Lola. "Se donner du mal pour les petites choses c’est parvenir aux grandes avec le temps."

C’est bizarre de parler à un psy comme ça, non ?
Faut que je vous raconte toute ma vie ? Mais… C’est beaucoup quand même. Et puis ma vie… C’est pas celle de Marilyn non plus. J’vous préviens, ça va être chiant hein !
Bon du coup faut que je commence par le début ? Mon début, plutôt oui.

Et bien écoutez… J’suis née en mai 91, à Paris. Mes parents s’y sont posés pour les derniers mois de grossesse de ma mère/ Ah oui, faut que je vous précise que mes parents étaient de vieux hippies, ayant fait mai 68. J’vous laisse donc imaginer un peu le truc.
Du coup j’en étais à ma naissance à Paris, oui, mais ils n’étaient pas encore prêts à s’installer définitivement, ah ça non. D’ailleurs dès qu’on est sortis de l’hôpital, on a pris le premier vol pour Johannesburg. Pour rejoindre des amis à mes parents, ou je ne sais quoi…
En fait, je me suis jamais posé la question de pourquoi on allait à tel ou tel endroit, j’les suivais, c’est tout.
J’peux pas dire que c’était pourri de voyager comme ça hein. J’pense même que c’est une chance en fait, parce que ça a formé la femme que je suis devenue aujourd’hui… Vous avez vu ? Je fais un effort pour faire des phrases un peu philosophiques ! Je fais des efforts pour cette entrevue hein !

Bon… Sinon euh j’vais pas vous raconter tout ce que j’ai vu et fais durant la période roots de mon enfance, ça serait un peu chiant et puis… On est pas sur National Geographic là. Mais c’était bien. Très bien même. J’en garde de magnifiques souvenirs. Les plus beaux même.
Et puis en fait, quand j’ai eu 12 ans on s’est installé pour de vrai à Dublin, là où est né mon père. Officiellement c’était parce qu’ils voulaient que je fasse correctement des études… Que je ne change pas d’école toutes les trois semaines... Ils disaient être las d'être constamment en mouvement. Mais le véritable problème c'était moi. C'est ma faute. Tout comme la dépression de mon père. C'est de ma faute aussi.
Tout est lié vous savez ? Je crois que les choses n'arrivent jamais par hasard.

Dites, vous allez me poser des questions ou juste me laisser faire un monologue ? Pas que j’ai pas l’habitude hein. J’en fais plein au théâtre, mais bon, c’est sur une scène et pas dans un cabinet de psy… Bon, ok, je continue.
J'imagine que vous vous demandez pourquoi cette soudaine sédentarité, cette dépression...
En fait il faut remonter à un an auparavant.  On était en Australie dans un tout petit village, chez un vieil ami à mon père. Et puis en toute confiance ils m'y ont laissé une petite semaine pour qu'eux deux puissent aller voir le village voisin plus difficile d'accès.
Une semaine c'est pas beaucoup hein ?  Ces sept jours m'ont semblé une éternité...
Le vieux Joe. C'était son prénom. Sous ses grands sourires il cachait sa détresse et son alcoolisme. Mais sa solitude il avait du mal... Alors bon. Je vous laisse imaginer. Un homme seul, une petite fille aux longs cheveux blonds sage et docile qui plus est.
On peut en faire des choses pendant une semaine. On peut en inventer des histoires de couple pendant une semaine...

J'vous regarde là et j'sais bien que vous voyez très bien où je veux en venir. Non je ne prononcerai pas ce mot horrible qui résume ce qu'il s'est passé. Il est trop petit pour être assez fort...
Bref. Passons. Quand mes parents sont revenus, ils ont compris.
Je suis restée muette pendant un long moment. Et après écoutez… C'est allé très vite. Il y eu… Le suicide de mon père qui n'a pas supporté sa culpabilité.
Vous savez, il m'a laissé une lettre. Avec un seul mot écrit dessus. En bleu. "désolé" il a écrit.
"Désolé" alors que c'était à moi de l'être. A moi de me sentir coupable.
Alors non, j'suis pas dans ce délire psycho à dire que j'ai tué mon père. Ça c'est pour Œdipe. Mais je sais pertinemment que je suis fautive.
Et en vous parlant comme ça, je réalise que je me sens encore coupable.
Putain. Tout ça pour une semaine. Une toute petite semaine !

Ffffff... Vous trouvez pas qu'il fait chaud ? On peut ouvrir un peu ? Merci.
J'aime cette vue que vous avez de votre bureau... Vous vous faites plaisir quand même hein ? Mais vous la regardez quand même cette vue hein ? Il ne faut pas s'en lasser. Surtout pas.
Londres est une si belle ville.
Londres, j'y suis arrivée a 15 ans.
Après la mort de ma mère. Malheureusement un putain de cancer a réussi à la mettre KO. En une semaine. Une toute petite semaine encore. C’est fou les coïncidences vous ne trouvez pas ?
Elle allait mieux. Elle allait bien. Et puis le cancer en a profité.  Je vous passe les détails u peu morbides et difficiles, hein.
Du coup après je suis allée vivre chez la meilleure amie de ma mère, Madeleine. Mais il fallait l'appeler Mady. C'est vraiment une grande femme. Elle m'a accueilli comme sa propre môme. Elle m'a pas rejeté.
C'était une femme de caractère. Et il en fallait pour supporter la petite adolescence rebelle que j'étais. Mon dieu pauvre Mady.

Mais avec le recul, j'me dis que sans elle j'aurais pu tellement mal tourner. Enfin je veux dire pire que maintenant.
Non mais en vrai. Ça va quand même, j'm'en sors pas si mal ça va non ? Merde alors, j’suis debout, un peu bancale, un peu handicapée sentimentale mais j’suis là, j’suis en vie. Et j’aime la vie, j’vais pas m’flinguer comme ça si facilement. J’suis là, j’suis en vie.

J’veux dire… J’suis entourée, je suis folle amoureuse des gens qui m’entourent.  Et puis, j'ai un boulot fixe. J'suis animatrice et j'aime mon boulot. J'fais des études que j'adore et je sais ce que je veux faire. Ah je vous avais pas dit ? J'veux être comédienne. Oui encore une blondinette un peu paumée qui veut faire la belle devant la caméra. Mais non. C'est vraiment ce que je veux faire. Et vous savez quoi ? J'vais me battre pour prouver que je peux le faire, que j'existe.

Il n'y avait pas une vieille chanson française d'une chanteuse qui disait un peu ça ? Attendez ... Oui voilà France Gall. Laissez-moi retrouver le refrain... Résiste ! Prouve que tu existes ! Lalalala lala...
Aaaaah vous voyez j'ai de la culture hein. J'suis pas un truc tout fade qu'a rien vécu moi monsieur !
Oulah... Vous avez vu l'heure ? J'ai jamais fait aussi long même sur scène...
Sentimentalement je vous en parlerai plus tard peut-être non ? Mais je vois d'ici votre diagnostic ; un peu paumée mais gentille la p'tite blonde.


Dites, vous avez du feu ?