Sydney, été 2001.L'été, la meilleure période de l'année selon Cole, surtout maintenant qu'il sait qu'il en a fini avec les études. Ses parents ont à peine réagi quand il leur a annoncé ne pas vouloir poursuivre ses études, ce n'était une grande surprise pour personne de toute façon. Il passe le plus clair de son temps à la plage avec ses potes, pour surfer ou tout simplement pour draguer. Sauf qu'aujourd'hui c'est en ville qu'il doit se rendre.
« Cole, tu peux prendre tes sœurs avec toi ? ». Il soupire, parce qu'il était si près du but, si près de la porte, mais pourtant il s'arrête en entendant la question de sa mère. Question qui n'en est pas vraiment une au fond, il sait très bien qu'il n'a pas le choix. S'il allait à la plage, il n'aurait aucun problème à les emmener, après tout elles étaient assez grandes pour se gérer toute seules à douze ans. Même quand il sortait de l'eau après une session de surf et qu'il découvrait ses sœurs en pleine conversation avec des garçons, il ne disait rien. Tant qu'elles le laissent tranquille, il fait de même. Sauf que cette fois, c'est à une manif qu'il doit se rendre avec d'autres adhérents de greenpeace.
« Ouais, mais je pars maintenant, si elles sont pas prêtes je m'en fous ! ». Deux têtes blondes débarquent aussitôt devant lui, toutes pimpantes prêtes pour aller à la plage, Cole a envie de rire, parce qu'elles ne savent vraiment pas ce qui les attend.
« À plus tard ! ». Sa voiture qu'il vient d'avoir depuis un mois l'attend devant chez eux, l'ancienne caisse de son père qu'on lui a refilé, voiture qui a la fâcheuse tendance de tomber en panne tous les trois jours. Elle est loin de la voiture trop classe et neuve que ses amis peuvent avoir, mais elle roule et pour lui c'est tout ce qui compte. Ils sont à peine sortis, qu'il les entend déjà derrière lui entrain de débattre pour savoir qui va s'asseoir à l'avant.
« Tout le monde derrière comme ça c'est réglé ! ». Il déverrouille la voiture et s'installe à la place conducteur, sans se soucier du bordel monstre dans sa voiture. Les cannettes de bières traînent un peu partout, un cendrier improvisé et tout pleins d'emballages de paquets de bonbons. La première chose que Cole fait, avant même d'attacher sa ceinture ou de brancher la radio, c'est de choisir un bonbon dans le paquet plein à côté de lui. Tout à coup, il se retourne et tend le paquet vers ses sœurs qui le regardent avec des yeux suspicieux. Il ne partage jamais ses bonbons.
« Qu'est-ce que t'as fait ? ».
« Pourquoi tu commences déjà à nous acheter ? ». Cole rétracte tout de suite son paquet de bonbons, plus d'humeur à partager finalement. Quand ses sœurs se liguent contre lui, ce qui est toujours le cas, il ne peut jamais avoir le dernier mot.
« On va pas à la plage. ». Sur ces mots, Cole allume la radio, masquant un peu la conversation palpitante qu'ont ses sœurs à l'arrière. Il est obligé de rigoler en les écoutant tenter de deviner où ils vont. Il ne faut même pas deux minutes pour que Remy se penche au milieu des deux sièges pour se faire entendre de son frère.
« On va voir Carly ? ». Rien qu'au ton de sa voix, il sent que sa sœur est plein d'espoir. La dernière copine en date de Cole était la meilleure copine de ses sœurs, à son grand désarroi. Ses deux sœurs risquaient d'être plus affectées que lui en apprenant leur rupture, ce qu'il avait volontairement oublié de mentionner depuis quelques jours.
« On a rompu. ». Un petit coup d'œil dans le rétro et il voit la tête horrifiée de ses deux sœurs, qui commencent déjà à se plaindre. D'après elles, il aurait dû continuer à sortir avec elle, juste pour leur bien à elles. Cole est plus amusé qu'autre chose, parce qu'il a une bonne nature et qu'il en faut beaucoup plus pour le fâcher. Surtout quand ses sœurs ne perdent pas une occasion de le clasher et d'afficher leur manque de respect pour lui.
« C'est à cause de la blonde de l'autre fois ? » « Arrête de déconner, il pourrait jamais avoir une nana comme ça, on est pas dans american pie ! ». Depuis qu'il les avait laissées regarder american pie avec lui, c'était devenu leur film référence pour tout. Lorsqu'il prenait trop de temps aux toilettes, ses sœurs se postaient devant la porte en l'appelant pause caca par exemple. Inutile de dire qu'il regrettait amèrement de les avoir laissé regarder.
« Bon, on va une manif contre les bateaux qui déversent leurs produits toxiques dans la mer impunément ! ». C'est plus facile de changer la conversation que de débattre avec ses sœurs sur sa vie amoureuse, surtout que là, il est certain d'obtenir une réaction.
« Tu te fous de ma gueule ? Arrête la voiture, fais demi tour, je porte des tongs Cole, des putains de tongs ! T'as déjà essayé de marcher avec des tongs ? ».
« Ça va te coûter tellement plus que des bonbons... ». Cette fois Cole augmente le son de la radio de façon à ne plus du tout les entendre, comme on couperait le son sur la télévision avec le mode muet.
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Londres, juillet 2007Même s'il apprécie la ville de Londres, il est bien content de ne s'y trouver que pour quelques jours, le temps d'organiser une action avec la branche anglaise de greenpeace. Sa petite ville d'Amsterdam lui manque, au moins la-bas il se déplace à vélo et n'a pas besoin de s'agiter dans tous les sens pour capter l'attention d'un taxi. Lorsqu'il se retrouve enfin assis à l'arrière d'un taxi, il se croit sorti d'affaire et qu'il va pouvoir rejoindre son hôtel tranquillement, sauf que le destin en a décidé autrement. La porte passagère s'ouvre une nouvelle fois, une jeune femme s'engouffrant à l'intérieur du taxi. Celle-ci est enceinte jusqu'au cou et semble en pleine souffrance.
« L'hôpital le plus proche s'il vous plaît ! ». Cole s'apprête à sortir du véhicule pour la laisser se rendre à sa destination, sa situation est beaucoup plus urgente que la sienne, l'idée de râler pour s'être fait voler son taxi ne lui traverse même pas l'esprit. Sans prévenir elle s'agrippe à sa main, tandis qu'elle souffre pendant une contraction.
« Speeder je payerai l'amende s'il faut. ». Voilà comment une journée ordinaire, s'est transformé en une journée extraordinaire. Le trajet en taxi lui semble long et rapide à la fois, il a le temps de découvrir que la jeune femme s'appelle Hazel et qu'elle a vingt ans et qu'il n'y a pas de futur père à qui téléphoner. Cole ne s'imagine pas la quitter pour le moment, vu ce qu'elle traverse à un si jeune âge. Une fois devant l'hôpital, c'est à peine si le chauffeur de taxi l'aide à la sortir de la voiture avant de le laisser se débrouiller. Une fois dans les urgences, elle est prise en charge et installée sur un brancard pour l'emmener en salle d'accouchement, Cole est soulagé de la voir être prise en charge et se dit que sa bonne action est accomplie. Il lui suffit de croiser le regard d'Hazel, si jeune et seule, qui l'implore du regard pour que sa décision soit prise. Il ne peut pas l'abandonner maintenant, dans un moment si difficile et qui s'apprête à devenir beaucoup plus douloureux encore. Alors, Cole pénètre dans la salle d'accouchement avec elle et subit tout ce que les papas vivent d'habitude : le broyage de main, souffler en rythme comme si cela servait à quelque chose. Puis, au bout de ce qui lui avait semblé une éternité, elle avait fini par mettre au monde un petit garçon.
« Vous voulez couper le cordon ? ». Il met un peu de temps pour comprendre que c'est à lui qu'on s'adresse, pour lui il n'est qu'un étranger qui assiste à ce moment privilégié, bien qu'il ait eu un rôle actif dans cette histoire.
« Euh...Non vraiment ça va aller merci. ». Un peu gêné, il tourne la tête vers Hazel qui malgré l'épuisement est illuminée d'un magnifique sourire, elle se met à rire tout en douceur devant l'air complètement perdu de Cole. C'est étrange comment il pouvait se sentir aussi proche d'elle, simplement parce qu'ils avaient partagé ce moment ensemble, alors qu'ils n'avaient échangé que quelques mots et qu'il ne connaissait quasiment rien d'elle. Au bout de quelques minutes, une sage-femme ramène un bébé tout propre qu'elle dépose dans les bras de la jeune maman. C'est un moment rare et précieux auquel il a le privilège d'assister et il ne peut s'empêcher de sourire comme un débile devant la scène. Hazel lui fait signe d'approcher, lui qui s'était installé à une bonne distance pour laisser à la mère et son fils un peu d'intimité.
« Cole, je te présente Jacob Cole Rose mon fils. ». Voilà, comment il a rencontré Hazel et Jacob, par le plus heureux des hasards.
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Amsterdam, décembre 2008.L'amour n'a jamais été prioritaire dans sa vie, bien qu'il ait été amoureux et qu'il se soit consacré à des relations de manière sérieuse, mais son engagement écologique a toujours eu une part plus importante dans sa vie et guidant ses choix. Lorsqu'il avait mis les pieds à Amsterdam, il ne s'était pas attendu à tomber amoureux, d'une anglaise en plus de ça. On ne parlera pas de coup de foudre, mais il est devenu raide dingue d'elle, tellement qu'ils ont décidé de se marier sur un coup de tête après une journée et une soirée un peu longue dans un coffee shop. Même s'ils avaient pris la décision stones, ils se sont mariés quelques semaines plus tard, alors qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines. Sa famille n'était même pas présente, il se voyait mal faire venir d'Australie pour ça, peut-être qu'instinctivement il savait déjà que ce mariage n'était pas fait pour durer. Ils vivent ensemble quelques mois, il l'aime c'est indéniable, mais elle ne lui suffit pas, il a besoin d'air, de partir, de participer à des actions d'ampleur pour greenpeace. Il n'est pas fait pour vivre une petite vie : métro, boulot et rentrer mater la télé avec sa femme le soir. Alors, il postule pour intégrer l'équipage d'un bateau de greenpeace pour une durée de trois mois, sans lui dire bien évidemment. Lorsqu'il reçoit la réponse positive, il ne sait pas vraiment comment aborder la question avec elle, mais il ne peut contenir son excitation.
« Danny, j'ai été accepté sur le Rainbow Warrior, je vais partir trois mois pour lutter contre la pêche illégal et la protection des espèces protégées ! ». Qu'est-ce que trois mois dans une vie ? Rien du tout. Sauf que l'air perplexe de sa femme, qui n'a pas l'air de bien saisir l'importance de ce qu'il raconte l'ennui un peu. Elle pourrait être contente pour lui, qu'il réalise ses rêves.
« Contente pour toi, mais je serai plus là quand tu reviendras. ». Le couperet tombe, cette simple phrase annonce la fin de leur histoire, de leur mariage. Ce mariage qui avait commencé sur un coup de tête, se finit tout aussi brusquement. Malgré tout, Cole n'est pas vraiment étonné, Danny était une voyageuse également, huit mois au même endroit s'était déjà probablement long pour elle. Une part de lui avait toujours su qu'elle ne l'attendrait pas docilement, mais cette pensée ne l'avait pas dérangé plus que ça.
« Mais on peut toujours s'envoyer en l'air jusqu'à ce que tu partes, j'ai toujours rêvé de le faire sous champignons , histoire que t'es un truc à te rappeler sur ton radeau. ». Un large sourire s'affiche sur son visage, parce qu'en quelques mots elle venait de lui rappeler pourquoi il était amoureux d'elle, pour son esprit aventureux. Alors, difficile de lui en vouloir de rester elle-même dans toutes les situations.
« Ça me va ! ». À défaut d'avoir duré, leur mariage aura au moins été consommé copieusement.
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Russie, juin 2015.C'est la première fois qu'il sort de sa cellule depuis plusieurs jours et le simple fait de pouvoir marcher quelques minutes lui procure une joie inexplicable. Encore une fois, il a fini en isolement, mais cette fois il ne l'avait vraiment pas cherché, la barrière de la langue était simplement insurmontable par moment. Il ne se rend pas très loin, juste une visite avec son l'avocat de greenpeace qui vient s'entretenir avec lui. Malgré la joie de pouvoir un peu s'exprimer en anglais et voir un visage amical, il sait qu'il va devoir subir une fouille au corps plus que pousser et la perspective ne l'enchante guère. Certains détenus parlant la langue de shakespeare lui avait dit qu'il finirait par s'habituer, mais après six mois, il ne s'était toujours pas habitué à être traité comme de la merde. Les premières semaines, il avait lutté, sa nature le poussant à se révolter toujours coûte que coûte. Sauf qu'il n'était pas emprisonné en Australie ou en Grande-Bretagne, mais bien en Russie, là où on se moque bien des droits de l'homme. L'hiver rude avait eu raison de son acharnement et de son énergie, il avait cru mourir de froid en isolement, incapable de se faire comprendre, il avait fini par tomber malade. Une banale pneumonie qui aurait pu lui coûter la vie, avec son état de forme largement affaibli. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, il tentait de rentrer dans le rang tant bien que mal pour ne pas faire de vagues. L'isolement l'avait presque rendu fou, lui d'habitude si actif qui passait son temps à grimper partout, il tournait en rond. Même les 14h de travail par jour qu'on leur imposait lui paraissait comme une aubaine, une possibilité de se dégourdir les jambes. Dans les longues lettres qu'il écrivait à sa famille (bien qu'il doutait qu'elles ne leur aient été transmises), il masquait l'horreur de ce qu'il vivait, pour ne pas les inquiéter, mais aussi parce qu'il entendait déjà les "je te l'avais bien dit que tes histoires allaient mal finir". Ils étaient nombreux à l'avoir prévenu que ses actions pour greenpeace finiraient mal, que ce soit sa famille ou ses exs copines. Il se rappelait encore les mots de Chase lorsqu'elle avait rompu avec lui, lui expliquant qu'il prenait beaucoup de risques et qu'elle ne pouvait plus vivre avec ça. À un certain niveau, il était conscient des risques, mais il n'avait jamais imaginé qu'il finirait dans une prison russe pendant près de six mois. Alors, il avait tait la réalité à en glacer le dos, le manque de nourriture, l'accès aux douches une ou deux fois par semaine seulement. Lui d'habitude écolo sur la consommation d'eau rêvait de prendre un long bain, s'il sortait un jour de cette galère. La seule chose à laquelle il pouvait encore se raccrocher était ses idéaux, de savoir que s'il était enfermé aujourd'hui, c'était uniquement pour avoir défendu une cause juste. La solitude ne lui pesait pas plus que ça, après tout il avait vécu sur une île déserte pendant huit mois sans aucun contact humain, mais il accepte la poignée de mains de son avocat chaleureusement. L'homme semble fatiguer, comme s'il avait fait le trajet entre toutes les prisons russes pour rencontrer tous les militants de greenpeace incarcérés, les autorités russes ayant pris grand soin de les placer dans des prisons différentes.
« J'ai une bonne nouvelle Cole, votre libération est plus qu'une question de jours ! ». Il sourit mollement, trop habitué à ce genre de discours, sa libération dépendait du bon vouloir du pouvoir russe. Quand une décision dépend du politique, celle-ci peut-être complètement aléatoire. Si la Russie décidait de les amnistier, aucun doute que les pays des ressortissants étrangers devaient échanger quelque chose en retour.
« Espérons. ». L'avocat ne se formalise pas de la réaction peu enthousiaste de son client, sachant très bien le mal que peuvent faire de faux-espoirs dans ce contexte.
« Y a eu des manifs dans plusieurs pays pour soutenir votre cause, les autorités australiennes et les autres ont pas eu d'autres choix que de négocier avec la Russie ! ». Cette fois, un sourire apparaît sur son visage, non pas parce qu'il semble plus proche de sortir que jamais auparavant, mais parce qu'il reste toujours des gens prêts à se révolter contre les injustices.