just an other day which gets up -Finie-

Cette impression que demain est loin, trop loin, et qu'on aimerait devenir invisible le temps que tout s'arrête. Le temps de ne plus avoir mal. Zane heurte le mur avec violence, mais n'échappe pas un bruit, serrant les dents. Encore un soir à devoir jouer le bouclier. Et demain son patron lui demandera ce qui s'est encore passé, qu'il faut qu'il en parle aux flics mais Zane refusera comme d'habitude, pour protéger ses sœurs. C'est le prix à payer. Tout a un prix. Et dans son cas, même le droit de vivre. Il sait se battre, il sait coller des branlées, mais pas à son père. Il sait que s'il ose lui asséner un seul coup victorieux (ou chanceux), il en paiera dix fois plus le prix. Son père se fout bien de finir en taule pour l'avoir exploser une fois de trop, mais Zane ne peut pas se permettre de mourir, sinon il abandonne les siens. C'est ainsi que cela raisonne. Triste sort qu'est celui d'un gars comme lui. Il en existe partout, pas seulement ce célèbre Bronx. Des comme lui, il en existe... trop malheureusement. Victimes d'une génération de parents qui ont rien à foutre ou qui ne sont pas assez forts, et qui ont pour la moitié, fait des gosses par accident. Certains grandissent avec une seule mère, le père ayant déserté les lieux. D'autres, comme Zane, ont toujours les deux et auraient préféré la famille monoparentale. Quoi que c'était tout comme... Pendant qu'il prenait sur la gueule, à cracher sa bile au sol, sa mère faisait du café comme lui avait ordonné le vieux. Elle ne pleurait même pas.

Zane la haïssait encore plus que son père, pour ne pas avoir la force de protéger ou du moins d'essayer, le fruit de ses entrailles. Elle ne l'avait jamais fait. Douloureusement accablé au sol, il se releva à genou comme il put, grogna légèrement... ça faisait mal putain. Il voyait trouble. Il vit une godasse lui arriver en coin et la prit dans le ventre, gémissant pour s'avachir au sol... Le coup de trop... Une demi heure que cela durait et il ne ménageait en rien ses coups. Encore une fois complètement bourré, le barbu rasé de quatre vingt dix kilos bien charpenté, à la main plus large de deux fois la sienne, le choppa par le col de son tee shirt défoncé et le plaqua au mur, pour lui souffler à la gueule, avec une haleine de phoque purulent.... "Bah alors petite merde... t'as mes gènes t'es sûr. Bats toi j'te dis! J'vais te dresser moi!" Et Bam, une baffe qui ressemblait plus à coup de point et Zane finit au sol, semi inconscient quand une voix féminine cria à son mari que le café était prêt et que sa série allait commencé. Le vieux con de la cinquantaine se redressa et lorgna le môme avachi mollement au sol avec un dédain sans nom... Il détourna les talons sans un mot et descendit au rez de chaussée.

Ça avait commencé à la naissance de sa dernière petite soeur, un pur accident... pas sûr que les autres n'en soient pas aussi en fait. Cette maison était déjà un foutu bordel de parents mal élevés et de gosses trop indépendants qui parlaient trop, mais à l'arrivée de Sloane, tout bascula. Zane n'en comprit pas la raison, ou peut-être bien que le dernier baby blues de sa mère lui fit cramer une durite. Il avait toujours été le plus posé de la fratrie, bagarreur mais patient et calme de nature, à ne pas trop l'ouvrir quand il voyait son vieux s'exciter, chose que n'avait pas su faire les autres. Faut dire que quand il était en taule, c'est Zane qui avait du assumer le rôle de l'homme... Sa mère n'a jamais été très forte pour s'imposer, et son petit frère Gage était mille fois pire que lui question connerie, il l'avait pourtant toujours couvert, et pris à sa place, y compris les gifles par la mère. Quand son vieux était revenu de taule, il avait ressentit le besoin de s'imposer de nouveau, de reprendre une place qui était la sienne, et considéra qu'il devait détrôner Zane, son propre fils, en mauvaise et non due forme, si on peut ça comme ça. Il lui fracassa la gueule quand le premier refus arriva de sa part.

Les sœurs de Zane ont toujours été très proche de lui et quand leur père, cet effrayant étranger, revint dans la maison, elles refusèrent de suivre le dit paternel et se cachèrent derrière Zane qui accepta de subir les coups contre leur vie saine et sauve. Alors il défia son père, et perdit. Encore. Il revint à chaque fois, borné, par l'amour envers ses sœurs, et perdit encore. Encore. Et encore. Masochiste? Contraint et forcé, il le devint. Il continua ses études dans la pâtisserie seule échappatoire, addict de la bouffe, et toucha aussi la drogue comme antidouleur, maudissant le bouffon qui avait inventé le doliprane. Un truc de tafiole. Il eut son diplôme mais aucune reconnaissance, fallait pas s'étonner. Et peu était proche de lui, tout comme c'est le cas aujourd'hui. Pourquoi? Il les a repoussé exprès. Plus je t'aime, plus j'te dis dégage, pour te protéger de celui qui me fracasse un peu plus chaque jour et finira par me tuer... Un nindo bien merdique qui un jour lui fera réellement péter un câble, car nous avons tous nos limites, mais Zane tient. Ses limites sont repoussées à chaque fois, mais à quel prix.

Pour l'heure, il roule sur le dos, expirant rauque, s'étouffant à moitié et la porte du fond du couloir s’entrouvre. Un œil apparait, puis un second plus bas. Zane entend le bruit et grimace en regardant en l'air, en arrière. Ses sœurs ont compris que c'était fini. Il fait non non de la tête, leur signifiant de ne pas ouvrir, de rester cacher jusqu'à demain. Elles le font d'habitude et dorment toutes les trois dans la même chambre. Mais ce soir, il a prit vraiment cher, et Amber, la plus âgée, qui est interne à l’hôpital, refuse de la laisser là par terre. Sa conscience commence à peser trop lourd. Elle fait signe à ses soeurs de ne pas faire de bruit et de rester dans la chambre et sort en silence, direction la salle de bain, pour prendre la trousse de soin. Elle la donne à Laury et avance sur la pointe des pieds jusqu'à son frère. Il grogne mais elle s'en fout et l'aide à se relever, ou plutôt le traine à moitié, direction la chambre, qu'elles se hâtent de refermer. Il finit de nouveau au sol, et elle va s'occuper de le soigner. Il ne dit pas non pour une fois, il a trop mal aux côtes et au visage... Il n'est pas rare qu'il aille bosser avec un bleu apparent, mais quand c'est trop violent, il a un arrangement avec le patron qui le fait entrer par la porte de service.

De toute façon, il n'est jamais face à la clientèle. Il lui a déjà dit qu'il le gardait parce qu'il faisait de l'excellent boulot mais tôt ou tard, Zane sait qu'il devra trouver une solution... "On doit en parler Zane... il va te tuer à force..." "S'il vous touche pas, ça m'va..." "T'es un gros débile" dit Laury en mode adolescente rebelle, lui plaquant une compresse sur la gueule sans ménagement. Il siffle de douleur et la foudroie du regard. "Faut qu'il retourne en taule s'tout." "Facile à dire...C'est vous qui avez rien compris... je l'ai déjà dénoncé et ils l'ont libéré, Je suis la seule preuve... Sur qui vous croyez qu'il va taper si j'm'en vais..." "En même temps... notre famille est pas... super niveau image..." soupira Amber qui avait les cheveux colorés en rose et orange. "Gage est un sale con." "Arrête... de parler comme ça..." lança doucement Zane à Laury. "Nan, c'est nul, s'il était pas parti, à deux, vous pourrez le fracassez..." "Ça changera rien d'accabler Gage...." . "Bah alors on a qu'à tous se laisser taper, et on va ensemble aux flics." Zane ouvrit en grand son oeil valide. "Non. C'est mort." Il se mit à tousser et sa lèvre éclata sous la pression d'un précédent coup, stoppant net la petite querelle de chuchotements. "J'vais trouver une solution... "

Encore une idée de génie Zane de tout porter sur tes épaules... mais que faire d'autres... Ils étaient soudés et faisaient tout pour que rien ne se voient aux yeux des assistantes sociales ou des voisins. Les flics étaient déjà intervenus mais ... il en existe d'autres des familles avec des violences conjugales ou entre père et fils, alors ... ils étaient repartis aussi sec avec un avertissement au père. La vie est loin d'être sainte, et ce qu'on voit dans les films, d'où croyez-vous que c'est tiré...

Des types quand Zane, il y a d'autres. Mais ces types là, ils ne vivent pas vieux. Ces types là, soit ils finissent mal mais en vie, soit ils se foutent en l'air. Zane a croire qu'il n'en fait pas parti mais il se ment... Il se ment comme il espère une intervention divine ou une connerie du genre, pas très lucide pour un mec intelligent, mais la détresse fait naitre l'espoir, et chez Zane, elle est immense... Peut-être un peu trop pour que ça ne lui fasse pas de mal. Pour l'heure, ses sœurs le soignent et demain, il ira bosser, la gueule endolori, une main sur les côtes, clope pendant au bec, et le pas lent, avec la conviction débile que demain sera meilleur...