Let's Make a Toast ! ¤ Rika & Elijah

La nuit tombait petit à petit sur la capitale anglaise en ce tout premier vendredi du mois d’avril et les travailleurs londoniens – dont je faisais partie – commençaient doucement, mais sûrement, à sortir de leur lieu de travail, inondant ainsi les rues de Londres pour se mélanger aux touristes déjà présents. Ils se dirigeaient pour certains vers les bouches du métro ou les arrêts de bus les plus proches dans le but de rejoindre leur domicile ou vagabondaient pour d’autres dans les boulevards et avenues de la ville à la recherche d’un endroit sympa dans lequel fêter ce début de weekend. De mon côté, j’étais tranquillement en train de marcher dans les rues du petit quartier de Chinatown en direction de l’immeuble dans lequel mon meilleur ami habitait, jusqu’à m’arrêter devant et biper son téléphone portable dans le but de le prévenir que j’étais en bas de chez lui à l’attendre. A peine une minute plus tard, Rafael se tenait déjà debout devant moi et nous partîmes alors presque tout de suite à la recherche du Subway le plus proche afin de manger un morceau rapide avant que l’on ne finisse par rejoindre Elijah dans un de nos bars fétiches du quartier de Soho et que l’on ne se bourre la gueule comme nous avions l’habitude de le faire les soirs de weekend.

Enfin, pour être tout à fait honnête avec moi-même, je ne me bourrais pas uniquement la gueule les vendredis et samedis soirs en ce moment. Cela arrivait même plutôt tous les jours de la semaine… Rafael et Elijah l’ignoraient encore – même s’il ne serait pas étonnant qu’ils s’en doutent un peu –, mais depuis samedi dernier – depuis que Nate avait claqué cette putain de porte derrière lui pour dire les choses très clairement –, j’avais fait en sorte de rester constamment occupé dans le but d’éviter de penser à cette putain de situation merdique dans laquelle il m’avait laissé après son départ et de faire comme si j’étais en train de reprendre le cours de ma vie avant qu’il n’arrive et ne foute tout en l’air… J’arrivais donc au boulot vers huit heures et demie pour en sortir sous les coups de dix-neuf heures trente environ et, après avoir bouffé un truc vite fait dans un fast-food quelconque, je me posais ensuite dans un bar ambiancé afin de danser, mais aussi et surtout de boire jusque tard dans la nuit pour tout recommencer le lendemain matin. Et si cette longue routine fonctionnait plus ou moins, je ne pouvais tout de même pas m’empêcher d’espérer un peu que, chaque fois que je rentrais chez moi, j’allais retrouver cet enfoiré sur le pas de ma porte à attendre que je lui ouvre, ce qui n’arrivait finalement jamais…

Arrivé au bar dans lequel nous nous étions donné rendez-vous, la première chose que je fis fut de commander trois shots de vodka dans le but de bien commencer cette soirée qui s’annonçait épique.

- I got the feeling. That tonight’s gonna be a good night ! me mis-je alors à chanter tout essayant de me frayer un chemin jusqu’à la table à laquelle Elijah était déjà installé sans renverser une seule goutte de ce liquide alcoolisé transparent qui s’agitait dans les trois petites verres que je tenais dans mes mains. Les mecs… Ce soir, on laisse tous nos problèmes de côté et on s’éclate ! Deal ? fis-je en tendant le shot en l’air en attendant bien sagement qu’ils avouent être d’accord avec moi et trinquent à notre santé.

Tonight we are young
so let's set the world on fire
we could shine brighter than the sun

Le dos collé contre le mur en briques, le regard perdu dans le néant, Elijah porte sa cigarette à ses lèvres d’un mouvement presque machinal, robotique, inconscient. À le voir ainsi, plongé dans les méandres de ses pensées, l’un pourrait croire que la source de ses préoccupations doit être importante! Importante… Disons-le ainsi. Le problème avec Elijah est qu’il ne verbalise pas ses pensées, ses questionnements, ses craintes… Il a toujours eu cette philosophie où la seule personne ayant le pouvoir de changer quoique ce soit de son existence est nul autre que lui-même et demander conseil n’est autre qu’une perte de temps. Entre les regards inexpressifs, les visages crispés par la pitié, les hochements de tête compréhensifs et les haussements d’épaules impuissants, il conclut qu’il n’a pas besoin du silence d’autrui et encore moins de leur pitié. Tôt ou tard, il règlera ses préoccupations. Tôt ou tard, tout redeviendra « normal ». Il s’accroche à cet espoir comme si sa vie en dépend, malgré que la réalisation qu’il n’arrivera jamais à s’en sortir solo prenne peu à peu le dessus de son être.

En un soupir, il rejette la fumée opaque d’entre ses lèvres. La main  qui, tantôt, était nichée dans la poche de ses pantalons afin de se réchauffer, devient celle qui accueille la cigarette et son autre main rejoint le fond de la poche de ses pantalons. Les conversations, tantôt subtiles, deviennent de plus en plus animées et les quelques visages familiers, les habitués du pub, saluent le jeune journaliste en entrant. Bientôt, ce pub sera bondé de travailleuses et travailleurs ayant terminés leur quart de travail et qui ne souhaitent qu’une chose : décompresser en célébrant l’arrivée du week-end tant attendu. N’est-ce pas la raison principale pourquoi Tyler, Raphael et Elijah se rejoignent à ce pub tous les vendredis depuis maintenant plusieurs semaines! À force, les barmans les connaissent par leurs prénoms!

Une dernière bouffée de sa cigarette emplit ses poumons avant d’être relâchée. Le mégot rejoint l’asphalte et perd toute forme de vie sous le pied lourd d’Elijah. Le journaliste se retrouve enfin à l’intérieur du pub et s’approche du barman. « Une pinte de Guiness » prononce-t-il en glissant son regard derrière lui, scrutant les occupants du bar. L’employé glisse la pinte de Guiness à Elijah, ce dernier scellant son regard à l’Homme en face de lui. « On fait un marché, d’accord? », débute le journaliste en glissant sa main sur la pinte froide de la bière. Le barman, saisit, observe Elijah avec curiosité. « Mes deux amis arrivent d’ici quelques minutes… Tu dois sans doutes nous reconnaître, pas vrai? », le barman libère un léger rire en hochant positivement la tête. « Je sais que tu termines très, très tard et, comme à notre habitude, nous allons quitter très, très tard aussi. Voici ce que je te propose.. », Elijah glisse une main dans la poche arrière de son pantalon et y déniche son porte feuille. Il dépose sa carte de crédit sur le comptoir du bar et la glisse au barman. « En aucun cas allons-nous manquer d’alcool ce soir. Peu importe le prix. Peu importe l’achalandage. Qu’en dis-tu? » Il tend enfin sa main vers le barman qui, réticent, finit par céder en scellant sa main à celle du jeune homme. Un sourire satisfait orne les lèvres d’Elijah alors qu’il se dirige vers l’une des tables libres. Y prenant place, il attend sagement l’arrivée de ses deux copains qui ne tardent pas à arriver.

« Les mecs… Ce soir on laisse tous nos problèmes de côté et on s’éclate ! Deal ? » Elijah hoche positivement la tête, son regard oscillant entre Raphael et Tyler. « À une soirée mémorable! » Son verre cogne celui de ses amis et il porte le shooter à ses lèvres, laissant l’alcool lui brûler l’œsophage lors de son passage. Une grimace anime le visage d’Elijah alors qu’il dépose bruyamment le verre sur la table. « Putain Ty', de la vodka.. », hisse-t-il entre ses dents serrées. « Oh, et personne ne vomir ce soir, hein! Règle numéro un! »

Je déposai donc les trois shots de vodka – que je venais de commander au comptoir du bar dans lequel j’avais à peine posé les pieds – sur la table que Elijah nous avait gentiment réservé le temps que Rafael et moi le rejoignions. Puis, je décidai de porter un toast, ou plutôt, de passer un accord avec eux en proposant de laisser tous les problèmes que l’on pouvait avoir en ce moment dans nos vies de côté et de profiter à la place de cette soirée entre potes pour boire et s’éclater (mais surtout, pour boire…).

- Deal, répéta alors mon meilleur ami, acceptant ainsi de respecter cette sorte de pacte que l’on était en train de passer.

- À une soirée mémorable ! trinqua à son tour Elijah, joignant son verre aux nôtres déjà en l’air dans un tintement distinctif. Nous portâmes ensuite chacun notre tour notre shot respectif à nos lèvres afin d’en boire le contenu fortement alcoolisé d’une seule traite, appréciant – ou non – ce liquide originaire de Russie nous brûler agréablement la gorge. Putain Ty', de la vodka... se mit alors à râler Eli avec une légère grimace que je n’arrivais pas vraiment à qualifier.

- T'en as toujours pas goûté de la vraie, c'est pour ça... intervint tout de suite Rafael sans même que je n’aie eu le temps de répondre, avec un chauvinisme que je ne lui connaissais pas. Il était, certes, fier de ses origines diverses et variées, mais il n’avait généralement pas l’habitude de s’en vanter. Et puis, aux dernières nouvelles, ce dernier avait des origines polonaises et la meilleure vodka du monde était russe, donc pas de quoi vouloir s’en vanter… Cependant, je préférai garder cette petite remarque pour moi et m’amuser à la place du petit dialogue qui s’était installé entre mes deux amis.

- Oh, et personne ne vomit ce soir, hein ! s’exclama tout à coup Elijah, en insistant bien sur ce point. Règle numéro un !

- J’te promets rien, me montrai-je alors prudent, n’étant absolument pas sûr de me montrer raisonnable quant à la quantité d’alcool que j’allais ingurgiter, mais aussi et surtout, n’étant pas sûr que mon corps allait le supporter.

- Alors commence par arrêter les mélanges... répliqua justement Rafael, tout en désignant d’un geste de la tête le verre de Guinness entièrement vide qui trônait à côté du jeune homme. On remet ça ? proposa-t-il ensuite, déjà prêt à se bourrer la gueule à coup de vodka.

- Je sais qu’on a dit pas de vomi, donc pas de mélange, mais… je me prendrais bien de l’absinthe, commentai-je simplement, en proposant alors de manière indirecte aux deux autres. Je vous en prends aussi ou vous vous contentez de la vodka ? finis-je par leur demander.