you can't light a fire if the candle's melted (nevaeh)

HELLO PINK PANTHER  (FEVRIER 2008) ▷ « Alors ? Tu comptes te dégonfler Nevy ? » me demanda Sasha, sur un ton de défi, alors qu’on arpentait les rayons d’une grande surface. Sasha et moi on se connaissait depuis un petit plus de dix maintenant et nous étions aussi proches que les deux doigts d’une même main. On faisait pratiquement tout ensemble, de nos devoirs, à nos virées shopping en passant par nos défis stupides. Comme celui-ci. Quelques semaines auparavant, on avait parié que j’allais réussir à battre le record au cent mètres nage libre , dans le cas contraire je devais me teindre les cheveux en rose pendant une semaine. Je n’avais pas battu le record, il m'avait manqué à peine quelques millièmes de secondes pour le battre. En sortant du bassin, je me rappelais très bien du visage de Sasha. Il transpirait d'excitation et de jubilation, rien qu’à l’idée de voir mes cheveux bruns devenir roses. J’avais été tellement sûre de moi, bon comme à mon habitude je l’avoue. Ma vanité m'avait conduite à cette situation et il était hors de questions que je flanche. Toutes les personnes présentes lorsque j'avais fait ce pari ne me laisseraient jamais oublier que je m'étais dégonflée. Pour une fois que je n’étais pas à la hauteur de mes prouesses scolaires, c’était un jour à marquer d’une pierre blanche, j'avais toujours été une personne intelligente et débrouillarde, trouvant toujours le petit détail qui faisait mouche dans une copie ou bien excellant dans de nombreux domaines créatifs comme le dessin, les langues et la littérature.  Et nous voilà, deux semaines plus tard, dans cette grande surface marchande, vagabondant dans les rayons. Entre deux annonces de rabais sur un produit quelque conque, mon cerveau tournait à plein régime, cherchant un moyen d’échapper à cette coloration.. Mais je ne voulais pas perdre la face devant mon amie, ni devant les autres élèves qui avait été témoins de ce pari quelque peu stupide. Je dois bien l'avouer, après coup. « Pas du tout. C’est pas mon style » m’exclamais-je en réponse à Sasha, la gratifiant de mon plus beau sourire. Je m’arrêtai dans le rayon coloration et j’en pris une rose, tellement criarde, tellement fluo que ses camarades allaient se rappeler toute leur vie de mes cheveux roses et de mon génie.

Bien évidemment, ma mère fut choquée de mes cheveux roses et m’avait privée de sortie pendant plusieurs semaines, mon père quant à lui avait ris et m'avait dit que j'étais cinglée. Mais le jeu en avait valu la chandelle. Jamais n’aurai perdue la face, jamais je ne le laisse une dette impayée et dans ce cas là, un pari non accompli. Mon frère, Jayden, mon ainée de treize mois n’avait pas pu s’arrêter de rire pendant des heures et même des semaines après mon retour à mon brun foncé naturel.  « C’est marrant cette couleur… On dirait une boule de chewing-gum vivante ! Remarque ça colle bien à ta personnalité… » m’avait-il lancé lorsque j’avais séchée mes nouveaux cheveux roses pour la première fois. « C’est marrant aussi, je vois ta bouche bougeait mais je ne comprends rien à ce que tu dis. Je ne comprends la langue des idiots désolée… ! » répliquais-je du tac au tac. Je n’étais pas au top de ma répartie mais pour ma défense j’avais eu une longue journée…  Mon frère était reparti, vexé, non sans laisser échapper une autre remarque sur ma couleur inhabituelle. Ah.. mon grand frère, ce rigolo en chef. Et ça, être le petit chef, il savait faire. Si je devais désigner mon plus grand ennemi, je le désignerai sans hésiter. On était tous les deux dans la même classe et on se livrait bataille pour avoir les meilleures notes, être invités aux meilleures fêtes et devenir le préféré du moment notre mère. C’était un petit jeu assez malsain entre nous, même si nous nous aimions plus que tout (il est clair que je donnerai ma vie pour lui) la compétition et notre sempiternelle perfectionnisme se mettait en travers de nos bonnes relations fraternels. Ayant grandi sans père, puisque celui-ci avait quitté ma mère peu après ma naissance, ma seule figure paternelle que j’ai jamais eu dans ma vie était mon oncle, le frère de ma mère, bien évidemment je ne comptais pas mon frère comme un « père » mais plus comme un petit parasite sur le chemin de ma réussite. Je rigole hein, je l’aime quand même mon frère. Enfin parfois. Parce que j'y suis forcée.

WE ARE A FAMILY, LIKE A GIANT TREE (NOVEMBRE 2011) ▷ Famille. Grand-mère maternelle. Malade. Cancer. Londres. Prendre soin d'elle. Je ressassais ses mots inlassablement dans ma tête depuis plus de deux heures en plus de la conversation que je venais d’avoir avec mes parents et mon grand-frère. En moins d’une journée mon monde venait de basculer, tout ce que je pensais connaître avait été chamboulée. Mes parents venaient de m’apprendre, de nous apprendre, à mon frère et moi, que notre grand-mère, la mère de ma mère, dont on ne connaissait absolument pas l’existence jusqu’à aujourd’hui, été atteinte d’un cancer de la moelle épinière… et qu'il fallait partir pour s'occuper d'elle. Je n’avais pas vraiment suivis toute la conversation car le choc de cette nouvelle avait fait vagabonder mon esprit au-delà des conventions.. Je m’étais toujours demandé à quoi ressemblait la famille de ma mère, sa famille Londonienne; ont il ne parlait jamais et qu’on n’avait jamais rencontré en plus de dix-huit ans de vie. Je me demandais si on se ressemblait, si nos traits étaient similaires, si nous avions des gouts semblables.. Tant de questions qui m’avaient toujours taraudé l’esprit et dont je n’avais jamais osé prononcer car je savais que c’était un sujet sensible pour ma mère et mon père. Je savais que les disputes familiales avaient eu raison des relations entre ma ère et sa famille. D'après ce que j'avais compris au cours du temps, la famille de ma mère n'avait pas accepté mon père et ma mère avaient choisi l'amour plutôt que sa famille et nous, puisqu'elle était déjà enceinte de mon frère lorsqu'ils ont déménagé au Canada. Aujourd’hui, elle en avait parlé, elle nous avait tout raconter sur son enfance, ses frères, ses soeurs, ses parents, sa grande famille et ce qui les avaient séparés au fil du temps. C'était le visage las et fatigué de mon père avait trahi sa tristesse et ses regrets. « Les enfants, je sais que l’on en parle jamais, enfin je n’en parle jamais.. Vous êtes bien sûr au courant que je viens d’Angleterre, et j’ai eu la chance de rencontrer votre père lors de mon voyage d’étudiant au Canada et ce fut le plus beau jour de ma vie, et je ne regrette absolument pas d’avoir quitté pays natal, j’aime votre père  plus que tout au monde, vous en êtes la preuve vivante » Ma mère nous gratifia d’un sourire dont elle seule avait le secret. Et elle glissa sa main dans celle de mon père, à la recherche d'un soutien. A ce moment là, je ne voyais pas vraiment où elle voulait en venir.. Je pensais qu’elle allait nous réprimander pour quelque chose que Jayden et moi avions fait de mal.. J’aurai tout imaginé sauf cela, pas une déclaration de cette ampleur. La conversation avait suivie son cours et tout se mélanger dans ma tête, passé, présent, future, la famille, toutes ses choses qu'on ne nous a pas dîtes et qui arrive aujourd'hui à notre visage comme l'explosion d'une bouteille de coca-cola qu'on aurait trop secoué. « J’ai bien vécue en Angleterre, j’avais ma mère et mes frères et soeurs, nous étions bien puis lorsque votre oncle s’est retrouvé en prison, notre famille a éclaté. Et j’ai profité de ce moment, pour partir à l’autre bout du monde, partir de cette famille où je ne me sentais plus à ma place depuis un bon moment. Je n’en suis pas sure d’avoir fait ça, je n'ai pas été correcte envers eux et je le regrette aujourd’hui. » Ma mère avait marqué une pause. Je découvrais plus de lui aujourd’hui que j’en avais vu de ses dix-neuf dernières années. Je jetai un œil à mon grand-frère assis juste à côté de moi. Il semblait tout aussi perdu que moi, au moins je n’étais pas la seule. C’était comme être face à un étranger, c’était mon mère mais toute une partie de sa vie nous étiez inconnu. « Humm maman.. Qu’est-ce-que tu essayes de nous dire concrètement ? » demandais-je en re-fixant mon regard sur elle, perdue dans mes pensées. Ma mère et lui tournaient autour du pot et s’en était assez. Jay et moi avions le droit de tout savoir, nous n’étions plus des enfants depuis longtemps. Mon père fut quelques peu déstabilisé de mon franc-parler, elle n’avait pas l’habitude de voir se diriger contre elle. De manière générale c'était plus contre Jay, ou contre mon père, elle a toujours été mon allié, en toute circonstance. « Ma mère.. hum.. votre grand-mère Rose est malade, elle a un cancer de la moelle épinière qui devient de plus en plus important depuis quelques mois. Je ne vous force pas à venir avec moi à Londres, vous avez vos vies ici. Jay tu commences l'université et c'est une étape importante. Et toi Nevy je sais que tes envies de voyages ne s'étendant pas jusqu'en Angleterre.. Je vous laisse seulement le choix. Vous êtes libre de venir avec moi ou de rester ici avec votre père. »

Elle m’avait coupé le souffle, c’était pas une nouvelle qu’on entendait tous les jours, partir vivre à l’autre bout du monde, dans un pays dont je ne connaissais rien et où je n’avais aucune idée de ce que je comptais y faire. Une petite voix au fond de moi m’intimait d’y aller avec ma mère.. Tout était enfin clair, aussi clair que de l'eau de roche. Et la vérité faisait mal..  leurs yeux, Jayden et moi étions des "bâtards", nous ne faisions pas partis de leur famille et aujourd'hui il fallait partir pour changer les choses. Je voulais y aller, c'était mon côté aventurière qui parlait. C’était aussi surement la seule chance pour moi de rencontrer cette famille dont je ne connaissais rien. J’ai ressassé et ressassé, faisait les cent pas dans ma chambre pendant plusieurs heures. Lorsque je trouvais un terrain d’entente avec moi-même, une autre petite voix me donnait une autre idée, un autre compromis. Au bout d’une heure de combat mental avec moi-même, je décidai de redescendre voir mes parents qui étaient encore dans le salon à se parler doucement et se serrant dans leurs bras. « Papa, maman… Je viendrai avec toi à Londres. Je sens que ma place est là-bas. Avec toi, avec eux. »

LONDON, HERE I AM (AOUT 2014) ▷ « Journal de bord de Nevy, 27 aout 2014, prise un : Salut maman, salut papa ! Je suis bien arrivée, et le reste de mes cartons avec moi. Ca y est, il m’aura fallu trois ans mais il n’y plus aucune de mes affaires au Canada. Sauf mes doudounes, mais je vous les laisse avec plaisir, elles sont bien trop chaudes pour Londres. Vous me manquez déjà, et toi aussi Jay, personne ne m’embête comme toi ici. Grand-mère va plutôt bien, les nouvelles séances de chimio et le traitement sont éprouvantes mais elle est forte, elle dort pour le moment donc je la filmerai plus tard Je dois y aller mais je reviens vite. Bu-bye, love ya. » J’agitais ma main en signe d’au revoir, gratifia ma caméra de mon plus grand sourire et appuya sur le bouton off de ma caméra numérique. Je pris une grande inspiration et repose ma caméra sur ma table de chevet. Trois ans déjà, trois ans que j’avais pris la décision de venir habiter à Londres, dans l’ensemble je ne regrettai pas ce choix, la ville était merveilleuse, les gens accueillants et la chaleur ici ne me faisait en rien regretter les saisons et hiver froid du Canada. Et ça c’était un bonus non-négligeable. Oh bien sûr, tout n’avez pas été rose dès le départ, laissez presque vingt ans d’une vie pour partir à l’autre bout du monde avec son père n’était pas donné à tout le monde. J’avais eu un temps d’adaptation, surtout que j’arrivais dans un endroit où je ne connaissais personne. Pas même la personne chez qui je devais habiter. Ma grand-mère dont j’ignorais tout nous accueillait dans son appartement ma mère et moi, ainsi que toutes nos valises et sacs de voyage. Elle avait été un amour et malgré sa maladie elle se donnait un mal fou pour nous faire plaisir alors que nous étions censées nous occuper d’elle. Elle devait se sentir coupable de toutes ses années perdues.

Maman était resté un an et demi avec nous, puis elle avait dû repartir à Vancouver pour son travail, quelque chose de compliqué que je n’avais pas compris et que j’avais pas envie de comprendre, quelque chose en rapport avec la compagnie qu'elle dirigeait avec ma mère. Alors depuis c’est juste ma grand-mère et moi. Et on s’entend plutôt bien, nous avons beaucoup de points communs et je sais maintenant de qui je tiens mon caractère de cochon. L’un des points communs que j’appréciais le plus, c’était l’art. Ma grand-mère avait été une artiste peintre et depuis deux ans m’aidait dans mes travaux scolaires, j’avais choisi la voix des arts graphiques et visuels, je voulais être designer graphique et cela demandait un niveau d’étude assez important. La rentrée allait approcher et je devais être prête. J’avais aussi fait le choix, cette année, de prendre un petit boulot de serveuse afin d’aider à payer pour les charges et les traitements de ma grand-mère, je ne pouvais pas laisser mes parents tout payés pour nous, j’étais une adulte et j’avais fait fait le choix de m’occuper de ma grand-mère quoi qu’il arrive, et payer les factures en faisaient partie. J'avais même fait les démarches pour rajouter le nom de jeune fille de ma grand-mère, Rose. Pour que ça soit plus simple, pour les papiers, les hôpitaux, les assurances etc etc. Mon nom était désormais Nevaeh Ambre Rose-Wilson. Qui pourrait deviner que je sois une canadienne expatriée. J’attrapai mon blouson en jean, mis mon appareil photo autour du cou et mon laptop dans mon sac. En sortant de ma chambre, j’allais voir dans celle de ma grand-mère qui devait se reposer dans la sienne. Notre appartement était situé en plein coeur de Londres, aussi agitée que la ville. J'adorais la ville, j'en étais tombée amoureuse dans les quelques mois après notre arrivée. J’ouvris la porte doucement et vis qu'elle avait les yeux fermés, je souris en la voyant paisiblement endormie et tenta de refermer la porte le plus silencieusement possible. « Nevaeh.. je ne dors pas tu sais.  Où est ce que tu vas? » Ma grand-mère ouvrit les yeux, me sourit et tenta de se relever. Je lui rendis son sourire et vint m'asseoir à ses côtés, l'aidant à se mettre bien droite. Je caressai sa main et le regarda. Je me reconnaissais dans ses traits et j'avais peine à croire que mon père avait mis autant de temps à nous parler d'elle. Tout se temps perdue alors qu'elle se révélait la femme la plus gentille et de pleine de vie qu'elle avait jamais rencontré. Même malade et presque chauve, elle rayonnait. Sa bonne humeur me mettait aussi de bonne humeur. Parfois j'avais du mal à comprendre pourquoi nous avions perdus autant d'années à se chamailler.  « Comment vas-tu grand-mère? Ne t'en fais pas, je vais avec une amie prendre quelque photos, je ne serai pas longue. » dis-je en montrant de la tête l'appareil autour de mon cou. Elle avait l'habitude de s'inquiéter pour moi alors qu'il n'y avait généralement pas de quoi. J'avais maintenant vingt-deux ans et j'avais toujours été irréprochable. « Très bien, très bien, fais attention à toi ma grande » répondit-elle d'une voix douce. Je lui promis de faire attention et la prit dans mes bras avec précaution. Je sortis de sa chambre, pris mes clés, mis mes lunettes de soleil sur mon nez et sortis de l'appartement. Je m'adossai à la porte et souffla un grand coup. Cette année n'allait pas être facile mais je devais tenir le coup, il le fallait. Pour son bien et le mien.