"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici (fb) animal kingdom - young theomas - Page 2 2979874845 (fb) animal kingdom - young theomas - Page 2 1973890357
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() message posté Dim 15 Nov 2015 - 15:36 par Invité
« Je t’ennuie déjà, Tom ? Je pensais tenir pendant quelques minutes encore. Je suis déçu. » Il pivota pour se mettre face à moi et écrasa la cigarette que je lui avais offerte avec tant d’attention, reprenant ainsi son rôle : celui qui brisait, celui qui se mesurait. Il n’était plus moi, mais ce n’était pas lui qui me rendait mon nom, c’était mon âme qui, arrachée à mon corps, menaçait le sien de le faire imploser pour de bon : il n’osait pas garder ces mots, ces lettres sur sa figure car il avait peur de ce qu’elles représentaient, mais il était trop tard. Il n’était pas déçu, il était soulagé. C’était comme s’il avait posé ses griffes sur ma gorge mais que j’avais eu l’intelligence humaine de planter la pointe d’un couteau contre sa poitrine, et que nous ne pouvions pas faire un seul mouvement en avant sans que notre peau se déchire, transpercée par l’arme de l’autre. Alors il reculait le premier, essuyant la plaie infime d’un revers de main, ne ressentant qu’un profond mépris envers moi, le même mépris qu’il ressentait lorsqu’il voyait des prostituées habiller le trottoir à travers la vitre d’un taxi, le même mépris qu’il ressentait lorsqu’il sortait du véhicule pour aller à leur rencontre, les suivre dans un couloir noir et les saisir avec violence : un mépris dissimulant une frustration, car le désir était en amont de tout. Je penchai la tête et souris en m’humectant discrètement la lèvre inférieure. « Tu m’ennuies déjà depuis un bon quart d’heure. » mentis-je, mais il releva le mensonge et l’apprécia à sa juste valeur. Je ne voulais pas me taire alors je dissimulais la vérité. « C’est quoi ton délire ? Une vie facile, une mort rapide ? » Je haussai les sourcils. Il était si grossier. Le rejet de ma personnalité ne m’étonnait plus alors qu’il se montrait trivial, simpliste. C’était pourtant si complexe. La vie n’était facile qu’en apparences. Un fou entrait dans le café où vous aviez l’habitude de prendre votre petit déjeuner de roi pour planter un couteau de cuisine dans votre cage thoracique car vous aviez couché avec sa femme, et c’en était fini. La vie était facile tant que l’on croyait au mythe de la sécurité, mais c’était justement un mythe. Et la mort n’était pas rapide. On osait dire que les gens mourraient de leur belle mort, mais n’était-ce pas la plus longue agonie qui soit ? Une personne âgée ayant fait ses adieux à ses proches et attendant la mort pour pouvoir la rendre belle, mais où était la beauté ? Dans les cliquetis incessants de l’horloge dans sa chambre qui lui permettait de compter les secondes ? Dans l’immobilité frigide qui s’emparait peu à peu d’elle alors qu’elle nous quittait lentement, se transformant en vanité, en art ? La mort n’était pas un art, elle n’était tout simplement pas. Nous ne mourrons pas, nous disparaissons. Je le contredisais alors en lui disant que je ne comptais pas disparaître rapidement, mais son esprit borné me reteint : il était assez résistant pour entendre mes mensonges mais certainement pas prêt à entendre ma vérité. Oui, on appelait ça le mépris et mes yeux reptiliens qui balayèrent son visage d’acier le méprisaient à cet instant précis. « Un jour, tu comprendras. » Je disais cela comme un adulte le promettait à son enfant, mais je le fis sur le ton amer de la moquerie : je me foutais de lui.

« C’est les perdants qui gagnent. Moi, je ne veux pas laisser de trace. » Je haussai les épaules avec désinvolture. Il voulait m’imiter mais c’était flagrant : il n’y arrivait pas. « A moins que tu veuilles porter ma marque sur le front. Je peux faire un effort, je suis une âme charitable parfois. » Je passai machinalement ma main autour de ma gorge en relevant le menton, le visage comme plongé dans une profonde réflexion, et pourtant mon opinion était déjà construite depuis longtemps. Il ne pouvait pas me toucher. Il tenterait à présent, même sans se l’avouer, à chaque fois que l’on se verrait, à chaque fois qu’il observerait ma silhouette menue, se découpant entre les rangs de l’amphithéâtre, et il ne l’oublierait jamais. Je mentais à nouveau. J’avais déjà laissé ma trace en lui. Il m’avait déjà invité pour que je le fasse et je ne m’étais pas fait prier. J’étais un rapace. Je fondais sur mes proies car j’étais un prédateur et que, d’un jour à l’autre, les rôles pouvaient être échangés. Pas aujourd’hui. Pas avec moi. Parce qu’une fois que l’on m’arrachait mon rôle, je devenais transparent, inaccessible. Je sortais de scène et devenais le spectateur. Quelle étrange pièce jouait-on là ? Je m’asseyais dans le public et celui-ci s’étonnait de me voir aussi naturel, aussi sûr de moi, mais il n’y avait aucune honte à avoir. C’était lui qui était seul à présent sur les planches et qui regardait la profondeur de la salle devant lui, qui apercevait mes prunelles luisantes dans la pénombre et qui sentait le besoin du public d’entendre son soliloque, ou simplement, oui, puisqu’il avait décidé de tordre les règles de la scène d’exposition, son nom : « Moi, c’est Theodore Rottenford. » Je me redressai alors et mon sourire s’accentua avant de se transformer en une sorte de moue approbatrice. Je hochai la tête. J’avais deviné. Près d’un Dieu auquel je ne croyais pas, puis il retombait dans la vase. Il se croyait peut-être droit mais il était tordu et je voyais la courbe que dessinait son âme replonger dans les ténèbres et hurler de douleur lorsque celles-ci se dissiperaient et qu’il sentirait autour de lui l’odeur âpre de la mort. J’écartai les bras avec une résignation amusée et c’est à cet instant que la porte de l’amphithéâtre s’ouvrit pour laisser entrer de nouveaux étudiants, des neutres, des pacifistes, des âmes claires et limpides. Ils se précipitèrent vers les rangs sans prêter attention à la scène qui venait de se terminer devant leurs yeux. Ce n’était pas intéressant. Nous ne cherchions qu’à être vus en prétendant ne jamais vouloir laisser de trace. Je gardai mes bras légèrement écartés, les yeux rivés vers Theodore, jusqu’à ce que l’on me frôle pour me demander si la place à côté de celle que j’occupais était libre. L’effervescence soudaine ne réussit pas à briser le lien qui nous unissait à présent et alors que je répondais avec une politesse feinte à mon interlocuteur, cessant ainsi d’observer Theodore, je sus que mon sourire narquois et charmeur lui était toujours adressé, même s’il paraissait être une réponse que j’accordais à tout le monde.
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