"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici we make a living by what we get, we make a life by what we give. / river 2979874845 we make a living by what we get, we make a life by what we give. / river 1973890357
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 :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
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() message posté Mer 11 Nov 2015 - 20:48 par Invité

River & graham — getting the most out of life isn't about how much you keep for yourself but how much you pour into others. ✻ ✻ ✻ « C’est toi qui as dit à Bobbi que j’avais décidé de retirer la tarte aux pommes et à la cannelle du menu ? »  Direct, sans aucun détour. Graham n’éprouva pas le moindre remord tant il était habitué à se débarrasser des convenances et des règles de bienséances pour aller droit au but. C’était sa manière de saluer sa cousine et fille de sa mère biologique, quelques part. Sa manière de répondre à son allô lointain, lui signifiant qu’elle était en train de faire autre chose. Il lui présentait directement la raison de son appel en s’épargnant toute perte de temps inutile. Le bruit cessa à l’autre bout du fil quand Bianca se rendit finalement compte de ses accusations. « Quoi ? De quoi tu parles ? »  Graham fronça les sourcils en entendant son ton sincèrement surpris, et il finit par pousser un soupir. « Non, rien. Quelqu’un a raconté à ta chère grande soeur que j’avais retiré son dessert favori du menu de la brasserie, elle m’a fait toute une scène, »  expliqua-t-il finalement comme s’il s’agissait d’une évidence. Elle n’était pas la première qu’il appelait de cette manière et ne serait pas la dernière ; il était décidé à retrouver qui avait vendu la mèche dans sa famille alors qu’il s’était appliqué à garder le silence pour que Barbara, vingt-huit ans, ne vienne pas l’égorger dans son sommeil pour cette trahison futile.
Elle avait des tendances hystériques, après tout.
Bianca poussa un soupir d’exaspération à l’autre bout du fil. « Sérieux, vous allez pas recommencer tous les deux parce que je te jure que ça me… »  commença-t-elle, sa voix montant doucement dans les aigus à mesure qu’elle laissait l’agacement s’emparer d’elle. « Ouais, ouais, je sais. J’te laisse, bye. »  Il raccrocha sans écouter ses protestations et recommença à parcourir son répertoire téléphonique, faisant défiler les noms sous ses yeux. Bianca tenta de le rappeler mais il rejeta son appel tout en sachant parfaitement qu’elle était sans doute en train de fulminer après lui de l’autre côté de Londres. Il adorait sa famille, oui. Réellement. Mais, à vrai dire, il avait l’impression, parfois, qu’ils étaient tous légèrement trop impliqués dans son existence. Il n’avait pas besoin que ses moindres faits et gestes soient commentés. Il n’avait pas besoin de recevoir des message-textes à tout bout de champs pour le féliciter à propos de sa dernière vidéo. Il n’avait pas besoin qu’on lui présente des femmes à chaque réunion de famille dans l’espoir qu’il finisse par enfin se marier à l’une d’entre elles et se poser, avoir des enfants, construire un foyer.
Et, pourtant, cela faisait partie de son quotidien. Il ne pouvait pas y échapper, non ; ils étaient là, tous, à l’encourager, à s’inquiéter, à lui demander s’il avait besoin d’aide ou s’il désirait simplement quelque chose. Il savait qu’il devait être reconnaissant. Il savait que la plupart des personnes autour de lui n’avaient pas cette chance, cette chance d’être autant soutenu.
Mais, la vérité, c’était qu’il étouffait, tout simplement.
Il était sur le point de se décider à appeler un de ses pères quand, finalement, il entendit frapper à sa porte. Il leva les yeux vers la pendule pour constater que le temps avait défilé sans doute plus vite que prévu ; il se dirigea vers l’entrée pour ouvrir à River et lui faire signer de venir à l’intérieur. « C’est pas trop tôt, »  glissa-t-il avec un sourire en coin. C’était presque taquin, guère méchant, au contraire ; River savait se montrer ponctuel, continuant de lui prouver, ainsi, qu’il n’avait pas fait une erreur en l’embauchant de nouveau. Il se montrait respectueux, à sa manière, témoignant de tout l’intérêt qu’il avait pour cet art qu’il lui enseignait. Et c’était suffisant, pour Graham, d’une certaine façon. Il n’avait pas forcément besoin de perfection. Bien au contraire. « Encore désolé que ça se passe chez moi, mais les travaux dans les cuisines sont toujours pas finis, »  expliqua-t-il en rejoignant sa spacieuse cuisine. De tout son appartement, c’était sans doute dans cet espace que Graham avait le plus investi ; il n’avait pas hésité à abattre des murs, changer tout l’équipement, agrandir l’espace de travail, simplement pour faire en sorte de se sentir chez lui, dans son élément.
Il passa une main dans ses cheveux en observant les différents desserts qu’il avait préparé au cours de la journée ; tous faisaient partie de sa sélection pour la carte sans qu’il n’ait réussi à réellement les départager. Ils étaient là, intacts, postés dans des assiettes dressées et il fronça les sourcils en détournant les yeux. « En gros, j’sais pas quoi faire, »  expliqua-t-il en désignant le plan de travail. « C’est tout ce qu’on peut trouver traditionnellement sur une carte française mais rien ne satisfait réellement. C’est trop… Traditionnel, justement. »  Il savait qu’il ne pouvait pas se permettre autant de liberté que lorsqu’il avait sa propre pâtisserie. Il savait qu’il ne pouvait pas mettre de mettre sur la carte des desserts trop étranges pour le commun des mortels. Il devait s’en tenir aux fondants au chocolat. Aux tartes aux pommes. Aux mille-feuilles. Aux îles flottantes. Aux crèmes brûlées. A tous ces desserts qu’il avait déjà fait une centaine de fois avant de finalement laisser un libre cours à sa créativité.
Puis, aussi, désormais, il n’était plus seul. Plus réellement. Il avait River, à ses côtés, qui avait son mot à dire dans tout ça.
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() message posté Mer 23 Déc 2015 - 10:00 par Invité
Je pédalai de plus bel. Je ne pouvais pas me permettre d’être en retard et, même si j’avais pris un peu d’avance en partant de la maison, Gloria ne s’était pas privée de me retenir pour des raisons que j’avais à présent oubliées. Comme d’habitude. Je m’arrêtai au feu rouge et secouai la tête. Nous traversions un grand boulevard. D’ordinaire, j’aurais risqué de griller le feu, mais je voulais arriver intact chez Graham. Nouveau boulot. Nouveau boulot et pourtant je ne pouvais pas m’empêcher de toujours repenser à cet instant où la silhouette de Graham s’était découpée devant les ruines et les cendres de sa pâtisserie, et que j’avais lu un désespoir sans précédent dans son regard. L’œuvre d’une putain de vie. Et si l’on croyait au mythe des phénix, il fallait prier pour que ce nouveau boulot soit une véritable opportunité, et non un leurre. J’appréciais Peter Montgomery sans vraiment le connaître. Juste parce qu’il était mon patron et que je devais être le plus efficace possible si je ne voulais pas me faire renvoyer. Je savais qu’en tant qu’apprenti de Graham, j’avais mes chances, comme une sorte de protection face au licenciement, mais je ne devais pas prendre cela à la légère. Graham était un type en or et il n’y en avait pas deux comme lui. Je l’avais compris dès l’instant où il m’avait embauché alors que je n’y connaissais rien. Et il m’avait transmis sa passion, un peu plus chaque jour. J’aimais ça. C’était difficile de ne pas aimer ça, en vérité. Malgré les horaires, malgré les demandes, malgré les clichés qui nageaient dans l’esprit des gens. Être pâtissier, ça ne s’inventait pas et pourtant, Graham semblait avoir participé à la création du métier. Il avait un don. Et le voir me transmettre ce que lui-même avait appris tant d’années auparavant me réchauffait le cœur. Autant que d’avoir l’opportunité de cuisiner à ses côtés.

Je me remis à avancer lorsque le feu passa au vert. J’étais essoufflé. Il m’avait donné rendez-vous chez lui et non au restaurant, puisque la cuisine n’était pas encore finalisée, mais je n’étais jamais venu. Je n’avais pas l’habitude de traîner dans les environs. Les rues ne m’étaient pas familières et je regrettai un instant de ne pas avoir pris le vieux plan que ma mère avait longtemps utilisé, rien que pour savoir où se trouvait une malheureuse boulangerie. Je me souvins finalement, dans une descente que j’allais regretter ensuite au moment de la remonter, que Gloria m’avait expressément demandé de lui ramener une pâtisserie. Je ne pouvais pas en faire à la maison. Nous n’avions pas la place et nous ne gaspillions  pas notre argent dans ce que les autres appelaient des futilités. Ils m’incitaient à la place à voler une pâtisserie de Graham, ou bien l’une des miennes, directement sur mon lieu de travail. Voler n’était d’habitude pas un réel problème, nous le faisions régulièrement. Le problème, c’était les pâtisseries. Je ne voulais pas. Je ne pouvais pas déguster un chef-d’œuvre si je savais que je ne l’avais pas mérité. Il serait forcément moins bon – non pas que son goût changeait particulièrement, mais mes papilles gustatives étaient alors recouvertes du parfum amer du regret. Alors je préférais voir la déception dans les yeux des membres de ma famille, une déception vite oubliée et mêlée de compréhension, plutôt que de constater la mienne et de me forcer à finir. C’était une règle d’or chez Graham : il ne fallait jamais déséquilibrer une pâtisserie. Elle était parfaite lorsque le client parvenait à la finir mais avait assez de place pour en vouloir une deuxième. Après tout, il en achèterait deux la prochaine fois qu’il viendrait. Il y avait une logique commerçante et adroite derrière ces choux à la crème.

Je m’arrêtai devant un immeuble et attachai mon vélo à un poteau. Une fois sur le sol, je regardai l’heure. J’avais cinq minutes d’avance et cela m’arracha un large sourire : j’étais satisfait et professionnel. J’avais même le loisir d’attendre un peu et de me reposer avant de sonner chez Graham. C’était mon petit plaisir. Être en retard me rendait nerveux et, puisque bien trop de choses en ce monde soulevaient mon stress sans raison, je préférais être capable d’en contrôler certaines. Je retroussai mes manches et attachai mes cheveux longs en queue de cheval, songeant une nouvelle fois qu’il fallait que Janis s’occupe de les couper. J’avais pensé à les teindre en noir pour l’hiver, mais j’allais voir selon ce que ma sœur me conseillerait. Elle ne voyait pas les couleurs et pourtant je lui faisais bien plus confiance que n’importe quel peintre snob de la capitale britannique. J’eus le temps de fumer une cigarette avant de suivre les indications de Graham pour parvenir à son appartement. Je frappai quelques coups à sa porte : des pas s’approchèrent et on m’ouvrit. « C’est pas trop tôt. » La voix malicieuse de Graham, accompagnée d’un sourire en coin, retentit dans mes oreilles avec soulagement. Je ne m’étais pas trompé, j’étais à l’heure et j’allais cuisiner. Je haussai les sourcils pour lui répondre alors qu’il se dirigeait déjà vers son séjour. J’eus le réflexe d’essuyer mes pieds sur le paillasson tant la propreté de l’endroit me laissait perplexe. Les Kiplings avaient du boulot. De simples murs blancs pouvaient me faire sourire tant c’était rare pour moi d’en voir – Leo avait toujours pris un malin plaisir à lancer sa nourriture sur celui qui l’emmerdait le plus lorsqu’il n’aimait pas ce qu’il y avait à manger, mais il n’était pas un très bon tireur, alors nous avions passé des après-midi entiers à laver les parois de l’appartement, en vain. « Encore désolé que ça se passe chez moi, mais les travaux dans les cuisines sont toujours pas finis. » me précisa Graham et je secouai la main d’un geste amical et désinvolte. « Tranquille. C’est posé chez toi. » C’était vrai. J’aimais bien cet endroit, même si je n’y avais passé que quelques secondes de ma vie, pour l’instant. En pénétrant dans la cuisine, mes premières impressions se confirmèrent. Graham avait fait de cette pièce un genre de sanctuaire et j’y reconnaissais toutes ses petites habitudes culinaires. Il était dans son élément, dans son royaume. Sur la table siégeaient différents desserts plutôt classiques. La plupart m’étaient familiers, même si certains manquaient à l’appel – tout était très français en cuisine et je n’avais jamais eu de don particulier pour cette langue. Graham se passa une main dans les cheveux avant de me regarder, les sourcils froncés, la voix peu convaincue : « En gros, j’sais pas quoi faire. C’est tout ce qu’on peut trouver traditionnellement sur une carte française mais rien ne satisfait réellement. C’est trop … Traditionnel, justement. » Je me grattai la tempe avant de m’approcher. En effet, tout manquait d’originalité, malgré le fait que je sache pertinemment que chaque dessert était dressé et soigné à la perfection – le goût suivrait, bien entendu. « Il va falloir les garder, de toute façon. » Je me tournai vers lui après avoir examiné chaque gâteau. « T’as lu Proust ? Le type qui parle d’une madeleine pendant dix pages juste parce qu’il se sent retomber en enfance dès qu’il la mange. » Je haussai les épaules. Je l’avais lu, très attentivement d’ailleurs, mais je préférai jouer la carte de la désinvolture. Cela marchait très bien avec moi. « C’est exactement ce qu’on devrait faire : tu vois, un fondant n’est vraiment un fondant qu’une seule fois dans une vie, à savoir la première fois qu’on en mange, de ce fameux fondant. Après le goût se perd, parce qu’on n’a plus l’occasion de le découvrir, on ne fait que le commander et attendre qu’il arrive, sans aucune surprise. » Certains aimaient bien ça. L’absence de risque. L’attendu. Mais je voyais bien que Graham cherchait à surpasser le traditionnel. A prendre des risques là où il aurait pu simplement briller, parce que briller ne l’intéressait plus. Il voulait subjuguer, comme un feu d’artifice. « On devrait faire des desserts mystères. Laisser au client le choix de se faire surprendre. De toute façon, tout est bon, c’est pas comme si il allait recracher le truc. Mais je me suis toujours dit que les couleurs avaient un goût et que les goûts avaient un son. On pourrait leur présenter des plats plutôt classiques, quitte à parfois changer un crumble aux pommes pour un crumble aux poires, mais ce serait à eux de deviner ce que c’est. Les gens aiment bien être confrontés à des challenges, même les plus ordinaires. » Je me mordis la lèvre. C’était le cas pour moi, en tout cas. « Enfin, je sais pas si tu vois où je veux en venir. » Je ponctuai mes propositions d’un léger rire. En un mot : synesthésie. Et je transformai la cuisine en poésie.
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() message posté Lun 4 Jan 2016 - 19:56 par Invité

River & graham — getting the most out of life isn't about how much you keep for yourself but how much you pour into others. ✻ ✻ ✻ Graham n’était pas un intellectuel, non. Il ne l’avait jamais été et n’avait jamais cherché à l’être. Il ne faisait pas partie de cette élite dont l’avenir était tout tracé depuis l’enfance. Il ne faisait pas partie de ces gamins qu’on voyait déjà hommes d’affaire, ingénieurs, politiciens, et qui rêvaient des plus grandes universités du monde. Il ne faisait pas partie de ces enfants formatés par leurs parents pour être de grands penseurs. Après tout, Graham, il savait à peine écrire anglais. Il se contentait, pour s’exprimer, de phrases composées d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Il ne voyait pas l’intérêt d’apprendre à résoudre des équations mais cela ne voulait pas non plus dire qu’il se permettait de critiquer les personnes appréciant tous ces concepts abstraits. Les gens faisaient ce qu’ils voulaient de leurs existences, au fond. Tout comme il faisait ce qu’il voulait de la sienne.
Il s’en foutait des mathématiques, de la littérature, des grandes questions du monde. Il s’en foutait de la politique, des sciences humaines, des thèses philosophiques. Il s’était contenté d’en arriver jusqu’à son diplôme de fin de lycée pour faire ses bagages et consacrer son existence à ce qui importait réellement dans son existence—la pâtisserie. Cet art culinaire que ses pères ne l’avaient jamais empêché d’apprécier. Il leurs était reconnaissant, Graham. Reconnaissant de n’avoir jamais cherché à faire de lui une personne qu’il n’était pas. Ils auraient pu le forcer, au fond, parce qu’il était quand même bien loin d’être idiot. Mais ils ne l’avaient pas fait.
Il était resté libre.
Il savait qu’ils avaient eu peur qu’il échoue, plus d’une fois ; il savait qu’ils avaient eu énormément de craintes jusqu’au jour où il avait remporté le titre de Meilleur Ouvrier de France dans la catégorie pâtissier-confiseur. Mais, malgré toutes leurs angoisses, ils lui avaient laissé une chance. Ils avaient cru en lui de la même manière qu’il pouvait croire en River, à son tour, désormais. « Tranquille. C’est posé chez toi, » lui répondit son apprenti d’un air désinvolte tandis qu’ils se dirigeaient vers la cuisine. Graham appréciait énormément la maturité dont River faisait preuve ; cette maturité, elle continuait de l’étonner. A vingt-deux ans, il avait été lui-même très loin de lui ressembler. A vingt-deux ans, il avait encore eu l’âme d’un petit garçon de cinq ans et, quelque part, c’était encore vrai aujourd’hui.
Il n’était que son apprenti, quelque part, mais Graham avait l’impression qu’il était bien plus—lorsque sa pâtisserie avait brûlé, il avait eu l’impression de voir son propre désarroi se refléter dans le regard de River, comme s’il avait tenu autant que lui à la boutique. Comme s’il s’était senti chez lui dans ces cuisines-là, lui aussi. L’australien n’avait aucun diplôme pour se proclamer professeur mais il avait l’impression de réellement réussir à transmettre sa passion à River sans que cela ne paraisse artificiel. « Il va falloir les garder, de toute façon, » déclara River après que Graham lui ait présenté la carte provisoire—cette carte provisoire qui le déconcertait réellement. « T’as lu Proust ? Le type qui parle d’une madeleine pendant dix pages juste parce qu’il se sent retomber en enfance dès qu’il la mange, » reprit-il. Graham secoua la tête. Bien sûre que non, il n’avait pas lu Proust. Il avait vaguement entendu parlé du nom de cette personne mais s’était bien gardé d’en savoir plus. Il n’était pas un intellectuel, après tout. Graham, il ne savait même pas écrire anglais correctement. Graham, il avait passé plus de temps à lire des recettes plutôt qu’à lire des romans. « C’est exactement ce qu’on devrait faire : tu vois, un fondant n’est vraiment un fondant qu’une seule fois dans une vie, à savoir la première fois qu’on en mange, de ce fameux fondant. Après le goût se perd, parce qu’on n’a plus l’occasion de le découvrir, on ne fait que le commander et attendre qu’il arrive, sans aucune surprise, » lui expliqua-t-il et Graham hocha la tête pour l’inciter à continuer. « On devrait faire des desserts mystères. Laisser au client le choix de se faire surprendre. De toute façon, tout est bon, c’est pas comme si il allait recracher le truc. Mais je me suis toujours dit que les couleurs avaient un goût et que les goûts avaient un son. On pourrait leur présenter des plats plutôt classiques, quitte à parfois changer un crumble aux pommes pour un crumble aux poires, mais ce serait à eux de deviner ce que c’est. Les gens aiment bien être confrontés à des challenges, même les plus ordinaires. » Il fronça les sourcils en entendant ses idées. Il comprenait ses mots, ses paroles ; dans son cerveau, son idée commençait à tourner, à se retourner, encore et encore. « Enfin, je sais pas si tu vois où je veux en venir, » finit-il. Graham resta silencieux avant d’hocher la tête, un sourire en coin apparaissant sur ses lèvres. « Rappelle-moi pourquoi tu perds ton temps avec moi et que t’es pas en train de conquérir une de ces prestigieuses universités américaines, là ? »  demanda-t-il. Il savait que River était intelligent. Il savait qu’il avait un grand potentiel mais qu’il restait là, probablement parce qu’il était différent du reste du monde, probablement parce qu’il était né dans une famille qui n’avait pas eu autant de chance que les autres. « J’aime bien le concept, même si ça voudrait dire qu’il faudrait trouver un prix fixe pour tous les desserts. Un prix qui serait plutôt attractif mais qui ne nous permettrait de nous en sortir quand même, »  reprit-il, les sourcils froncés, ses yeux parcourant les différents desserts—il n’était définitivement pas doué avec les chiffres mais il était suffisamment lucide pour savoir que certains desserts étaient beaucoup plus onéreux que d’autres. « Ou alors on fait genre un dessert surprise fixe par jour avec le prix qui varie en fonction des jours, mais ça gâche un peu le concept. »  Il secoua la tête. Il aimait beaucoup la proposition de River ; elle convenait parfaitement à son univers, un peu hors-norme, auquel son apprenti avait réussi à s’intégrer à la perfection. Il n’aimait pas entrer dans un moule. Il n’aimait pas entrer dans une case. Il n’aimait pas se limiter aux frontières du déjà-vu. « Mais j’pense qu’on se heurterait quand même aux goûts des gens. J’veux dire, y’en a qui aiment pas le chocolat, d’autres qui sont allergiques à la fraise, ça serait un joyeux bordel de prendre en compte les problèmes de chacun… Sauf si on propose cette carte avec tous les desserts avec l’option surprise en plus. »  Il tourna la tête vers River. Pour l’ouverture du Beth’s Bistrot, il ne savait pas s’il pouvait se permettre de mettre au menu des desserts trop atypiques—il l’aurait fait sans y réfléchir à deux fois s’il avait été tout seul sur le projet mais, avec Peter, il voulait prendre absolument aucun risque. 
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() message posté Jeu 28 Jan 2016 - 8:38 par Invité
J’appréciai tout particulièrement la façon avec laquelle Graham m’écoutait. Je me sentais porté par une volonté de bien faire car j’avais une oreille attentive pour souligner mes efforts et mes idées. Il pouvait me contredire, je ne prétendais pas être la science infuse. De toute évidence, je préférais les imperfections. Pas lorsqu’elles étaient pointées du doigt et moquées sous le regard de l’Homme, mais au contraire, lorsqu’on les découvrait dans la Nature elle-même et que l’on s’en émerveillait : un arbre n’était jamais aussi beau que lorsque ses feuilles rougissaient et que tout son corps semblait s’enflammer, paradoxe étrange et inspirant, phénomène qui n’arrivait que sous la pluie de l’automne. Le froid nous engourdissait et nous levions les yeux vers leurs branches majestueuses qui résistaient aux intempéries pour constater que l’un d’entre eux s’était métamorphosé. Il était un phénix et ses cendres recouvriraient le sol en hiver pour couver un nouveau corps qui renaîtrait au printemps. C’était un cycle continu, peut-être lassant et répétitif à la fin, mais je ne m’ennuyais jamais en ouvrant mes volets, un matin d’octobre, pour découvrir les premiers arbres dont les feuilles dorées et imparfaites se détachaient du vert ennuyeux d’un square londonien. Graham observait-il le paysage lorsqu’il concoctait une nouvelle recette, histoire de la rendre unique ? Si oui, je souriais intérieurement de savoir que je n’étais pas le seul à associer des idées qui pourtant, de manière générale, semblaient ne rien avoir en commun. Si non, il était bien habile d’être un pâtissier aussi doué, mais il devait probablement avoir d’autres sources d’imagination, qu’elles soient intérieures, extérieures, passées ou futures. « Rappelle-moi pourquoi tu perds ton temps avec moi et que t’es pas en train de conquérir une de ces prestigieuses universités américaines, là ? » Je lui adressai un sourire franc, retenant presque un rire en secouant la tête. « J’ai pas mon bac, j’te rappelle. » soulignai-je avec humour. Je le prenais avec bonne humeur, toujours. Après tout, j’avais saisi d’autres opportunités lorsque je m’étais écarté de la voie impériale qu’était celle de l’école. Je m’en étais sorti car je croyais dur comme fer que l’on s’en sortait à chaque fois. « Et je suis pauvre aussi. Entre manger et me taper des notes de merde, je choisis mes priorités avec soin. » Mon détachement fut de courte durée puisque je ne pus cette fois pas m’empêcher de laisser échapper le fameux rire cristallin que j’avais contenu quelques secondes auparavant. Surtout qu’on mangeait bien par ici. C’était posé chez lui.  

« J’aime bien le concept, même si ça voudrait dire qu’il faudrait trouver un prix fixe pour tous les desserts. Un prix qui serait plutôt attractif mais qui nous permettrait de nous en sortir quand même. » Je fronçai les sourcils, légèrement consterné par ce qu’il me précisait. J’oubliais toujours que l’argent était le point de départ et la ligne d’arrivée d’absolument tout. Mais il avait raison, après tout, et je hochai la tête en affichant une moue approbative : les choses se complexifiaient. « Ou alors on fait genre un dessert surprise fixe par jour avec le prix qui varie en fonction des jours, mais ça gâche un peu le concept. » Je me mordis la lèvre et adoptai une attitude pensive en plissant les yeux pour regarder un à un les desserts trônant fièrement sur le plan de travail. Ils semblaient tous délicieux mais je connaissais le prix de chacun, et c’était difficile pouvoir trouver une moyenne acceptable. Mes doigts pianotèrent sur la surface tandis que je réfléchissais à une façon de contourner le problème pour que mon idée puisse tout de même prendre racine. « Mais j’pense qu’on se heurterait quand même aux goûts des gens. J’veux dire, y’en a qui aiment pas le chocolat, d’autres qui sont allergiques à la fraise, ça serait un joyeux bordel de prendre en compte les problèmes de chacun … Saut si on propose cette carte avec tous les desserts avec l’option surprise en plus. » Je relevai les yeux vers lui et acquiesçai en inspirant l’air ambiant : il sentait le sucre, la cannelle, la levure chimique et les milles parfums des plats dressés en face de nous, les mêmes que je discernais sur les habits de Graham et dans sa voix lorsqu’il se déplaçait ou qu’il me parlait – réconfortant et familier. « Ça existe encore, les gens qui n’aiment pas le chocolat ? » demandai-je avec ironie, comme si je parlais d’une mode des décennies passées. Bien sûr que ça existait encore : il y avait des rabat-joie partout, malgré mes efforts pour qu’ils cessent un instant de détester les choses pour commencer à les aimer, plus simplement.

Je passai ma main sur mes lèvres et me replongeai dans les desserts pour en tirer toute l’inspiration qui me parvenait, par flux oscillant bien trop. Mais les idées germaient dans mon esprit et je crus voir l’une d’entre elles briller un peu plus fort alors que mes prunelles redessinaient le contour d’un saint-honoré luisant de caramel et de bonne humeur. Je m’humectai les lèvres et, par réflexe, les pinçai comme si l’idée se tenait au bout de celle-ci et que je la retenais tant bien que mal avant qu’elle ne s’évapore. Je me tournai de nouveau vers Graham. « On peut faire ça mais on peut faire mieux. » J’eus un léger sourire, me demandant si l’idée était la bonne mais plongeant tout de même au cœur de celle-ci pour en apprécier l’originalité. « On peut faire des assortiments d’échantillons. Des petits fondants et des petits crumbles. » J’indiquai la taille en arquant mon pouce et mon index : à peine cinq centimètres de hauteur. « On les met tous dans des boîtes en choisissant nous-mêmes les compositions, puis on leur donne un nom. » Mes mains virevoltaient au rythme de mes mots pour les souligner et elles survolèrent un instant les pâtisseries comme pour en saisir l’essence, la beauté. « C’est là qu’on peut sortir le côté français : on les appellerait des assortiments et le nom de chacun d’eux serait une référence à la France qui fait bien rêver les gens. » Mes yeux cherchèrent les noms de chaque gâteau pour que je puisse en associer certains ensembles. « Par exemple, classique,  La Vie en Rose, moi je pense à … » Je désignais chacun des mets avant de les citer : « … macaron framboise, tartelette aux fraises, ganache fourrée aux fruits rouges, à la fois le chocolat noir pour le style et le goût fruité pour la couleur. » Je reportai mon attention sur Graham pour conclure : « On peut en faire entre cinq et dix, ce qui serait une alternative aux desserts, avec un prix fixe parce que ce serait plus facile pour nous d’en équilibrer le contenu. Les gens pourraient être surpris en arrivant chez eux et en découvrant ce qui se cache dans la boîte. On ferait des petits livrets pour les allergiques et les curieux, histoire que chacun sache ce qu’il mange, et on pourrait même leur écrire pourquoi on a choisi ce nom et pourquoi on trouve que cet assortiment lui correspond particulièrement. Histoire de marier l’utile à l’agréable, comme on dit. » Je plissai des yeux : mon enthousiasme m’empêchait parfois d’être clair et je me demandai si, cette fois, Graham m’avait suivi dans ma logique. « C’est cliché mais les gens aimeront. La France, ça donne envie. Et pour les références culturelles, ils en ont un paquet, c’est quand même eux qui ont inventé le cinéma. » ajoutai-je avec un sourire. J’espérais qu’il trouverait un intérêt à ma proposition : j’en appelais à ses qualités de pâtissier, celui qui créait comme un architecte fantastique et méconnu un palais ravissant les papilles gustatives. Je ne voulais pas qu’il se borne aux limites d’une carte – étouffez l’inventivité, elle reviendra au galop, j’en étais heureusement toujours certain.
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() message posté Jeu 18 Fév 2016 - 19:42 par Invité

River & graham — getting the most out of life isn't about how much you keep for yourself but how much you pour into others. ✻ ✻ ✻ Bien souvent, la meilleure idée aurait sans doute été de ramener River sur Terre. L’attraper au vol et le forcer à reposer ses pieds sur le sol. C’était ce que le monde faisait, ce que le monde attendait ; dès que certains individus dépassaient les limites de l’ordinaire, il fallait absolument les empêcher de poursuivre sur leur lancée, de peur, presque, qu’ils ne déforment le moule de la société. Ce moule qui encadrait chaque individu. Ce moule si précieux et pourtant si ennuyeux.
Mais Graham ne le faisait pas.
Au contraire, il appréciait la façon dont River voyait les choses autrement et avait plutôt tendance à l’encourager qu’à le dissuader ; il était difficile à suivre, parfois, et même si certaines de ses idées étaient absolument irréalistes, c’était cette vision différente et neuve qui inspirait le pâtissier, de temps à autre. Il aimait l’insolence et l’originalité de son apprenti ; il s’était fait une place dans son univers parce qu’il avait représenté absolument tout ce que Graham défendait dans sa cuisine. Le conformisme n’existait pas lorsqu’il lui demandait ses impressions, ses idées, son avis ; les paroles de River qui auraient pu faire lever les yeux au ciel plus d’un faisait naître un sourire sur les lèvres de Graham. Il n’osait pas prétendre qu’il le comprenait ; après tout, il était une personne décalée et à part. Pour suivre le cheminement de ses pensées et lui être parfaitement raccordé, il fallait vivre dans son esprit directement. Pour comprendre ce qu’il avait dans le crâne, il ne suffisait pas de l’entendre parler. Il fallait être River. « J’ai pas mon bac, j’te rappelle, » lui rappela-t-il et Graham haussa les épaules comme s’il s’agissait d’une futilité. Dans le monde actuel, la société s’acharnait à demander des diplômes, à pousser les jeunes à décrocher des mérites. Mais, pour lui, il ne s’agissait de bout de papier qui ne voulaient absolument rien dire. « Et je suis pauvre aussi. Entre manger et me taper des notes de merde, je choisis mes priorités avec soin. » River se mit à rire et Graham lui lança un sourire amusé, avant de finalement, poser une main sur l’épaule de son apprenti. « Au final, ça m’arrange. C’est moi le gagnant de cette histoire. »  Il n’allait pas lui cacher—Graham n’était pas une personne qui s’encombrait avec des secrets et des fausses vérités—et même s’il aurait sans doute été plus correct de lui avoir souhaité plus de réussite que ce que River était actuellement en train de vivre, il préférait être honnête et lui faire comprendre qu’il était plutôt bien heureux qu’il ait décidé d’emprunter cette voie là.
Même si cette voie-là s’était imposée à lui, de toutes manières.
Après des jours à réfléchir seule, avec sa propre tête, Graham était content de recueillir l’avis de River ; il dut, néanmoins, lui rappeler que l’argent allait sans doute poser soucis, tout comme les différents goûts de chacun, et le jeune homme parut particulièrement penseur. « Ça existe encore, les gens qui n’aiment pas le chocolat ? » Son ironie l’amusa mais il ne commenta pas ; s’il était pâtissier, Graham était néanmoins une personne extrêmement difficile. Il n’était pas gourmand. Il n’était pas accro au chocolat ou à quoi que ce soit d’autre. Il n’aimait pas la cuisine pour manger mais comme un art ; un art qu’il respectait profondément et qui l’intriguait, sous toutes ses formes. « On peut faire ça mais on peut faire mieux, » reprit finalement River en se tournant vers Graham. Celui-ci haussa les épaules, surpris par ce regain d’énergie, et acquiesça pour lui montrer qu’il avait toute son attention. « On peut faire des assortiments d’échantillons. Des petits fondants et des petits crumbles. On les met tous dans des boîtes en choisissant nous-mêmes les compositions, puis on leur donne un nom. » Le regard de Graham était perdu dans le vide alors que River parlait de son idée. Il se concentrait sur ce qu’il lui disait ; il imaginait déjà très bien les boîtes en carton, blanches, ornée de la mention Beth’s Bistrot, très sobre, sans fioritures inutiles. Il les voyait entreposée dans la vitrine, également, attendant patiemment que quelqu’un ne les achète. « C’est là qu’on peut sortir le côté français : on les appellerait des assortiments et le nom de chacun d’eux serait une référence à la France qui fait bien rêver les gens, » poursuivit-il, avant de reprendre immédiatement après avoir balayé le comptoir du regard. « Par exemple, classique, La Vie en Rose, moi je pense à… Macaron framboise, tartelette aux fraises, ganache fourrée aux fruits rouges, à la fois le chocolat noir pour le style et le goût fruité pour la couleur. » Graham esquissa un sourire, voyant parfaitement où il désirait en venir. dans sa tête, il commença à calculer le coût de cette entreprise—sans grand succès—et faire d’autres compositions. Mais, malheureusement, il avait bien moins d’imagination que River sur ce plan-là et rien ne lui vint naturellement. « On peut en faire entre cinq et dix, ce qui serait une alternative aux desserts, avec un prix fixe parce que ce serait plus facile pour nous d’en équilibrer le contenu. Les gens pourraient être surpris en arrivant chez eux et en découvrant ce qui se cache dans la boîte. On ferait des petits livrets pour les allergiques et les curieux, histoire que chacun sache ce qu’il mange, et on pourrait même leur écrire pourquoi on a choisi ce nom et pourquoi on trouve que cet assortiment lui correspond particulièrement. Histoire de marier l’utile à l’agréable, comme on dit, » continua-t-il. « C’est cliché mais les gens aimeront. La France, ça donne envie. Et pour les références culturelles, ils en ont un paquet, c’est quand même eux qui ont inventé le cinéma. » Une fois encore, Graham se demanda ce que River pouvait bien faire là, avant de se rappeler que le monde n’était sans doute pas aussi impressionné qu’il ne pouvait l’être en cet instant. River était hors-norme, après tout ; cependant, Graham avait la conviction que c’était les personnes comme lui qui faisaient la différence dans ce monde. « Ca serait donc forcément à emporter, »  nota-t-il finalement. « Mais je pense qu’il sera possible de servir un assortiment dans l’après-midi lorsque les clients viendront prendre un café ou un thé. Voulez-vous un assortiment La Vie en Rose avec votre cappuccino ? Si vous avez une réclamation à faire, c’est à mon apprenti qu’il faut se plaindre. »  Graham, le poing fermé, donna un petit coup dans l’épaule de River. En réalité, il aimait beaucoup cette idée ; s’il était contraint de s’en tenir à une carte plus ou moins ordinaire pour le lancement, il y voyait comme un échappatoire. « Et donc ça nous permettrait d’y glisser des créations un peu plus originales. Des tartelettes au citron et au chocolat blanc, des muffins abricot-amandes… Et si ça plait vraiment, on pourra les inclure au fur et à mesure à la carte fixe. »  Ca serait sans doute une solution pour doucement introduire des desserts plus originaux, plus intéressants. Cela serait sans doute un long processus mais cela rassurait presque Graham. « Faire des miniatures va nous demander beaucoup de temps, mais j’aime beaucoup ton idée. »  Il tourna la tête vers River et hocha la tête pour montrer qu’il pensait ce qu’il disait ; et, dans ces instants-là, il était profondément reconnaissant de l’avoir accepté dans sa cuisine la toute première fois sans trop se poser de questions.  
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() message posté Ven 26 Fév 2016 - 11:29 par Invité
Je me rappelais toujours de l’instant où Graham avait posé son regard sur moi la première fois. L’instant où il avait accepté de m’embaucher alors que tout lui disait de ne pas le faire. Le monde de la cuisine, même s’il s’avérait que mon mentor s’amusait généralement à en oublier les limites habituelles. C’est ce qui lui avait valu la reconnaissance de ses pairs. Il était original, ambitieux, peut-être un peu caractériel mais c’était là une qualité chez un artiste – au-delà d’en être une chez un pâtissier. Car je voyais Graham comme un artiste : il créait de toutes pièces en bariolant son esprit d’influences diverses. Après tous ces mois, je ne parvenais toujours pas à discerner correctement ses goûts à lui car il maîtrisait tout avec un perfectionnisme inédit. Je voyais en lui l’audace d’un dissident alors qu’aux yeux de tout le monde, la cuisine n’était réalisée que dans le but de manger. Erreur fatale. J’y retrouvais bien plus que le goût, tant elle stimulait mes cinq sens en équilibre. Certes mon palais fleurissait, mais mes oreilles soupiraient de bonheur lorsque j’entendais les plats crépiter, bouillir, le blanc en neige crisser comme s’il était véritablement le givre des champs à la campagne. Mes yeux s’emplissaient de fragments d’étoiles en voyant la précision avec laquelle Graham montait ses pièces et érigeait ses pâtisseries, puisqu’il était l’architecte de nos goûts. Mes narines s’emplissaient d’un million d’odeur qui, séparées, nous faisaient simplement sourire mais qui, une fois ensembles, nous donnaient une nouvelle définition moins obsolète de ce qu’était l’harmonie. Quant aux sensations tactiles, elles étaient nécessaires : il suffisait d’observer nos mains après une journée de travail. Nous étions des ouvriers venus d’un autre monde pour rendre celui-ci meilleur. « Au final, ça m’arrange. C’est moi le gagnant de cette histoire. » Je secouai la tête, un sourire mutin sur les lèvres. J’étais bien heureux de partager sa cuisine et d’apprendre toutes ces choses qu’il maîtrisait si bien, plutôt que de me restreindre à une chambre d’étudiants sur un campus où je me serais vite senti à l’étroit. Et je ne trouvais pas encore les mots pour le remercier, mais cela viendrait, un jour.  

Graham se concentra, restant muet alors que je lui exposai mes idées. J’avais l’impression d’être sur un pied d’égalité à ses côtés, même si bien évidemment je restais l’apprenti. Mais il me mettait en confiance, son regard m’indiquant que notre relation était, au-delà de la transmission, un véritable échange. C’était ainsi que naissaient les choses les plus belles. Par association. Il acquiesça à la fin de mon discours et répondit, le ton intéressé mais toujours soulignant les choses importantes : « Ça serait donc forcément à emporter. » Je fronçai légèrement les sourcils en reposant mon regard sur les pâtisseries. Puis je hochai la tête alors qu’il donnait son avis : « Mais je pense qu’il sera possible de servir un assortiment dans l’après-midi lorsque les clients viendront prendre un café ou un thé. Voulez-vous un assortiment La Vie en Rose avec votre cappuccino ? Si vous avez une réclamation à faire, c’est à mon apprenti qu’il faut se plaindre. » Je tournai vivement la tête vers lui, arquant un sourcil faussement surpris, et il me donna une tape amicale sur l’épaule qui me fit sourire, les yeux pétillants d’une fierté étrange – celle d’être à ses côtés. Je balayai l’air qui nous séparait en le fendant de ma main droite avec désinvolture. « Genre les gens vont se plaindre alors que c’est parfait. » Ma voix débordait d’ironie, pourtant je voyais déjà le café accueillant les passants avec chaleur et familiarité pour leur offrir des assortiments. On n’y connaissait rien, à la France. Ce n’était pas grave, car eux non plus, et ce qui nous intéressait n’était pas la copie conforme d’un pays devenu trop cliché mais bien la découverte de contrées lointaines qui n’étaient pas sur la carte du restaurant ni celle du monde, seulement dans nos esprits d’artistes. « Et donc ça nous permettrait d’y glisser des créations un peu plus originales. Des tartelettes au citron et au chocolat blanc, des muffins abricots-amandes … Et si ça plait vraiment, on pourra les inclure au fur et à mesure à la carte fixe. » J’affichai une moue approbative et acquiesçai d’un air déterminé, feignant presque une amusante prétention alors que mon visage surplombait tous ces gâteaux – les passés, les présents et les futurs.

« Faire des miniatures va nous demander beaucoup de temps, mais j’aime beaucoup ton idée. » J’écartai les bras avec emphase, comme pour gentiment le contredire. « Ah mais tu m’as pas embauché pour rien, les miniatures n’auront plus aucun secret pour moi. » Je ponctuai mes mots d’un énième sourire, car il n’y en avait jamais assez entre les quatre murs d’une cuisine. On préparait de meilleurs plats lorsque l’on était de bonne humeur, après tout. C’était comme lorsque nos sentiments se mariaient au temps qu’il faisait et que l’on ne pouvait s’empêcher de rire sous la lumière du soleil et de pleurer lorsqu’il pleuvait. Je pensais que tout avait cette transmission étrange : une tarte au citron était plus acide si le cuisinier était irrité. A l’inverse, une crème au chocolat était plus onctueuse si l’harmonie des sens du pâtissier restait en équilibre. C’était logique, certes, mais il fallait le voir. Graham avait cette capacité à s’isoler de toute subjectivité lorsqu’il préparait le moindre plat. Il devenait imperméable et concentré pour que le coulis de caramel ne soit plus simplement un coulis, mais un dessin sur la toile voluptueuse de la crème anglaise ou d’un glaçage soigné. « Donc, on reprend : c’est à emporter sauf pour l’après-midi et les brunchs du dimanche. On pourra faire de jolis plateaux à apporter aux clients s’ils décident de les manger sur place. On fixe des horaires et on glisse nos propres trucs parfaits à l’intérieur. » Je posai ma main sur mes lèvres d’un air contemplatif : j’aimais beaucoup cette idée sans prétendre en être l’unique auteur. Après tout, c’était la nostalgie de la pâtisserie dans laquelle j’avais rencontré Graham et travaillé sous sa direction qui me donnait aujourd’hui l’envie de retrouver quelque chose du même genre. Je me souvenais des tables en bois couleur acajou disposées dans la salle, si peu nombreuses et pourtant si vite assaillies par des clients au palais engourdi, ne cherchant qu’à retrouver un peu de douceur devant leurs yeux et entre leurs lèvres. « On pourra faire un sondage au resto entre tous les collègues pour savoir ce que leur évoque la France, histoire de choisir les assortiments avec objectivité et diversité. » J’allais sûrement demander à Elsa en premier : certes, son engouement pour les futilités était parfois un peu frivole, mais elle restait pleine d’imagination et j’étais déjà certain que l’idée allait lui plaire. « Il faudra une jolie boîte qui attire l’œil sans l’agresser. Histoire que les habitués sachent qu’on a un nouveau concept et que les autres s’y fassent directement en les voyant. » Je posai mes mains sur la table : elle était propre et j’y sentis la douceur effacée de la farine, ce qui ravit ma sensibilité et me fit sourire, encore un fois. « J’espère que Peter acceptera. Tu le convaincras mieux que moi, j’en suis sûr. T’as un côté diplomate et posé. » ajoutai-je finalement en tournant la tête vers Graham. Et il cachait encore bien d’autres qualités que je ne me lassais pas de découvrir, notant parfois avec amusement qu’il ne s’en rendait pas compte lui-même.
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() message posté Mer 9 Mar 2016 - 19:39 par Invité

River & graham — getting the most out of life isn't about how much you keep for yourself but how much you pour into others. ✻ ✻ ✻ Le pire, dans tout cela, c’était que Graham n’était même pas gourmand. Il ne raffolait pas de plat sucré.
Certes, il aimait les bonnes choses. En prenant des cours de cuisine, en apprenant à confectionner des pâtisseries et des confiseries, ses attentes avaient changé en fonction de la perfection qu’on lui avait enseignée. Il avait bien du mal à commander des desserts dans les grandes chaînes de restauration où tout était décongelé. Il ne pouvait pas s’empêcher d’analyser ce qu’on lui servait lorsqu’il allait dans les petits restaurants de rue, si bien que ses proches avaient cessé de l’emmener n’importe où sans réfléchir au préalable ou se renseigner sur l’avis des internautes. On disait souvent qu’il était insortable tant il pouvait être critique vis-à-vis de ce qu’on lui servait ; il n’était jamais injuste, cependant son niveau exigeait de nombreux critères et, sans le vouloir, il les appliquait partout, à n’importe qui. Ce n’était même pas par prétention, au fond. Non. Graham oubliait simplement que le monde autour de lui n’avait pas nécessairement envie ou même besoin d’avoir un niveau de professionnel en cuisine.
Ce qui comptait, pour lui, n’était pas sa propre satisfaction gustative ; il ne mangeait pas ce qu’il créait, non, ou simplement lorsqu’il testait de nouvelles choses pour s’assurer que c’était parfaitement mangeable. Il n’était pas devenu pâtissier pour sa passion de manger mais pour l’amour de créer. « Genre les gens vont se plaindre alors que c’est parfait, » déclara River et Graham soupira en se rendant compte de l’ironie de la chose. Au fond, il ne clamait pas que ce qu’il faisait était parfait ; il avait parfaitement conscience que les goûts et les couleurs ne se discutaient pas et que certaines de ses créations n’étaient pas forcément apprécié de tous. Cependant, quoi qu’il puisse faire et cela valait pour n’importe qui puisqu’il n’était pas le seul dans ce cas-là, il fallait toujours des personnes pour exprimer ouvertement leur mécontentement. Pour ouvertement se plaindre et dire tout ce qui n’allait pas. Dans le commerce, dans sa profession, on était censé rester calme et satisfaire le client ; cependant, dans sa pâtisserie, Graham ne s’était pas gêné pour dire des vérités à certains.
Il savait qu’il allait devoir se retenir à la brasserie, ne serait-ce que pour Peter. « Ah mais tu m’as pas embauché pour rien, les miniatures n’auront plus aucun secret pour moi, » poursuivit River lorsque le pâtissier évoqua le temps que les miniatures allaient leur demander. Il esquissa un sourire. Parfois, il se demandait si cela dérangeait River de n’avoir aucun diplôme, au bout du compte. Certes, il ne comptait pas se défaire de lui mais il songeait parfois à ce qu’il ferait. Connaissant River, il savait qu’il se débrouillerait pour trouver autre chose ; cependant, Graham était profondément déçu que toute cette formation qu’il lui faisait n’avait aucune valeur aux yeux du pays. « Donc, on reprend : c’est à emporter sauf pour l’après-midi et les brunchs du dimanche. On pourra faire de jolis plateaux à apporter aux clients s’ils décident de les manger sur place. On fixe des horaires et on glisse nos propres trucs parfaits à l’intérieur, » récapitula son apprenti et Graham hocha la tête. « C’est ça. J’vais le noter pour rien oublier. »  Il sortit son téléphone portable de sa poche pour ouvrir une nouvelle note ; il tapa tout ce que River venait de résumer, avec son orthographe catastrophique et ses abréviations incompréhensible. « On pourra faire un sondage au resto entre tous les collègues pour savoir ce que leur évoque la France, histoire de choisir les assortiments avec objectivité et diversité, » reprit River alors que Graham finissait tout juste de tout mettre dans un mémo. « Il faudra une jolie boîte qui attire l’œil sans l’agresser. Histoire que les habitués sachent qu’on a un nouveau concept et que les autres s’y fassent directement en les voyant. » Il hocha la tête—de toutes manières, il n’aimait pas les choses tout tape-à-l’oeil, trop frivoles. Il n’était pas particulièrement doué en décoration ou en design mais il avait toujours été satisfait de constater que sa pâtisserie avait eu de l’allure ; cela allait être la même chose avec le Beth’s Bistrot. Il misait sur la simplicité, sur le minimalisme, sur une atmosphère parisienne sans pour autant trop en faire.
Et il était fier. Fier que River le sache, fier que River l’ait constaté lui-même. « J’demanderais à ma cousine, Bianca, tu vois laquelle ? La brune survoltée, »  répondit-il. Il avait levé la tête vers River pour lui poser la question. « Elle peint, elle a l’oeil pour tous ces trucs-là. »  Il aimait l’idée de la boîte, l’idée des plateaux, l’idée de ce concept qui représentait bien son univers. Son esprit se perdit dans les différents assortiments qu’ils allaient bien pouvoir faire, faisant l’inventaire de toutes les créations qu’il avait imaginé au cours de son existence. Il allait falloir parler de cela avec Peter et, à l’instant même où il pensa à son associé, River reprit la parole pour l’évoquer. « J’espère que Peter acceptera. Tu le convaincras mieux que moi, j’en suis sûr. T’as un côté diplomate et posé, » dit-il et Graham ne put s’empêcher de rire franchement, sans aucune retenue. River avait posé ses mains sur la table où il avait cuisiné un peu plus tôt. « Diplomate ? Tu te souviens pas que certains fournisseurs voulaient plus de leurs contrats avec moi parce qu’ils me considéraient comme un tyran ? C’est pas pour rien que c’est Peter qui se charge de tout ce qui est relationnel, c’est lui le diplomate, moi j’me contente de grogner pour leur faire peur, »  répondit-il. Il fallait dire que Graham mâchait très rarement ses mots ; s’il avait réussi, cela n’était pas parce qu’il était un beau parleur mais parce qu’il était doué. Autrement, il ne serait jamais arrivé là où il était. « Mais j’m’en occupe, j’suis sûr qu’il va adorer ton idée. Ca va donner une singularité de plus à la brasserie, c’est ce qu’on veut, à la base. »  Il adressa un sourire à River pour qu’il ne s’en fasse pas ; il ne doutait pas une seule seconde de l’approbation de Peter. Il savait. Il savait que son associé verrait ce qu’il voit.  
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() message posté Dim 27 Mar 2016 - 11:51 par Invité
« C’est ça. J’vais le noter pour rien oublier. » Je hochai la tête et le regardai sortir son téléphone pour y inscrire les idées que j’avais énoncées une à une, tandis que je les récapitulais moi-même dans mon esprit, le visage fermé et sérieux, très concentré. Il m’arrivait d’être taciturne. Manquait-il simplement quelque chose pour que le tout soit parfait et échappe à la critique ? On parlait de nourriture : la critique était inévitable car chaque palais avait sa sensibilité propre. Je remerciais d’ailleurs Graham d’avoir stimulé la mienne, car j’étais à présent plus exigeant lorsque l’on me servait un plat, même s’il ne s’agissait pas d’une pâtisserie familière. Les saveurs ne se mélangeaient plus approximativement contre mes papilles, comme avant. Je savais lorsque les choses étaient trop sucrées, mal assaisonnées, peu fraîches ou lorsqu’il leur manquait quelques minutes de cuisson. La cuisine, c’était comme la musique : un détail de travers et le reste était faux. J’avais peut-être des affinités avec l’art que Graham m’enseignait parce que j’en voyais les analogies avec l’univers dans lequel je baignais tous les jours. Les poèmes que j’écrivais s’équilibraient comme une pièce montée, je les ourlais de lyrisme avec la même attention que j’accordais au glaçage d’un gâteau, à la finesse des tranches de ces fruits sacrifiés au nom de la gastronomie. Et je voyais chez Graham la même application qui me saisissait parfois lorsque j’étais inspiré et que des accords enfin précis résonnaient à travers le bois vernis de mon piano. Il racontait des histoires à chaque tarte, sans que le loup ne les dévore à la fin. Si j’étais un ouvrier lyrique, puisant ma force dans le chaos des expressions, je ne pouvais cesser de le voir en architecte taciturne et attentif, ne laissant pousser aucune négligence dans le jardin de ses pensées. C’était difficile pour moi de le suivre. J’étais peut-être un garçon intelligent et travailleur, je n’en restais pas moins désordonné, moins minutieux et diligent que lui. Peut-être parce que je cuisinais avec subjectivité alors qu’il surplombait les jugements pour atteindre l’excellence. Il me fascinait. L’avait-il seulement compris ? Sa passion mêlée à son détachement me donnait envie d’écrire, car je n’avais jamais eu de père à qui parler, jamais eu cette présence masculine et rassurante pour m’aider à m’endormir : mes rêves en ressortaient marbrés de songes nébuleux et libérés – dans mon esprit régnait l’anarchie.

« J’demanderai à ma cousine, Bianca, tu vois laquelle ? La brune survoltée. » Je fronçai les sourcils. L’image d’une jeune femme souriante, assise au comptoir du restaurant et discutant avec lui se dessina dans ma mémoire. Je finis par hocher sobrement la tête. « Elle peint, elle a l’œil pour tous ces trucs-là. » Je me pinçai les lèvres, amusé. Ces trucs-là, il en parlait avec une telle désinvolture que sa modestie fleurissait à chaque mot. Il ne se vantait jamais. Ni d’être un bon pâtissier, ni de partager les qualités des esthètes, alors que je prenais toujours le temps de voir la vie à travers le prisme de l’art, laissant la lumière blanche de mon opinion se diffracter en mille couleurs nouvelles. C’était un avantage, certes. Cela dit, la sobriété et le caractère nonchalant de Graham restaient des atouts majeurs dans son travail : il restait simple car il était plus facile d’ajouter que de soustraire. Il était perfectionniste. Il lui suffisait donc de suivre des conseils pour atteindre l’excellence. Mais j’avais parfois tendance, au contraire, à m’élancer sur une voie accidentée, prétendant savoir où celle-ci me mènerait, jusqu’à me rendre compte que j’étais incapable de rebrousser chemin. J’étais ainsi, mes doigts courant sur le clavier de mon piano, mais celui-ci était fini, rompu par les limites de la sensibilité humaine. Il m’arrivait d’écouter la sonorité de la touche la plus grave, puis celle de la plus aiguë, ressentant au fond de mon cœur cette impression étrange d’être dans le couloir étroit de la réalité, étouffant entre deux parois dans lesquelles des portes avaient été creusées, se faisant face éternellement : le paradis et l’enfer, les appelait-on dans le jargon vernaculaire, mais ces lieux avaient d’autres noms, assez pour coudre entre les lettres un tissu d’éternité. « Je crois que je vois. Mais faudra que tu me la présentes, je voudrais me mettre à la peinture un de ces jours. » répondis-je finalement avec un sourire. N’avais-je pas l’étoffe de ceux qui ne se lassaient jamais d’apprendre ? Un éternel élève, mais j’avais renoncé au moindre diplôme – l’ironie redessinait la forme de mes pas. Où donc se trouvait la limite entre l’aspect matériel de l’esprit et l’idée abstraite qu’on s’en faisait ? Pourquoi notre savoir ne pouvait-il pas être infini ? Avait-il donc des frontières précises, comme si nous étions des boîtes pleines à craquer, forgées de mémoire et se fissurant parfois pour laisser couler les souvenirs ? C’était si terrifiant : se résoudre à ne pas pouvoir tout connaître.

« Diplomate ? Tu te souviens pas que certains fournisseurs voulaient plus de leurs contrats avec moi parce qu’ils me considéraient comme un tyran ? C’est pas pour rien que c’est Peter qui se charge de tout ce qui est relationnel, c’est lui le diplomate, moi j’me contente de grogner pour leur faire peur. » Un sourire traversa mes lèvres alors que je me remémorais en effet certains jours de crise où la morgue avait habillé les traits de Graham. Il donnait des noms d’oiseaux d’un air morose à ces gens qui n’y comprenaient pas grand-chose, se gardant d’être affable lorsqu’il se retrouvait en face d’eux car il savait se montrer courtois mais que certains ne méritaient pas ses efforts. Graham avait l’allure d’un ours : paternel mais renfrogné si son agacement était de sortie. Celui-ci me faisait toujours rire silencieusement, car je le comprenais sans m’en soucier vraiment. Mais il fallait bien des ingrédients pour cuisiner – tout comme je ne puisais pas dans le vide lorsque je jouais ou que j’écrivais. « Je m’en souviens, ne t’en fais pas. » soufflai-je avec malice, le regard pétillant. « Mais j’m’en occupe, j’suis sûr qu’il va adorer ton idée. Ça va donner une singularité de plus à la brasserie, c’est ce qu’on veut, à la base. » J’acquiesçai, satisfait. Je ne disais pas cela à Graham parce que j’étais moins à l’aise que lui au niveau relationnel. Mais il connaissait bien mieux Peter que moi. Ce serait plus simple pour lui de choisir les bons mots, même s’il avait l’air certain que son partenaire était convaincu d’avance. « Ravi d’ajouter une pierre à votre édifice, dans ce cas. » soulignai-je d’un ton espiègle. « On pourrait commencer ça pour les fêtes de Noël. Ca nous laisse un mois pour organiser le tout et ça nous donne un bon prétexte pour lancer le concept. Surtout que les gens raffolent de sucreries en fin d’année. » notai-je alors. « Tu crois qu’on pourrait avoir un stand au marché de Noël ? » demandai-je en tournant mon visage vers lui, un visage éclairé par une joie juvénile, presque trop accentuée, comme si le fait d’en parler me changeait en l’enfant que j’avais été autrefois. « Je suis sûr que j’ai un frère ou une sœur qui sera ravi de le tenir pour nous. » Et cet enfant jouait encore, quelque part, au fond de mon regard, défiant les limites de mon esprit, outre les fragmentations de mon âme, par-delà la lumière qui flamboyait dans mon cœur.
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() message posté Dim 24 Avr 2016 - 15:30 par Invité

River & graham — getting the most out of life isn't about how much you keep for yourself but how much you pour into others. ✻ ✻ ✻ Bon à rien. C’était souvent ainsi que ses professeurs, au lycée, l’avaient qualifié. Bon. À. Rien. Si Graham n’était pas encore titulaire du titre de Meilleur Ouvrier de France à cette époque-là, ils s’étaient tout de même trompés sur son compte ; en effet, à seize ans, Graham n’était pas un grand pâtissier mais le capitaine de l’équipe de basketball de son lycée. Il avait emmené ses partenaires jusqu’en final deux fois de suite ; ses talents avaient fait écho jusqu’à ce que l’université de Sydney lui propose une bourse d’étude afin qu’il puisse intégrer l’équipe du SUSF qu’il avait décliné avec tout le dédain du monde, contre l’avis de ses pères. Cela ne l’intéressait pas, non. Les études universitaires ne faisaient pas parties de son univers et il avait eu la conviction que s’il faisait des efforts pour terminer le lycée, il ne pourrait pas étendre son courage jusqu’au supérieur. Il n’y avait pas vu d’intérêt. Après tout, Graham ne courrait pas après la gloire, après la reconnaissance. Il ne voulait pas faire de son nom l’image d’une avancée scientifique ou les lettres d’une nouvelle ère politique. Il se foutait des débats sur le réchauffement climatique, il n’en avait que faire des concours de logique. Il avait méprisé ces professeurs qui l’avaient traité de bon à rien parce qu’il avait su, au fond de lui, qu’ils étaient absolument personne pour le juger, lui.
Alors, malgré les remontrances, malgré les soupirs et les tons accusateurs, il ne s’était pas laissé emporter par leurs airs condescendants. Il n’avait pas changé ses façons de travailler, il n’avait pas changé son attitude, il avait joué de sa valeur sportive pour toucher les frontières du raisonnable sans jamais réellement les franchir. Ses pères avaient été convoqués un nombre incalculables de fois pour des raisons de moins en moins catholiques ; il ne s’était jamais réellement calmé.
De toutes manières, il avait su qu’il n’avait pas eu sa place parmi tous ces autres étudiants qui rêvaient d’Oxford, d’Harvard, de la Sorbonne. Il voulait simplement partir en France pour apprendre à cuisiner. Il voulait simplement utiliser ses mains pour changer le monde au lieu d’utiliser sa tête comme tous les autres.
Il avait toujours été différent. Il l’avait su et au lieu de laisser le monde le réprimer, il s’était affirmé, peu importe les conséquences. Graham était bon à rien mais il ne se laissait pas faire. Graham était bon à rien mais cela ne lui faisait pas peur. « Je crois que je vois. Mais faudra que tu me la présentes, je voudrais me mettre à la peinture un de ces jours, » lui répondit River. Il esquissa un sourire. Cela ne le surprenait pas ; River était quelqu’un de très artistique, après tout. Le fait qu’il touche à tout se conformait à l’image qu’il s’était fait de lui au cours des mois. « Pour que tu te trouves une vocation et que tu me laisses tomber ? Hors de question. »  Il avait un sourire aux lèvres. Quelque part, même s’il avait aucun réel moyen d’en être sûr, il savait que River ne partirait pas comme ça. River était peut-être une âme libre, cependant, Graham était persuadé qu’il était le genre de personne à être fidèle. Le genre de personne à rester, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne.
« Je m’en souviens, ne t’en fais pas, » lui répondit-il à propos des conflits qu’il avait eu avec certains fournisseurs, lorsqu’il avait encore eu sa pâtisserie. Pour lui, c’était une preuve. Une preuve que River restait. Il savait qu’il avait eu besoin d’argent et qu’il avait repris son poste parce qu’il y avait un salaire à la clef, mais Graham était persuadé qu’il pouvait trouver mieux ailleurs. Qu’il le pouvait et que, pourtant, il était encore là. « Ravi d’ajouter une pierre à votre édifice, dans ce cas, » reprit-il. Graham sourit en entendant le ton enjoué de River. « On pourrait commencer ça pour les fêtes de Noël. Ca nous laisse un mois pour organiser le tout et ça nous donne un bon prétexte pour lancer le concept. Surtout que les gens raffolent de sucreries en fin d’année. Tu crois qu’on pourrait avoir un stand au marché de Noël ? » demanda-t-il alors. « Je suis sûr que j’ai un frère ou une sœur qui sera ravi de le tenir pour nous. » Graham haussa les sourcils. « Tes frères et soeurs, les mêmes qui voulaient dévaliser ma pâtisserie ? »  demanda-t-il, amusé. River et lui venaient de deux mondes complètement opposés. Graham n’avait peut-être pas été particulièrement riche mais ses pères avaient été aisés ; il n’avait manqué de rien en grandissant et avait parfaitement eu les moyens de s’installer en France. La situation de River, cependant, était beaucoup plus précaire. L’australien ne savait pas tout mais il se doutait que certains jours devaient être difficiles, même si la fratrie Kipling semblait soudée. « Je pense qu’on ouvrira le Beth’s Bistrot trop tard pour avoir un stand au marché de Noël. »  Ses sourcils étaient froncés alors qu’il réfléchissait. Au fond, River avait raison ; c’était un bon moyen de faire la promotion de la brasserie. Mais Graham savait que les dates étaient trop justes. Que le marché de Noël commencerait bien avant que la brasserie n’ouvre et que Peter et lui ne pourraient sans doute pas se permettre d’investir en étant si proches du but. « Par contre on peut envoyer tes frères et soeurs en vendeurs ambulants. T’sais, comme dans les concerts ou à certains spectacles, »  reprit-il. « Je dirais pas au marché de Noël, on aurait des problèmes. Par contre, juste après le lancement, on pourrait quadriller l’Hyde Park et les envoyer vendre des échantillons. Ils seraient payés au nombre d’articles vendus. »  Il haussa les épaules, ne sachant pas réellement si les frères et les soeurs de River seraient d’accord. Après tout, il ne les connaissait que vaguement—de la même manière, il n’avait jamais eu de frère et de soeur pour savoir comment cela faisait, à la maison.
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