Fin Juillet, pour la première fois depuis des semaines, Londres avait le droit à une journée étouffante et ensoleillée. Hazel trouvait que c'était une jolie excuse pour sortir dans le parc, même si un temps pluvieux ne l'aurait pas empêché de sortir. Elle avait décidé de partir courir, bien qu'elle ne se soit jamais considérée comme une très grande sportive. C'était peut-être même la plus mauvaise. Ses jambes avaient souffert rapidement, peu habituées à courir une si longue distance. Ses pieds brûlaient aussi, et hériteront de vilaines marques le lendemain. Mais Hazel continuait de courir. Elle s'imaginait courir sans but précis. Courir pour courir. Sauf qu'elle courait pour fuir. A plusieurs reprises elle manqua de chuter à cause des racines ou des cailloux qu'il y avait sur le chemin qu'elle empruntait. Le souffle commençait à lui manquer mais elle persévérait. Déterminée à s'arrêter quand ses jambes ne la supporteraient plus. Elle courait, toujours plus loin, toujours plus vite. Ses pensées se bousculaient toujours. Un jour de retard, ça arrive. Trois jours, on commence à s'imaginer des choses. Dix jours, on panique. Et puis assise toute seule dans la salle de bain, à fixer ce maudit objet blanc, la nouvelle était tombée. Enceinte. Elle, une future maman. Elle trouvait la situation particulièrement comique. Hazel ne voulait pas y croire, persuadée que le test se trompait. La pharmacienne lui avait conseillé de faire une prise de sang, que c'était toujours plus fiable. Et si elle devenait une mauvaise mère ? Puis, une autre question vint rejoindre la première. Et si Robbie ne voulait pas de l'enfant ? Elle n'avait aucune réponse, alors elle courait encore plus vite. Et si ses parents décidaient de la virer de la maison ? Elle songea à toutes ces choses alors qu'elle sentait son cœur se serrer dans sa poitrine. S'écrouler dans ce parc et ne jamais se réveiller lui sembla être la plus belle option pour finir la journée. Pourtant elle dû s'arrêter, prise d'un vertige et de nausées. Il n'y avait plus personne, plus de promeneurs, le chemin choisit l'avait conduit vers la ville. La circulation était proche. Sa main s'agrippait à un arbre. Elle était en sueur, son sweat était trempé et ses cheveux mouillés ressemblaient à des algues. Elle avait une sale mine, affreuse et méconnaissable. Ses traits habituellement doux avaient disparus pour laisser place à l'inquiétude et la fatigue. Parce qu'elle était épuisée, Hazel. Et alors qu'elle rendait son déjeuner sur ce petit carré d'herbe en plein milieu de la forêt, elle réalisa à quel point elle était tombée bien bas. Elle reflétait une image minable et eut honte qu'on puisse la voir ainsi. Sur le chemin du retour, elle s'arrêta dans une autre pharmacie, convaincue que le premier test n'était pas fiable. Il y avait trois modèles différents et sa main s'empara du plus cher. Elle hésita à prendre du dentifrice et d'autres conneries pour cacher sa boîte. Mais à la fin, la seule chose qui ce remarquait c'est le test de grossesse qu'elle tenait entre ses doigts.
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« Et sinon, je suis enceinte. » Tout le monde avait arrêté de parler. La nouvelle était tombée au milieu du repas, entre la salade et le fromage. Son père – qui débattait avec pépé sur le nouveau barbecue qu'il voulait installer – avait cessé de commenter le modèle choisit pour dévisager sa fille unique. La petite poupée fragile de la famille qui n'apportait jamais de problème et qui avait un comportement irréprochable. Elle n'était plus si irréprochable finalement. Son regard n'exprimait rien. Même pas de la colère ou de la déception. Plus personne n'osait parler, la fille prodige avait ruiné le repas. Elle baissa la tête, incapable d'affronter le regard du grand-père ou celui de sa mère. A nouveau, elle se sentit vide et terriblement seule. Plus tôt dans la journée, elle avait ressentit la même sensation lorsqu'elle avait annoncé la chose à Robbie. Leur confrontation avait été plus violente, sûrement parce qu'elle n'annonçait pas seulement la grossesse de Hazel. Ça impliquait forcément la fin de leur histoire. Dans un bruit sourd, le patriarche repoussa sa chaise et quitta la table sans un mot. Elle aurait voulu retenir son père mais sa mère posa sa main sur son poignet pour l'en empêcher. Elle fit non de la tête. Quelques minutes après on entendait déjà la télé s'allumer et Hazel comprit qu'il ne reviendrait pas la voir avant longtemps.
« Et Robbie ? » C'est sa mère qui décida de briser le silence la première face à sa fille qui serrait sa fourchette si fort que ses doigts commençaient à lui faire mal.
« Hazel. Il a dit quoi ? » Elle secoua la tête pour chasser ce souvenir. Elle voudrait lui avouer qu'il a été horrible et qu'il a dit des choses ignobles. Il lui avait fait comprendre, de la pire des manières, qu'il ne voulait pas de cet enfant. Il acceptait seulement de l'accompagner à l'hôpital pour avorter. Mais elle était gentille, Hazel. Jamais méchante, jamais violente, elle se laissait piétiner par le monde. Elle se souvient juste avoir adressé un sourire à Robbie, bien que le cœur n'y était pas. Puis elle avait juste précisé qu'elle garderait l'enfant et qu'elle ne lui en voulait pas. Et tout c'était fini, comme ça, si simplement. Incapable de se confier à sa mère, la jeune femme se contentait de fixer les haricots dans son assiette. Sa mère se saisit du plat au milieu de la table.
« Je l'ai toujours dit que c'était un mauvais garçon et qu'il t'apporterait que des problèmes. » Elle revint pour débarrasser les assiettes. Personne n'avait pris de fromages mais le repas semblait fini.
« Tu l'adores. » Son regard croisa celui de sa mère. Bizarrement, elle espérait avoir son soutien. Elle espérait tellement qu'elle en avait mal au cœur.
« Ça, c'était avant qu'il te mette enceinte. » Et même si ses parents ont fini par accepter l'enfant, Hazel les quitta l'année suivante pour trouver un appartement à Notting Hill. Elle s'y installa avec son fils et quitta les bancs de l'université pour écrire son premier roman. Un livre foireux, mais le premier d'une longue série.
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Leur campement était petit et conviviale. Un regroupement de tentes immenses dans lesquelles ils se rendaient parfois dans la journée. Le reste du temps, elle logeait chez l'habitant ou dans des petits hôtels en plein milieu des villes. Quatre années qu'il vivait dans cette Afrique aux températures brûlantes, entourée par la poussière et le sable, accueillit partout dans les villages comme une amie. Souvent elle ignorait le noms des endroits où elle posait ses bagages avec l'association et ça lui importait peu. Elle rentrerait dans une semaine en Angleterre, un peu déçue, un peu heureuse. Partagée entre l'envie – de retrouver la capitale, sa meilleure amie et son ancienne vie – et la déception de quitter un endroit qu'elle considérait désormais comme sa maison. Ce n'était pas la belle vie ici, il y avait toujours des risques, des conflits parfois. Mais Hazel s'y était plu. Installée devant son petit écran, elle maudissait depuis plusieurs minutes la connexion affreuse de cet hôtel. Mais rapidement, le visage de Solveig apparu à l'écran. Elle était magnifique, malgré les pixels de l'écran qui ne lui rendaient pas justice. Elles discutèrent pendant des heures avant que son amie ne l'interrompt pour lui montrer un colis.
« T'as reçu un paquet super lourd hier. Tu veux voir ? » Hazel hocha la tête, bien qu'elle se doutait du contenu. Sans surprise, il s'agissait du premier exemplaire de son dernier roman. La couverture du livre était sublime. Son éditeur affirmait que ce roman serait à l'image de son deuxième livre, il la propulserait en tête des ventes. Il était fier, un peu excentrique mais aimait lui clamer son amour et affirmait partout qu'elle avait de l'or au bout des doigts. Longtemps elle avait vécu au crochet de ses parents avant de soudainement se trouver cette passion pour l'écriture. Elle avait toujours ce sourire paisible quand on reconnaissait son talent et qu'on venait lui dire à quel point ses romans étaient magiques.
« Sinon, où est mon neveu favori ? » Un sourire doux se glissa sur les lèvres de Hazel alors qu'elle regardait son fils endormi à ses côtés. Il avait fêté ses sept ans trois mois plus tôt. La jeune femme dirigea la caméra vers l'enfant pour que Solveig puisse le voir. Malgré son âge, il était toujours haut comme trois pommes et avait perdu une dent la veille. Il était fier de ça alors Hazel jugeait bon de le raconter à sa meilleure amie. Plus tôt elle avait déjà envoyer une photo à ses parents sur laquelle Jacob avait pris la pose, ballon de foot sous le bras, grand sourire pour montrer la dent disparu.
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Le mardi était le seul jour où Hazel rentrait tard. Il était presque dix-neuf heures lorsqu'elle revint, les bras chargés d'un colis, de son ordinateur, de deux sacs de courses et d'une boite à pizza qui tenait difficilement en équilibre sur le reste. Elle appela de l'aide après avoir poussé la porte de l'imposante maison mais personne ne vint l'accueillir. Elle n'entendait personne, sauf la télévision allumée dans le salon. Avec difficulté, elle longea le grand couloir qui menait à la cuisine et laissa tomber ses affaires sur le comptoir. Toujours personne pour venir la voir et Hazel supposa que Jacob devait jouer avec ses jeux tandis que
sa tante gribouillait sûrement des nouvelles idées pour l'association. Elle entreprit de vider les sacs de courses alors que d'un mouvement, elle se débarrassait de ses chaussures. La cuisine était immense, comme tout le reste de la maison. Pour une femme qui avait toujours su se contenter du minimum et qui préférait donner son argent aux plus démunis, ça surprenait toujours un peu les gens qu'elle ait voulu une demeure si imposante. Elle mit un paquet de pop-corn dans le micro-onde et s'éclipsa en direction du salon. Sur le canapé reposait une couverture violette et la peluche d'une pieuvre à laquelle il manquait une tentacule. Le doudou de son fils était déjà à sa place. Soir de match, évidemment. Jacob ne manquait pas non plus à l'appel, enfoncé dans le sofa, les pieds croisés sur la petite table face à lui. Tradition oblige, il avait enfilé le maillot de son joueur favori et son pantalon de pyjama avec des ballons de foot dessus. Un vrai cliché et pourtant, Hazel se contentait de le regarder et de sourire bêtement quand elle le voyait resserrer son étreinte autour de sa peluche.
« Bien installé ? » Il tourna le visage vers sa mère et l'accueillit d'un immense sourire. Aussitôt il ouvrit ses bras en grand pour qu'elle vienne le rejoindre et lui donner ce câlin qu'il réclamait toujours. Il essayait de jouer au p'tit bonhomme mais finalement, il ne refusait jamais ça. Et Hazel en était soulagée. Accroupie devant le canapé, elle poussa quelques mèches qui lui cachaient la vue et remarqua alors le pansement sur son menton et une égratignure sur son front. Rapidement elle relevait son maillot et son t-shirt, inquiète à l'idée qu'il puisse avoir des blessures plus graves sur le reste du corps. Ce n'était pas rare qu'on la prévienne, après l'école, que Jacob avait participé à une bagarre.
« Jacob, tu t'es battu ? » Sa voix trahissait sa panique. Le « encore ? » resta bloqué au fond de sa gorge. Elle n'était pas fâchée, simplement lasse et déçue de le voir en venir toujours aux mains. L'enfant haussa les épaules avec détachement, comme si sa mère ne lui apprenait pas une si grande nouvelle. Mais sous le regard de celle-ci, il baissa la tête, un peu honteux finalement. Il n'était pas méchant, ni violent, juste amusé de se jeter dans les bagarres provoquées par ses camarades. Le contour du pansement était rouge, presque violet et elle grimaça à la simple pensée qu'on ait touché à son fils.
« On était d'accord, plus de bagarre. La maitresse t'a puni ? » Il haussa les épaules une nouvelle fois, d'un air tout à fait détaché. L'incarnation parfaite de l'enfant qui s'en fout de l'autorité.
« Ouais. » Il ne ressemblait en rien à sa mère finalement. Elle qui avait toujours été l'enfant sage, celle qui ne cherchait ni les problèmes, ni les mauvaises notes. Pour s'excuser, le garçon sortit de sous sa couette et vint enrouler ses tout petits bras autour du cou de sa mère. Il bafouilla des excuses tandis que Hazel se moquait gentiment de cette pieuvre immonde qui lui servait de doudou.
« Soir de match, on a le droit à une pizza. » A noter, demain, ne pas oublier de prendre le temps pour couper les cheveux de Jacob. Elle déposa un baiser sur son front avant qu'il ne la suive à travers la maison.
« Monsieur Walt a dit qu'il fallait pas manger que des pizzas. » A l'entrée de la cuisine, elle se tourna vers son fils. L'admiration qu'il avait pour son coach épuisait Hazel mais elle se retenait toujours de le faire remarquer. Par respect et aussi parce que Jacob prendrait la défense de cet homme.
« Je peux manger ta pizza alors ? Tu auras le droit à des légumes. Il dit quoi d'autre ce monsieur Walt ? » A entendre le garçon, «
monsieur le coach » savait absolument tout. Elle ouvrit un placard pour y prendre un énorme saladier et vida le sachet de pop-corn dedans. Avec difficulté, Jacob grimpa sur une chaise. Il s'était mis à genoux dessus pour paraître plus grand et leva rapidement les bras, heureux que sa mère parle de son héros et qu'elle veuille, pour une fois, en savoir plus sur lui.
« Il sait pleins pleins pleins de choses. » Amusée, elle passa une main sur sa nuque avant de l'encourager à en parler. Il ne semblait attendre que ça. Jacob commença à raconter le récit palpitant sur son entrainement de foot. Il expliquait avec ses mots d'enfant et bafouillait quelques fois. Mais Hazel l'écoutait, fascinée par toute l'admiration que son fils pouvait avoir pour ce sport. Il avait ça dans la peau, c'est évident. Elle n'y comprenait rien, captait seulement qu'il fallait courir après un ballon et taper dedans pour qu'il rentre dans un filet. Le garçon expliquait d'autres choses et prenait un temps fou pour faire l'éloge de son coach. A plusieurs reprises la jeune femme s'était fait la réflexion que les chevilles de ce Walt devaient être énormes avec tous ces compliments. Hazel l'interrompait parfois dans son récit pour poser des questions, sur l'entraineur ou le jeu et Jacob reprenait son histoire, plus passionné que jamais. Ses petites mains gigotaient dans tous les sens et sa voix s'élevait parfois lorsqu'il racontait un moment dont il était particulièrement fier. Il se vantait souvent un peu trop et Hazel le soupçonnait de vouloir embellir la vérité. Quand elle osait demander si il était fort, il rétorquait toujours qu'il était le meilleur.