Sleeping Over at Rika's ¤ Rika & Tyler

Me retrouver complètement ivre – et le mot était faible – un mardi soir, alors que j’étais supposé travailler le lendemain était sans le moindre doute l’une des plus mauvaises idées que j’avais eu jusqu’à aujourd’hui. Et bien que cela était devenu une certaine habitude depuis maintenant un peu plus d’une semaine, il ne m’était encore jamais arrivé d’avoir un taux d’alcool si élevé dans le sang que je me sente tout bonnement incapable de rentrer chez moi par mes propres moyens… Voilà donc la raison pour laquelle je me retrouvais encore à errer dans les rues du quartier de Soho en cette partie déjà très avancée de la nuit. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, je ne marchais pas – ou devrais-je plutôt dire, je ne titubais pas sans but jusqu’à trouver un endroit plus ou moins tranquille où me poser en attendant de retrouver un minimum mes esprits afin de pouvoir ainsi appeler un taxi, mais je me dirigeais au contraire vers le quartier de Chinatown dans lequel mon meilleur ami habitait – ce qui était un avantage considérable lorsque ce genre de situation se produisait (ce qui n’était tout de même pas arrivé depuis des années…) puisque cela m’évitait de traîner dans les rues presque désertes de Londres dans un froid parfois mortel en attendant d’être réellement apte à rejoindre mon appartement qui était quand même très éloigné du centre-ville (il m’était donc impossible, même avec toute la bonne volonté du monde, de faire le chemin à pied). Et bien que Rafael habitait encore avec sa nièce de bientôt trois ans et la mère de celle-ci qui était également sa sœur jumelle – et avec laquelle j’avais une relation amicalement conflictuelle –, je ne voyais pas d’autres choix que de le tirer des bras de Morphée à presque plus de trois heures du matin dans le seul but de m’héberger exceptionnellement cette nuit, au risque de réveiller les deux autres occupantes.

Enfin… Il fallait déjà que j’arrive à le prévenir que j’étais en bas de chez lui parce que trouver son numéro de téléphone dans le répertoire de mon portable s’avérerait être une tâche beaucoup plus difficile que je ne l’avais imaginé… Et faire sonner l’interphone de son appartement réveillerait toute la maisonnée à coup sûr, ce qui était une très mauvaise idée car je risquais alors de rester tout simplement où j’étais (c’est-à-dire dehors) si j’osais réveiller la sœur et la nièce de Raf’… Il ne me restait donc qu’une seule solution pour réveiller mon meilleur ami et lui demander asile pour ce soir : crier son prénom en espérant qu’il entende mes appels sans que cela ne réveille les deux filles qui vivaient avec lui… Par contre, cela allait sûrement réveiller les autres habitants de cette rue, mais je préférais largement m’attirer les foudres de ces inconnus plutôt que celles de Maja…

Cela faisait maintenant plusieurs fois que je criais le prénom de mon meilleur ami, ma voix résonnant à chaque fois dans la rue déserte à cette heure avancée de la nuit dans laquelle il habitait tandis que je tentais tant bien que mal de rester debout devant la façade de son immeuble. Et ce fut au moment où l’un de ses voisins ouvrit la fenêtre de son propre appartement dans le but de m’engueuler comme il se devait que Rafael apparut enfin dans l’encadrement de la porte d’entrée du bâtiment.

- Rox... Mais qu'est-ce que tu fais là ? commença-t-il à me demander dans un murmure que je ne comprenais pas vraiment. Après tout, il n’avait aucune raison de baisser la voix puisque l’on n’avait pas encore atteint son appartement – nous n’avions même pas bougé d’un poil – et le fait de chuchoter à l’endroit où nous nous tenions (c’est-à-dire dans la rue) n’avait pas plus d’effet sur le voisinage que s’il était en train de me parler normalement… Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Rien… entrepris-je alors de répondre – malgré le fait que j’étais évidemment très peu convaincant avec ma tête d’ivrogne et mon équilibre incertain… Je suis… complètement torché, continuai-je ensuite avec un petit rire de mec bourré afin de tenter d’expliquer ma présence ici – bien qu’il suffisait simplement de me regarder pour comprendre mon état.

- Entre, entre. Mais chut, tout le monde dort, tu sais, et je crois que ni toi ni moi n'avons envie de réveille Mat'... me prévint-il juste avant de me laisser entrer.

- Oui, chuuuuut ! mimai-je alors son avertissement, tout en mettant mon index sur mes lèvres.

Et après avoir soigneusement refermé la porte du hall de son immeuble derrière lui, Rafael vint soutenir mon corps totalement ivre dans le but de m’aider à rejoindre son appartement, tel le meilleur ami qu’il était. Une fois chez lui – et plus particulièrement dans sa chambre –, il me laissa s’installer sur son lit sur lequel je m’affalais de tout mon poids avec pour seul objectif de ne plus jamais en bouger. Rafael m’aida ensuite à me mettre à l’aise en enlevant mes chaussures et mon blouson dont je n’avais plus aucune utilité à présent.

- Tu veux en parler ?... tenta-t-il de discuter après s’être absenté quelques minutes afin d’aller chercher une carafe remplie d’eau et deux grands verres et les déposer juste à côté de nous.

J’ignorais alors si je devais jouer les innocents en lui demandant de quoi il voulait parler ou si je devais aller droit au but, sachant de toute façon très bien qu’il était loin d’être idiot et qu’il se doutait sûrement de ce qu’il se tramait.

- … Pas vraiment, non… l’informai-je finalement, avant de laisser un très long silence s’installer entre nous. Tu comprends, toi, pourquoi je laisse personne entrer dans ma vie, n’est-ce pas ? l’interrogeai-je alors, brisant ainsi ce calme parfaitement normale à cette heure avancée de la nuit.

Et j’avais beau n’avoir jamais été très explicite à ce sujet, je me doutais bien que Rafael connaissait la réponse à cette question.

Ce fut grâce à l’aide précieuse de Rafael qui était en train de me soutenir fermement, m’empêchant ainsi de tomber lamentablement sur le sol, que je rejoignis sans encombre la chambre de mon meilleur ami – enfin… après avoir tout de même buté deux ou trois fois contre un des meubles du salon… Et à peine eus-je poser le pied dans cette pièce que je me laissais déjà tomber comme une masse sur son lit, presque prêt à rejoindre les bras de Morphée. Cependant, curieux de savoir la raison pour laquelle j’étais dans cet état un jour de semaine – parce que j’avais beau être un très grand fêtard, j’avais pour principe de ne jamais boire au point de me bourrer la gueule la veille d’une journée de boulot –, Rafael commença à vouloir m’interroger tel le détective auquel il aimait bien jouer quelquefois – bien qu’il ait tout de même eu la décence de me demander avant si je voulais en parler ou non. Et ce fut après avoir refusé poliment de m’étendre sur le sujet – mais cela n’avait rien d’étonnant puisque j’étais quelqu’un de très peu loquace et je détestais tout particulièrement parler de mes émotions – que je le questionnais à mon tour, ne cherchant alors juste qu’une confirmation de ce que je savais déjà.

- Oui je sais... affirma-t-il donc, prouvant ainsi que mon point de vue était parfaitement valable et rendant dans le même temps la réaction qu’avait eu Nate la dernière fois juste avant de claquer la porte de mon appartement derrière lui pour ne plus jamais revenir encore plus exagérée qu’elle ne l’était déjà. Et après avoir ramené de sa cuisine une carafe remplie d’eau et deux verres dans le but très probable de me forcer à boire afin d’amoindrir les effets de l’alcool que j’avais dans le sang, Rafael vint ensuite s’allonger à mes côtés sur son lit – très confortable, soit dit en passant – et il me prit tendrement dans ses bras comme pour me consoler – ce qui était franchement inutile puisque je n’étais pas triste… Et si je n’étais absolument pas familier avec ce genre de gestes affectueux que je refusais habituellement de manière catégorique puisque cela me mettait plus mal à l’aise qu’autre chose, Rafael pouvait se le permettre puisqu’il était mon exception qui confirmait la règle… Qu'est-ce qu'il a fait ? finit-il alors par me demander, sans même se donner la peine de nommer le jeune homme puisque nous savions tous les deux parfaitement de qui nous étions en train de parler.

- Rien de très exceptionnel… commençai-je par dire avant de lui expliquer la situation en quelques mots seulement. Il s’est juste énervé tout seul parce que je voulais pas aller au resto ou au ciné avec lui. Pourtant, je l’avais prévenu qu’il fallait pas qu’il s’attende à ce que je me balade main dans la main avec lui dans la rue ! Mais bon, c’était prévisible qu’il allait en vouloir plus… Y’a des milliers de mecs gays dans tout Londres qui adoreraient avoir une relation libre avec moi et il a fallu que je tombe sur l’un des rares qui souhaitent s’engager… Tu crois qu’un jour j’aurais un peu de chance dans ma vie ? posai-je pour finir cette question totalement rhétorique puisque ce n’était qu’une sorte de moquerie que je me lançais à moi-même.

Si l’on excluait les quelques années de mon adolescence qui avait suivi mon coming-out, j’avais passé une enfance plutôt normale et heureuse, entourée par mes deux parents (et ma sœur) qui me chérissaient encore à cette époque. Il m’était donc tout bonnement impossible pour moi de déclarer – même si cela était très tentant – que j’avais grandi dans un foyer totalement dénué d’amour, et utiliser donc cette excuse pour justifier mon comportement peu empathique, mais aussi et surtout, très peu émotif. Cependant, je n’avais peut-être pas été privé d’amour toute mon enfance, mais je l’avais sans le moindre doute été pendant les trois dernières années que j’avais passé dans le domicile familiale, juste après l’annonce de mon homosexualité à mes parents – une période significative de ma vie durant laquelle j’en aurais justement eu le plus besoin… Voilà donc la véritable raison pour laquelle je n’étais pas très friand des marques d’affection et du sentiment amoureux en général. Et pour tout dire, la seule personne que j’avais prise dans mes bras (ou que j’avais laissé me prendre dans ses bras) ces dix dernières années – que ce soit pour un simple salut amical ou pour un geste de réconfort comme ça pouvait justement l’être ce soir – était Rafael, mon meilleur ami.

- Oh ça, j'en ai aucun doute, tenta-t-il également de me réconforter par les mots – malgré le fait que je n’attendais pas réellement de réponse à cette question. Je peux pas croire qu'Il ait pas un plan pour toi… continua-t-il ensuite sur un ton presque mystique, en me parlant d’un Dieu auquel je ne croyais pas. Et si j’avais toujours tenté de respecter les croyances de mon meilleur ami – même si je ne comprenais toujours rien à sa foi –, je ne pus m’empêcher de lui lancer un regard de travers à sa remarque.

Rafael savait pourtant parfaitement mon avis quelque peu intransigeant envers les religions – et par « religions », je voulais dire toutes celles qui pouvaient exister sur cette fichue planète. Pour moi, celles-ci n’étaient qu’un lavage de cerveau utilisé par des dirigeants peu scrupuleux pour avoir le contrôle sur de faibles esprits et foutre le bordel – comme si y’en avait déjà pas assez… Bien sûr, je ne considérais pas mon propre meilleur ami comme un faible d’esprit – j’avais tout de même un minimum de respect pour lui ! Cependant, j’ignorais encore cette fascination qu’il avait pour quelque chose (ou quelqu’un) dont l’existence n’avait jusque-là jamais été prouvé…

- Sans vouloir remettre en doute ta foi, je pense qu’« Il » n’a de plan pour personne... fis-je remarquer en tentant de ne pas me montrer condescendant comme je pouvais l’être lorsque je parlais de religion.

- Ca finira par aller mieux, Rox. Ca finira forcément par aller mieux, tu verras… finit-il par m’encourager.

- Je verrai, dis-je alors simplement en reprenant ses derniers mots.

Nous restâmes enlacés pendant longtemps, jusqu’à ce que nous tombions finalement tous les deux de sommeil dans son lit, sans penser qu’il allait falloir se lever demain pour aller travailler… J’étais dans une sacré merde…

Ce fut donc tout simplement que je m’endormis dans les bras de Rafael qui était loin d’être décidé à me lâcher – et je devais bien avouer que je n’en avais pas non plus envie –, aidé par l’alcool que j’avais ingurgité durant toute la soirée. Cependant, la nuit fut malheureusement de courte durée et, ce ne fut pas sous les tonitruants « bip bip » d’un réveil que je fus sorti de mon sommeil profond, mais par les insupportables cris aigues d’une petite fille qui n’était autre que la nièce de mon meilleur ami.

Evidemment, fidèle à l’homme que j’étais – et qui détestait toutes les créatures scientifiquement humaines mesurant moins d’un mètre vingt (les personnes de petite taille n’étant pas compris malgré cette dénomination – même si elles pouvaient tout autant m’insupporter que les enfants, mais pour différentes raisons) –, je ne pus m’empêcher de râler face à ce réveil peut-être naturel pour tous les parents d’enfants en bas âge – seulement eux l’avaient choisi, ce qui n’était pas mon cas –, mais pas pour moi… Surtout que le fait que ce monstre miniature prenne mon visage pour de la pâte à modeler était franchement emmerdant… Pas besoin d’expliquer de long en large et en travers la raison pour laquelle je détestais les enfants…

Je finis par me lever, prenant dans mes bras mon bourreau que je tenais aussi éloigné de moi que possible, comme si la petite fille était un virus très contagieux qu’il fallait à tout prix éviter de toucher sous peine d’être contaminé par un virus mortel. Je l’amenai alors à sa mère qui était en train de préparer le petit-déjeuner dans la cuisine.

- Tiens, t’as perdu quelque chose, fis-je donc, tout en lui présentant sa fille que je posais à ses côtés.

Je me mis ensuite à fouiller dans les placards de la cuisine – me sentant assez à l’aise pour faire comme si j’étais chez moi (c’était l’appartement de mon meilleur ami, après tout) – à la recherche de quelques gâteaux pouvant caler cette faim qui commençait à faire gronder mon estomac. Puis, je me mis à préparer deux tasses de café – une pour Rafael et l’autre pour moi –, avant de déposer le tout sur la table de la salle à manger, prêt à petit déjeuner en compagnie de mon meilleur ami (et de sa sœur et sa nièce que je devais malheureusement aussi supporter ce matin puisque c’était aussi l’appartement de sa jumelle).

- On déjeune ensemble, ce midi ? demandai-je alors, la question étant bien entendu dirigé vers Rafael – puisqu’il n’y avait aucune raison pour que je veuille déjeuner avec sa sœur, Maja. Non pas que je la détestais – notre relation était même plutôt cordiale –, mais ce n’était pas parce que son frère était mon meilleur ami qu’elle avait également le droit à un traitement spécial.