"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Meant to be always find a way ft the great Thomas  2979874845 Meant to be always find a way ft the great Thomas  1973890357
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Meant to be always find a way ft the great Thomas

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() message posté Sam 21 Mar 2015 - 0:06 par Invité
“You never have to change anything you got up in the middle of the night to write.” Je me faufilais parmi les étudiants dans les couloirs étroits de la faculté de lettre. L’air était à la fois nostalgique et solitaire dans l’enceinte du bâtiment : j’avais presque étudié ici ! Pensais-je avec une profonde mélancolie. Les lumières des réverbères traversaient l’obscurité pluvieuse et glacée avec allégresse, avant de se fractionner sur le sol mouillé par les giboulées romantiques de Mars. Je me souvenais parfaitement de mes études et des exigences parfois extrêmes de mon ambition. J’avais depuis longtemps été ravagé par l’envie de vaincre la pauvreté de mon père. Et j’avais réussi, à force d’acharnement, de traitrises et de manipulation. Je pouvais me vanter d’occuper le poste de mes rêves à un âge très jeune, mais je ne ressentais aucune gloire dans les accomplissements de mon travail au Times UK. Tout n’était qu’une succession de faits tranchés et révolutionnaires, mais concrètement je louais les valeurs capitalistes d’un empire financier bien plus vaste que les mots. Je soupirai en suivant les mouvements de la foule jusqu’aux amphithéâtres de l’aile sud. Je savais que les cours de Thomas se déroulaient généralement l’après-midi et qu’il s’éternisait souvent à cause de ses pauses cigarettes à répétition. Certains le surnommaient le poète français, ou le solitaire, mais je le voyais comme un grand régicide. Il avait le pouvoir de calomnier les plaisances de la poésie et de tuer l’effervescence d’une douce matinée au Hyde Parc. Ses mots tranchants, avisés et subtils cheminaient autour de ma tête comme les poussières d’un chaos imminent. Il était parti après avoir envoûté mon âme et je me refusais à lui pardonner. J’étais à la fois hanté et effrayé par les ombres vespérales qui se cachaient sous ses longs cils bruns. Ses boucles n’étaient pas naturelles, il s’agissait de l’œuvre du diable en personne. Je me surpris à me languir du son de sa voix grave et mélodieuse. Les traits fatigués de son visage et ses cernes creux se confondaient dans ma mémoire afin de sublimer le fil de mes réflexions. J’étais amoureux d’une idée, d’un souffle – d’une présence.  Je fermais ma prise sur les corrections de mon éditeur, toujours pas de fin décente pour mon livre. Je levai les yeux au ciel d’un air ravi. Ce n’était pas important. Toutes les belles histoires étaient éternelles. Dans ma conception romantique, lamentable, égoïste, désespérante et agonisante ;  l’amour était dépourvu de toute forme d’orgueil. Il était à l’image de mes crises de colère ; fulgurant. Je marquai un arrêt avant de m’adosser aux piliers du département d’arts et de philosophie. C’était donc ici que se cachait ma muse préférée. Je me postai devant la salle de cours. Les fluctuations charmeuses de sa voix me parvenaient de loin, et encore une fois, je me transformais en ce fameux cobra, hypnotisé et somnolent.

Il se passa quelques trente minutes avant qu’il n’interrompe le débat pour rejoindre la sortie d’un pas pressé. Sa silhouette élancée scintillait dans la pénombre avant d’éclater en mille couleurs devant moi. J’haussai les épaules avec désinvolture avant de barrer les chemins menant à sa liberté. Thomas, je suis là. C’est moi. Mon visage était aussi lisse que de la glace, je battis des cils avant de lui adresser un hochement de tête courtois. « Eloigne-toi, Pars et ne reviens jamais ! Avais-je crié. La traitrise, le dépit, très certainement la folie. Les variances de ma voix transcendaient, impolies. La colère est mon unique conscience. Je suis éternellement perdu dans le ressentiment; Noir, rougeoyant, amoureux. Voilà l’ode à la confession, à la passion, à toi. Berenice, je voulais te dire que je t’attends. Mes sentiments d’amour resteront là. Parce que je me suis arrêté. Mon affection ravageuse est un mal. Et j’ai mal sans restriction. Je me suis élevé jusqu’au ciel. J’ai laissé ma dignité et la mort de l’âme. Mon imagination se fane parmi les miens. Au bout de l’allée, du gravier et du parc. Mon cœur court parmi les galeries. Au milieu des ruines et tes sorcelleries. Je me ploie dans l’obscurité sans échapper. Il y a tant de brisures sur ces murs. Le tourbillon tourne indéfiniment. Mais jusqu’à bout de force, de toi, Je me suis arrêté. Reprend moi.  » Récitai-je en fendant l’air en sa direction. « Voilà ma fin. Mon destin en suspens après une dernière déclaration. »  Je n’avais pas beaucoup réfléchi. Après une nuit de sommeil agitée, je m’étais tout simplement réveillée en pleine panique. Si j’exorcisais ma peine, mon amour et ma damnation, je me sentirais peut-être plus léger.  Je fis la moue avant de sortir un paquet de cigarettes mentholé, moins rustiques, plus éphémères que ce qu’il avait l’habitude de fumer. Je tendis le bras vers Thomas d’un air joueur avant de me pencher dangereusement. Je lui offris un briquet et une première tige de nicotine. Cette fois, on suivait le chemin le plus court vers l’absolution. « Vous m’avez menti, Thomas. »  Marmonnai-je avec lenteur. Je l’avais involontairement guetté, mais il n’était plus jamais réapparu sur notre banc. Il était comme un prophète du désert venu transmettre son message avant de retrouver l’oubli. Quel con ce type, voilà que je le vénère !  Je sentais encore le mépris insupportable qui s’était immiscé sous ma peau pendant mes attentes interminables – et pourtant, comme un animal égaré je revenais à sa rencontre. C’était une pulsion inexplicable. Je l’observais avec une certaine fascination, il me donnait l’impression que le mystère et l’étrangeté étaient les valeurs précieuses de l’existence mais je savais qu’il se trompait. Je levai le menton vers lui en esquissant un léger rictus. Les touches boisées et charbonneuses de son parfum envahissaient mes poumons, comme une nouvelle promesse.  « Les ondulations de la serpentine se sont moquées de ma solitude pendant des heures. » Soufflai-je avec un détachement feint. A vrai dire, je voulais toujours marquer les ravages de mon esprit sur ses arcades profondes. Je ressentais le besoin inéluctable de le frapper et de l’admirer jusqu’à la fin des temps. Je suis l’auteur orphelin, mais derrière les arabesques de tes cheveux indisciplinés je retrouve l’envie de me réinventer à nouveau. C’est ironique n’est-ce pas ? De chercher la lueur salvatrice au fond de la crevasse de la créature maléfique.  
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() message posté Ven 27 Mar 2015 - 22:58 par Invité
Est-ce que tu crois en l’amour, Tom ? Je levai les yeux vers les étudiants et suspendis ma phrase. Ce souvenir fissura ma mémoire. Il était faible et sombre, mais il était bien là. On m’avait posé cette simple question il y a quelques années, dans les recoins obscurs d’un bar, mais je ne me souvenais plus du visage de mon interlocuteur. Ce qui apparut dans mon esprit fut ma réponse. J’avais souri avec dédain. Je sais que l’amour existe mais je ne crois pas en lui. Je n’ai pas foi en lui. Il me laisse indifférent. Indifférent ? Oui. Je ne le ressentirai jamais, pourquoi m’y intéresser ? On ne peut pas forcer les gens à aimer. Mais pourtant, l’amour a produit tant de choses. L’amour a créé la littérature que tu affectionnes tant. Oui, la destruction, la folie, l’extase, la plénitude, le sexe, la poésie, la colère, la mort, la vie et le bonheur aussi. Et toutes ces choses me passionnent, mais je les obtiens sans amour. On avait levé les sourcils, sceptique, presque excédé par cet  air supérieur que mon regard adoptait en permanence. J’incite les gens à me détester pour qui ne fassent pas l’erreur de m’aimer. Malheureusement, être un connard, c’est devenu à la mode, je n’y peux rien. Et j’avais souri, laissant apparaître mes dents blanches et narquoises le temps d’une seconde avant de tourner la tête. L’amour n’a pas besoin que je crois en lui. Il a une infinité d’autres disciples dévoués à sa cause. Laisser échapper un rebelle ne lui coûte rien. Non, je ne crois pas en l’amour, mais lui ne croit pas en moi non plus. J’ai appris à vivre sans.
Et le souvenir s’éteignit. Je repris la parole et continuai mon cours.

Je passai la main dans mes cheveux et me grattai nerveusement. L’amphi était plein à craquer. Il faisait chaud et j’étais assis en tailleur sur le bureau. Je voulais rester immobile pour piéger la fraîcheur de ma peau dans mon corps. J’étais peut-être égoïste et inatteignable, du haut de mon perchoir, mais généralement les étudiants préféraient suer et me regarder sourire plutôt que de subir mon manque et ma mauvaise humeur. Cette vision de moi, ils ne voulaient même pas l’imaginer. Oh, l’exécrable misanthrope qui ne peut que mépriser son entourage. J’avais donc enfin réussi à créer cet aura autour de moi pour repousser les plus téméraires. Sauf que non, voilà que la mode n’avait fait qu’empirer : être un connard, c’est toujours à la mode, et devine quoi, être un anarchiste nihiliste aussi. Je soupirai lentement. Ils me regardaient comme on observait une exécution. L’air désolé et froid. Ils avaient sûrement besoin d’une pause. Ma main glissa jusque dans ma nuque et je haussai les sourcils, amusé. Dire que j’avais leur énergie entre les doigts. J’aurais pu être un dieu, dans une autre vie. Ou bien un dictateur. Les deux jouaient assez au con pour que je puisse m’identifier. J’affichai un mince sourire et fis valser ma main vers la porte de sortie. « Pause. » Leurs muscles se relâchèrent et le silence, l’harmonie à laquelle je voulais bien croire, fut brisé. On se leva, on se bouscula, on se précipita vers l’air frais de ce printemps qui venait de naître. Encore un, eh oui. Et parmi les bourgeons réapparaissait l’amour. Le fameux. Encore un an à ne pas y croire, pensai-je, la neutralité ayant à nouveau gagné mon visage. Je fus l’un des derniers à sortir, pourtant j’avais terriblement besoin d’une cigarette. Et à force de n’agiter que les mains pour ne pas avoir trop chaud, elles tiraient sur les muscles de mon corps tout entier. Ma main blessée me faisait encore mal, mais j’avais pris la résolution d’y faire plus attention. Il fallait parfois se rendre à l’évidence et emprunter à mon père sa plus grande qualité : son pragmatisme. Je n’allais pas pouvoir garder mon image si bien entretenue en ayant un handicap pareil. Il trahissait mon âme insurgée. Il trahissait ma véritable nature, mon long chemin vers la perdition. Mais pourtant les gens savaient où je me dirigeai, lentement, de ma démarche traînante. C’était facile de le deviner. Peut-être que mes yeux étaient noirs parce qu’ainsi, je pouvais voir à travers les ténèbres. Peut-être qu’ils brillaient la nuit, comme ceux d’un chat, comme deux amandes vertes et nettes au milieu du cimetière. J’avais toujours rêvé de m’endormir parmi les tombes, pour me réveiller le matin et les quitter encore vivant. Mais j’étais devenu insomniaque bien trop tôt. Je lorgnais sur quelques minutes de sommeil et laissais les morts en paix. Je sortis, une étrange sérénité peinte sur mes traits fatigués.

« Eloigne-toi, Pars et ne reviens jamais ! Avais-je crié. La traîtrise, le dépit, très certainement la folie. Les variances de ma voix transcendaient, impolies. La colère est mon unique conscience. Je suis éternellement perdu dans le ressentiment ; Noir, rougeoyant, amoureux. Voilà l’ode à la confession, à la passion, à toi. Berenice, je voulais te dire que je t’attends. Mes sentiments d’amour resteront là. Parce que je me suis arrêté. Mon affection ravageuse est un mal. Et j’ai mal sans restriction. Je me suis élevé jusqu’au ciel. J’ai laissé ma dignité et la mort de l’âme. Mon imagination se fane parmi les miens. Au bout de l’allée, du gravier et du parc. Mon cœur court parmi les galeries. Au milieu des ruines et tes sorcelleries. Je me ploie dans l’obscurité sans échapper. Il y a tant de brisures sur ces murs. Le tourbillon tourne indéfiniment. Mais jusqu’à bout de force, de toi, je me suis arrêté. Reprends-moi. »

Je levai les yeux. On s’adressait à moi. Je sortis ma main de ma poche sans avoir pu trouver mon paquet de cigarettes. Il était probablement dans l’autre. Il s’était posté devant moi, me barrant la route pour me faire cette déclaration. Je plissai des yeux. Je me raccrochai aux souvenirs. Les cheveux bouclés, Tom. Arrête d’être con. En effet, c’était ça, le détail que j’attendais afin que tout me revienne en mémoire. Je n’avais pas oublié la flamme qui animait ses cheveux bouclés. Il avait le regard brillant : il s’était décidé, aujourd’hui, à venir me voir, et cette fois il était préparé. Il avait ses répliques et il attaquait le premier. Ou peut-être qu’il avait appris à mieux manier la spontanéité. Arrête d’être con, Tom. Je souris, amusé. Ça, non, je ne pouvais pas m’en empêcher. Il s’était donc accroché à ma fumée lorsque j’étais parti, comme s’il se croyait capable de la suivre. « Voilà ma fin. Mon destin en suspens après une dernière déclaration. » Des étudiants s’étaient tournés vers nous : on ne m’abordait pas souvent de cette manière. Bravo Julian, tu as le mérite d’être encore surprenant. Tu n’as pas perdu cela durant l’hiver. Cependant, as-tu retrouvé ton premier amour ? Ses mots m’indiquaient que non. Son regard semblait suppliant et déterminé à tirer quelque chose de ma carcasse. « Bonjour Julian. » me contentai-je de lui répondre. « Vous ne vous êtes pas tourné les pouces cet hiver, à ce que je vois. » As-tu oublié d’être important, Julian ? As-tu compris que l’on ne vivait pas pour te contempler ? Il devait être pugnace et provocateur pour attirer l’attention. Sa véhémence lui accordait des points, sans doute. Mais j’étais content de le revoir. J’étais content de me souvenir de lui et de la brume qui entourait sa pensée. Je secouai la tête avec légèreté. J’étais content de remarquer qu’il n’avait pas encore brûlé.

Il me tendit une cigarette et un briquet. Je levai vers lui des yeux perplexes. Se foutait-il de ma gueule ou voulait-il simplement me rendre la pareille comme il pouvait ? Je saisis ses cadeaux et leur ironie logés au creux de sa paume et plaçai le filtre entre mes lèvres, allumant la cigarette à l’aide du briquet. Je n’avais pas quitté Julian des yeux. Tu vois, je peux le faire. Je peux m’abaisser à cette simplicité et laisser mon amour de l’éphémère et du bois brûlé de côté. Je peux même fumer des cigarettes mentholées, parce que ça aussi, c’était à la mode. Je fis glisser le filtre entre mes doigts et craquai la bulle de menthe. Elle redonna au tabac une certaine fraîcheur et cela me surprit presque lorsque la fumée pénétra dans ma bouche. J’avais l’habitude de ne plus rien sentir, et voilà que si, finalement. « Vous m’avez menti, Thomas. » A nouveau, je haussai les sourcils, tout en lui rendant poliment  son briquet. Il avait ce même air défiant et admiratif que j’avais découvert sur le banc. « Les ondulations de la Serpentine se sont moquées de ma solitude pendant des heures. » Je ris, et déjà la fumée m’enveloppait. Ne jamais se fier à l’homme que vous rencontrez par hasard sur un banc. Ne jamais le flatter, parce qu’il y prendra goût. Ne jamais le laisser entrer dans votre esprit : il y sèmera les graines de sa propre philosophie – mais elles ne sont que de mauvaises herbes dans votre jardin. « Il ne fallait pas m’accorder votre confiance si vite, vous savez. » m’enquis-je, rieur. « J’ai tendance à en abuser. Je vous demande pardon. » Pardon de t’avoir laissé dans ta solitude ? Tu n’as pas besoin de moi pour écrire. Tu n’as pas besoin de moi pour vivre. Tu n’as pas besoin de moi pour aimer. Et pourtant, te voilà de retour, prêt à te confronter à nouveau à mon sarcasme et ma répartie. Je croyais que tu avais de l’amour propre, Julian. Je croyais que tu te respectais. Ne viens pas traîner dans les bas-fonds de l’existence avec moi : tu risquerais de ne jamais écrire, de ne plus comprendre tes raisons de vivre et d’oublier d’aimer. « Pourquoi Berenice ? » Je lui adressai un regard interrogateur et, cette fois-ci, fronçai les sourcils. Explique-moi, Julian, pourquoi tu aimes cette femme. Dis-moi d’où vient son nom. Essaie de me convaincre de croire en l’amour, pour que je puisse t’observer échouer lamentablement. Sois un disciple dévoué lorsque je ne suis qu’un homme de l’ombre. Tu sais pourquoi mes yeux sont si noirs ? Parce que la lumière du jour les empêche de briller.
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() message posté Ven 17 Avr 2015 - 12:48 par Invité
“You never have to change anything you got up in the middle of the night to write.” J’étais transporté par un sentiment d’allégresse étrange. Je reconnaissais l’étreinte à la fois charmeuse et trompeuse de l’abandon : c’était le souvenir de ma rencontre fortuite avec Thomas sous les lueurs écarlates du Hyde Parc. Je me souvenais encore de son apparition et des arabesques de sa chevelure ébène qui ceindraient majestueusement le vent. Je me souvenais de ses traits allongés, de ses cigarettes délicieuses, de ses obsessions pour l’éphémère, mais surtout, de son regard voilé d’obscurité. Je joignis mes mains sous mon menton d’un air songeur. Cette image se dessinait de plus en plus nettement devant moi. Sa voix battait encore contre mes tempes pendant mon sommeil afin de titiller mon égo, et il osait prétendre être simplement humain. Cet homme était un chevalier ténébreux qui fauchait les vies par million. Un anti-héros que le peuple acclamait à la place du justicier masqué. Sa silhouette élancée scintillait dans l’horizon lointain, annonçant un désastre imminent. Le mien, très certainement. Je serrai les dents, prêt à l’accueillir dans toute sa splendeur. Tu vois, je ne suis pas aussi pathétique que ça. Je prends l’initiative de me jeter dans la gueule du loup. Ou devrais-je dire le chat ? Je ris discrètement, persuadé que s’il entendait le cours de mes pensées, il trouverait malin plaisir à critiquer mes excès de zèle et mes penchants pour le suicide au lieu de saluer ma prestance ou mon courage. Je fis un pas vers lui, les mains tendues comme pour enlacer un être cher depuis très longtemps perdu de vue, avant de me rétracter. Je lui vouais une admiration presque malsaine. Pourquoi diable, de tous les esprits penseurs que j’avais un jour eu le malheur de contredire, fallait-il que mon Némésis soit aussi captivant ? Il était si beau, si impétueux et si insouciant. « Bonjour Julian. Vous ne vous êtes pas tourné les pouces cet hiver, à ce que je vois. » Souffla-t-il avec un certain détachement. Son timbre particulier flottait autour de ma tête comme un chant funeste. Je m’inclinais de manière involontaire – Il se souvenait de mon prénom. Mieux encore. Il le prononçait avec une telle impudence, qu’il sonnait comme une mélodie grave de la plus belle symphonie de Bach. Mes yeux perçants croisèrent sa bouche voluptueuse et les fumées grises qui s’enroulaient autour de son souffle brûlant. « Thomas. » Je voulais mimer son ton théâtrale et profond, mais ma langue ne fit que claquer au contact de mon palais. Je n’égalais en rien son éloquence et pourtant je m’accrochais à l’illusion de lui tenir tête encore un peu. Le cadavre d’un ennemi sent toujours bon. Celui de Thomas était certainement trop épicé, car même si j’appréciais les effluves qui se dégageaient de sa dépouille pourrissante, je devenais rapidement malade en reniflant ses membres inertes.

Ses gestes étaient lents et accordés. Je me surpris à suivre chacun de ses mouvements lorsqu’il alluma la cigarette mentholée à l’aide du briquet, comme si je peinais à imprimer cette réalité. Pour moi, Thomas n’était pas un homme qui tombait dans la facilité et pourtant il me prouvait qu’il pouvait s’accommoder à la vie comme tous les autres. Il venait de briser le mythe, mais je suppose que c’était une partie du deal. Il m’avait déjà prévenu. Il me décevrait jusqu’à ce que je ploie face à l’horreur de ses propos. Mais je suis bien plus tenace que j’en ai l’air. Je ne te laisserais pas m’avoir sans protester. Je pris une cigarette à mon tour afin d’assouvir mes besoins de nicotine. Je me glissai vers le mur afin de mieux lui faire face, mais j’avais beau lever le menton ou déployer mes ailes, Thomas me surplombait toujours. Avait-il des origines célestes en plus de la science infuse ? J’arquai un sourcil en crachant des tourbillons de fumée à travers la gorge. « Il ne fallait pas m’accorder votre confiance si vite, vous savez. J’ai tendance à en abuser. Je vous demande pardon. » Encore ses excuses bidons ! Je ne savais pas si je devais me sentir offusqué par son ironie, mais je pouffai de rire en faisant la moue.« Je commence à mieux apprécier votre ... Humour … » Hasardai-je, amusé. « C’est un grand pas vers le dressage de la bête sauvage. Vous ne pensez pas que vous serez fauve pour l’éternité, n’est-ce pas ? » Me moquai-je. J’étais probablement trop insolent, mais je voulais m’armer afin de le rejoindre dans la sphère imaginaire qu’il se représentait de la vie idéale et de toutes ses contradictions. Nous étions trop différents pour nous rejoindre autre part de toute façon, je pouvais encore admirer les hautes lumières du fond de ma crevasse tandis qu’il s’enfonçait chaque jour un peu plus dans son désespoir. Il ne croyait pas en l’amour ? Il était tout simplement incapable d’aimer, et comme tout être stupide et imbu de sa personne, il refusait de croire qu’une aussi belle chose existe sans se manifester. Mais l’amour était partout autour de nous ; dans les yeux innocents d’un enfant, entre les cuisses ouvertes d’une escortgirl, ou dans la dose quotidienne d’un junkie. C’est l’amour de soi et la satisfaction de nos vices cachés. « Pourquoi Berenice ? » M’interrogea-t-il en fronçant les sourcils. C’était la première fois que son visage exprimait autre chose que l’apathie. Les mots s’échappaient de sa bouche vicieuse, contournées par les filets de fumée amorphes de sa cigarette. Je me penchai avec recueillement, affligé par une tristesse soudaine. Je sombrais dans les méandres de mes souvenirs avant de me redresser avec nonchalance. Je m’évertuais à renier les appels du passé, mais malgré mes efforts acharnés – ils restaient là ; comme une partie immuable de mon identité. Je soupirai avant de lui sourire de toutes mes dents, dévoilant ainsi les versants chaleureux de ma passion. Je passai ma main dans ma chevelure dorée en prenant une longue latte. « Berenice signifie "porteuse de victoire". Je pense qu’une fille à tout à gagner en recevant mon amour. » Faux ! Eugenia s’appelle Berenice. Je me tortillai lentement avant de reprendre mon sérieux. « Je veux qu’elle se reconnaisse en lisant mon roman, alors j’ai pris son vrai prénom tout simplement. Il faudra questionner ses parents sur les origines ou les raisons qui les ont poussés à la nommé comme ça. Pour moi, ce n’est qu’un moyen d’arriver à mes fins. Voyez-vous, l’amour est une valeur précieuse mais il est modulable. Il prend la forme de celui qui le porte. A mon image, l’amour est égoïste et pathétique. » Je me concentrai sur lui. « Le vôtre est certainement trop éphémère pour être perceptible. Mais il est là. ».

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() message posté Jeu 30 Avr 2015 - 19:54 par Invité
« Thomas. » Bouffée de menthe. Puis je plissai les yeux, attentif. Mais il se contenta de mon simple prénom. Le strict nécessaire. Il gardait ses pensées pour lui. On apprenait tant des autres en les regardant faire les choses les plus simples. Saluer quelqu’un par exemple. Si ma manière jouait sur l’ironie et lui montrait que oui, malgré tout, je me souvenais de lui, la sienne reflétait quelque chose qui m’amusa instantanément. Il retenait ses pensées et entrait dans mon jeu. Ne m’avait-il pas annoncé lui-même, qu’il lui tardait de devenir comme moi ? S’il savait ce que c’était, il rebrousserait chemin immédiatement. Mais Julian semblait être de ces êtres qui voyaient tout comme une aventure. Cela faisait partie de l’orgueil qui coulait dans ses veines : il était le héros d’une épopée appelée la vie. Il y rencontrait ses monstres, ceux dont je faisais probablement partie. Mais c’était parce qu’il me définissait comme tel : insaisissable, incompréhensible, arrogant et destructeur. C’était une belle description, assez juste, mais presque banale. Je restais une énigme car j’avais l’habitude d’exposer les indices les plus évidents à tout le monde afin d’occulter ce qui était réel. Ainsi, on ne se concentrait que sur ce que l’on voyait. Le reste devenait secondaire. Je le gardais pour moi. Je lui souris, comme pour placer dans son esprit le souvenir qu’il avait de moi. Un moyen subtil de le prévenir. Mais n’était-il pas un héros courageux ? Les monstres ne le terrifiaient pas. Il connaissait leur unique faiblesse. Je voulais savoir s’il avait découvert la mienne. Ses yeux me signifièrent que non. Il avançait dans la mauvaise direction. J’avais arrêté d’être un aigle depuis longtemps. Je suis humain, Julian. Une fois qu’il aura compris cela, il pourra creuser dans un terreau plus accueillant.

« Je commence à mieux apprécier votre … humour … » Mon sourire s’accentua. Ah bon ? « C’est un grand pas vers le dressage de la bête sauvage. Vous ne pensez pas que vous serez fauve pour l’éternité, n’est-ce pas ? » Je ris. Voilà qu’il m’enlevait les ailes et qu’il me dessinait des griffes. N’étais-je pas la chimère étrange qu’il rencontrait au fond de ses rêves ? Ne représentais-je pas son inconscient, ses désirs inavoués, ses rêves inatteignables ? J’étais le monstre qui le séduisait et qui le perdrait, comme tous ceux qui osaient venir à moi. Il ne pouvait me combattre de front. Encore cette histoire de faiblesse, mais il fallait qu’il s’entoure de l’ombre qui m’animait pour qu’il puisse la découvrir. Il ne me percerait à jour que dans mon repaire le plus profond. C’était là le dilemme. On ne sortait plus de cette antre ensuite. On y restait bloqué et on y mourrait à mes côtés. Que lui apporterait la victoire ? L’orgueil lui empêchant d’atteindre le ciel. Et il deviendrait chimère avec moi : je voyais déjà le lion rugir dans les reflets dorés de la crinière qui lui ornait la tête. Il lui manquait le bouc et le serpent. Cette domination perverse et ce mensonge que je maîtrisais tant. Tu n’es pas prêt, Julian. Il ne le serait jamais. Il avait l’étoffe d’un souverain, mais il n’était pas assez fort pour réussir à se laisser corrompre et vivre de cette noirceur. Les choses avaient de l’importance. Il regardait vers le ciel et y voyait l’espoir, lorsque moi je n’y retrouvais qu’une infinité qui me terrifiait. Elle me rappelait mon entre-deux. Mon vide. La dimension dans laquelle j’avais réussi à entrer mais de laquelle je ne pouvais à présent plus sortir. Ce qu’il voyait là n’était qu’une ombre. Il l’avait déjà rencontré sur le banc, mais elle s’était estompée depuis. Mes gestes étaient moins précis, quoique toujours élégants, ma peau plus blanche, ce qui faisait ressortir le noir de mes traits. Il pouvait tendre le bras et essayer de me toucher. Ressentir encore la satisfaction de savoir que j’étais toujours réel. Mais pour combien de temps encore ? Je comptais dans ma tête les secondes me séparant de ma disparition fatale, comme si devant moi siégeait un sablier dont chaque grain ne se privait pas de se moquer ouvertement de mon insolence. Mon monde n’avait aucun sens. Julian tentait tant bien que mal de lui en donner un, et c’était ce qui me faisait le plus rire. On ne dansait pas avec les morts. Ils étaient morts, bordel. Ils possédaient un rythme qui tu n’auras jamais. Il faudrait que tu me vendes ton âme pour y parvenir, et j’étais assez malin et assez mauvais pour te laisser faire. Le diable agissait toujours de la même manière : il présentait, alléchait, esquivait et laissait le choix afin de mieux emprisonner sa proie. Tu ne t’en sortiras pas ainsi, Julian. Reste là où tu es. Je voulais lui dire. Mais quelque part, je préférais me délecter de ses échecs plutôt que d’acclamer ses victoires. Il était bien trop vaniteux pour que l’on continue à le flatter. Et moi alors ? Oh, mais moi, c’était une toute autre histoire. « Non, je compte mourir un jour. Le plus tôt sera le mieux, mais je laisse faire le temps. Je lui donne simplement un coup de main de temps à autre. » répondis-je en agitant ma cigarette avec malice. Le tabac me tuerait. C’était prévu à l’avance, comme un accord tacite que j’avais fait avec l’existence. Vous me laissez voler dans les cieux les plus étranges et en échange, vous me tuerez dans la fleur de l’âge de la manière la plus banale qui soit. J’étais l’être qui apparaissait lorsqu’on ne l’attendait pas mais tout le monde savait à l’avance comment j’allais finir. Voilà l’une des évidences que j’affichais publiquement et que l’on ne pouvait pas ignorer.

« Berenice signifie ‘porteuse de victoire’. Je pense qu’une fille a tout à gagner en recevant mon amour. » Je souris et clignai des yeux, amusé par ses mots. Il avait le don de me divertir, je ne pouvais pas lui retirer ce talent. « Je veux qu’elle se reconnaisse en lisant mon roman, alors j’ai pris son vrai prénom tout simplement. Il faudra questionner ses parents sur les origines ou les raisons qui les ont poussés à la nommer comme ça. Pour moi, ce n’est qu’un moyen d’arriver à mes fins. Voyez-vous, l’amour est une valeur précieuse mais il est modulable. Il prend la forme de celui qui le porte. A mon image, l’amour est égoïste et pathétique. Le vôtre est certainement trop éphémère pour être perceptible. Mais il est là. » conclut-il. Il avait ce ton légèrement insolent qui caractérisait sa témérité que j’aimais tant. Voilà qu’on allait parler d’amour ? En fumant nos cigarettes et cuisant sous le soleil de printemps ? Je ne comprenais pas l’amour. Je le voyais, mais il m’était étranger. Il ne me fascinait pas, tant tout regorgeait d’amour. Je le trouvais superficiel. J’avais choisi des moyens beaucoup plus radicaux pour m’autodétruire. Il était mièvre, fade, comme l’odeur du tabac froid. Il était à la mode et tout le monde se bousculait pour le ressentir. L’amour était une drogue qui ne provoquait plus rien en moi. Comme la cigarette. Ephémère, brûlant, corrosif et pourtant si agréable. C’était ça, n’est-ce pas ? C’était ça qui émouvait le plus. Que l’on puisse tant s’aliéner, tant souffrir, tant rire, tant vivre par amour. Julian en avait fait l’œuvre de sa vie et moi je l’écrasais au fond de mon cendrier. « Marchez avec moi, Julian. » Je lui intimai de me suivre d’un signe de tête avant de faire volte-face et de descendre les quelques marches menant au centre de la cour, sans l’attendre. Je savais qu’il viendrait. Mon orgueil le savait. J’avais besoin d’un café mais également d’air frais. C’était l’occasion de se dégourdir les jambes. Rester assis sur un banc ou se toiser longuement sans esquisser le moindre geste, ça finissait par me donner des crampes. Je marchai lentement pour qu’il puisse me rattraper. Une fois qu’il fut à ma hauteur, je poursuivis sans le regarder. « Vous vous évertuez à me décrire avec un optimisme qui m’étonne. Vous semblez croire en quelque chose d’invisible. Mon amour n’est pas éphémère. Il n’est tout simplement pas. Ce n’est pas par mauvaise volonté, plus par déception. » Je soufflai la fumée avant de reprendre, toujours sur le même ton. « On m’en parle tous les jours et je le vois partout. J’ai appris à ne plus m’en moquer. » Je tournai finalement la tête vers lui et soutins son regard. « Aimer c’est donner. Berenice recevra une part de vous lorsqu’elle saura que vous l’aimez. Elle devra vivre avec. Et elle en sera peut-être très heureuse, je l’ignore. Mais je refuse d’offrir ainsi un morceau de moi-même car je sais pertinemment qu’il ne sera pas apprécié. Je ne veux pas ruiner une vie supplémentaire. La mienne me suffit amplement. » Et je savais que personne n’était assez résistant pour cela. Sauf les êtres qui me ressemblaient. Mais vous saviez bien à quel point je méprisais ceux-là. Autant que je me méprisais moi-même, non ?
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() message posté Lun 11 Mai 2015 - 20:07 par Invité
“You never have to change anything you got up in the middle of the night to write.” Je restais immobile face à sa prestance singulière. Thomas semblait s’imprégnait d’une aura d’autodestruction comme s’il désirait disparaitre de toutes ses forces. Cependant, je demeurais persuadé que même s’il se donnait la mort, il resterait toujours vivant. Son esprit malheureux était prisonnier d’une époque qui lui ceignait à merveilles, malgré ses protestations et les courants tumultueux de ses philosophies absolues. Les volutes de fumées mentholées enlaçaient son souffle brûlant alors que je plongeais dans cette ambiance épaisse et tiède d’ennui béat, d’indolence et d’insouciance qui le caractérisait tant. Un sourire morne se traça sur mon visage, alors que je le rejoignais jusqu’au bout du rêve de lassitude qu’il miroitait au loin. Je ressentais une immense gratitude en hochant la tête en sa direction. Vague divinité. Vague être-humain. Où est donc la différence ? Toutes les prières s’évanouissent dans le psaume d’une voix étouffée de toute manière. L’apathie était une chose plaisante. Ni la joie, ni la douleur n’osaient s’élever contre ma volonté de ne rien ressentir. Les bruits des couloirs n’étaient plus que murmures. Les nuances grisonnantes des murs n’étaient que des crépis sales et délaissés. Je retins mon souffle avant de cligner des yeux. Je comprenais parfaitement ce genre de bonheur simple, malheureusement je n’étais pas taillé dans le même marbre glacé que le professeur de littérature. J’éprouvais beaucoup de difficultés à supporter ce genre d’ambiance morose. Cela suscitait en moi une forme de dégout intolérable, et je me surpris à rechercher l’intensité dans des sentiments sombres et douloureux. Peut-être que je ne gagnerais jamais face à la médiocrité insipide de tes journées. Mon âme agitée par la détresse violente de la haine ne peut capituler face à ton existence prétendument agréable.

Il rit à ma remarque avant de se dérober de mon emprise. Thomas était une ombre inatteignable et fugace, pourtant je voulais croire qu’il pouvait choir à quelques mètres de mon tombeau. Ainsi, nous serions ensemble pour l’éternité, lui enfumant son âme esseulée, et moi l’adulant pour cet acte stupide et complètement dérisoire. « Non, je compte mourir un jour. Le plus tôt sera le mieux, mais je laisse faire le temps. Je lui donne simplement un coup de main de temps à autre. » Je levais les yeux au ciel alors qu’il agitait malicieusement sa cigarette. L’air se dissipait le long de mes flancs, et les vagues entouraient mes pieds, s’élevant, mugissant et s’affaissant d’un coup. Le temps semblait s’être figé. Je me sentais prisonnier dans le chaos étouffant de ses paroles. C’est ce que tu désires ? M’enchainer à tes sortilèges étranges ? Il pouvait prendre toutes les formes animales qu’il désirait, mais sa morsure demeurait toujours la même ; d’une douleur cuisante et infernale. Je voulais tant lui ressembler mais il y avait à l’intérieur de ma poitrine le besoin sauvage d’éprouver des sensations intenses, mortelles si nécessaire. Je troquais volontiers une rage de quelques secondes contre une existence en demi-teinte, uniforme, stérile, voilée uniquement par les reflets lointains du désarroi. Moi, je préférais me délecter du cœur de la douleur. Je voulais devenir fou et effleurer les limites de ma conscience humaine, quitte à ne plus jamais revenir. J’avais tout à coup une envie furieuse de détruire quelque chose, les piliers du couloir, l’immense amphithéâtre, la mâchoire carrée de Thomas, mes propres phalanges … Je le regardais en fulminant. La sueur perlait sur mon front alors que je tirais nerveusement une longue latte. La nicotine ne pouvait plus m’apaiser à présent. Je soupirai en pinçant la bouche avant de faire un pas à reculons. « Je peux donner un coup de poing. » Sifflai-je en me redressant. Je ne savais pas s’il m’avait entendu. Je préférais que ce ne soit pas le cas, mais le contraire ne me chagrinait pas pour autant. Après tout, je ne désirais pas cacher mes faiblesses face au grand maître des ténèbres, car rien ne m’inspirait un sentiment plus vif de haine et de dégout que son contentement, son bien-être à la fois optimiste et pessimiste et sa volonté de laisser prospérer le passable. Tu as lâché prise trop tard. Je peux voir quel genre d’homme se cache derrière ton masque de fauve, Tom. Si tu es à la fois l’aigle royal, le chat solitaire, le loup galeux et la pieuvre géante – alors je refuse de croire que ta lassitude est un don des cieux. N’essaie pas de me faire croire que tu es né médiocre. Tu l’es devenu à force d’errer parmi les autres médiocres qui ont croisé ton chemin.

Je restais attentif à ses gestes mélancoliques. J’avais l’impression que nous étions seuls dans un univers étrange et solitaire. Thomas hocha la tête avant de m’inviter à le suivre dans l’enceinte du bâtiment, m’entrainant dans les steppes vertes sépulcrales de la bête sauvage. « Marchez avec moi, Julian. » Mon prénom raisonnait dans le vide comme une musique symphonique. Je le suivais sans omettre la moindre objection. Je le suivais comme un vulgaire automate car mon cœur ne connaissait pas de direction différente que les basfonds. Sa démarche lente et noble vacillait au loin avant que je ne puisse le rattraper. Cependant, malgré la proximité de nos corps et l’air frais qui s’engouffrait dans ma chevelure indisciplinée, je me sentais toujours captif de sa magnificence – comme si deux étoiles contradictoires ne pouvaient brûler dans le même ciel. Ma main se ferma sur mon paquet de cigarette alors que je me servais à nouveau. Je calai une tige entre mes lèvres, le regard lointain. « Vous vous évertuez à me décrire avec un optimisme qui m’étonne. Vous semblez croire en quelque chose d’invisible. Mon amour n’est pas éphémère. Il n’est tout simplement pas. Ce n’est pas par mauvaise volonté, plus par déception. On m’en parle tous les jours et je le vois partout. J’ai appris à ne plus m’en moquer. » Sa voix rythmait mes pensées abîmées, mais je ne l’interrompis pas, avide de l’écouter encore et encore. Il avait une façon étrange de captiver mes sens. Mon cœur tremblait au gré des flottements de ses boucles aussi noires que les jais. « Aimer c’est donner. Berenice recevra une part de vous lorsqu’elle saura que vous l’aimez. Elle devra vivre avec. Et elle en sera peut-être très heureuse, je l’ignore. Mais je refuse d’offrir ainsi un morceau de moi-même car je sais pertinemment qu’il ne sera pas apprécié. Je ne veux pas ruiner une vie supplémentaire. La mienne me suffit amplement. » Je souris avec retenue, tentant d’emprisonner ma témérité dans un moindre enthousiasme. J’étais friand de longs débats sirupeux mais Thomas m’impressionnait. Je voulais m’accorder à ses valeurs et vaincre ses spéculations – c’était stupide et pourtant je ne pouvais lutter contre mon envie de le marquer au fer rouge. Je m’arrêtais un instant au détour d’un couloir. « Je pensais que vous souffriez de l’égoïsme cruel des grands Hommes. Pourquoi vous souciez-vous d’une moindre vie ? D’une quel conque espérance ? L’amour porte en lui le germe de sa destruction, mais aussi l’espoir de son éternité. Je suis nihiliste en général, mais optimiste au nom de l’art, de la musique et de l’amour. » Je fis la moue en lui faisant face. Mes yeux brillaient d’un éclat malveillant. « Si je ressens la haine, c’est que je peux m’imprégner de son contraire. Il est temps que l'homme se fixe à lui-même son but. Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître. Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Ainsi parlait Zarathoustra, ainsi je vous le répète.» J’haussai les épaules en lui tendant à nouveau une cigarette. S’il pensait que l’amour n’était tout simplement pas, je désirais au moins qu’il admette que rien dans ce monde ne pouvait naître sans un peu de volonté. Il portait en lui assez de chaos pour donner naissance à une étoile, mais les cendres qui auréolaient ses traits glacés refusaient de se soumettre à la beauté de la vie – pour lui, tout n’était que dérision dans l’attente d’une délivrance qui tardait à venir.

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() message posté Jeu 28 Mai 2015 - 19:58 par Invité
« Je peux donner un coup de poing. » Je relevai les yeux vers lui. Il avait soufflé ces quelques mots mais ne me les adressait pas vraiment. Ou si c’était le cas, il ne comptait pas les répéter de sitôt. Il franchissait la frontière qui nous séparait et s’offrait des familiarités que je ne lui permettais pas. Mais il se les octroyait avec un léger sourire qui me plaisait toujours autant et je le laissais faire. Vas-y Julian. Tutoie-moi, menace-moi, moque-toi de moi comme je sais si bien le faire de toi. Venge-toi, quelque part, de cet inconnu qui a croisé ton chemin, qui a perturbé tes pensées et qui t’a fait prendre conscience que tu te décevais toi-même, que tu n’étais pas à la hauteur, que tu avais encore du chemin à parcourir. Tu sais bien à quel point il a déjà oublié les blessures qu’il a pu t’infliger, les sourires agacés qu’il a pu t’arracher, le tourment qui grondait dans ta poitrine alors qu’il te rétorquait quelques mots avec plus d’éloquence et de charme que tu ne pourrais jamais ne serait-ce que rêver d’avoir. Julian provoquait en moi un sentiment d’orgueil si fort que je commençais à croire qu’il valait mieux en rester là. Lui sourire une dernière fois et lui demander de s’en aller avec courtoisie. Ses piques enflammées ne provoquaient rien en moi à part de l’amusement. Je n’étais pas sympathique, j’étais un vague conseiller improvisé auquel il n’avait pas le droit de faire confiance, mais à présent qu’il m’avait dans sa ligne de mire, il ne voulait pas louper son coup. Il ne voulait pas me laisser repartir comme le voleur que j’étais, l’ombre filiforme disparaissant dans la foule sans aucun bruit, sans lui dire si j’allais revenir le hanter un jour. Sûrement. Le souvenir qu’il avait de moi semblait déjà le hanter, puisqu'il ne pouvait plus supporter mon absence. Alors que venait-il faire ici, planté devant mon regard critique et mesquin ? Voulait-il me convaincre de quelque chose ? Voulait-il m’assurer qu’il était plus que le simple écrivain en manque d’inspiration, perdu sur son banc, abandonné de tous ? Voulait-il me prouver que j’avais tort ? Je souris à cette pensée avant de lui répondre : « Ne le faites pas. Je risquerais de riposter. » Je l’imaginais perdre ses moyens et m’assener un coup sur le visage parce que j’étais allé trop loin à son goût. Pourtant, le seul qui transgressait les règles, le seul qui s’amusait à me provoquer, le seul qui osait attirer mon attention aujourd’hui, c’était lui, pas moi. Mais je n’étais pas du genre à attraper mon interlocuteur par le col et le forcer à s’excuser, sous peine qu’il se retrouve au tapis. J’étais en retrait. Je ne pouvais pas me battre et fumer en même temps, c’était terriblement ennuyeux.

Il me rejoignit finalement, se rythmant à mon pas mais dansant presque autour de moi pour capter mon attention. Il m’écouta, pensif, puis sourit à son tour, même si son sourire était comme un masque, cachant un désir plus subtil et non une simple amicalité. Je reconnaissais là l'homme débattant avec moi avec la véhémence d’une jeunesse qui continuait à avancer, même si elle était bloquée sur le fil du rasoir. Il s’arrêta mais je fis quelques pas avant de faire de même et me retourner pour lui faire face, la cigarette plantée dans la bouche, fumant d’un air étrange et attentif. Dis-moi ce qui te tracasse tant, Julian. Tu sais bien que j’ai réponse à tout et que je m’emporte rarement pour quelques mots prononcés dans l’effervescence d’un espace public. Pas que les tiens soient futiles ou inintéressants. Mais ne me crois-tu donc pas lorsque je te dis de ne pas me faire confiance ? Tu n’accepteras le danger qu’une fois que le loup t’aura arraché la jambe, c’est cela ? Je serrai les mâchoires et lui accordai un sourire froide pour qu’il se lance. « Je pensais que vous souffriez de l’égoïsme cruel des grands Hommes. Pourquoi vous souciez-vous d’une moindre vie ? D’une quelconque espérance ? L’amour porte en lui le germe de sa destruction, mais aussi l’espoir de son éternité. Je suis nihiliste en général, mais optimiste au nom de l’art, de la musique et de l’amour. » Mon sourire s’accentua : en général ? Tu te fous de ma gueule ? Je ne relevais pourtant pas, de peur d’être trop cassant si tôt dans la conversation. Je ne me souvenais pas de l’avoir pris au dépourvu dès le départ, lorsque nous nous étions rencontrés sur le banc, au parc. Mais peut-être que je me trompais. Peut-être que ma mémoire me faisait défaut, comme d’habitude. « Si je ressens la haine, c’est que je peux m’imprégner de son contraire. Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître. Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Ainsi parlait Zarathoustra, ainsi je vous le répète. » Je fis un pas vers lui et relevai le menton, feignant la surprise : « Un but. » Je jouais à être celui qu’il voyait en moi en prononçant ce mot avec dégoût et moquerie. Je souris ensuite pour le rassurer : j’étais bien trop détaché pour y prêter attention. Son opinion était noble et à nouveau il accentuait son air de nietzschéen sûr de lui qui lui allait si bien. Il en venait même à répéter les mots de son Zarathoustra adoré. Mais il n’arrivait qu’à pincer mes lèvres de malice. Suis-je donc cet être méprisable dont tu parles, Julian ? Crois-tu que mon orgueil m’a poussé jusque-là ? On aurait pu l’admettre, en effet, car ce rôle me correspondait quelque part. Celui qui semblait au-dessus des autres. Celui qui se voyait au-dessus des autres. Celui qui se savait au-dessus des autres. Mais Julian pensait-il toujours que j’étais ainsi ? N’avait-il toujours rien compris ? Tu n’es pas important, je ne le suis pas non plus. Je parle de toi comme je parle de tout le monde, comme je parle de moi-même et je nous méprise tous avec une égalité qui en surprenait plus d’un. J’attrapai la cigarette qu’il me tendait après avoir jeté la mienne sur le sol et pris le temps de craquer une allumette avant de faire volte-face et de continuer de marcher. Le café n’attendait pas. Mais Julian, lui, si. Julian attendait ma réponse, il attendait ma pique gracieuse et éloquente pour pouvoir avoir l’impression de m’approcher, de mieux me connaître, de mieux m’apprécier. Je savais ce qu’il en était. Plus il s’avancerait et plus il me détesterait. « Je ne suis pas en train de dire que l’amour n’existe pas. Mais vous ne pouvez pas forcer les gens à aimer. Vous aimez, vous haïssez, soit. De mon côté, je n’ai pas le temps de haïr et je n’ai pas envie d’aimer. » Je ressentais cela comme une libération étrange. Un problème dont je n’avais pas à me préoccuper. Et peut-être que je paraissais aride et stérile, avec mon flegme et mes manières, mais qu’avait-il à me reprocher ? Il ne me connaissait pas, après tout. « Vous pouvez écrire un livre entier à une femme, chanter ses louanges et la flatter avec la poésie la plus raffinée qui soit, elle ne sera pas forcée de vous aimer en retour. » Je continuai mon chemin jusqu’à l’entrée de la cafétéria mais n’y pénétrai pas directement, préférant terminer ma cigarette plutôt que de la gâcher. « Vous pouvez toujours tenter de sonder mon âme pour y découvrir ce que vous voulez y voir, mais vous vous lasserez avant moi. Si je dois être le type méprisable et méprisant dans l’histoire, celui qui revient dans le présent pour témoigner de la sécheresse et de la pauvreté du futur, et bien soit, accordez-moi ce rôle. Vous n’êtes pas le premier et vous ne serez certainement pas le dernier. » Tu le sais au fond de toi, Julian. Tu le sais que je m’en moque. Alors ne t’acharne pas. Consacre-toi à ceux qui portent en eux l’espoir d’un renouveau, car celui-ci se noie dans les ténèbres de mes prunelles. Mais certains ont les yeux beaucoup plus clairs, à l’image de leurs âmes.
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() message posté Sam 25 Juil 2015 - 23:23 par Invité
“You never have to change anything you got up in the middle of the night to write.” Ça me manquait. De penser sans arriver à aucune conclusion. D'être une ligne fluctuante parmi tant d'autres, qui s'enroulait inutilement entre les piliers du savoir. Je n'étais pas venu jusqu'ici afin de  me lancer dans une discours dictateur et je n'avais pas besoin de sa protection pour publier mon livre. On le lira s'il est bon et je ne ne me souciais pas qu'il soit mauvais au point d'être rejeté par la communauté littéraire. Je suivais les voies impénétrables de l'amour. Je dictais les sentiments d'un cœur dont la dévotion ne s'était jamais ébranlé. Il aimait une seule et unique femme. Il explorait d'autres jupons, mais il restait fidèle aux envoûtements du passé. J'étais trop attaché à mon histoire pour m'essayer au goût du public. Je voulais être connu. Je voulais inscrire mon nom dans le marbre glacé de l'éternité mais je n'avais rien à apporter au monde. J'avais des défauts d'écriture. J'en préméditais certains. Je me créais l'illusion d'imperfection pour ne pas perdre le fil de la passion. Thomas semblait avoir déjà frôlé l’excellence, et c'était selon moi, ce qui l'avait condamné à l'ennui. Il ne se rendait probablement pas compte de ma stratégie de survie : Explique-moi, je t'en prie. Je veux comprendre ce que tu veux dire. Je ne sais pas. Mais je savais déjà. Je comprenais et je critiquais toutes les réflexions qui ne m'appartenaient pas. Je me redressai avec nonchalance en lui souriant. Parce que j'étais aussi arrogant et suffisant que nécessaire. Je m’intéressais aux domaines divers de l’existence humaine. J'avais parlé aux mollahs du coran et aux prêtres de l'église qui m'avaient tous désespéré avec leurs passages de livres sacrés à la con. On m'asservissait de paroles moralisatrices car je n'avais pas la stature de l'homme religieux. Je croyais tout et rien à la fois. Il pouvait y avoir plusieurs Dieux, un seul ou aucun. Mon esprit était trop vaste pour se contenir dans une prophétie. Je ne me laissais pas corrompre. J'osais être vertueux mais dès que je connaissais le vice, je sautais à pieds joints afin de m'entourer de ses fantaisies. Je m'en approchais pour le démasquer, pour m'en délecter et ne plus m'en dérober. Je me mordis la lèvre inférieure en me concentrant sur la silhouette fugitive du grand professeur. Il était là et pourtant, je le sentais à mille lieux de cet endroit. On ne pouvait pas frôler le dessein de son univers sobre et obscure. Il était seul au delà de cette frontière. Il se sentait bien dans le nivellement de ses pensées ordonnées et de ses convictions particulières. Je crispai le poing. Mes doigts me démangeaient. Je voulais percer le mystère. Je voulais déchirer cette barrière et planter mes ongles dans le goudron qui recouvrait ses plumes démoniaques. « Ne le faites pas. Je risquerais de riposter.  » Sa voix faisait écho à mes pensées. J'avais presque envie de rire. Riposter ? Nous voilà réduits à la forme sauvage de deux prédateurs qui se fixent, qui se jaugent sans s'attaquer. J'étais presque déçu qu'il laisse tomber le masque de l'indifférence. Qu'il ne soit en réalité qu'un animal asocial comme tous les autres. « J'aime quand on riposte. Parfois, je tombe au sol pour le plaisir de ressentir le dernier coup. » Sifflai-je d'un air bien entendu. Tom était mon ancien maître. Dans un voyage différent, il aurait pu piloter le vaisseau spatial qui nous menait vers de nouvelles contrées. Là, où les chagrins ne sauraient plus faire impression sur nous. Là, où le temps passait sans que nous puissions ressentir le poids de la fatalité. Je secouai la tête afin de retrouver un peu de lucidité. Je n'étais pas malheureux à Londres. Pas spécialement. Pourtant, je ressentais le besoin d'aller ailleurs. Mon esprit me faisait voir la liberté et non la stabilité. J'espérais que je serais délivré des atteintes de l'amoureux. J'espérais. Moi, le nihiliste.

Je trottais lentement derrière lui. Thomas marchait mais c'était le cortège de sa propre mort que je suivais. Les reflets de son existence s'agglutinaient sur son profil saillant. Ils se collaient à sa chevelure des jais avant de dégouliner sur le sol que je foulais. Il pensait être supérieur mais je lui marchais dessus comme s'il n'était qu'un objet inanimé et dépourvu de volonté. C'était peut-être le cas. Il était sombre et obtus. Ses idéaux étaient ses idéaux. Je ne les connaissais pas mais j'avais le sentiment de voir à travers sa carapace l'imminence de sa déchéance. Je souris. Tout comme lui, j'étais capable d'être lassé. Je connaissais l'ennui et le mépris de soi. J'étais tout simplement trop beau pour me laisser pousser des cernes sous les yeux. Ma chevelure lumineuse nécessitait  un certain effort d'apparence de ma part. Je plissai la mâchoire en prenant mes distances. Il s'était arrêté plus loin. Il voulait se mesurer à moi, mais avec hauteur. Tout en restant perché sur son piédestal de glace. Je me mordis la lèvre inférieure. Je n'étais pas le feu qui menaçait la stabilité de son antre. J'étais l'acier. Celui, auquel on ne résistait pas. Celui, dont la lame à double tranchant s'enfonçait dans mon cœur et celui de mon adversaire pour une chute en harmonie avec le temps.  «    Un but. » Le voilà désinvolte à nouveau. Un but. Exactement. Une finalité. Une quête stupide pour se donner l'air moins stupide. Ce genre de choses. J'hochai la tête alors qu'il souriait. Puis lorsqu'il fit craquer une allumette, lorsque les effluves de la nicotine se versèrent dans le couloir, je vacillai contre le mur. Mon dos glissa contre la paroi froide avant de se maintenir en équilibre. Ce n'était pas mon genou qui menaçait ma stature vaniteuse. Aujourd'hui c'était l'homme impénétrable qui troublait mes pensées. Il s'infiltrait sous ma peau et m'imposait sa présence comme un fléau. Je restai immobile pendant quelques instants. Je claquai la langue contre mes joues et je souris pour me donner une contenance. Mon pouce et mon annulaire se pressèrent contre le filtre de ma cigarette alors que je penchai la tête de côté. A quel point pensait-il que je le connaissais ? A quel point, pensais-je le connaître moi-même ? S'il se méprisait lui-même avec une telle force, quelles étaient ses vraies réticences envers l'humanité ? Si les germes ne sont plus bon à être cultiver et que les arbres ne peuvent plus pousser sur le sol stérile, pourquoi continues-tu à conter les histoires des penseurs passés ? Pourquoi est-il professeur et non jardinier ? J'arquai un sourcil, suspendu à ses lèvres, attendant patiemment qu'il brise le silence qui envahissait l'espace. «   Je ne suis pas en train de dire que l’amour n’existe pas. Mais vous ne pouvez pas forcer les gens à aimer. Vous aimez, vous haïssez, soit. De mon côté, je n’ai pas le temps de haïr et je n’ai pas envie d’aimer.   » Je me redressai avec lenteur. Il était amusant ; il croyait que le long règne du feu roi pouvait en faire oublier le commencement, mais nous avions tous une origine. L'amour de ses parents par exemple. Quel que soit sa forme ou son intensité. Quel soit la sincérité ou la fausseté du lien qui unissait ces deux personnes. Il était né d'amour. Nous étions tous né d'amour. Même les bâtards dans les rues et les orphelins oubliés. C'était l'amour, la compassion d'une mère, d'une vierge violée, d'une bienfaitrice sur les portes de l’église qui avait maintenu la vie. Plus loin encore, c'était l'amour de Dieu pour ses enfants. Le destin des Dieux, ou le hasard des forces laïques. Peu importe. Il y avait un début. Un bourgeon d'avenir. « Si vous n'avez pas envie d'aimer, c'est que vous détestez l'amour. Et quand on déteste quelque chose, il est facile d'en aimer le contraire. D'aimer à l'inverse de ce qui est tolérable. Je ne dis pas que l'amour qui existe de toute évidence, puisque nous sommes au moins d'accord sur ce point, doit être parfait. L'amour c'est commettre un crime. Rejeter une personne. Blesser délibérément. L'amour c'est tout et son contraire. Vous êtes capable de ces choses là, non ? »  Je ne prétendais pas détenir le secret des sentiments, mais je ne pouvais pas concevoir qu'un homme de l'esprit soit aussi laxiste dans sa façon d'analyser les mystères et les beautés de l'univers. Il était possible de vénérer deux étoiles contraires à la fois. C'était la contradiction qui animait les débats. Mais rejeter toute cette culture, se retenir de s'approprier sa philosophie … C'était hypocrite de se prétendre littéraire et de n'être qu'un critique de la grandeur. «  Vous pouvez écrire un livre entier à une femme, chanter ses louanges et la flatter avec la poésie la plus raffinée qui soit, elle ne sera pas forcée de vous aimer en retour.  » Je relevai la tête, presque indigné par sa comparaison. Il n'avait rien compris. «  Vous pouvez toujours tenter de sonder mon âme pour y découvrir ce que vous voulez y voir, mais vous vous lasserez avant moi. Si je dois être le type méprisable et méprisant dans l’histoire, celui qui revient dans le présent pour témoigner de la sécheresse et de la pauvreté du futur, et bien soit, accordez-moi ce rôle. Vous n’êtes pas le premier et vous ne serez certainement pas le dernier.   » Je marchais en faisant grincer les semelles de mes chaussures contre le carrelage. Thomas s'arrêta devant la cafétéria et je fis de même. Sa cigarette n'était pas encore finie, tandis que la mienne succombait sous les flammes déloyales de mon briquet. Je l'écrasai contre une poubelle sans me détacher de mes pensées. « Je me permet de vous poser une question. A quel point pensez-vous que je suis stupide, Thomas ?  Parce que de toute évidence vous me prenez pour quelqu'un de stupide. » Je riais presque. Son jugement ne m'atteignait pas vraiment. Je voulais tout simplement donner une tournure différente à notre échange. Sans aucun tabou. Sans aucune retenue. « Je n'aime pas une femme morte ou fantôme. Ma Berenice est bien réelle. Elle n'est pas hors de ma portée. Je suis presque certain d'être aimé en retour mais je vis une expérience étrange. Je considère qu'on ne mérite pas toujours un acquis. Je la punis parce qu'elle m'a laissé auparavant. Je ruine les choses parfois. Maintenant, j'essaie de lui montrer que je peux accepter ses fautes si elle pardonne les miennes. Qui parle d'obligation ? » J’haussai les épaules en le fixant avec une leur de défi dans les yeux. Alors on le prend ce café ou quoi ?
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() message posté Lun 17 Aoû 2015 - 13:39 par Invité
« J’aime quand on riposte. Parfois, je tombe au sol pour le plaisir de ressentir le dernier coup. » Je lui lançai un regard indifférent et haussai les épaules. D’accord. Il finirait par se lasser de recevoir des coups, de toute façon. J’avais trouvé un moyen de me les donner moi-même. J’ouvrais mes propres plaies, je laissais les larmes couler sur mes joues sèches, je tombais en avant poussé par ma volonté seule afin de respirer une poussière que mes pieds foulaient sans personne pour les accompagner. Je n’avais pas besoin d’adversaire, je me battais déjà chaque jour pour tenir debout. Pour ouvrir ces yeux noirs et penser un instant qu’en réalité, ils étaient bruns, presque noisettes, lumineux, espiègles et vaniteux, mais non. Ils restaient noirs malgré le soleil, malgré le printemps qui fleurissait lentement autour de nous, malgré le scintillement des gouttes de pluie et la courbe de l’arc-en-ciel. Les astres ne se reflétaient pas dans mon regard brûlé. Mais il n’était pas impossible de faire ressurgir l’oiseau solitaire. Julian allait détester cette bête, tant elle était meilleure que lui en tout, tant elle ne se préoccupait pas des futiles problèmes dont il ornait son existence. Tu te prends la tête pour des conneries, Fitzgerald. Voilà ce que l’aigle lui dirait, voilà ce que je lui aurais dit, huit ou dix ans avant ce jour, si mon jeune corps d’insurgé était venu le rencontrer. Je te croyais nihiliste mais tu es simplement mielleux et vaguement poétique, quoique franchement prétentieux dans ta manière de t’exprimer. Je ne croyais plus cela à présent. J’aimais bien Julian. Il était de ceux qui passaient des années à chasser la même proie, à convoiter le même trésor pour ensuite les relâcher une fois qu’il les possédait car la victoire avait le parfum de la facilité et qu’il était bien trop jeune pour se reposer sur ses lauriers. Il n’avait certainement pas trente ans et déjà il interrompait mes pensées pour me clamer sa prose de jeune auteur en quête de succès et, par-dessus tout, en quête de lui-même, en quête d’espoir. Il écrivait pour celle qu’il aimait. Qu’est-ce qu’il ferait s’il apprenait qu’elle préférait le cinéma à la littérature ? Mon esprit sourit à cette pensée. Je ne pouvais m’empêcher de me moquer de lui car c’était ce qu’il m’avait appris à faire lorsque nous nous étions rencontrés. Il m’avait donné les traits les plus saillants de sa personnalité, comme pour se peindre lui-même en un genre de cliché bariolé de tout ce qu’un auteur devrait être et ne pas être. Julian était plein de couleur alors que je n’étais même pas noir ou blanc. J’avais cette grisaille autour de moi, comme ces nuages recouvrant Paris et faisant croire à chacun qu’il y pleuvait tout le temps alors qu’en réalité, ce n’était que du brouillard figeant la ville dans la morosité. Ça, c’était moi. Parfois je levais les yeux et j’observais, juché sur la branche noire d’un arbre, un aigle impérial que je parvenais encore à imaginer. Et celui-ci avait un regard si critique qu’il aurait pu me percer la poitrine de l’éclair de sa déception. Mais je m’en moquais, à nouveau. Ma résignation ne regardait que moi. Alors vas-y, Julian, tente un jour de me donner ce fameux coup de poing : je n’aurai même pas à riposter, je ne sentirai rien. Et toi non plus, parce que mon corps n’est qu’un nuage de fumée où autrefois se mêlaient quelques plumes. Tu passes à travers moi sans comprendre ce qui t’arrive.

« Si vous n’avez pas envie d’aimer, c’est que vous détestez l’amour. Et quand on déteste quelque chose, il est facile d’en aimer le contraire. D’aimer à l’inverse de ce qui est tolérable. Je ne dis pas que l’amour qui existe de toute évidence, puisque nous sommes au moins d’accord sur ce point, doit être parfait. L’amour c’est commettre un crime. Rejeter une personne. Blesser délibérément. L’amour c’est tout et son contraire. Vous êtes capable de ces choses-là, non ? » Je lui adressai un sourire amusé et un battement de cils entendu. Tu vois, tu t’obstines encore. Lâche-moi putain. Il n’acceptait probablement pas le faire que mon opinion diverge de la sienne, comme s’il avait tant réfléchi à celle-ci que tout ce qui allait à son encontre n’était pas aussi abouti. Il avait écrit un bouquin dessus, sérieusement Thomas, un peu de respect. Il plaquait ses trouvailles sur mon esprit sans en connaître le moindre recoin. Si vous n’avez pas envie d’aimer, c’est que vous détestez l’amour. C’est surtout que je m’en fous, hein, sans rancune. Et j’aurais pu lui dire ça : Vous vous acharnez alors que je m’en fous. Mais c’était beaucoup plus drôle, pour lui comme pour moi, de le voir espérer, comme s’il allait parvenir un jour à me rendre raisonnable, comme s’il s’extasiait sur du calcaire ensoleillé en croyant dur comme fer que c’était de l’or. Néanmoins, je me contentai de hocher la tête pensivement. « Je doute que vous ayez envie de savoir ce dont je suis capable. Je ne suis simplement pas d’accord avec vous. » Je coupais court à son discours. Je ne déteste pas l’amour. Mais j’ai tout de même le droit d’y être indifférent. Il continua de me suivre cependant. Le mouvement donnait une autre allure à notre conversation. Elle ne serait pas aussi figée que sur ce banc en plein mois de décembre. Il parlait, il était entraînant, des étudiants se retournaient sur son passage pour l’observer. Certains le connaissaient sûrement, de nom, de visage, de voix. Je ne pouvais m’empêcher d’apprécier nos différences. De voir ses boucles flamboyer de nouveau sous le soleil printanier tandis que les miennes luisaient sombrement d’un éclat fané que l’on parvenait encore à trouver poétique. Fais un effort, Tom. Il aimerait simplement que pour une fois, tu lui accordes le droit d’avoir raison. Mais ce n’était pas mon rôle. J’avais le visage de l’aîné condescendant, jamais satisfait. Peut-être que j’étais d’accord avec lui, au fond, mais que je ne le montrais pas pour le pousser à s’améliorer, pour l’amener à me surprendre. Aussi brillant soit-il, Julian n’était qu’une lueur un peu plus éclatante dans le paysage morne de mon ennui. Je n’ai jamais atteint la perfection. J’ai simplement vécu trop vite.

« Je me permets de vous poser une question. A quel point pensez-vous que je suis stupide, Thomas ? Parce que de toute évidence vous me prenez pour quelqu’un de stupide. » Je ne répondis pas, gardant simplement un léger sourire sur mes lèvres, masquant mystérieusement toutes mes pensées. Tu crois ? Mais son ton était rieur, il savait que je l’estimais un peu plus que cela. Il voulait placer des mots sur ces fameuses pensées. Il s’improvisait devin sur celui qui n’avait pas d’avenir. Je ne le considérais pas comme stupide. Simplement téméraire. Les deux pouvaient se marier à merveille mais pas dans son cas. Julian avait bien plus de relief que cela. « Je n’aime pas une femme morte ou fantôme. Ma Berenice est bien réelle. Elle n’est pas hors de ma portée. Je suis presque certain d’être aimé en retour mais je vis une expérience étrange. Je considère qu’on ne mérite pas toujours un acquis. Je la punis parce qu’elle m’a laissé auparavant. Je ruine les choses parfois. Maintenant, j’essaie de lui montrer que je peux accepter ses fautes si elle pardonne les miennes. Qui parle d’obligation ? » Je fis quelques pas en arrière pour m’approcher de l’entrée de la cafétéria, sans pour autant cesser de sourire. « Et vous lui montrez … comment exactement ? En me lisant à moi des mots qui lui sont destinés à elle ? Je sais que je ne vous suis pas indifférent mais tout de même, je n’arrive pas à saisir la nature de mon rôle dans toute cette histoire. Je vous donne mon opinion mais elle ne semble pas vous intéresser car elle ne vous convient simplement pas. Je ne connais cette femme que de ce que vous m’en dites. A savoir très peu de choses, hormis le fait que vous l’aimez. » J’écrasai mon mégot sous la semelle de ma chaussure avant de poursuivre, presque rieur : « Vous voulez peut-être ma bénédiction : je vous la donne avec plaisir. » Je lui adressai un sourire où il put contempler la blancheur de mes dents, ce sourire sulfureux qu’il avait tant connu, celui des démons dans ses rêves, ceux qui l’attiraient mais qu’il détestait tant. « Il s’agit de votre premier amour, n’est-ce pas ? Vous avez l’air d’aimer l’aventure, mais peut-être devriez-vous songer à en finir. Vous avez probablement attendu assez longtemps, qu’attendez-vous pour lui avouer ce que vous me dites ? A moins que vous ne vouliez simplement que je vous paye un café. » Je relevai la tête et fis volte-face pour me diriger vers l’intérieur de l’établissement, passant ma main dans mes cheveux désordonnés. « Venez, alors. » Si ce n’était que cela. La quête ultime de son existence pouvait bien attendre encore une heure ou deux.
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() message posté Mar 25 Aoû 2015 - 2:57 par Invité
“You never have to change anything you got up in the middle of the night to write.” Thomas semblait placide et imperturbable, mais les éclairs de pertinence au fond de son regard trahissaient ses ténèbres. Il redevenait humain lorsque ses iris perçants scrutaient chacun de mes mouvements. Il ne pouvait pas être un aigle. Il était devant moi et il était exactement tel que je l'imaginais. Les souvenirs de notre première rencontre ne lui rendaient pas justice, puisqu'il était exactement identique à l'image du diable que j'avais croisé au parc. Il me jugeait. Il m'observait en dénonçant intérieurement toute la médiocrité de mes raisonnements. Peut-être avait-il raison de me mépriser. Peut-être qu'il avait trouvé les mots justes pour me décrire. Un poète torturé qui fait saigner son âme qui saigne déjà. En résumé, une disgrâce pour le monde de la littérature et un masochiste doublé d'un idiot. Je me redressai en épiant le détail de son expression dégagée. Son sourire était aussi acéré qu'une dague meurtrière. Mais je ne me sentais pas menacé. J'habitais dans les contrées de la vie où les valeurs du danger et de la mort avaient totalement disparues. J'étais un personnage violent et marginal qui craignait de perdre les gens et non de se perdre lui-même. Tandis que mon interlocuteur faisait partie d'une autre catégorie. Il s'entourait d'une force obscure et effrayante, comme s'il désirait se murer dans une forme morbide de solitude. Chaque Homme cachait en lui un enfer. Il n'était pas différent des autres. Ce n'était pas le doute mais la certitude qui rendait fou. Ce n'était pas l'oisiveté mais le privilège de penser, de comprendre et d'analyser, qui rendait triste. Les imbéciles sont toujours heureux. Les grands penseurs sombrent dans la démence du génie. Thomas aussi était un génie incompris, et je ne saurais anticiper le moment de sa chute. Je ne saurais combler le vide oppressant qui lui faisait oublier la beauté de la vie. Ce n'était pas mon but de toute façon. Je crispai la mâchoire en le suivant silencieusement. Sa démarche et le port de sa tête ne s'accordaient pas avec le profil menaçant du prédateur. Bien au contraire, il avait l'air las. Il balançait ses jambes en répondant à un ancien automatisme du corps. Il ne semblait pas prêter attention aux étudiants qui s'activaient autour de nous, et pourtant, je remarquais ses petits yeux sournois rouler comme des billes entre les murs de l'établissement. Thomas était vil. Derrière cette apparence foncièrement désinvolte et bienséante, il aimait avoir ses petits vices, ses petites extravagances, se sentir comme un original qui échappaient aux conventions. Avait-il déjà entretenu une relation sexuelle avec une jeune étudiante écervelée ? Probablement que oui. Avait-il déjà frôlé ces limites marquées par le milieu de petit-bourgeois dans lequel il avait grandi ? Je ne savais pas s'il était riche de naissance mais il avait hérité d'un certain snobisme, d'une foule de conceptions et de pensées qui étaient étrangères au commun des mortelles. Je lui reprochais déjà d'être trop éloquent. « Je doute que vous ayez envie de savoir ce dont je suis capable. Je ne suis simplement pas d’accord avec vous.  » Le son de sa voix glissait sur ma conscience. Je levai les yeux vers lui. Je le fixai avec attention, comme s'il pouvait m'exploser en plein visage à n'importe quel moment. Je ris doucement puis d'un geste lent et ordonné, je plongeai mes doigts entre les boucles reluisantes de ma frange. « Je doute que vous sachiez ce que j'ai envie de savoir ou non. Je suis journaliste. On m'a préparé à entendre toutes les vérités, les vraies et les fausses. » Je voulais le prendre de haut, m'éloigner de sa noirceur avant qu'elle ne finisse par m'engloutir. Cependant, une nostalgie puissante, secrète et terrible, m'attirait en permanence vers le petit nuage dépressif de Tom. Je me demandais quel genre de crimes il était capable de commettre. Voler une miche de pain au 21ème siècle ? Financer un réseau de terrorisme clandestin ? Ah non, je sais. Aimer une prostitué. En théorie, je n'avais pas la moindre objection contre le principe. C'était un sentiment pour un service rendu. Aimer une putain, ça lui ceignait à merveilles.

Je m'arrêtai un instant. Je restai immobile, à quelques mètres de la cafétéria. J'essayais de lire en lui, mais les jugements de Thomas Knickerbadger étaient certainement trop compliqués pour moi. Il vivait dans la contradiction constante entre la pensée et l'action. Son expression était toujours évasive. Jamais il ne renonçait à lui-même. Il ne s'abandonnait ni à l'ivresse ni à l'ascèse. Il n'était pas martyr. Bien au contraire, son idéal n'acceptait pas le sacrifice, la privation ou le don de soi. Il n'aspirait ni à la gloire ni à son opposé. Thomas ne supportait pas les préceptes de l'absolu. Il voulait bien se montrer courtois, mais il ne pouvait pas trouver une place entre les extrêmes. La zone médiane n'existait pas pour lui. Pas d'amour. Pas de haine. Rien. Et il parvenait à se contenter de si peu. Il renonçait à l'intensité affective que procuraient les sentiments. «   Et vous lui montrez … comment exactement ? En me lisant à moi des mots qui lui sont destinés à elle ? Je sais que je ne vous suis pas indifférent mais tout de même, je n’arrive pas à saisir la nature de mon rôle dans toute cette histoire. Je vous donne mon opinion mais elle ne semble pas vous intéresser car elle ne vous convient simplement pas. Je ne connais cette femme que de ce que vous m’en dites. A savoir très peu de choses, hormis le fait que vous l’aimez.  » J'allongeai le cou. J'ouvris les yeux et je fronçai les sourcils. Mon poing frémit. Ce n'était pas le froid, ni les courants d'airs qui sifflaient dans le couloir. Je me sentais pris au piège dans un tourbillon de colère. Je supportais toujours les critiques, mais il venait de déprécier mon affection pour Eugenia. Je déglutis en ramenant le filtre de ma cigarette vers mes lèvres. Je mordis l'embout. J'inspirais de toutes mes forces les poisons fumants de la nicotine, puis j'expiais nerveusement en grognant. «    Vous voulez peut-être ma bénédiction : je vous la donne avec plaisir.  » Il écrasa son mégot contre la semelle de sa chaussure avant de me sourire. La dague. L'entaille profonde. Le sang. Voilà ce qu'il m'inspirait. Je m'acharnais toujours contre la flamme presque éteinte de ma cigarette. Je refusais qu'elle finisse comme ça, sur une fausse note, sans que je ne puisse en tirer le moindre plaisir. « Vous êtes vraiment casse-pied. C'est pour ça que les gens ne vous aiment pas. » Fis-je remarquer. « Oh mais laissez-moi deviner, vous vous fichez de l'opinion des autres. » Je tournai la tête vers une poubelle. Je fis quelques pas, puis je jetai les restes de mon mégot. J’haussai les épaules et je lui adressai un sourire glacial. Je lui rendais cette incandescence qu'il redoutait tant. Cette vitalité et cette effervescence spirituelle qu'il dénigrait. Je n'en voulais plus. Jouons à armes égales. Je revins vers lui. J'avais un million de choses à répliquer mais je me retenais d'exprimer un poing de vue. Parce que je connaissais mes démons. Je connaissais l'odeur putride du sang qui pourrissait sur mes phalanges et la douleur lancinante lorsque je tombais à genoux. «   Il s’agit de votre premier amour, n’est-ce pas ? Vous avez l’air d’aimer l’aventure, mais peut-être devriez-vous songer à en finir. Vous avez probablement attendu assez longtemps, qu’attendez-vous pour lui avouer ce que vous me dites ? A moins que vous ne vouliez simplement que je vous paye un café.  » Étrangement, j’acquiesçai de la tête. Il se dirigea vers l'intérieur de l'établissement et je fis de même. Puisqu'il semblait croire que j'endurais des souffrances absurdes, que je poursuivais une existence apparemment insensée et que je conservais au fond de la folie l'espoir d'une utopie, autant le suivre jusqu'au bout de la déchéance. «   Venez, alors. » Mais il n'avait pas besoin de me le dire. J'étais déjà là, marchant à ses côtés vers l'antre sombre et menaçant. On s'installa non loin du comptoir après avoir pris deux cafés. J'étais tendu. Mon genou me faisait tout à coup mal comme si mon esprit tentait de reporter toutes mes frustrations vers une douleur physique. Je fis la moue avant de boire une gorgée de ma boisson. « Oui, c'est mon premier amour. Peut-être le seul. » Commençai-je avec lassitude. Clairement, je boudais comme un enfant. « Je suppose que je cherchais une approbation de votre part. Je voulais vous montrer que l'écrivain en manque d'inspiration s'était levé du banc et qu'il avait suivi vos pas sur les petits cailloux de la promenade. Je voulais qu'il vienne vous dire qu'il avait réussi à surmonter sa peur de la page blanche. Je ne crois pas aux bénédictions. En tout cas, je doute que la votre me soi d'une quelconque utilité. » Je crispai mes doigts autour de mon gobelet. « Et pour répondre à votre question, je n'attend pas. Je me prépare. Je lui dirais toutes ces choses. Et je les penserais. Ce genre de déclaration nécessite un certain courage. Pensez-vous que je n'ai pas essayé d'être comme vous ? Un solitaire ? » M'enquis-je en le transperçant du regard. « Je suppose que certaines personnes sont faites pour être seules et d'autres pas. Certaines sont faites pour aimer et d'autres pour ignorer l'amour. »
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() message posté Lun 14 Sep 2015 - 12:17 par Invité
« Je doute que vous sachiez ce que j’ai envie de savoir ou non. Je suis journaliste. On m’a préparé à entendre toutes les vérités, les vraies et les fausses. » Je penchai la tête, un air navré ancré dans mes traits émaciés. Il n’avait pas peur. Qu’avaient-ils tous ? Je les forçais à fuir et ils me couraient après, simplement parce que j’avais eu l’audace de leur répondre froidement. Puis ils me traitaient d’égoïste, de sournois, de prétentieux. Ils poursuivaient une allure et non un homme, mais Julian ne voulait pas être moi. Je doutais même qu’il veuille me comprendre, il était assez orgueilleux lui-même pour en perdre l’envie. Un jour il se réveillerait, il penserait à moi et se dirait que je n’en valais pas la peine. Que j’étais un type arrogant en plus, un parmi les millions avec lesquels il avait eu affaire. Et il en croisait tous les jours. Un journaliste. Mieux, un journaliste qui avait plaqué son boulot. J’avais souri en apprenant la nouvelle, un peu par hasard au détour d’une émission politique. Il aimait les vérités autant que les mensonges. J’avais appris à préférer les mensonges à force de savoir manier les vérités. Car elles étaient froides et sèches, on les redoutait et elles coulaient de mes lèvres comme un venin brûlant. La dernière fois que je t’ai dit la vérité Julian, tu t’es crispé sur ton banc et ton égo a fondu comme la neige au printemps. Il voulait me frapper. Il voulait savoir ce que ça lui ferait. Il comprenait déjà qu’il aimerait ça, rien que pour le plaisir d’une violence méritée. Je crois que je mérite que tes ongles arrachent un peu de ma peau. Il avait le sang chaud des arrivistes et le regard flamboyant des alphas. Et que faisait le chef de meute devant le loup solitaire qui l’avait quitté si longtemps auparavant ? Ce même loup dont il jalousait l’indépendance et l’allure ? Ce même loup qui avait une réponse à chacune de ses attaques ? L’hypothèse du sang me paraissait être la meilleure. Mais retiens-toi Julian, contrairement à toi j’ai encore un boulot. Mes étudiants se posent assez de questions quant à l’endroit où je passe mes nuits. Et où passais-je mes nuits ? Loin de la réalité, certes. On me trouvait au fond des bars, un vampire invulnérable entouré d’ivrognes qui le dégoûtaient. La silhouette que l’on regardait du coin de l’œil et dont on sentait les prunelles comme si elles avaient été de longs doigts froids posés sur notre épaule. Il ne faisait pas le poids. Mes paupières plissées battaient sa rage et son excitation à plate couture. « Peut-être qu’un jour je vous livrerai mes secrets les plus fous. » ironisai-je avec malice. « Quand vous n’aurez plus d’idée de livre et que vous redouterez une nouvelle fois la page blanche. » Avais-je réellement des choses à dire ? Je l’imaginai un instant seul avec moi dans une salle de l’université, les néons grésillant dans un bruit désagréable, un écran de fumée illicite nous séparant. J’imaginai ses questions, ses doutes, ce sur quoi il porterait son intérêt en premier. Où sa démarche de journaliste le mènerait. Ce qu’il penserait de moi une fois que je serais parti. Ce qu’il regretterait de ne pas m’avoir demandé. Allons. Il n’allait réussir qu’à flatter mon orgueil de snob calciné. On ne faisait pas un roman sur un type comme moi. Le mépris, ça n’intéressait plus personne. On voulait du concret. On voulait la fresque minée des pays du Moyen-Orient et les ébats amoureux d’un jeune couple furieux. On voulait de vrais maux. De vrais mots. Et moi je ne pouvais même plus raconter pourquoi je n’arrivais pas à dormir.

« Vous êtes vraiment casse-pied. C’est pour ça que les gens ne vous aiment pas. » C’était qu’il était perspicace ce journaliste-là. Il retrouverait facilement du boulot, surtout qu’il avait une belle gueule. Je souris, amusé. J’étais mauvaise langue mais il me connaissait un peu. Il allait dans mon sens, il me servait mon sarcasme sur un plateau d’argent. « Oh mais laissez-moi deviner, vous vous fichez de l’opinion des autres. » Je battis des cils en signe d’approbation. Tu as tout compris. Bravo. Je me mordis la lèvre inférieure et de pus m’empêcher de répliquer : « Sauf de la vôtre Julian. C’est la seule qui m’importe vraiment. » Mon ton était taquin, presque rieur, et mes yeux brillaient d’une malice sombre qui m’emboîtait éternellement le pas. C’était à la fois ce qu’il redoutait et ce qu’il voulait entendre alors je me fis un plaisir de lui accorder ces quelques mots. Il devait l’imaginer lui aussi : un entretien avec comme seul interlocuteur la lumière se reflétant sur mes joues creuses. Ou peut-être que mon orgueil me dictait cette envie. J’aimais cette idée, elle me faisait rire car elle me paraissait impossible. Julian ne pourrait le supporter. Il finirait par chiffonner ses notes d’un geste sec et nerveux, se lever et se jeter sur moi pour tenter de m’arracher les lèvres pour que je sois incapable de sourire de nouveau. Tu ne m’aimes pas ? Il avait dit les gens et il était de ceux qui croyaient se détacher de la masse. J’étais probablement de ceux-là aussi. Tu ne m’aimes pas mais tu as quand même fait l’effort de venir me voir et de me parler d’amour. A nouveau. Je ne suis pourtant pas un spécialiste. Il me suivit dans la cafétéria avant même que je ne lui demande. Nous commandâmes deux cafés et nous installâmes à une table. Il était imperturbable. Ancré dans ses idées, les plus claires comme les plus noires. « Oui, c’est mon premier amour. Peut-être le seul. » Je changeai de position sur ma chaise et me penchai un peu plus vers lui pour mieux pouvoir l’écouter à travers le brouhaha. Il avait une voix crispée et lasse. Déjà ? Il avait fait long feu. « Je suppose que je cherchais une approbation de votre part. Je voulais vous montrer que l’écrivain en manque d’inspiration s’était levé du banc et qu’il avait suivi vos pas sur les petits cailloux de la promenade. Je voulais qu’il vienne vous dire qu’il avait réussi à surmonter sa peur de la page blanche. Je ne crois pas aux bénédictions. En tout cas, je doute que la vôtre me soit d’une quelconque utilité. » Je laissai échapper un rire dans un souffle. Ce n’était pas faux. C’était comme se faire baptiser par le même ivrogne que je méprisais au fond du bar, son breuvage mousseux et visqueux se collant aux cheveux du nouveau-né pour le condamner dès les premiers jours. Dans mon univers , on aimait les putains n’est-ce pas ? On bénissait aussi les criminels, il y avait de la place pour tout le monde dans la prison qu’était le monde tel que je le voyais. Il y avait les aigles hors des cages et les rats à l’intérieur. On ne choisissait plus son camp, on le méritait. « Et pour répondre à votre question, je n’attends pas. Je me prépare. Je lui dirai toutes ces choses. Et je les penserai. Ce genre de déclaration nécessite un certain courage. Pensez-vous que je n’ai pas essayé d’être comme vous ? Un solitaire ? » Mes dents de loup apparurent. J’avais eu raison, à nouveau, et il détestait cela. « Je suppose que certaines personnes sont faites pour être seules et d’autres pas. Certaines sont faites pour aimer et d’autres pour ignorer l’amour. » Je hochai lentement la tête, pensif cette fois. C'était pourtant si facile d'être seul. Il suffisait d'être méchant.

Je bus une gorgée de café, avalant lentement comme pour assimiler ses mots en même temps que le goût âpre de la boisson. Il était résigné. Il entendait mes paroles comme un voile de mensonges, comme s’il s’agissait d’une vérité qu’il ne voulait pas croire. Comme s’il y avait deux vérités, opposées mais complémentaires, harmonieuses ensemble et chaotiques séparément. Je relevai les yeux vers lui. Tu n’attends pas, tu te prépares. Je restais sceptique. Quelle différence à ce niveau-là ? Il me présentait son avancée avec fierté, mais il n’avait pas bougé d’un pouce. Sa fin était écrite, mais non vécue. Que voulait-il ? Un commentaire littéraire sur un livre non publié ? Quel intérêt, son livre serait en tête des ventes dès sa sortie. On l’attendait au tournant, le journaliste qui s’imaginait poète. « Je ne crois pas en une quelconque destinée. Les gens ne sont pas faits pour un certain avenir. Ils le choisissent eux-mêmes. » Il me voyait sous mon manteau sombre et poussiéreux, mes longs ongles griffant la table, mes yeux de la couleur du café que je buvais et mes petites mimiques d’aristocrates : avais-je choisi d’être comme ça ? La réponse était autre part. J’avais choisi de me ranger au lieu de m’élever. Lui choisissait à son tour, comme je l’avais fait à son âge et il décidait de ne plus s’envoler mais de ramener le ciel à sa hauteur. Tout était à portée de sa main. « Vous êtes un homme courageux Julian. Mais vous serez toujours sur votre banc tant que vous n’aurez pas fait un véritable pas vers elle. » Et il ne faisait rien en restant ici. Il ne m’impressionnait pas par son courage en me défiant une nouvelle fois, en prenant les devants et m’interrompant dans ma routine quotidienne et machinale. Il arrivait simplement à me faire sourire. Comme d’habitude. « Vous n’êtes pas fait pour aimer et je ne suis pas fait pour ignorer l’amour, même si en fin de compte, je m’en moque éperdument. » Je souris un instant avant de reprendre. « C’est mon truc, je suis trop défaitiste pour croire aux âmes sœurs. » Je me redressai finalement sur mon siège pour conclure après un soupir : « Mais vous non. Vous êtes un arriviste, vous ne croyez pas en l’échec. Sinon, votre existence n’aurait aucun … » Je suspendis ma phrase, riant intérieurement. « … aucun but, pour reprendre votre philosophie. Et vous ne voulez pas ça, n’est-ce pas ? Vous voulez me contredire. Vous voulez avoir raison. » Je penchai la tête, amusé. « C’est votre droit le plus strict mais je ne change que très rarement d’avis, sachez-le. Je ne veux pas que vous soyez déçu. » Sourire. Est-ce qu’un type comme moi pouvait vraiment le décevoir ? Il savait ce qu’il venait chercher en se mettant volontairement en travers de mon chemin. Et puis, j’étais beaucoup trop prévisible. Voilà la raison pour laquelle il n’écrirait jamais de livre à mon sujet. On savait déjà comment celui-ci se terminerait.
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