisons de mes cigarettes. Je m’asphyxie en respirant la vie et en recrachant la mort. Je me redressai avec nonchalance. En vérité, je vous emmerde : poésies incomplètes qui hantent mes pensées lorsque je ne veux plus lire. Silhouettes ténébreuses qui entourent mon corps lorsque je ne peux plus me contenter d’être simplement seul. Je veux qu’elle parte, Lexie. C’est une gamine. Tu ne le réalises que maintenant ? Je serrai mon poing douloureux. Réaliser quoi ? Que je veux qu’on me laisse tranquille ? Je l’ai toujours su.

« Rattrape-moi, Thomas, si tu veux toucher au cœur. Cette plaisanterie commence à dater. » dit-elle dans un sourire en reculant dans la pénombre. Je m’avançai légèrement, emporté par l’allégresse soudaine d’un moment de complicité. Et je souris aussi. Je ne m’y attendis pas vraiment, mais ma bouche s’était étirée pour lui dévoiler l’éclat blanc de mes canines. Attends Lexie, tu crois que je suis satisfait ? Non, ces conneries ne sont pas faites pour nous, hein ? Mon regard parcourut l’étendue de son salon et je soufflai : « Je ne plaisantais pas. Je me réjouis simplement à l’idée de fumer tranquillement. » Je secouai légèrement mes cheveux bouclés. Mon visage n’exprimait aucune compassion. Parfois, j’espérais réellement que ma froideur n’était qu’une façade mais ce n’était pas le cas. Certes, j’avais eu peur pour elle. Peur de la perdre pendant la prise d’otage, mais passée l’inquiétude et la frénésie du premier coup de feu, je m’étais rendu compte que c’était de sa faute. Elle était revenue. Elle avait attaché de l’importance à mon existence dérisoire. Elle me reprochait exactement la même chose. C’était drôle et étrange. Cela aurait dû l’être. Et pourtant je n’arrivais toujours pas à en rire. Mais arrête de faire l’idiot. Tu ne peux pas lui en vouloir. Oh, mais si, je le pouvais. Lexie était libre de succomber à ses élans d’héroïsme improvisés, tout comme j’étais libre de mépriser ces élans à chaque fois qu’elle tenterait de revenir vers moi. « Il y a deux choses que je ne supporte pas : les endroits où il est interdit de fumer et les gosses qui font chier le monde avant d’être nés. » ajoutai-je d’un ton neutre. « Heureusement pour moi, il ne semble pas y avoir de menace à mon confort ici. » Puis, sans même la regarder, sortant mon paquet de cigarettes : « A moins que tu aies encore fait un gosse. » Je la blessais sans vergogne. Sans même m’en rendre compte. Au pire elle m’en voudrait, mais elle m’en voulait déjà, de toute façon. Mon ton était sans appel. Je souhaitais lui faire entendre toute la cruauté de mes réflexions parce que je ne voulais plus les supporter en moi. Je ne voulais plus penser à Elsa. Il fallait faire face à nos erreurs. Ma gorge se serra brusquement. Elle est enceinte. Cette fois, ce fut ma propre voix qui raisonna dans ma conscience. Elle est enceinte. Et alors ? Qu’est-ce que ça pouvait me faire ? Putain. J’y pensais encore. C’est ton amie. Tu voulais la protéger. Non. Je ne protégeais personne. Je ne connaissais qu’une seule façon de survivre au chaos : devenir chaos à mon tour.  J’esquissai un mouvement vers le séjour. Toutes les lumières étaient éteintes. Lexie était dissimulée dans la pénombre, son regard noir comme celui une créature menaçante, mais cette image ne lui correspondait pas. Mes yeux balayèrent l’espace en épiant les coins des murs silencieux. Il faisait bon. Il faisait calme sans la présence d’Elsa. « Est-ce que tout va bien ? » Je lui adressai un vague hochement de tête.  Elle connaissait déjà la réponse. Je pouvais le voir dans son attitude à la fois hautaine et concernée. Tu vois Lexie, tu es tout le temps ce genre de personne. Et j’en ai marre qu’on s’occupe de moi. Tu devrais le comprendre, tu es malade mais tu ne te soigne pas. « Dis-moi ce que tu fuis cette fois. » Mes pieds rasèrent le sol alors que je pénétrai dans le salon. Mon regard croisa le canapé que je convoitais tant. Ce serait ma maison pour la nuit. Même plus si nécessaire. Je n’avais pas les idées très claires à ce sujet. RENTRE BORDEL. La boite d’allumettes était toujours dans ma main. J’en fis craquer une première après avoir coincé une cigarette entre mes lèvres sèches. « Les gens qui posent trop de questions, je suppose. » claquai-je en laissant les effluves empoisonnées tapisser d’asphalte les parois de mes narines. Un sourire moqueur se traça sur mon visage. « Ah, j’oubliais. » Je me retournai vers elle en fumant de nouveau. « Je peux ? » Je lui adressai un mince sourire alors que ma poitrine s’affaissait au contact de la nicotine. Je m’assis au bord de la table, provocateur. « Et toi, qu’est-ce que tu aimerais fuir ? Je peux t’emmener tu sais. J’aime bien ton short et ta dégaine guerrière. Ça vaut le coup de partir avec toi à nouveau. » ironisai-je en cherchant un cendrier du regard. Elle l’avait fait une fois. Je voyais au fond de son regard qu’elle voulait le faire encore. Mais j’étais assez raisonnable : je n’allais pas la laisser me suivre. Pas cette fois. Reste chez toi, Lexie. Je viendrai te chercher le moment venu.
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() message posté Ven 17 Juil 2015 - 1:49 par Invité
Je le laissais suivre mes pas et pénétrer dans l’appartement, désireuse de ne pas regretter cette décision, anticipant chacun des coups qu’il pourrait porter pour réussir à me pousser dans cette direction. J'ignorais pourquoi, il semblait toujours vouloir le faire. Mais j’avais toujours été persuadée d’une chose, j'avais toujours voulu prouver à chacun que le simple fait de ne pas s’effondrer physiquement entraînait à lui tout seul les prémisses d’une victoire morale. Cela était rapidement devenu fatiguant. Usant et redondant. Superficiel et mensonger. Il n’y avait à la place que cette tristesse sèche, ce chagrin stérile et un isolement fallacieux. J’étais intriguée par ce que j’étais parvenue à imposer à mon corps et mes émotions. La douceur et la patience ne faisaient que provoquer ma colère et mes reproches. Mais je cherchais encore ce qui pouvait me faire craquer, ce qui pouvait me faire sombrer. Je cherchais encore ce qui finirait par me faire m’effondrer. Il me semblait, avec le recul, que cela aurait pu me faire du bien finalement. S’écrouler et se laisser emporter par la douleur, autre que physique. Je ne savais plus comment faire. Et Thomas percevait les failles et s’y engouffrait, comme s’il savait, comme s’il avait décidé d’en venir à bout. « Je ne plaisantais pas. Je me réjouis simplement à l’idée de fumer tranquillement. » Je fis un signe de main, allant dans son sens. Je ne pouvais pas le contredire. Il n’y avait en effet plus rien pour l’en empêcher. Plus rien de plus fort et convainquant que son souffle court et rauque à chacune de ses inspirations. « Il y a deux choses que je ne supporte pas : les endroits où il est interdit de fumer et les gosses qui font chier le monde avant d’être nés. » énonça-t-il d’une voix sans relief, ne prenant même pas la peine de me regarder pour surprendre la réaction que cette attaque était supposée provoquer chez moi. Et heureusement. Je ne ressentis pas grand chose en premier lieu, dégageant mes cheveux dans un geste lointain. Recherchant un mouvement, n’importe lequel, plutôt que de rester immobile et totalement insensible à ces paroles cinglantes. Plutôt que de ne rien ressentir d’autre qu’une douloureuse curiosité, au mieux. Il arriverait à contrarier, il arriverait à faire mal s’il le désirait. Je serrais les dents en attendant de découvrir ce qu’il utiliserait pour m’atteindre, ce qui réussirait à me faire ressentir autre chose que cette pointe désagréable au creux de mon ventre, mais avec laquelle je parvenais tout de même à vivre. « Heureusement pour moi, il ne semble pas y avoir de menace à mon confort ici. » Je laissai mon regard vrillé dans sa direction, vrillé sur sa silhouette qui se découpait faiblement dans l’obscurité de la pièce. Je cherchai ses prunelles sombres dans le noir mais il ne les dirigeait pas vers moi. Il ne m’accordait même pas cela. Il évitait le sujet, toujours. Il trichait, toujours. Mais je lui avais déjà dit, il l’avait revendiqué. Pourtant, je ne pouvais empêcher cette réflexion de faire surface dans mon esprit à chacune de ses paroles assassines. Il en plaisantait maintenant. Il se montrait détaché. Presque satisfait du dénouement de cette histoire. Mais où était-il ce jour-là dans la rue ? Où étaient-ils, lui et ses sarcasmes, lorsque ce canon d’acier s’était écrasé contre ma tempe ? Je secouai légèrement la tête alors qu’il sortait ses cigarettes du fond de sa poche. Parfois, des images de cette scène revenaient danser sous mes paupières sans que je ne puisse les en empêcher, des images que je ne comprenais pas bien. Des images qui ne ressemblaient plus qu’à des bois flottants, composant un dessin que je n’arrivais pas à déchiffrer. Je revoyais son incompréhension terrible et silencieuse. Je revoyais notre affrontement déplacé et nos reproches tus. Ces souvenirs allaient et venaient, déposant à chaque fois une nouvelle moisson d’émotions que je me refusais à affronter. Que nous nous étions refusés d’évoquer, dans une promesse muette et hypocrite. Hypocrite, il l’était. S’il ne l’était pas aujourd’hui, avec son dédain et ses railleries, il l’avait été ce jour-là. Alors lequel était-ce Thomas ? « A moins que tu aies encore fait un gosse. » Une fois encore, je ne tremblai pas. Je ne parvenais pas à laisser paraître quoique ce soit. Je faisais cela depuis bien trop longtemps. Pourtant, je venais de ressentir ce nœud au creux de mon ventre se serrer un peu plus. Je venais de retrouver cette brûlure au fond de moi, qu’il avait réussi à raviver, légèrement, juste assez pour que cela puisse me surprendre. A moins que tu aies encore fait un gosse. L’absent était encore trop envahissant. Le disparu prenait encore trop de place, toute la place, parce que j’avais manqué de courage pour l’abattre. J’avais manqué de courage pour prendre cette décision à temps. Et j’avais perdu le contrôle. Ce contrôle qui aurait pu me permettre d’avancer s’il ne m’avait pas été enlevé. Il me blessait. Il me blessait et je trouvais cela hypocrite. Mais également rassurant, pour moi-même. C’était en-dehors. Ce n’était pas caché. Il énonçait tout haut ce que j’étais capable de ressasser dans les heures creuses de mes nuits, simplement pour me torturer, simplement pour ne pas oublier de ressentir. Simplement pour me convaincre qu’il ne s’agissait là que d’une vérité. Et que l’on ne pouvait pas lutter contre la vérité. La vérité se limitait à cela : la mort avait eu lieu de mon vivant. La mort avait permis à la seconde de se prolonger, comme cela, même sans flammes, même en cendres, elle continuait. Thomas était de ceux-là. Thomas était de ceux qui connaissait et reconnaissait ces morts en-dedans, pour avoir lui-même décidé de ne plus les subir. Il savait ce qui minait, ce qui rongeait, ces lentes blessures et les coups mortels. Il savait ce qui tuait, il savait l’affreux et il le révélait. Il était la plaie et le couteau. « Les gens qui posent trop de questions, je suppose. » Je souris doucement en haussant les épaules. Nous avions un accord. Je pouvais découvrir ce qu’il cachait derrière ses silences et ses réflexions philosophiques. Je le découvrirais un jour, quitte à me perdre ensuite dans ce qu’il me laisserait atteindre. Je m’étais déjà perdue, je m’étais déjà égarée, le plus souvent de bon gré, le plus souvent pour échapper à ce qui composait ma vie. Je me perdais dans le vide, sans oser le regarder en face. Je m’y jetais pour ne pas avoir à y tomber. Mais je semblais retrouver le chemin, à chaque fois, contre toute attente, contre ma volonté. Je revenais toujours. « Ah, j’oubliais … Je peux ? » Je perçus son sourire dans la pénombre et secouai la tête en tournant les talons pour le laisser derrière moi. Les lumières du réfrigérateur éclairèrent la pièce durant quelques secondes avant que je ne le referme distraitement dans mon dos, ramenant une bouteille d’eau avec moi. « Et toi, qu’est-ce que tu aimerais fuir ? Je peux t’emmener tu sais. J’aime bien ton short et ta dégaine guerrière. Ça vaut le coup de partir avec toi à nouveau. » Il évitait le sujet. Il n’avait pas envie de répondre aux questions qui n’avaient même pas encore franchi la barrière de mes lèvres. Mais ce n’était pas grave. J’allais réussir à le faire parler sans même que nous y fassions attention. Je baissai un regard amusé sur mon accoutrement avant d’hausser les épaules. « Et voilà, tu y as pris goût, c’était inévitable. » répliquai-je en m’autorisant un sourire. Le souvenir de notre excursion était encore limpide et empreint d’une pureté qui n’avait de cesse de m’étonner. Mais malgré nos plaisanteries, je comprenais dans son expression qu’il n’était pas là pour ça, cette fois-ci. J’inspirai légèrement en laissant planer le silence quelques secondes supplémentaires avant de reprendre. « Encore quatre minutes, » commençai-je en baissant le regard sur l’écran de mon ordinateur posé sur la table basse, unique source de lumière de la pièce. « Trois minutes et ce sera mon anniversaire. » Je dévissai lentement le bouchon de la bouteille avant de relever mon regard sur lui. J’aurais pu le laisser ici dans le salon et disparaître dans ma chambre. J’aurais pu lui laisser le canapé qu’il connaissait déjà si bien et aller me coucher, comme si j’avais sommeil, comme s’il m’avait interrompue à son arrivée. J’aurais pu lui montrer ainsi que je lui en voulais, que je n’avais pas à rester ainsi, face à lui, résignée à encaisser le moindre de ses affronts. « Ça fait plusieurs années que j'essaie de ne pas trop penser à cette journée. » continuai-je cependant en m’asseyant sur l’accoudoir du canapé. « Pour celle-ci, j’aurais aimé partir assez loin pour l'oublier mais tu arrives trop tard. » Je laissai un sourire amusé se dessiner sur mes lèvres, comme si je le lui reprochais réellement avant de me redresser en fronçant légèrement les sourcils. « Peut-être que je devrais arrêter de te dire ce genre de choses. J’ai vu ce dont tu étais capable. » repris-je sobrement avant d’inspirer doucement et de continuer sur le même ton en soutenant son regard. « Tu t’en sers et tu l’exposes comme si ça t’importait. Comme si c’était censé compter. Puis, tu l’effaces et tu t’en moques sans te soucier de ce que ça a pu provoquer. Tu peux continuer la seconde partie, ce n’est pas celle là qui me dérange. » Je haussai les épaules distraitement en remontant la manche lâche de mon pull avant de porter la bouteille à mes lèvres et de laisser une gorgée descendre le long de ma gorge. Je relevai un regard interrogateur sur lui, poursuivant d’un ton naturel. « Tu en veux ? … Tu devrais. » Je le regardais et je voyais sa silhouette amaigrie, ses doigts fébriles et osseux, son visage émacié. Des effluves de tabac et d’alcool émanaient dans ma direction à chacun de ses mouvements. Je luttais presque contre mon envie de me lever et de regarder sa main blessée. Oui, je m'inquiétais. Mais à quoi bon ? Je luttais contre mes instincts de rejouer une scène que l’on connaissait déjà. Après tout, il semblait prendre un malin plaisir à rouvrir ses plaies. Il ne dormait pas. Il ne mangeait pas. Il ne buvait pas certainement non plus. Pas ce qu’il fallait. Et je lui proposais de l’eau, sachant que cela l’agacerait et m’en moquant également. Je buvais sur l'instant parce que je le devais. Je buvais comme on me l’avait appris, en calculant chacune de mes gorgées, alors qu’il devait s’agir là d’un des réflexes les plus naturels du monde. La vérité c’est que je n’ai pas envie de t’en vouloir. Pas pour ça. Je pouvais comprendre que cela puisse le rassurer, qu’il s’agissait pour lui d’un terrain connu, qu’il puisse le rechercher même. Mais je pouvais accepter son indifférence et son mépris car c’est ce qui avait été convenu. Car c’est ce qui m’avait rassurée, au début. Car il avait commis le mal ailleurs. Tu m’as emmenée ailleurs et j’ai essayé d’oublier. J’avais essayé parce que j’étais certaine qu’il comprenait, au fond, qu’il avait compris dès le début. Je n’avais pas envie de lui en vouloir. Et pourtant, c’était là, au fond de moi. Il déchirait, il ouvrait les tourments qui agitaient mes pensées torturées au froid de leur solitude et les déposait face à moi sans une hésitation. Je me retrouvais plus démunie que jamais au seuil de cette vie plus qu’imparfaite. Mais je lui en voulais pour autre chose. Je lui en voulais pour une seconde d’inattention durant laquelle j’avais cru apercevoir dans son regard une inquiétude, une once de sincérité qui n’était pas supposée être la sienne.
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() message posté Sam 1 Aoû 2015 - 11:24 par Invité
« Et voilà, tu y as pris goût, c’était inévitable. » Je lui adressai un sourire félin et narquois. Oh peut-être, oui. Peut-être qu’au fond de moi, c’était la vérité. Elle venait d’énoncer distinctement l’une de ces déclarations que je n’allais jamais faire. Tu crois qu’on se complète, Lexie ? Tu écris les mots sur mes silences et je trace du bout de mes doigts tranchants les formes courbes des anciennes cicatrices que tu aimerais oublier. J’observai sa silhouette dans la pénombre, peinant à distinguer ses traits, remarquant cependant de la lumière dans ses yeux, le reflet de l’écran de son ordinateur allumé au milieu de la pièce. Tu crois ? Je n’en savais rien, à vrai dire. Je me souvenais d’avoir regretté durant quelques instants furtifs de l’avoir guidée jusqu’à ma maison natale. Je me souvenais m’être dit que si c’était à refaire, j’aurais abandonné l’idée. Mais ce n’était pas une décision que l’on prenait après une mûre réflexion. Y penser n’avait aucun sens, il fallait le vivre pour lui en donner. J’avais presque envie de lui demander. De savoir si elle avait trouvé une signification à cette excursion improvisée dans la campagne. Je n’en décelais aucune, mais j’étais un sombre personnage à l’esprit aride et troublé : je ne trouvais du sens que dans l’absurdité du paysage sec de mes pensées. Mon univers était rempli d’individus beckettiens. Lexie n’était pas de ce monde-là. Elle suivait un autre rythme tout en essayant de comprendre le mien. Je ne pouvais pas dire sans succès avec amertume. Elle se débrouillait plutôt bien. « Encore quatre minutes. » Je soufflai la fumée de ma cigarette dans sa direction, interrogateur. « Trois minutes et ce sera mon anniversaire. » Je ne réagis pas immédiatement. Pas du tout, en vérité, si ce n’était le vague mouvement que fit mon menton en se relevant pour la toiser, immobile. J’étais donc comme un signe du foutu destin. Elle avait voulu fêter cela seule, voilà que la solitude en personne venait frapper à sa porte et la faire respirer le parfum âpre d’un futur qu’elle ne voulait pas connaître. Ne deviens pas comme moi, Lexie. Pas maintenant, pas si jeune. J’avais l’habitude de passer mes anniversaires sans personne. Ma mère me forçait autrefois à rester un peu plus longtemps après les fêtes de fin d’année, simplement pour souffler quelques bougies dérisoires, mais j’avais finalement réussi à lui faire comprendre que je ne voulais pas rester. Que je préférais m’enfermer dans mon appartement et me regarder dans le miroir pour savoir si j’avais vieilli. Et en effet, je vieillissais chaque année : cela se voyait. Je m’écrasais ensuite sur mon lit pour regarder la télévision jusqu’à ce que mes yeux n’en supportent plus la luminosité et les mensonges. Cette année j’avais eu droit à une fusillade de journalistes satiriques français comme cadeau, et j’avais sûrement dû rester éveillé toute la nuit, incapable de fermer l’œil tant le monde me donnait la nausée. J’ignorais ce que Lexie ressentait à cet instant précis, mais je lisais la lassitude et la fatigue dans ses gestes désinvoltes. Elle n’avait même plus la force de m’empêcher de rester. J’entrais chez elle et j’en faisais mon logis, comme ça, simplement en arpentant quelques secondes le plancher de son salon. J’étais déjà venu, il reconnaissait ma démarche élégante et irrégulière. Je laissai mon regard glisser à nouveau sur chaque détail de l’endroit : il était si différent de la dernière fois. Baigné d’aucune lumière, presque triste, éteint. C’était ainsi que je voulais le voir car je recherchais partout une once de mon propre appartement, comme pour être certain de ne pas changer mes habitudes. Quelles habitudes ? Elles te seront volées par la petite teigne qui te sert de sœur. J’oubliai Lexie durant une fraction de secondes avant de rabattre mes prunelles cendrées sur elle. « Ca fait plusieurs années que j’essaie de ne pas trop penser à cette journée. » Elle s’installa sur l’accoudoir du canapé et je me postai en face d’elle, à quelques centimètres de ses genoux pâles. « Pour celle-ci, j’aurais aimé partir assez loin pour l’oublier mais tu arrives trop tard. » Je devinai un sourire sur ses lèvres à travers l’ombre et l’imitai doucement, conscient de ma faute, comme si j’en avais vraiment commis une. Je restai silencieux. Je voulais la laisser s’exprimer sur ce dont elle ne parlait jamais car elle n’avait jamais un interlocuteur à qui s’adresser. Mais j’étais un visage auquel on confiait ses plus lourds secrets. Peut-être que mon allure inspirait confiance. La confiance naturelle que l’on accordait à certains inconnus car ils se tenaient simplement d’une façon différente. Car ils nous plaisaient par le seul fait d’exister. Et pour mener une si belle existence, en effet.

« Peut-être que je devrais arrêter de te dire ce genre de choses. J’ai vu ce dont tu étais capable. » reprit-elle alors, et je haussai les sourcils, faussement étonné, feignant presque d’être vexé par sa remarque. Non, tu n’as rien vu. Tu peux l’imaginer, et encore. Mon expression impassible ne tarda pas néanmoins à se loger à nouveau sur les traits de mon visage alors qu’elle poursuivait. « Tu t’en sers et tu l’exposes comme si ça t’importait. Comme si c’était censé compter. Puis, tu l’effaces et tu t’en moques sans te soucier de ce que ça a pu provoquer. Tu peux continuer la seconde partie, ce n’est pas celle-là qui me dérange. » Désinvolture, à nouveau, avant qu’elle ne boive une mince gorgée d’eau depuis une bouteille qu’elle était allée chercher lorsque j’étais entré. Je la toisai sombrement. Je savais. Je savais ce qu’elle voulait dire, je n’avais pas besoin de lire entre les lignes puisque c’était évident. Puisque c’était comme si elle le criait à mes oreilles : je t’en veux, Tom. Je t’en veux d’avoir osé avoir fait preuve de sentiments durant une fraction de seconde. Et je lui en voulais de ne pas l’accepter. C’était probablement de ma faute. Les rares fois où elle avait tenté d’aborder le sujet, j’avais battu en retraite. Non pas apeuré de perdre un débat inutile mais tout simplement lassé à l’idée de le commencer. Elle me reprochait des choses que je n’avais pas eu envie de contrôler. Cela m’énervait. Elle me tendit sa bouteille d’eau : « Tu en veux ? … Tu devrais. » m’indiqua-t-elle d’un ton entendu. Je baissai mes yeux vers elle, puis vers la fameuse bouteille, réfléchissant alors que je n’aurais pas dû le faire. Elle avait raison après tout. J’en avais besoin. J’approchai mes doigts maigres vers le goulot pour m’en saisir en gardant ma cigarette coincée entre les doigts puis le portai à mes lèvres sèches. L’eau me parut glacée lorsqu’elle coula dans ma gorge. Elle me brûla presque alors que le tabac ne me faisait plus aucun effet. Je lui rendis la bouteille en haussant les sourcils d’un air de défi avant d’enlever mon manteau et de le laisser tomber sur le sol. Je me glissai alors vers les étagères qui ornaient son mur : quelques livres, quelques journaux, l’intégrale de Friends, également. Je baissai les yeux et me mordis la lèvre inférieure, prenant cela comme un nouveau signe m’indiquant de rentrer chez moi pour retrouver Elsa. Après tout, nous avions regardé les épisodes ensemble lorsque j’étais adolescent, chaudement installés dans son séjour alors que nos parents respectifs étaient sortis et que je devais veiller sur elle jusqu’à leur retour. Mais quelque chose avait changé : je ne m’imaginais pas le refaire aujourd’hui. Cette intimité que j’avais eue avec Elsa me semblait disparue aujourd’hui. Je ne m’imaginais pas reprendre ces habitudes d’une jeunesse envolée car je les avais perdues. Je préférais griller seul mes cigarettes devant True Detective en songeant amèrement à quel point ces images et cette lente noirceur insidieusement introduite dans l’atmosphère me ressemblaient. Un policier corrompu frappant un père de famille jusqu’à ce qu’il s’évanouisse sur le sol, le corps en sang, simplement pour laver l’honneur de son fils, cela me ressemblait. Sa collègue sous ecstasy infiltrant une soirée orgiaque et ayant malgré elle la réminiscence d’un homme ayant abusé d’elle durant son enfance, cela me ressemblait. Les âmes les plus meurtries me ressemblaient. Je me tournai vers Lexie : et toi aussi, tu me ressembles.

Je me dirigeai à nouveau vers le canapé et m’y installai – m’y écroulai, plutôt. J’écartai les bras et soupirai lentement avant de tourner la tête vers le visage de Lexie. Je la fixai un instant, ses longs cheveux sans vigueur dans lesquels ses fines mains glissaient machinalement, teintés de la lumière bleutée et nocturne filtrée par la vitre de la fenêtre. Je laissai passer quelques secondes de silence supplémentaires avant de lâcher une réponse : « Tu m’en veux encore. » Ce n’était pas une question. Mon ton était fermé, déclaratif. Je le sais. Même après tout ce temps, je le sais, je le vois dans ton regard et je l’entends dans ta voix. Je relevai le menton, défiant, à nouveau. Elle n’avait plus rien à perdre, voilà pourquoi elle était venue à Glastonbury avec moi. L’être grandissant dans son ventre était mort avant même que je le mentionne, que j’ose essayer de la sauver. « Peut-être que je ne suis pas là par hasard alors. » Je sortis mon portable pour regarder l’heure. Il était minuit. « Joyeux anniversaire. » soufflai-je avec un mince sourire, presque triste. Toi aussi tu ne fais que vieillir ? Une fois que le jour se lèverait, elle irait sûrement voir si les cernes sous ses yeux avaient grandi ou non, car ils étaient les seuls à le faire. Elle ne grandissait plus. Elle se sentait déjà blessée à mort, sans savoir où, sans savoir comment, sans pouvoir apercevoir le sang qui s’échappait de sa plaie. Je jetai un coup d’œil à la mienne, ces quelques trous rougeâtres qui barraient la paume de ma main. J’avais remonté la manche de ma chemise pour la panser au mieux mais le tissu se maculait de sang trop rapidement. Je ramenai ma main sur mes genoux pour ne pas tacher le canapé. « Je croyais t’avoir déjà parlé de l’instinct de survie. » C’était probablement ce qui m’avait poussé à prononcer ces mots fatals qui avaient posé entre nous cette barrière si haute. « Et quelques instants plus tard, tu m’as dit que j’étais un être insensible. » Elle ne voulait pas rejouer la scène que nous avions vécue l’hiver dernier, et pourtant cette soirée semblait chercher à y ressembler malgré nous. Nous étions simplement plus lassés et plus complices, mais je savais qu’elle y pensait tout de même. Qu’elle se remémorait parfaitement mes mots et qu’elle en découvrait aujourd’hui un sens nouveau. « Tu penses vraiment que si ton cadavre venait à joncher le sol d’une rue parce que tu as été assassinée par un pauvre connard, ça ne m’importe pas ? » Je haussai les épaules, me moquant de la dureté de cette vérité. Parce que c’est ce qu’elle aurait peut-être été si je n’avais pas dit ces foutus mots. Si le jeune homme n’avait pas pris l’initiative de se lever et de les répéter. Si nous n’avions pas gagné assez de temps pour que la police arrive. « Tu veux des excuses peut-être ? Tu sais très bien qu’elles ne seront pas sincères. Tu m’en veux pour quelque chose que j’assume. Pour une fois que je le fais. Et je ne veux pas te décevoir le jour de ton anniversaire. » conclus-je finalement sur une note presque ironique. Ma réaction lors de la fusillade, au-delà d’avoir été humaine, était même animale, quelque part. Je l’avais protégée en dépit de mon indifférence pour la mort : cela ne se contrôlait pas. J’étais certain que si les rôles avaient été inversés, elle aurait réagi de la même manière. Mais cela n’aurait jamais pu être le cas. On ne prenait pas en otage un homme qui était déjà mort.
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() message posté Ven 7 Aoû 2015 - 2:16 par Invité
J’avais appris à tenir bon au fil des épreuves, la plupart du temps pour ma sœur. La plupart du temps pour ne plus la voir se laisser de côté simplement pour me rattraper, simplement pour me protéger, ou pour me donner l’exemple. Je l’avais vue agir ainsi depuis que j’étais en âge de m’en souvenir. Je l’avais vue placer en moi des espoirs qui ne pouvaient éclore tant ils me semblaient démesurés. Mais je pouvais essayer. Je pouvais essayer de me convaincre que rien n’était jamais irrémédiable. Qu’il était possible de rendre ses faiblesses fécondes si on refusait de les laisser nous bousiller. Je pouvais être triste, si je ne laissais pas ce chagrin ronger mes racines. Je pouvais être en colère si je ne laissais pas cette colère détruire mes ancrages. Je pouvais laisser ces sentiments s’exprimer si ils acceptaient de n’être que de passage, si je les empêchais de déferler et de tomber injustement sur les personnes qui m’entouraient. Je me savais malade, je me savais touchée, et je voyais ce corps affaibli, sa chair éclatée, meurtrie, et je luttais contre, simplement pour garder mon âme entière. C’était tout ce dont il était censé s’agir ici aussi. C’était tout ce qui était arrivé. Mon corps avait rejeté ce qui aurait pu m’achever. Mon corps avait rejeté ce qu’il n’aurait pu, de toute façon, assumer jusqu’à son terme. Mieux encore, il avait rejeté ce que je n’avais jamais voulu, ce que je n’avais jamais espéré, ce que j’avais décidé d’exclure moi-même. C’était ainsi, c’était tout et j’aurais du pouvoir l’oublier et passer outre, pour préserver le reste. Mais je venais de laisser ce reproche s’échapper d’entre mes lèvres. Ce reproche que je gardais en moi depuis ce jour à chaque fois que je regardais Thomas. Ce reproche qu’il avait du deviner dès le début mais qu’il avait accepté d’ignorer lui aussi. Il s’était échappé à présent, à demi-mots, mais tout de même. Il l’avait compris, je pouvais le deviner en voyant l’éclat de ses prunelles s’éteindre avec lassitude. Je le laissai s’emparer de la bouteille que je lui tendais. J’aurais pu détourner le regard et faire mine de ne pas constater les efforts que cela semblait lui demander. Mais je ne le fis pas. Et son air de défi à la fin de ses gorgées m’arracha un haussement de sourcils presque amusé. Il ne l’aurait sans doute pas fait si j’avais regardé ailleurs. Il n’en aurait pas ressenti le besoin et il aurait eu tord. Je baissai mon regard sur sa main meurtrie tandis qu’il se levait et s’éloignait vers le coin de la pièce. La pénombre finissait d’envelopper sa silhouette alors qu’il y arrivait mais je restais persuadée de pouvoir encore distinguer la blancheur de son bandage improvisé. Il avait l’esprit occupé et on aurait pu penser que je cherchais simplement à le détourner. Mais ce n’était pas le cas.
« Tu m’en veux encore. » énonça-t-il sobrement après s’être finalement laissé tomber dans le canapé à quelques centimètres de moi. Moi aussi, j’aurais préféré que ce ne soit pas le cas. Mais après tout, il avait prédit que cela arriverait dès le début. Peut-être était-ce une bonne chose également. Si je le lui disais, si je voulais le lui faire comprendre, si je n’arrivais pas à oublier, c’était que cela m’importait. Si je lui en voulais, c’était parce que je m’autorisais à le faire. Je savais m’en moquer, je connaissais les oublis assumés, c’était souvent plus facile. C’était souvent ce que je privilégiais. Et cela voulait souvent dire que cela ne m’importait plus. Bien sûr que je t’en veux. Je ne répondis cependant rien, car il ne l’avait pas demandé. Il le savait. Je me contentais de le fixer, de le regarder prendre ses aises dans les coussins du canapé. Je venais d’enfoncer une porte ouverte. Je voulais être sûre qu’il le sache, absolument certaine que je n’avais plus à attendre d’excuses de sa part, car il les refuserait. Je devais l’entendre me dire que j’étais seule face à ces tourments, absolument seule. « Peut-être que je ne suis pas là par hasard alors. » souffla-t-il en sortant son téléphone de la poche de son pantalon. La lumière faiblarde de l’écran éclaira son visage un instant dans la pièce obscure et je plissai les yeux, tentant de déchiffrer son expression. « Joyeux anniversaire. » reprit-il sur le même ton et j’aperçus à la commissure de ses lèvres ce sourire, presque d’excuse, presque contrit, un peu ironique, comme s’il acceptait ainsi les échecs que ses voeux cachaient. Je levai la bouteille d’eau dans sa direction en inclinant la tête doucement, dans un toast non formulé. Je l’aurais bien remercié mais nous n’avions pas à être polis simplement pour l’être. Nous l’avions décidé implicitement dès notre rencontre. Et il aurait su que je ne le pensais pas. Le temps passait. La planète tournait toujours. Mais mon horloge à moi semblait s’être momentanément arrêtée, sans que je ne puisse décider du contraire. J’attendais depuis que les aiguilles reprennent leur course vaine. J’attendais de pouvoir recommencer à leur courir après, j’attendais qu’on me dise que je le pouvais et cela ne semblait pas arriver de sitôt. Le temps n’était plus qu’un tueur de vie, en ce qui me concernait. Et j’étais comme forcée de le célébrer malgré tout. « Je croyais t’avoir déjà parlé de l’instinct de survie. » Je fronçai les sourcils, comme si des bribes de cette journée ne revenaient en ma mémoire qu’en cet instant. L’instinct de survie. Ces trois mots semblaient destinés à tout résumer. Comme si cela était aussi simple. Comme si ils étaient censés tout expliquer. Peut-être que la survie ne m’intéressait plus, si il ne restait que cela ensuite. Peut-être que je ne pourrais jamais m’en contenter, finalement. « Et quelques instants plus tard, tu m’as dit que j’étais un être insensible. » Je me détachai de son regard avec difficulté, tant ses prunelles semblaient percer l’obscurité dans ma direction. Je croyais comprendre ce que cela supposait, je croyais comprendre ce qu’il voulait dire. Mais je trouvais cela malvenu, presque contrariant. Il semblait vouloir s’en défendre lorsque cela n’avait pas été destiné à être un reproche, en premier lieu. Il semblait vouloir s’en défendre alors que je ne l’avais jamais réellement penser, pas complètement. Je ne lui avais jamais reproché d’être ce qu’il était. Je m’étais moquée de ce qu’il voulait laisser paraître. « Nos sujets de conversation pourraient être plus légers, juste pour une fois. » proposai-je avec une malice déplacée et cet air sérieux qui ne quittait pourtant pas mon visage. Nous n’en avions jamais reparlé. J’avais essayé une fois, à la campagne, et il s’était renfermé aussitôt avec agacement. Il n’allait pas le faire cette fois-ci, je pouvais le deviner dans sa posture et je croisai les bras, comme pour conserver la mienne. « Tu penses vraiment que si ton cadavre venait à joncher le sol d’une rue parce que tu as été assassinée par un pauvre connard, ça ne m’importe pas ? » Je sentis ma gorge se serrer quelque peu, volontairement, comme pour ne rien laisser rentrer, comme pour tout bloquer et ne pas laisser le rejet, auquel je pouvais me laisser aller à la simple évocation de cette journée, prendre possession de moi. Je sentis ma gorge se serrer, pour ne pas avoir à entendre totalement ce que ces paroles impliquaient. Il n’était pas insensible. Il se souciait. Mais cela ne m’empêcherait pas de lui en vouloir. « Donc c’était à propos de toi ? » répliquai-je aussitôt, presque abruptement. Je n’étais pas certaine de ce que cela lui aurait fait si tout ceci était arrivé, si les forces de l’ordre n’étaient pas intervenues à temps. Nous n’en avions pas parlé. J’étais revenue quand je l’avais vu au sol. Je savais ce que j’avais ressenti, mais nous n’étions pas pareil. Si lui semblait avoir réussi à percer le secret de notre mort, s’il semblait avoir réussi à penser qu’il n’y arriverait jamais, je continuais pour ma part de frémir en pensant au chemin qui m’y amènerait, qui était en train de le faire, déjà. Voilà tout l’intérêt d’une mort brutale, Thomas. Elle frappe sans prévenir, mais elle garde les choses en l’état. Voilà sa vraie grandeur. Je me mordis l’intérieur de la joue pour retenir ces réflexions, elles me semblaient déplacées, encore une fois. Je n’étais pas encore certaine de les penser, de toute manière. Ce n’était de toute façon pas pour cela que je lui en voulais. C’était autre chose qui avait semblé compter à ce moment là et c’était cela que je refusais de comprendre. « Tu veux des excuses peut-être ? Tu sais très bien qu’elles ne seront pas sincères. Tu m’en veux pour quelque chose que j’assume. Pour une fois que je le fais. Et je ne veux pas te décevoir le jour de ton anniversaire. » Je fronçai légèrement les sourcils en me laissant glisser de l’accoudoir du canapé au coussin, sans le quitter des yeux. Il assénait la vérité comme un coup de poignard dans le cœur de chacun, mais il savait mentir avec aisance, j’en étais persuadée. Il aurait été plus simple pour lui de le faire, plus simple de me fournir ces excuses, auxquelles je semblais tant tenir sans pouvoir m’en empêcher, et s’épargner ainsi. « Tu m’as aussi dit que tu ne dirais rien, que je n’avais pas à m’inquiéter. » Que la noirceur de mon esprit serait en sécurité avec toi. Et qui d’autre que lui aurais-je pu croire ainsi ? « Tu as dit que je devais faire vite pour ne pas m’attacher. » repris-je en plantant mon regard dans le sien et en insistant lentement sur ces paroles qu’il avait lui-même prononcé ce jour-là. Je me souvenais, oui. Et cela n’avait rien rendu plus facile, au contraire. « Tu as changé les règles, tu m’as fait me demander … Et si tu n’avais rien dit, j’aurais pu sortir de tout ça. » laissai-je finalement échapper dans une inspiration contenue. J’aurais pu sortir de tout ça, plus rapidement, en tout cas. Plus rapidement. Mais cela également, je le retins. J’allais m’en sortir. Je devais m’en sortir, toujours, n’est-ce pas ? C’était ce que j’avais décidé. Je luttais simplement pour le faire vite, le moins douloureusement possible. Je luttais simplement pour ne pas avoir à ressentir ce que ces simples mots avaient réveillé ce jour-là. Ils m’avaient condamnée à l’errance. Ils m’avaient condamnée à attendre. A attendre pour oublier ce qu’ils avaient provoqué. J’avais été enceinte. Et ça avait compté. Ça aurait du me sauver. Et cela aurait pu remettre en cause ce que j’avais décidé, ce qu’il avait approuvé. Sans ces mots, j’aurais pu sortir de tout ça.
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() message posté Mer 12 Aoû 2015 - 22:51 par Invité
« Nos sujets de conversation pourraient être plus légers, juste pour une fois. » Je haussai les épaules, amusé sans le montrer, signifiant simplement que je m’en moquais alors qu’elle avait probablement raison. Après tout, c’était son anniversaire. Elle maudissait déjà assez ce jour pour que je décide de l’alourdir autant. Mais c’est toi qui y tiens tant, Lexie. Tu pourrais me demander de me taire et de simplement regarder le plafond en ta compagnie, je n’y verrais pas d’inconvénient. Sauf que tu parles de choses qui m’arrachent les mots de la gorge, à chaque fois. Elle ne voulait pas rejouer la scène. Moi non plus. La vie était déjà un grand manège me donnant le tournis, je n’avais pas besoin que l’on réchauffe mes souvenirs. Pourtant je venais fouiller dans ceux-ci pour lui faire croire que je l’avais prévenue. Que j’avais raison et qu’elle m’en voulait alors qu’elle était la seule à blâmer dans l’histoire. J’étais réellement un être abject. Je me demandais parfois comment les gens pouvaient accepter de me faire entrer chez eux alors que la nonchalance du diable brillait dans mon regard. Je secouai la tête : non, ils ne seraient jamais légers. Etrangement, elle ne m’ennuyait pas lorsqu’elle parlait. Lorsqu’elle se laissait aller à ses pulsions les plus primaires. Une femme riant de son avortement, ça ne m’ennuyait pas. Quelque chose en elle me captivait réellement et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus : elle semblait inatteignable, quelque part, voguant dans un autre monde, comme dans un rêve qu’elle était la seule à pouvoir faire. Je désirais la laisser là où elle était. Là-bas, elle n’avait pas besoin de moi. Elle pouvait penser à autre chose que cette réalité que je prenais soin de lui plaquer sur le visage pour être sûr qu’elle ne l’oublie pas. Mais Lexie n’oubliait jamais. La douleur, le handicap, la maladie, tout cela se chargeait de lui rappeler à chaque seconde qu’il ne lui restait qu’une poignée de minutes à vivre, et qu’elle venait d’en perdre quelques-unes en constatant simplement qu’aujourd’hui, elle vieillissait. Ne me dis pas que tu n’es pas comme moi, je refuserai de le croire. Peut-être qu’elle était capable d’aimer. Je n’avais jamais eu l’occasion de le voir. Peut-être se différencierait-elle ainsi du sombre personnage que j’étais. Montre-le moi alors, Lexie, que tu es capable d’aimer. Laisse tomber toute cette connerie d’insensibilité, je la maîtrise mieux que toi, de toute évidence.

« Donc c’était à propos de toi ? » Je penchai la tête vers elle et lui adressai un regard agacé. Elle osait poser une question pareille. « Ouais. Je suis un putain d’égoïste. » crachai-je sombrement, sans aucune trace d’ironie. J’avais l’impression qu’elle voulait me piéger. Qu’elle cherchait la moindre faille dans mon discours pour la retourner contre moi. C’était ce que je faisais d’habitude avec elle, avec tout le monde. Essayes-tu de te venger ? Cela ne ferait qu’attirer ma mauvaise humeur. Quelque part, je savais que je voulais garder le contrôle de la conversation. Mener ses mots vers la finalité que j’avais choisi au préalable. Mais je sentais mon assurance vaciller car son regard et sa voix étaient insistants. Elle savait me répondre, elle apprenait vite. Je lui avais donné l’envie de creuser les recoins de ma carcasse et elle y plongeait ses doigts fins et délicats sans vergogne. Elle n’avait plus peur de se confronter à mes mots. A bien y réfléchir, je n’étais pas certain qu’elle les eût craints auparavant. Elle était venue me voir, après tout. Elle s’était présentée avec flegme et détachement, regardant du coin de l’œil les murs de l’hôpital, m’avouant simplement qu’elle ne voulait pas y aller alors qu’on lui avait dit qu’elle était obligée. Elle tordait le cou des règles comme elle étouffait de plus en plus mon acidité, la rendant simplement douce-amère, la domptant avec une agilité qui finirait par me surprendre. Et je la laissais faire car elle ne m’ennuyait pas lorsqu’elle agissait comme ça. Lorsqu’elle me laissait m’emporter, lorsqu’elle me laissait parler et qu’elle encaissait les coups sans ciller, sans tomber, sans s’avouer vaincue. Non, ce n’était pas à propos de moi. Je ne l’avais pas sauvée pour moi. Je ne l’avais pas sauvée parce que j’avais eu peur de la perdre. Je l’avais sauvée parce que c’était ce que les hommes avaient tendance à faire : résister à la cruauté. Me croyait-elle vraiment capable de la laisser mourir sans rien faire juste parce que j’avais déclaré quelques phrases politiquement incorrectes et que j’avais ri de son avortement en sa compagnie ? Il ne fallait pas qu’elle oublie que j’étais le résigné de guerre : ce que je n’étais pas me définissait. Voilà pourquoi elle n’arriverait jamais à compléter le portrait de mon âme. Celui-ci était rempli de trous béants et si noirs que moi-même je craignais parfois d’y tomber. « Je crois que je suis assez seul comme ça pour me priver en plus de ta présence. » L’ébauche discrète d’un sourire éclaira faiblement mon visage, mais elle devina que mon ton s’était adouci, qu’il semblait plus ironique, plus taquin. Que tout ce que je disais n’était pas totalement vrai, mais pas totalement faux non plus. J’avais vite repris mes habitudes langagières. Je ne voulais pas m’énerver ce soir. Je n’avais pas envie de partir à nouveau et errer dans la rue pour ensuite daigner retourner chez moi et contempler le corps endormi d’Elsa jusqu’à ce que celle-ci émerge d’un sommeil aux rêves embrumés par le parfum âpre de mes cigarettes. J’avais élu domicile ici. Il fallait que je commence à me montrer poli envers la maîtresse de maison.

« Tu m’as aussi dit que tu ne dirais rien, que je n’avais pas à m’inquiéter. » Je fermai les yeux un instant en me remémorant à nouveau la scène : c’était vrai et j’avais menti. Qu’attendait-elle de moi ? Je lui avais dit que je n’étais pas un type sincère. Qu’il ne fallait pas me faire confiance. Que j’allais la décevoir. A présent que c’était le cas, elle semblait avancer à pas lents entre les ruines d’un monde qu’elle croyait avoir construit à mes côtés. Réveille-toi Lexie. Tu es dans la réalité et je suis un terrible architecte. Mon esprit est tel l’escalier de Penrose : tu n’as même pas à t’y perdre, tu n’as de toute façon nulle part où aller. Je me redressai lentement alors qu’elle poursuivait en cherchant mon regard. Elle le trouva, empli de dureté : « Tu as dit que je devais faire vite pour ne pas m’attacher. » Je penchai mon visage vers le sien. « Et est-ce que tu l’as fait, Lexie ? » Je haussai les épaules, résigné à nouveau, désinvolte à jamais. « Non. Tu n’as pas suivi mon conseil, tu as simplement ri comme si c’était suffisant. Comme si paraître aussi détachée te ferait gagner du temps. Mais tu t’es trompée sur toute la ligne. » Mais cela n’avait pas été suffisant. Elle s’était imaginée entrer à l’hôpital et avorter. Elle ne l’avait jamais fait. J’étais probablement trop con pour comprendre. Je n’allais jamais être confronté à ce dilemme. Mais elle ne pouvait pas me reprocher cela : je lui avais dit. Sans aucune tendresse, certes, mais le résultat avait été le même, voire plus efficace encore. « Tu as changé les règles, tu m’as fait me demander … Et si tu n’avais rien dit, j’aurais pu sortir de tout ça. » Je soupirai une fois encore, lassé. « Tu sais, on peut voir ça sous un autre angle. Je peux te reprocher d’être revenue pour me sauver moi alors que tu aurais pu t’enfuir et rien de tout cela ne serait arrivé. Tu m’as sauvé, je t’ai sauvée, nous sommes quittes. » Haussement d’épaules. Je pouvais changer ces fameuses règles à tout instant. Je n’accepterais jamais qu’elle décide d’être maître du jeu, même pour quelques secondes. Je craignais sûrement une défaite quelconque. Je craignais d’être encore plus brisé que je ne l’étais déjà. « Tu t’acharnes pour des conneries. Je ne suis pas venu ici pour ça. Tu m’en veux, d’accord. Tu peux aller me faire la gueule dans ta chambre si tu n’as pas envie de supporter mes remarques égoïstes toute la soirée. » Je laissai retomber mon crâne sur le canapé et levai mes paupières lourdes vers le plafond. « Tu peux me virer aussi. Je ne suis pas sûr de vraiment mériter ton hospitalité. » Je tournai la tête vers elle sans décoller ma nuque du cuir et un sourire malicieux orna un instant mon visage blafard. On put même y contempler l’éclat de mes dents durant une fraction de seconde. « Mais puisque j’en suis conscient, ce n’est plus vraiment drôle, alors tu vas me garder, n’est-ce pas ? » Elle n’avait de toute évidence plus la force de me pousser vers la sortie. Nos âmes étaient lourdes et bloquaient nos corps. Nous aurions pu nous endormir ainsi et rêver à deux de ces mondes impossibles que je tentais en vain de découvrir. Nous aurions pu surplomber tel deux aigles solitaires ce que notre inconscient créait pour nous, l’espace de quelques minutes simplement, jusqu’à ce que l’on se réveille et que l’on perde tout souvenir de ces songes troubles. Mais j’oubliais un détail : nous ne savions plus comment nous endormir.
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() message posté Ven 4 Sep 2015 - 4:09 par Invité
Je me trouvais stupide, dans le fond. Stupide et irrationnelle. Je me trouvais stupide de me soucier autant, de ne pas réussir à oublier, oublier ce que je n’avais jamais voulu connaître. Irrationnelle de ne pas pouvoir continuer, de rester bloquée dans des souvenirs qui n’avaient jamais eu leur place en mon sein jusqu’à aujourd’hui. Je n’étais pas supposée lui en vouloir. Je n’étais pas supposée ressentir. La nature avait repris ses droits. La nature m’avait épargnée. C’était ce que j’avais souhaité les premiers jours ayant suivi l’annonce de ma grossesse, c’était ce que j’avais espéré sans oser le dire à qui que ce soit. Et cela ne faisait que me rendre d’autant plus détestable. Je n’étais pas de ce genre. Je n’étais pas du genre à blâmer les autres pour mes propres tourments car je refusais le droit à ces derniers de prendre le dessus sur mon esprit. Je laissais la raison terrasser mes sentiments. Je l’avais toujours fait. Mais Thomas avait franchi le seuil de ma porte ce soir et je ne me reconnaissais pas. Je cherchais dans ses mots et son regard, je cherchais dans le souvenir de ses expressions, une vérité qui n’existait pas. « Ouais. Je suis un putain d’égoïste. » Ses mots crépitèrent dans ma direction comme s’il voulait s’en débarrasser, comme s’il voulait me faire taire. Moi aussi, je préfèrerais en rire, Thomas. Moi aussi, j’aurais voulu que l’on s’en contente. Mais je n’arrivais plus à croire en son détachement et ses moqueries. A la place, je ne pouvais que soutenir son regard dur qui brûlait mon visage à travers l’obscurité, ses yeux de planète éteinte et sa voix glacière. Je pouvais pressentir notre passage de l’astre au désastre, simplement en continuant sur cette lancée que je m’étais permise d'emprunter, simplement en choisissant de ne plus ignorer désormais ce que nous avions tu. « Je crois que je suis assez seul comme ça pour me priver en plus de ta présence. » J’étendis mes jambes devant moi, détournant le regard, pas assez pour ne pas saisir les fossettes qui creusèrent son visage à l’ébauche de son sourire. Je haussai les épaules avec lassitude, comme si je ne partageais pas son avis. Comme si je n’étais pas intriguée, étonnée de l’entendre renoncer à ses convictions, comme s’il était normal pour lui de ne plus vouloir être seul. Il n’y avait rien de pire que cela. La solitude était une prison, un cloître, nous retenant entre ces quatre murs pour mieux y faire mourir nos désirs et espérances. Je demeurais persuadée que nous pouvions reconnaître au premier coup d’œil nos compagnons d’infortune. Après tout, les visages de ses captifs finissaient tous par se ressembler. Celui de Thomas était différent. Celui de Thomas m’avait attirée vers lui le premier jour. « Et est-ce que tu l’as fait, Lexie ? » Je fronçai les sourcils, me mordant l’intérieur de la joue pour empêcher une réplique acide de brûler mes lèvres. J’avais fait ce que je pouvais faire, et ce le plus vite possible. Pas assez vite. Pas assez bien. Je n’avais plus cru aux histoires de ma sœur dès mon plus jeune âge. J’avais arrêté de simplement laisser tomber ma tête entre mes mains et de rester ainsi, penchée par la fenêtre, priant de toutes mes forces pour que les étoiles m’entendent, pour que la plus âgée au dessus de nos tête se mette à scintiller. Je ne laissais plus les choses faire. J’agissais, oui. Je n’avais pas été assez rapide, simplement. « Non. Tu n’as pas suivi mon conseil, tu as simplement ri comme si c’était suffisant. Comme si paraître aussi détachée te ferait gagner du temps. Mais tu t’es trompée sur toute la ligne. » Je me redressai en joignant mes mains, lui faisant face en haussant les sourcils. « Je n’ai pas su anticiper, tu m’excuseras. Est-ce que tu essaies de me dire que ce serait de ma faute ? » l’interrogeai-je avec placidité. C’était peut-être tout ce qu’il me restait : je m’étais déjà laissée aller aux accusations, rongeuses et rageuses. Je m’étais déjà laissée aller à la révolte dont j’avais été la propre cible, au rejet pour transpercer mon ventre, à l’ironie pour tuer le reste. J’avais déjà succombé au feu d’artifice sauvage et cela ne m’avait menée à rien. A rien d’autre que ces reproches que je ne pouvais m’empêcher de lui faire ce soir. Je ne pouvais que compter sur ma capacité à faire taire les éclats qui tambourinaient contre mes tempes pour ne pas perdre davantage, alors je m’y raccrochais.
« Tu sais, on peut voir ça sous un autre angle. Je peux te reprocher d’être revenue pour me sauver moi alors que tu aurais pu t’enfuir et rien de tout cela ne serait arrivé. Tu m’as sauvé, je t’ai sauvée, nous sommes quittes. » Je hochai la tête, une expression faussement amusée sur le visage alors que je ne parvenais à donner à ses mots la résonance que j’aurais aimé leur accorder. Nous étions quittes. Il suffisait de faire taire les voix confuses de ma mémoire et ses vérités trompeuses pour en rester là. Il suffisait que j’accepte ses négociations pour maintenir un équilibre. « Tu t’acharnes pour des conneries. Je ne suis pas venu ici pour ça. Tu m’en veux, d’accord. Tu peux aller me faire la gueule dans ta chambre si tu n’as pas envie de supporter mes remarques égoïstes toute la soirée. » Il laissa retomber sa nuque sur le dossier du canapé avec lassitude. Mes reproches le fatiguaient. J’eus un geste évasif et déposai la bouteille d’eau sur la table basse devant nous avant d’appuyer mes coudes sur mes genoux, inclinant légèrement le visage dans sa direction sans pour autant le regarder. Je n’étais pas en mesure d’identifier ce que je voulais de lui face à mes reproches, j’ignorais si je voulais le voir sortir de cette indifférence résignée face à ma carence sentimentale. Je ne souhaitais ni hausser la voix ni le chasser, et il ne le savait que trop bien. Je ne voulais plus perdre de contrôle. Je lui en voulais mais je le souhaitais présent. C’était étrange car je l’ignorais jusqu’à ce qu’il apparaisse derrière ma porte. Il l’avait sans doute su avant moi. Il n’avait simplement pas deviné pourquoi et semblait le regretter à présent. « Tu peux me virer aussi. Je ne suis pas sûr de vraiment mériter ton hospitalité … Mais puisque j’en suis conscient, ce n’est plus vraiment drôle, alors tu vas me garder, n’est-ce pas ? » Je passai une main fébrile dans mes cheveux, les emmêlant au sommet de ma tête. Je sentais les démangeaisons prendre possession des extrémités de mes doigts et j’inspirai avant de lui accorder mon regard. Il y avait chez lui un étrange mélange de sagesse et d’acrimonie. Je croyais les deux inconciliables, jusqu’à lui.  « Pourquoi tu ne le fais pas ? Pourquoi tu ne me le reproches pas ? » repris-je à voix basse comme si je n’avais pas entendu ses dernières paroles ou que je choisissais de les ignorer. « Je ne t’ai pas sauvé. Pas plus que toi, tu ne m’as sauvée. On ne saurait même pas par où commencer. » rajoutai-je en haussant les épaules. « C’est peut-être parce que tu penses que c’est le cas que je te fais la gueule. Ou peut-être parce que c’est mon anniversaire et que t’as pas de cadeau. Je devrais commencer une liste. » J’eus du mal à prendre un ton amusé. J’eus du mal à faire comme si je ne le pensais pas malgré toute l'ironie qui teintait la fin de ma phrase. Je n'allais plus faire semblant, même si cela me rendait injuste. Je sentais les crampes résiduelles grignoter mes mollets, remonter le long de mes jambes. J’extirpai l’un des coussins derrière mon dos pour le laisser tomber sur les genoux de Thomas avant de me lever. « Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites. Je ne sais pas dans quel état tu seras sinon, la prochaine fois que tu frapperas à ma porte. » laissai-je simplement échapper en désignant sa main blessée d’un signe de tête. Je restai immobile une seconde, hésitante à le questionner avant de m’éloigner simplement dans le couloir baigné par les faibles lumières extérieures. Je ne choisissais pas de le laisser seul, en arrière. Je ne choisissais pas de le prendre au mot et de m’enfermer dans ma chambre, dans un élan puéril. Mais je ne voulais pas qu’il ait à se rendre compte. Se rendre compte de ces effets qui prenaient le dessus parfois. Je portai mes doigts à mon visage juste à temps pour essuyer les gouttes de sang qui teintaient le dessus de ma lèvre. Leur goût métallique s’empara de mon palais et je fouillai dans un tiroir de ma commode avant de pouvoir appuyer un mouchoir en tissu sur mon nez. Je lâchai un soupir avant de m’allonger sur le dos, le menton relevé. Cela n’avait rien d’étonnant, il n’y avait même rien de plus banal. Les déchets s’accumulaient dans mon corps, incapable de les filtrer, incapable de les éliminer. Je fermai les yeux, l’espace de quelques secondes. Cela n’avait rien à voir avec mon anniversaire. Je ne pouvais blâmer les affronts du temps, lorsque j’en connaissais les effets depuis des années à présent.
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() message posté Dim 6 Sep 2015 - 1:00 par Invité
« Je n’ai pas su anticiper, tu m’excuseras. Est-ce que tu essaies de me dire que ce serait de ma faute ? » Elle put deviner un sourire dans mes yeux mais je restai de marbre alors qu’elle gardait un calme froid et étonnant en prononçant ces mots. Non, je ne l’excusais pas. Non, ce n’était pas non plus de sa faute, ni de la mienne. Au mieux, au pire, on accuserait l’homme qui avait tenu une arme contre sa tempe, mais à quoi bon en vouloir aux morts lorsque seuls les vivants pouvaient sentir notre colère ? Je ne lui en voulais pas. Et dans quelques temps, elle ne m’en voudrait plus non plus. Le temps effaçait les peines. La rancœur éternelle n’existait pas. C’était un conte pour enfant, une menace pour adulte. L’oubli survenait toujours, la mort survenait toujours. On pouvait en vouloir des années à quelqu’un, cela ne nous maintiendrait pas en vie plus longtemps. Je ne croyais pas à la réincarnation car j’étais déjà une cendre étouffante tapissant le sol et que je ne parvenais pas à me reconstituer pleinement. Alors si même de mon vivant j’échouais, je ne voulais pas tenter une fois mort. Ses reproches ne m’atteignaient pas. Oui, j’avais des émotions, des envies, des craintes, elle le savait. Mais la plupart du temps, j’étais le type insensible devant lequel elle avait ri sans aucune difficulté. Je suis folle, Tom. Peut-être était-ce cela qu’elle avait voulu me dire, cette fois. Et aujourd’hui elle me disait le contraire. Non, non, finalement je ne suis pas folle. Non, finalement je suis normale. Je n’anticipe pas. Et ça, ouais, ça me faisait rire à mon tour. Ce n’était en tout cas pas de ma faute si elle était tombée enceinte. « Non. » répondis-je dans un sourire plus prononcé. Je n’arrivais pas à savoir si elle était amusée ou agacée. Probablement les deux. Je faisais souvent cet effet-là, avec mes gestes sveltes et ma voix imperturbable. « Tu es une grande fille, tu prends tes propres décisions. Qu’est-ce que j’en ai à foutre moi, exactement ? » Je haussai les épaules. « Rien. Admire mon objectivité. » C’était de sa faute. Ce n’était de sa faute. Quelle importance, le résultat restait le même. Peut-être que ça m’emmerdait qu’elle m’en veuille. Ça m’ennuyait très certainement.  

Elle déposa la bouteille d’eau, détachant son regard du mien. Elle m’écoutait, cependant, avec cette même nonchalance qu’elle adoptait lorsqu’elle me voyait, lorsqu’elle me côtoyait. Une nonchalance que j’essayais de ne pas reconnaître en moi-même, mais c’était bien trop facile. Je la surpassais là encore. Elle ne tenait pas son comportement de moi, mais je l’alimentais. J’avais fui Elsa parce que je refusais de l’influencer, de la dégrader. Mais Lexie n’était pas plus résistante. J’étais entouré de gens malades et faibles, j’ouvrais leur poitrine pour étrangler l’amour qu’ils osaient me porter mais je ne parvenais pas à lâcher leur cœur, alors je les traînais partout avec moi et ils ne me quittaient jamais. Ils souffraient atrocement mais ils ne me quittaient jamais, comme si mon absence serait bien plus fatale que ma présence. Je ne voulais pas y croire. Et je ne voulais pas qu’elle y croie elle aussi. Je n’étais pas un cadeau tombé du ciel. Tu le sais, Lexie. Je te l’ai dit. Je lui avais dit que j’allais la décevoir. Mais l’épisode de la fusillade n’était rien. Un jour elle n’éprouverait qu’une haine profonde à mon égard, néanmoins cela ne me gênait pas. La haine était comme la rancœur et la colère : le temps l’effacerait. Elle pouvait me haïr, elle n’oublierait cependant jamais le jour où nous avions ri de son avortement. « Pourquoi tu ne le fais pas ? Pourquoi tu ne me le reproches pas ? » Je souris avec douceur, comme si une sagesse éphémère prenait le dessus. Elle ne comprenait pas. L’insensibilité n’était pas à sens unique. J’avais décidé de ne rien ressentir. Ni compassion, ni douleur. Je ne lui reprochais rien car elle agissait comme je m’y étais attendu. Là-bas, incapable d’effectuer le moindre mouvement pour la sauver. On pouvait lire dans mes yeux ce que la mort provoquait au corps, au cœur de l’homme. Je ne voulais pas qu’elle le vive si jeune. Elle pouvait croire ce qu’elle voulait. Que j’étais une parodie de moi-même, puisqu’à présent, je ne m’en moquais plus. Puisque j’avais autrefois été capable de la dissuader d’aller à l’un de ses rendez-vous médicaux. Un rendez-vous qui allait mal tourner, avait-elle dit. Mais même sans moi, elle n’y serait pas allée. J’avais été un prétexte, et cette fois encore, j’en devenais un. Nous n’arrivions pas à supporter la responsabilité qui suivait nos actes. Nous étions humains avant tout. Et si l’erreur était humaine, la justesse devait probablement l’être aussi. « Je ne t’ai pas sauvé. Pas plus que toi, tu ne m’as sauvée. On ne saurait même pas par où commencer. » Elle avait raison. Cette querelle était donc absurde. De la poule ou de l’œuf, lequel est apparu en premier ? « C’est peut-être parce que tu penses que c’est le cas que je te fais la gueule. Ou peut-être parce que c’est mon anniversaire et que t’as pas de cadeau. Je devrais commencer une liste. » Je laissai échapper un rire presque silencieux, amusé par sa remarque alors qu’elle semblait hésiter entre sérieux et ironie. Elle me tendit un coussin puis se leva. Elle était fatiguée. Quelque chose clochait et je plissai des yeux alors qu’elle enchaînait. « Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites. Je ne sais pas dans quel état tu seras sinon, la prochaine fois que tu frapperas à ma porte. » Je baissai mon regard vers ma main blessée qu’elle désignait. Lorsque je le relevai, elle s’en allait déjà dans le couloir. Je clignai des paupières plusieurs fois, hésitant. Ses mouvement avaient été pressés et tremblants. Je soupirai en laissant à nouveau retomber l’arrière de mon crâne contre le canapé. Je tendis ma main devant moi : elle survivrait, la coupure était moins profonde que la précédente. Je retirai mes chaussures qui retombèrent sur le sol en un bruit sourd. Puis je me laissai glisser et ma tête rencontra l’accoudoir en quelques secondes. Je ne pus clore mes paupières alors je gardai les prunelles rivées vers la porte par laquelle Lexie était sortie. Mes ongles s’enfoncèrent un instant dans le cuir du canapé. Je décidai finalement de m’allonger sur le dos, fixant le plafond d’un air éteint. Je touchai ma blessure de mon autre main, retraçant sa courbe du bout des doigts. Et j’appuyai. D’abord doucement, mais ma prise se fit plus forte. J’avais mal. Rien n’était perdu. Le sang coula de nouveau et je plaquai ma paume contre ma cuisse pour stopper l’hémorragie. Mon pantalon noir survivrait, lui aussi. Je me redressai alors, conscient qu’il me serait impossible de fermer l’œil cette nuit. On pouvait croire que j’abandonnais vite, cependant j’étais simplement beaucoup trop habitué à garder espoir. A me dire que j’allais me débarrasser de mes insomnies un jour. Le visage d’Elsa apparut dans mon esprit et je serrai la mâchoire, agacé. Ce jour n’était pas venu encore.

Mes pieds gagnèrent le sol froid et je me levai à mon tour, me dirigeant d’abord vers ce que je devinai être la cuisine. Mes yeux fatigués s’adaptaient lentement à l’obscurité. Je passai ma main sous l’eau, soufflant tranquillement pour faire évacuer la douleur. L’évier rougit et j’attrapai quelques mouchoirs pour panser la plaie comme je le pouvais. J’attendis quelques secondes avant de les retirer. Je n’allais pas en mourir, mais je décidai tout de même de les garder avec moi si le sang coulait de nouveau. Précautionneusement, je nettoyai les traces que j’avais laissées avant de retourner dans le salon. Je ne m’y attardai pas. Mes pas traînant me menèrent machinalement dans le couloir. Je l’aurais laissée seule si elle en avait eu besoin. Mais étrangement, je voulais lui répondre. Je voulais lui dire pourquoi j’étais ici. Que cette fois-ci était différente. Que c’était l’insomnie de trop. Je marchais lentement, inspectant chaque salle, et la trouvai finalement allongée sur son lit, le menton relevé en arrière, un mouchoir dans le nez. Je posai mon épaule contre l’encadrement de la porte et croisai les bras, la toisant avec sérieux. J’ignorai si elle savait que j’étais là. J’avais été silencieux. « Tu survis ? » laissai-je finalement échapper, vaguement ironique mais tout de même inquiet. Je m’attachais à son regard défiant et ses sourires volés, les expressions et les réactions qui peignaient son visage quelques secondes après que je les devine, sa manière de passer sa main dans ses cheveux pour marquer à la fois sa désinvolture et ses tourments, le masque qu’elle avait posé sur ses traits épuisés pour que les étrangers n’y voient qu’une politesse effacée, sa capacité à être et ne pas être. A être en n’étant pas. Comme moi. D’où mon inquiétude. D’où le fait que j’avais décidé d’échouer chez elle au lieu de naviguer sans but dans les rues de Londres. Je me mordis la lèvre inférieure, cherchant mes mots. Je fermai les yeux, les fis rouler un instant sous mes paupières lourdes avant de me lancer : « Je n’ai pas envie de rentrer chez moi. » Ce n’était pas les bons mots. Pas les bonnes intentions. Mais elle savait déjà que je n’étais pas un homme bon. « On a décidé d’emménager chez moi mais tu sais bien à quel point je tiens à ma solitude. » Elsa le savait aussi mais elle se voilait la face. Elle s’acharnait parce qu’elle voyait en moi une lumière à laquelle je ne voulais pas croire. Une lumière que je méprisais, que je traitais d’illusion, de peur d’être à nouveau déçu. Lexie pouvait toujours être surprise par mon choix de venir la voir elle. Pourtant c’était évident, si l’on y réfléchissait assez : nous entretenions un équilibre basé sur le silence et l’absence de l’autre. Même lorsque nous étions dans la même pièce, nous étions chacun dans notre monde. C’était ainsi que je le ressentais. Peut-être que son monde à elle était la réalité que je voulais fuir. « Elle ne partira pas. Elle n’a nulle part où aller et on a grandi ensemble, elle pense que c’est une bonne idée. » Elle m’aimait. Elle m’aimait terriblement d’un amour que je ne pouvais ni supporter, ni contenir. Un amour fraternel et platonique, un romantisme incandescent, une passion mélancolique qui la consumait depuis le jour où je lui avais lancé mon premier regard noir, mais un amour résistant, inchangé, rendu chaque seconde plus fort car jamais détruit. « Tu penses que c’est une bonne idée ? » Quoi qu’elle dise, elle connaissait déjà mon opinion. Je n’étais pas du genre à changer facilement d’avis. Mais je voulais le sien tout de même. Nous n’allions pas dormir. Nous vidant chacun de notre sang et laissant s’envoler les heures de sommeil sans parvenir à les rattraper. Comme les deux aiguilles d’une horloge rouge : on avançait en restant figés. On vivait en cessant d’exister.
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() message posté Jeu 17 Sep 2015 - 1:47 par Invité
Tout pouvait être beaucoup plus simple. Tout pouvait être beaucoup plus simple, beaucoup moins pénible, si j’acceptais de me faire une raison. Si j’acceptais de revoir l’homme qui était parvenu à me désarmer le temps d’une nuit, celui qui était parvenu à me convaincre de le suivre jusqu’à l’aube, le temps de m’emmener dans sa maison familiale, le temps de m’emmener dans cet endroit qui s’était chargé d’annihiler mes dernières remontrances, mes dernières accusations. Tout s’était fait, très simplement. Le reste n’avait plus existé. Le reste s’était annulé, d’un coup, s’ensevelissant lui même sous le linceul de gel qui avait recouvert les prairies. Il avait suffi de s’éloigner de ces dernières pour que tout réapparaisse. Leur pouvoir n’était pas sans limite. Leurs frontières n’étaient pas extensibles. Les souvenirs de ces quelques heures passées hors du temps étaient aujourd’hui impuissants à réchauffer mon esprit torturé, qui ne faisait que s’acharner à penser qu’il en était toujours le possesseur. Les souvenirs n’étaient plus que des souvenirs. Cette fille que j’avais été ces heures-là, cette fille que je m’étais permise de devenir, était une autre que celle que la colère et l’impuissance accablaient aujourd’hui. Je savais laquelle des deux j’étais réellement. Je savais laquelle des deux n’avait été qu’un mirage, et laquelle des deux avait su reprendre le dessus, bien trop tôt. J’appuyai doucement sur mon nez une nouvelle fois avant de fermer les yeux, patiemment. Je laissai mes pieds glisser sur le drap pour les ramener vers moi, soulevant mes genoux. Je pouvais attendre. Je ne faisais que cela. Je me tenais au bord du gouffre depuis suffisamment longtemps pour savoir reconnaître les moments où je risquais d’y tomber. Ce n’était pas l’un de ceux-là. Je ne pouvais qu’attendre. Je m’étais éloignée de Thomas en sentant ce moment arriver. Je m’étais éloignée pour qu’il n’ait pas à savoir. J’ignorais encore tout à fait ce qu’il avait déjà compris. Prisonnière de souffrances et de maux auxquels je refusais de donner tout leur crédit et que je me plaisais à croire insoupçonnables aux yeux des autres. Mais ce n’était plus le cas. Et cela ne l’était certainement pas pour Thomas. Il avait su tout voir, dès le premier jour. Il avait su tout comprendre, avant même que je ne me décide à lui donner les clés de certaines réponses. « Tu es une grande fille, tu prends tes propres décisions. Qu’est-ce que j’en ai à foutre moi, exactement ? » m’avait-il demandé avec lassitude avant que je ne retourne dans ma chambre. Rien. Ce mot avait résonné contre mes tempes avant même qu’il ne le prononce. Avant même qu’il n’ait besoin de le faire. Je détestais cette fausse lucidité que l’on accordait à la maturité. Je détestais cette fausse lucidité dont je m’étais parée dès mon plus jeune âge et qu’il me balançait au visage sans vergogne. Il aurait fallu que je mente pour le contredire. Pour lui dire que la vérité résidait dans le simple fait que tout le monde était ainsi, que tout le monde mentait, que nous n’étions que ces gamins égarés, incapables de comprendre ce qui leur arrivait, condamnés à jouer les coriaces alors qu’ils n’avaient qu’une seule envie, celle de s’effondrer. Mais je n’étais pas triste, non. J’étais en manque. Alors je ne pouvais pas lui mentir. « Rien. Admire mon objectivité. » avait-il rajouté et je n’avais pas été surprise. Je n’avais pas répondu non plus. Ses mots étaient acerbes et tranchants. Ces mots visaient l’âme émoussée, à chaque fois. Il semblait y mettre tout son cœur et je savais pourtant que ce n’était même pas le cas, qu’il n’usait pas du tiers de ses pouvoirs. C’était une boule de mots tendus, poignants et bien ficelés qu’il façonnait à chaque fois, sans peine, avant de les lancer dans notre direction, et de voir ce que nous étions capables d’en faire, de juger notre façon de les réceptionner. Il était direct, la vie avait du lui apprendre, la vie nous enseignait à tous que c’était ainsi si nous voulions gagner du temps. Je voyais le danger qu’il portait en lui, la menace qu’il représentait. J’étais parfaitement consciente de son aptitude à tout dévaster sur son passage si je ne me décidais pas à dresser certaines barrières. Mais je ne le faisais pas. Au contraire, je le laissais approcher, tout entier. Je m’inquiétais pour lui en voyant sa mine défaite et ses mains abîmées. Je m’inquiétais pour lui alors que je ne pensais pas avoir déjà rencontré un homme tel que lui, alors que je ne pensais pas m’être déjà confrontée à un esprit aussi sombre mais brillant, torturé mais clairvoyant, sardonique mais honnête. J’avais été prête à m’y perdre dès les premières minutes. Et je ne revenais jamais en arrière.
« Tu survis ? » Je ne l’avais pas entendu arriver, ni ses pas, si ses souffles. Il déambulait dans l’appartement assombri, comme s’il était sien. Je rouvris les yeux lentement, vers le plafond de ma chambre, éclairé partiellement par les lumières de la ville. Je laissai retomber mon bras et attendis quelques secondes pour m’en assurer. Je haussai enfin les épaules et ajustai ma position inutilement. « Tu gâches ma sortie. » ironisai-je à voix basse, toujours sur mes gardes. Je n’eus pas de réponse. Je n’avais pas besoin de me tourner vers lui, je n’avais pas besoin de voir son visage pour le deviner. Pour le deviner, l’épaule appuyée sur la plinthe verticale en acajou et comprendre son silence. Il devenait morose. Son ironie s’éteignait, comme un brasier sur lequel on jetait une poignée de terre. « Je n’ai pas envie de rentrer chez moi. » laissa-t-il finalement échapper. Je restai immobile et silencieuse. Il n’en avait pas dit assez. Ou peut-être était-ce moi, décidée à ne plus rien lui accorder. Peut-être était-ce moi, décidée à le laisser parler, à ne plus le laisser s’échapper, grâce à une nouvelle raillerie. J’étais hypocrite, et je le savais. Je n’étais pas cohérente ce soir, je le savais également. « On a décidé d’emménager chez moi mais tu sais bien à quel point je tiens à ma solitude. » rajouta-t-il comme s’il l’avait compris. Je n’eus aucune réaction, une nouvelle fois. J’ignorais s’il était capable de penser que je m’en moquais, que je ne l’entendais pas. Mais je l’écoutais. J’avais écouté suffisamment de ses silences, après tout. Et je les avais compris, tout comme il comprenait les miens. Bien trop, bien trop pour être surprise de ne pas en être effrayée. J’avais écouté suffisamment de ses silences, pour me concentrer lorsqu’il décidait d’y mettre un terme. « Elle ne partira pas. Elle n’a nul part où aller et on a grandi ensemble, elle pense que c’est une bonne idée. » Je ne sus pourquoi mais le visage de cette jeune fille blonde vint de nouveau se former, par vagues, devant mes yeux fatigués. Il m’en parlait comme si je la connaissais, comme s’il ne pouvait n’y avoir qu’elle. Je l’entendais, je l’écoutais confirmer à demi-mots ce que je n’avais pu qu’essayer de comprendre. Ces photos dans l’enveloppe étaient deux fois orphelines. Ces photos dans l’enveloppe étaient les témoins, les clichés d’un temps perdu, avant d’être bradées, condamnées à demeurer dans le fond d’une boite abandonnée. L’émotion de ceux qui avaient voulu fixer ce moment ne comptait plus. Tout ne faisait que disparaître mais nous ne pouvions nous résoudre à nous persuader que rien n’avait jamais existé. Je ne pouvais croire au détachement de Thomas. Il le fissurait sur l’instant. J’avais arrêté de ne croire qu’aux remords de ceux qui restaient. J’avais appris à penser au chagrin de ceux qui partaient, également, ceux par qui le malheur arrivait. Je savais également que Thomas n’y croyait pas, lui, ou refusait de le faire. « Tu penses que c’est une bonne idée ? » me demanda-t-il tout de même comme s’il ignorait ma réponse. Peut-être avait-il besoin de me l’entendre dire. J’avais refusé d’ouvrir les vannes de ma colère dirigée à son encontre. Il l’avait devinée, mais il m’interrogeait tout de même. « Que tu ne sois plus seul ? » Je laissai ma voix transpercer la chambre dont il n’avait pas franchi le seuil. Je laissai passer une seconde avant de me redresser lentement, venant appuyer mes épaules contre le dossier du lit, allumant au passage la lampe faiblarde du chevet. Je portai enfin mon regard sur sa silhouette, sur son visage. Il ne s’agissait plus de ses volontés. Il aurait tout le temps nécessaire pour reprendre sa vie, pour s’en retourner à sa solitude. Il ne s’agissait plus d’hurler à la solitude comme s’il s’agissait de la seule à pouvoir le sauver, à pouvoir le préserver, l’épargner de tout ce qu’il méprisait. La solitude le tuerait. Et il ne voulait pas le voir. Ou il s’en moquait. Mais ce n’était plus mon cas. « Que quelqu’un tienne à toi suffisamment pour accepter de vivre dans ta tanière, quelqu’un qui puisse s’assurer que tu prennes soin de toi, contre ton gré, même si tu refuses de lui rendre la pareille. Quelqu’un avec qui tu as grandi et que tu dois aimer suffisamment également pour ne pas l’avoir déjà mise dehors ? » Je me tus en trouvant enfin ses prunelles dans la pièce éclairée faiblement. Je cherchai la faille dans ses yeux avant de hausser les épaules, n’ayant pas encore tout à fait renoncé à mon amertume à son égard, ne pouvant m’empêcher cependant de lui répondre sincèrement. « Oui je pense que c’est une bonne idée. » Je ne croyais pas en ce qu’il voulait montrer. Je suis invincible ; j’ai déjà tout perdu. Persuadé qu’il n’y avait rien qui puisse être fait pour le bonheur de ceux restant dans son sillage, lui refusant sa solitude, persuadé qu’il n’y avait qu’une chose à faire pour survivre, ne pas le rencontrer. Lumière devenait ce qu’il quittait, charbon tout ce qu’il touchait. Tout n’était que conneries. Je refusais de le laisser avoir raison.
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