So this is Christmas... ☼ Rikler

Nate n’était sorti de chez moi que depuis une petite dizaine de minutes lorsque j’entendis le vrombissement si caractéristique du moteur de la moto de Rafael qui se garait comme à son habitude devant la façade avant de mon immeuble. Ce dernier m’avait poliment prévenu de son arrivée imminente par SMS une demi-heure plus tôt et j’avais alors bien fait comprendre à mon invité exceptionnel de la nuit passée que je souhaitais rester seul en tête-à-tête avec mon meilleur ami et qu’il était donc temps pour lui de partir, ce qu’il sembla parfaitement comprendre. Par contre, ce n’était pas parce que je le virais de mon appartement aujourd’hui qu’il n’aurait pas le droit d’y revenir et il m’était possible d’affirmer avec une certaine certitude que nous étions tous les deux parfaitement conscients que ce n’était pas la dernière fois que l’on se reverrait.

Des coups frappèrent à ma porte tandis que j’étais en train de finir de remettre en ordre mon appartement – Nate ayant fait la grande majorité du travail – et j’ouvris alors à Rafael qui se jeta directement dans mes bras avec un sourire que l’on pourrait définir comme « remonté jusqu’aux oreilles ».

- Hey Rox ! Joyeux Noël ! s’exclama-t-il, tout en tapotant amicalement mon dos. Et je répondis à cette accolade presque fraternelle, sincèrement ravi qu’il soit là – bien que cela était limite devenu un rituel en ce jour de Noël. Parce que tout comme les 20 décembre – jour qui suivait celui de mon anniversaire –, Rafael me rendait visite tous les 25 décembre. Officiellement, il venait pour m’offrir mon cadeau – d’anniversaire ou de Noël –, mais officieusement, c’était simplement pour vérifier si je n’avais pas mis fin à mes jours durant la nuit et tenter de me remonter le moral dans le cas contraire, et on en était tous les deux parfaitement conscient. Bon bah comme tous les ans, Mama m'a refilé son panier garni là... Et elle a ajouté sa crème catalane aussi, comme si ça suffisait pas. J'ai pas réussi à lui faire comprendre que j'avais pas besoin de douze desserts... fit-il remarquer sur un ton mi-agacé, mi-amusé. Sa mère avait toujours été très protectrice envers moi – agissant un peu comme une seconde mère – et elle devait très certainement penser que je ne me nourrissais pas les réveillons de Noël parce qu’elle avait toujours une tonne de nourriture en réserve à m’offrir les lendemains matins. Et malgré le fait que je n’étais fan de certains produits – comme le touron, par exemple, qui n’était principalement consommé que par Rafael lorsqu’il venait me rendre visite –, je n’avais jamais osé rien dire, toujours autant touché par sa bienveillance à mon égard. Mmmh... Y a de la place dans ton frigo ?

- Il doit en rester, oui, répondis-je simplement – car si le reste de victuailles apportés par Nate hier soir avait quelque peu rempli mon frigo, ce dernier était assez grand pour contenir toute cette nourriture. Faudra quand même qu’elle comprenne un jour que je crève pas de faim, hein… constatai-je en observant Rafael déballer les sacs qu’il avait apporté avec lui. Je pris ensuite l’enveloppe qui trônait depuis quelques jours à présent sur le meuble de la télé et la lui tendit, tout en annonçant : Tiens ! Cadeau !

Dans cette enveloppe se trouvait deux places pour un séjour à Disneyland Paris avec une nuit à l’un des hôtels du parc compris. Et si je lui donnais ces deux places sans lui imposer quoi que ce soit, j’espérais bien être celui qu’il choisirait pour l’accompagner – sinon, j’allais très certainement bouder un long moment…

- Demande pas à une mère à moitié polonaise de pas vouloir surnourrir tout le monde autour d'elle... T'arriveras jamais à lui faire entendre raison tu sais... fit alors remarquer Rafael suite à mon commentaire sur le fait que sa mère devrait peut-être un jour comprendre que je n’avais pas besoin de toute cette nourriture – que ce soit pour les fêtes de Noël ou pour tout autre période de l’année. Bien sûr, j’appréciais tout de même sincèrement le geste – malgré le fait que cela était clairement de la pitié, ce que je détestais par-dessus tout –, en particulier parce que cela faisait presque dix ans que je n’avais plus de mère présente à mes côtés pour s’occuper de mon bien-être et éviter ainsi que je ne meurs de faim. Et si j’avais généralement tendance à affirmer à qui voulait bien l’entendre que je n’avais nullement besoin de ma mère pour vivre ma vie – ce qui était tout à fait vrai dans l’absolu –, je ne pouvais non plus nier que ce côté maternel me manquait affreusement, je profitais donc peut-être un peu trop de la gentillesse de la mère de Rafael lorsqu’il m’était donné de le faire – ce qui de toute façon ne dérangeait aucun des deux. Ah ouais direct, là ? s’exclama tout à coup mon meilleur ami, étonné que je lui offre son cadeau sans même attendre qu’il ne déballe la nourriture qu’il venait d’apporter – en tout cas, entre lui et Nate, je risquais pas de mourir de faim… Haaaaaaaan ! On va aller voir Mickey ? s’écria-t-il alors à la découverte des billets, les yeux pleins d’étoiles comme ceux que pourrait avoir un enfant. Tu crois qu'on verra Rox et Rouky ? me posa-t-il ensuite la question, ce par quoi je répondis par un simple haussement d’épaules. Il fallait dire aussi que la seule et unique fois où j’avais été dans les parcs Disney, cela remontait à un peu plus de quinze ans et ce n’était même pas à Disneyland Paris, mais à Disneyworld en Floride. Donc à part quelques similitudes, je ne doutais pas que c’était tout de même pas mal différent… Ben la vache, c'est quoi tout ça ?! s’étonna Rafael en ouvrant la porte de mon frigo quelque peu déjà rempli par les victuailles apportés par Nate hier soir.

- Juste de la bouffe, répondis-je simplement, comme si cela n’avait pas réellement d’importance d’où cela provenait – ce qui était d’ailleurs vrai… Oh, super ! m’exclamai-je, heureux de découvrir le cadeau de mon meilleur ami qui était deux billets pour une convention de jeux vidéo qui se tenait à Londres en mars (comme tous les ans). Et si je ne paraissais pas si enjoué que cela, c’était normal puisque je n’avais jamais été du genre à montrer mes émotions – en particulier lorsque celles-ci étaient positives… Faudra que je vérifie quand est-ce que c’est pour voir si je prends un jour de congé. Bon sinon, tu préfères voitures ou baston ? lui demandai-je ensuite à quoi il préférait jouer, sans vraiment me rendre compte que ce changement de conversation pouvait paraître quelque peu suspect. En même temps, nous n’allions quand même pas épiloguer sur le contenu de mon frigo pendant trois heures. J’aurais très bien pu avoir fait la cuisine hier et avoir mis les restes au frais afin de mieux les conserver – bien que le congélateur était tout de même une meilleure solution puisque cela durait plus longtemps. Oh, on peut reprendre notre partie de Call of Duty de la dernière fois aussi, si tu veux ! proposai-je finalement, tout en lui montrant le jeu. Je possédais même les manettes Wii en forme d’arme dans le but d’être un peu plus plongé dans le jeu. Mais au final, je laissais toujours Rafael choisir.

- Moui d'accord, mais encore ? insista Rafael, souhaitant à tout prix que je m’explique sur la présence de nourriture dans mon réfrigérateur, ce qui était certes peu commun en cette période quelque peu particulière de l’année. Si tu me dis que t'as eu une soudaine envie de faire de la cuisine, je te crois juste pas une seconde ! Et je m’apprêtai à lui répondre lorsque je découvris le contenu de son cadeau de Noël, ce qui me fit un instant oublier ces questions quelques peu indiscrètes. Puis, je me tournai vers lui afin de m’enquérir sur le genre de jeu auquel il souhaitait s’amuser aujourd’hui. Voitures, tu sais bien... Mais ça répond pas à ma question, persista-t-il sans vraiment que je ne l’entende, beaucoup trop concentré à réfléchir au jeu auquel nous pourrions bien jouer – avant que je ne me rappelle que nous avions une partie déjà en cours sur Call of Duty. Ok, si tu veux... Mais tu chercherais pas un peu à noyer le poisson là ?

- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? répliquai-je alors dans l’espoir de mettre fin à cette sorte d’interrogatoire qui m’ennuyait au plus haut point. Je me suis simplement fait livrer… Et si la curiosité de mon meilleur ami n’était pas quelque chose qui me dérangeait habituellement, sa réaction aux réponses que je pouvais potentiellement lui donner allait très certainement le faire… Parce que j’étais parfaitement au courant de son désir (pas aussi secret que cela aurait normalement dû être) légèrement surréaliste de me voir un jour en couple et, s’il n’avait généralement aucun partenaire idéal en tête pour jouer le rôle du petit ami amoureux et attentionné, il semblait s’en être récemment trouvé un parfait parmi mes anciennes conquêtes… Alors, après tout ce qui avait pu se passer entre Nate et moi et tout ce que j’avais pu dire à Rafael le concernant, avouer à ce dernier que j’avais passé le réveillon de Noël – une fête que je détestais particulièrement – en compagnie du barman que j’avais littéralement rejeté parce qu’il était malheureusement tombé sous mon charme et que j’avais même été jusqu’à lui offrir le petit-déjeuner – une chose que je ne faisais habituellement jamais –, il n’allait plus me lâcher pendant un long moment, tentant de connaître les moindres détails de mon ressenti. Il était donc préférable qu’il reste dans l’ignorance le plus longtemps possible – jusqu’à ce que je réussisse à mettre moi-même de l’ordre dans mes propres sentiments… Et puis, je ne lui mentais même pas puisque Nate m’avait apporté de la nourriture – comme il venait lui-même de le faire aujourd’hui – ce qui était un synonyme de « livrer ».

Ce point enfin mit au clair, je préparai le jeu comme il se devait en branchant la console au poste de télé et en y mettant le CD adéquate. Je m’installai ensuite à côté de Rafael qui semblait tout à coup intrigué par quelque chose coincé entre les coussins de mon canapé.

- Hum... Et ça, ça appartient à qui ?... me demanda-t-il sur un ton mi-suspicieux, mi-amusé, tout en me mettant la cravate que portait Nate hier soir sous mon nez.

- A moi, fis-je alors en lui arrachant le vêtement des mains pour le suspendre ensuite autour de mon cou. Je la cherchais depuis un moment, d’ailleurs… Merci ! finis-je par le remercier en lui lançant un grand sourire légèrement faussé – ce qu’il ne manquera sûrement pas de remarquer, mais peu importait ! Le jeu commençait.

Rafael tentait tant bien que mal de me tirer les vers du nez sur la véritable raison de la présence de cette nourriture dans mon réfrigérateur et je tentais tant bien que mal de répondre à ses questions indiscrètes (ou d’éviter de répondre à ses questions indiscrètes plutôt) en jouant sur les mots ou en l’ignorant carrément, ce qui rendait finalement mon meilleur ami plus soupçonneux qu’autre chose… Parce que je n’avais d’habitude aucun problème à satisfaire sa curiosité parfois un peu trop malsaine à mon goût – abusant même de détails dont il n’avait absolument pas besoin et qu’il aurait très certainement préféré ne jamais connaître –, donc le fait que je refuse de me prêter au jeu du flic qui interroge un suspect était quelque peu suspicieux justement. Et lorsqu’il découvrit par mégarde – ou bien parce qu’il avait un don d’observation aussi affûté qu’un aigle royale en train de chasser dans ces moments-là – la cravate bleue malheureusement oubliée par Nate qui, je l’espérais, n’avait rien laissé traîner d’autres qui pourrait me compromettre aux yeux de Rafael – surtout que j’étais persuadé qu’il l’avait fait exprès dans le seul but d’avoir une excuse valable pour revenir me voir chez moi –, la première chose qui me vint à l’esprit fit de lui faire croire que ce vêtement était à moi, bien que ce ne soit pas vraiment crédible lorsqu’on me connaissait assez pour savoir qu’il était rare que je mette ce type d’accessoire masculin…

- Bah de rien... répondit-il à mon remerciement légèrement faussé par ce grand sourire que j’étais en train de lui montrer. Et si je savais parfaitement qu’il ne croyait pas une seule seconde au petit numéro que j’étais en train de lui jouer depuis tout à l’heure, il choisit tout de même de se taire, préférant à la place se concentrer sur la partie de Call of Duty que nous avions laissé la dernière fois. Il était mignon le livreur ? revint-il alors à la charge une fois s’être fait tuer après à peine quelques minutes de jeu seulement. Y a rarement de jolies filles pour ce genre de taff...

Et je m’apprêtais une nouvelle fois à jouer les ignorants en faisant semblant de ne pas savoir de quoi il voulait parler, mais j’avais la désagréable impression que ce petit jeu auquel nous jouions depuis qu’il était arrivé allait encore s’éterniser longtemps si je ne décidais pas d’en mettre un terme – ce que je choisis finalement de faire tout de suite. Je mis alors le jeu en pause et posai la manette sur la table basse juste en face de l’endroit où j’étais assis.

- Ok, qu’est-ce que tu veux savoir ? le confrontai-je alors, prêt à lui révéler tout ce qu’il souhaitait (même les détails de la nuit s’il le voulait réellement !). Je pense que tu te doutes déjà que le « livreur » en question est Nate et, vu que tu as trouvé sa cravate, pas besoin de te préciser ce qu’on a fait. Mais je suis étonné que tu ne l’aies pas su avant ! Il ne t’a pas déjà appelé pour t’expliquer tout ça – étant donné que vous êtes en contact ? ironisai-je. En tout cas, on a peut-être couché ensemble, mais on est pas en couple, au cas où tu te poserais la question, précisai-je, juste pour que l’on soit clair sur ce point. Et tant pis s’il était déçu. On peut reprendre la partie maintenant ?

- Hey ! Je l'ai quand même pas au téléphone tous les jours non plus ! se défendit Rafael contre ma remarque quelque peu ironique que je lui avais lancée concernant ses contacts supposément réguliers avec Nate. Alors, il était certes vrai que j’ignorais totalement à quelle fréquence les deux jeunes hommes se joignaient par téléphone (puisque je savais depuis plusieurs semaines à présent qu’ils possédaient chacun le numéro de téléphone portable de l’autre), mais je ne doutais pas un seul instant qu’ils le faisaient plus régulièrement que mon meilleur ami ne voulait bien l’admettre et il n’y était d’ailleurs sûrement pas pour rien dans la présence du barman chez moi hier soir… Voilà donc la raison pour laquelle j’avais supposé que Nate l’avait tenu au courant des événements de la nuit dernière, à tort si j’en croyais ses propos. Nate, je l'aime bien, mais non, il me raconte pas sa life au jour le jour, faut pas déconner... continua-t-il légèrement sur la défensive, ce qui me fit quelque peu sourire d’amusement. Et s’il était évident que les deux hommes ne s’appelaient pas tous les jours pour se tenir au courant de leur vie respective, j’étais presque sûr qu’ils le faisaient assez régulièrement lorsque cela avait un rapport avec moi… De toute façon, la simple idée de les savoir en contact me déplaisait fortement. En tout cas, malgré le fait que Rafael savait parfaitement que c’était loin d’être mon genre, je préférais tout de même clarifier la situation en précisant que j’étais encore et toujours célibataire et que cela n’était pas prêt de changer. T'as plutôt passé un bon Noël, alors, pour une fois... commenta-t-il ensuite, une sourire que je lui connaissais que trop bien aux lèvres. J'ai juste une dernière question, après je t'emmerde plus...

- Je t’écoute, fis-je alors on-ne-peut-plus attentif à ce qu’il avait à me demander – bien que je redoutais un peu l’objet de sa question…

- Tu crois que vous allez à nouveau coucher ensemble ou c'était juste exceptionnel ?...

Et ma toute première réaction en réponse à cette question fut de hausser les épaules parce que j’ignorais sincèrement ce qui allait se passer après cette nuit passée en compagnie du barman. Certes, notre conversation – ou plutôt, ma mise en garde – de ce matin au sujet de la façon dont je fonctionnais menait à penser que nous allions forcément nous revoir, mais je ne savais pas encore dans quelles circonstances et à quelle fréquence surtout. Déjà, il allait sans le moindre doute revenir récupérer sa cravate – avec laquelle je devrais sans doute lui attacher les mains et lui faire subir les pires tortures jusqu’à ce qu’il me supplie d’arrêter. A cette idée, bizarrement, j’avais tout de suite hâte qu’il revienne…

- Je sais pas trop… commençai-je donc à me confier. Après tout, il n’était pas mon meilleur ami pour rien. Je pense qu’on va recommencer. C’est même sûr, mais… j’ai peur que ça dérape. Qu’il prenne ça trop au sérieux. Je l’ai pourtant mis en garde sur le fait que je ne m’engageais pas, mais… Je sais pas. J’ai l’impression qu’il attend plus de moi…