we always see our worst selves. our most vulnerable selves. we need someone else to get close enough to tell us we’re wrong. someone we trust. ;; there comes a time when you have to let go all the words, all the teaching and trust the infinite. ✻✻✻ Je le suivais dans les couloirs du commissariat, soucieuse, laissant un libre cours à mes pensées qui s’accumulaient doucement dans mon esprit. Je ne m’étais pas rendue compte que, en foulant simplement le sol de ce lieu que j’avais tant fréquenté auparavant, mon esprit se mettrait à me narrer tous les instants que j’avais bien pu y vivre. Cela était comme si mon passé refaisait doucement surface ; j’avais beau m’être appliquée pour tout oublier au cours des derniers mois, il ne m’avait pas été possible de véritablement tourner le dos à ce que j’avais pu être. A ce que j’avais pu espérer. A ce qui avait pu m’animer durant des mois, des années. Cela était dur, d’une certaine manière, d’avoir l’impression que cette existence toute entière n’était plus compatible avec le quotidien que j’avais désormais. Cela était comme si j’avais été projetée dans un autre monde, sur une autre planète. Cela était comme si je m’étais abandonnée et qu’un morceau de moi était mort au cours du temps qui s’était écoulé. Je n’avais pas encore eu le temps de faire le deuil de moi-même. Le deuil de cette jeune femme que j’avais été et qui n’était plus. Je fronçai les sourcils, un poids prenant place dans ma poitrine ; je continuai de suivre Theodore en notant à quel point j’aurais tout donné, en cet instant, pour avoir suffisamment de force et marcher à ses côtés, la démarche rapide, le dos droit et les bras chargés de dossier. Un vague sourire habita mes lèvres lorsque je songeai que je savais exactement à quoi cela aurait ressemblé ; mes lunettes immenses auraient glissé le long de mon nez mais mes mains n’auraient pas été libres pour que je puisse les remettre en place. Mes cheveux auraient été attachés en un chignon lâche et mes vêtements se seraient sans doute résumés à une robe et des collants à motifs discrets, une veste en jean et des Doc Martens. Je n’aurais pas eu fière allure mais j’aurais été passionnée par ce que je faisais. Je n’aurais cessé de parler à Rottenford pour lui présenter mes hypothèses et mes idées. Il m’aurait aboyé que j’optais encore une fois pour les solutions de facilité et cela m’aurait blessé dans mon amour propre ; j’aurais tourné les talons pour m’enfoncer dans le commissariat, furibonde, et recommencé au début. J’aurais envoyé un message à Julian pour me plaindre. Et j’aurais observé la bague autour de mon doigt pour me rappeler que je n’étais plus toute seule. Que j’avais le droit de l’aimer puisqu’il m’aimait en retour. Je savais que cela n’était pas un tableau parfait que je me peignais dans mon esprit ; je considérais chaque chose déplaisante et, au lieu de me calmer dans mes ardeurs, cela ne faisait qu’accroitre mon manque. J’avais aimé chaque aspect de ma misérable existence. J’avais eu beau me répéter que je détestais cette vie de recluse, je savais, maintenant, que j’avais eu de la chance. De la chance à ma manière. Theodore finit par s’arrêter dans son élan, pour finalement se tourner vers moi et se pencher à ma hauteur. Mes yeux se plongèrent dans son regard et je l’observai avec attention, revenant doucement sur Terre malgré les divagations de mon esprit torturé. « Je ne tire jamais en premier. Je ne fais que défendre une cause – et quelques personnes. » me confia-t-il et j’esquissai un léger sourire. Il finit par se redresser, comme pour se montrer plus hautain, plus éloigné de la situation. « Combien de temps encore, devrais-je supporter ton vouvoiement diabolique ? Tu crois que parce que tu es ironique je ne peux pas apprécier les semblants de respect que tu m’accordes, mais tu te trompes, Ginny… » Mon surnom flotta dans sa bouche avant qu’il ne décide de tourner les talons et poursuivre sa route. Je secouai la tête en continuant de m’avancer. J’étais sarcastique et respectueuse. Je jouais avec le feu sans me brûler ; quelque part, je me plaisais à faire la balance entre ces deux façons de m’adresser à lui. J’aimais lui montrer que je n’étais pas faible. J’aimais lui prouver qu’il pouvait me respecter, lui aussi, et que je méritais qu’il le fasse. Mais, par-dessus tout, j’aimais lui témoigner de mon respect, parce que c’était ainsi. Je l’avais toujours tenu sur un piédestal avant qu’il n’en tombe de lui-même. Nous finîmes par sortir à l’extérieur du commissariat, et je suivis Theodore jusqu’à sa voiture ; je le vis par son regard paniqué qu’il remettait en question sa décision de me ramener chez moi. J’esquissai un sourire en coin sans pouvoir m’en empêcher. « Tu préfères peut-être prendre un taxi ? » Sa question trancha l’air. Je me mis à rire doucement. « Je n’ai pas les moyens. Je serais rentrée en métro si vous ne m’aviez pas demandé de faire tout ce chemin jusqu’à votre voiture avant de… Changer d’avis. » J’haussai les épaules tandis qu’il se dirigeait vers sa voiture pour m’ouvrir la portière. Je m’avançai doucement à sa suite, avant qu’il ne finisse par se tourner vers moi une nouvelle fois. « Tu peux monter toute seule, n’est-ce pas ? » me demanda-t-il. J’hochai tout simplement la tête avant de prendre une profonde inspiration. Sa voiture était plutôt basse, puisqu’il s’agissait d’un cabriolet ; cela était légèrement plus difficile pour moi, mais je ne cessais de me répéter que cela irait. J’avais connu pire. Je l’observai du coin de l’œil avant de faire quoi que ce soit. « Mes chaussures sont propres. Je n’ai pas eu l’occasion d’user leurs semelles. » lui lançai-je avant de positionner mes pieds à l’intérieur du véhicule. Lorsque mes doigts attrapèrent l’appuie-main, je m’arrangeai de sorte à ce que mes jambes bouge en même temps que le reste de mon corps ; après quelques légers problèmes, je finis par m’installer correctement dans le siège passager et je l’observai depuis la voiture. « Si tu redresses le repose-pied et que tu appuies ici en le tenant comme ça, tu peux le ranger pour qu’il puisse tenir dans ta voiture. » lui lançai-je avec assurance. Julian avait réussi à le faire. J’étais persuadé que Theodore saurait s’en tirer sans trop de mal. « Si ça peut te rassurer, mes roues ne sont pas si sales. Je ne me déplace pas énormément ces temps-ci. » Je lui adressai l’ébauche d’un sourire, comme si cela était la garantie que tout se déroulerait comme il fallait. Après, j’étais avec Theodore, d’une certaine manière ; il laissait rarement les choses s’échapper de son contrôle.
(✰) message posté Lun 9 Mar 2015 - 16:13 par Theodore A. Rottenford
‘‘Curiosity is the lust of the mind and its greatest weakness.’’ ✻ Je n’aurais jamais su faire la différence. Dans ce monde ou un autre, je suivais toujours le même parcours. Mon cœur ciré s’élançait vers les voies tumultueuses de la raison. Je n’étais pas vraiment reclus, mais ma passion ne trouvait jamais d’écho pour l’accompagner dans ses fluctuations mélodieuses. J’avais un plus jeune frère dont je ne parlais jamais. Il était particulier. Son esprit avait le don de créer la magie de la vie. Il s’entourait d’émotion et de liberté sans aucune restriction. Je le jalousais peut-être secrètement car il connaissait les jouissances ailleurs qu’au sein de la mafia. Mais c’était le destin que j’avais choisi. Eugenia ne me connaissait qu’à moitié. Je sentais ses yeux ternes s’attarder sur les courbures de ma mâchoire à la recherche d’un tic nerveux, ou d’un signe de maladresse. Entre nous, la confiance s’était brisée en mille morceaux. J’avais franchi les limites qu’elle m’avait autorisé en bravant les valeurs justicières qu’elle adorait tant. J’avais fini par la décevoir comme tous les autres, je suppose. Je ne connaitrais probablement jamais la quiétude de l’esprit mais ce n’était pas vraiment important. Il n’y avait pas de répit pour les âmes corrompues par la douleur. Je portais en moi le deuil de mon ami d’enfance et de toutes les personnes que j’avais saigné à mort. Je soupirai en balançant mes bras de part et d’autre mon torse raide. Je me consumais par les flammes de mon propre désir car le feu qui m'entourait était éternel. Mon ombre soupirante s’enfonçait dans le couloir interminable. Au final, j’étais désespéré de recevoir la clémence d’un Dieu que je n’avais fait que tromper. Les roues du fauteuil roulant grinçaient à ma suite, comme pour ponctuer le fil de mes pensées. Au bout de quelques secondes, ce son bizarre raisonnait comme une musique à mon oreille. Il me guidait dans ma longue marche mortuaire.
Je sentis le vent à la fois apaisant et brûlant, se glisser sous mes vêtements légers afin d’enlacer mon corps tendu. Je refusais de m’attarder sur mes émotions en cet instant. La religion de l’amour n’était qu’une supercherie. Je ne connaissais que ce qu’on m’avait appris – et comme aveuglé par l’avidité, je suivais les directives d’une force puissante et invisible. Je devais obéir. Je devais faire ce sacrifice. Le mal existait pour compléter un bien encore plus vaste et plus grand. Je sombrais de manière volontaire. Je me cachais dans les abimes sombres afin de mieux côtoyer l’antre du démon, mais l’air me filait entre mes doigts et je réalisais que le salut était un sentiment inatteignable. Je me postai machinalement en face de ma voiture. Je ne regrettais pas mon invitation mais mes complexes compulsifs étaient incontrôlables. « Je n’ai pas les moyens. Je serais rentrée en métro si vous ne m’aviez pas demandé de faire tout ce chemin jusqu’à votre voiture avant de… Changer d’avis. » Je serrais les dents sans répondre à son insolence. Au lieu de cela, je lui ouvris la portière d’un geste lent. Elle bougeait de manière presque automatique, et je compris en détaillant sa chorégraphie parfaite que la jeune femme qui se tenait devant moi était belle et bien différente de la gamine curieuse que j’avais connue. Eugenia était tenace et courageuse. Elle était à l’image du clair de lune troublant et magnifique qui ne pouvait être retraduit nulle part que dans le ciel étoilé. C’était étrange. Je me sentais fier de ses accomplissements comme si notre lien était resté immuable face au temps. « Mes chaussures sont propres. Je n’ai pas eu l’occasion d’user leurs semelles. » Souffla-t-elle en complétant de se positionner. Je ne lui répondis pas, préférant me pencher sur son fauteuil. Mes mains emprisonnèrent les accoudoirs en cuir d’un geste habile et je suivis ses explications sans difficulté. « … Si ça peut te rassurer, mes roues ne sont pas si sales. Je ne me déplace pas énormément ces temps-ci. » Finit-elle par avouer. Je relevai mes yeux ténébreux vers elle avant d’arquer un sourcil. « Merci de te soucier de mes troubles obsessionnels, mais je vais bien. » Claquai-je en me dirigeant vers la banquette arrière. Je déposai son fauteuil plié en murmurant ; je vais bien.
J’activai le moteur avant de quitter le parking du commissariat en silence. Nous n’avions pas forcément besoin de parler pour communiquer. Je pouvais entendre la respiration légère d’Eugenia se verser dans l’habitacle et elle pouvait sentir mes paumes se frotter contre le volant. Cet instant éphémère me projetait vers la nostalgie de nos enquêtes informelles. La petite était têtue, elle refusait de ployer face à l’adversité. Il avait failli prendre une balle pour moi. Je me tournai lentement vers elle afin de fixer son bras maigrichon. Le plomb n’avait fait que l’égratigner, mais je me demandais si elle gardait toujours une trace de ce jour-là. Moi, je ne l’oubliais pas. « Que fais-tu de tes études ? » M’enquis-je tout à coup. Je savais qu’elle avait suivi des cours à domicile de communication pendant un temps, puis j’avais perdu sa trace à cause de mes diverses occupations. Son accident ne m’avait pas personnellement touché, mais je m’étais senti vaseux pendant quelques jours. Je crispai ma prise sur la boite de vitesse avant de m’enfoncer dans les rues bondées de Londres. « J’espère que tu n’es pas pressé. C’est l’heure de pointe. » Fis-je remarquer en désignant la longue file de voitures dans la rue principale de Westminster. Je m’arrêtai au détour d’un carrefour avant de tenter un demi-tour ; en vain. Nous étions coincés pour quelques temps.
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(✰) message posté Mer 18 Mar 2015 - 21:28 par Invité
we always see our worst selves. our most vulnerable selves. we need someone else to get close enough to tell us we’re wrong. someone we trust. ;; there comes a time when you have to let go all the words, all the teaching and trust the infinite. ✻✻✻ Je plaçai mes mains sur mes genoux, observant l’intérieur de la voiture avec attention. L’habitacle était très propre ; cependant, cela ne m’étonnait même plus. Avec le temps, j’osais encore penser que je le connaissais encore. Avec tout ce qui avait bien pu se passer, j’osais encore prétendre pouvoir anticiper certains de ses gestes, certains des faits concernant son existence. Il avait été mon supérieur. J’avais été sa stagiaire. Ce lien aussi banal puisse-t-il être, m’avait profondément marqué. Je me souvenais encore de ces longues soirées où il m’avait contrainte de travailler comme une forcenée. J’avais cessé de compter ses ce n’est pas assez, Lancaster. Je pouvais encore l’entendre m’aboyer que nous sortions pour faire un tour. Lors d’un bref instant, tel un souvenir fugace, je me rappelai de cet instant où je n’avais pas hésité une seule seconde pour le sauver. Qu’aurais-je fait, si j’avais su ? Si j’avais su qu’il détournait la loi, cette loi qu’il osait défendre lors de ses heures de service ? Je me serais sans doute interposé quand même. Cela n’aurait sans doute changé rien, absolument rien, dans chacun des gestes que j’avais bien pu avoir à son encontre. J’étais peut-être têtue et bornée, obsessionnelle et excessive, mais avec le temps, je m’étais quand même attachée à mon tyran comme les victimes atteintes du syndrome de Stockholm. Je l’avais observé avec admiration. Et, avec le temps, je savais que je continuais de le voir avec cette même étincelle au fond de mon regard. Cependant, cette fois-ci, je savais sans doute mieux la cacher qu’auparavant. « Merci de te soucier de mes troubles obsessionnels, mais je vais bien. » me dit-il. J’esquissai un vague sourire et il disparut à l’arrière du véhicule pour ranger mon fauteuil. Il fit le tour pour finalement s’installer à mes côtés, derrière le volant. Il mit le contact. Et nous étions partis. Je demeurai silencieuse, observant avec prudence la route qui s’étalait sous mes yeux. La circulation londonienne était dense mais cela ne m’étonnait qu’à moitié ; je cherchais simplement un sujet pour mon esprit afin qu’il puisse se focaliser sur autre chose que ma présence à bord d’une voiture. Cela faisait des mois. De très longs mois. Pourtant, je sentais encore cette peur me saisir dans mes instants de faiblesse et je m’imaginais, de nouvelles fois, revivre cet évènement où ma vie toute entière avait basculé. Je ne savais pas si Theodore le sentait, à mes côtés. Je ne savais pas s’il se rendait compte de mes angoisses passagères, de ces angoisses que je maintenais au fond de mon être parce que je refusais, tout simplement, d’avoir peur du passé. Cela me coutait, pourtant. Cela me coutait si cher d’être forte. Forte pour moi, forte pour les autres, forte pour le monde. J’entendais la respiration de Theodore à mes côtés et je devinais presque l’instant où il se décida à reprendre la parole. Il y eut un bref mais profond silence ; seulement alors, sa voix grave s’éleva dans l’habitacle. « Que fais-tu de tes études ? » s’enquit-il et je me mordis l’intérieur de la joue pour me forcer à ne pas lui répondre. Je ne savais pas si cela était une question rhétorique afin de me faire la morale ou s’il se posait réellement la question. Après tout, Theodore et nous provenions du même moule, d’une certaine manière ; avant de nous interroger sur un sujet particulier, nous prenions toujours la peine de nous renseigner un minimum. Peut-être savait-il, alors. Peut-être savait-il que tout cela était derrière moi et voulait-il simplement en profiter pour me faire un discours sur l’imbécilité profonde de mes réactions. « J’espère que tu n’es pas pressé. C’est l’heure de pointe. » Il me tira de mes rêveries et je fixai les voitures qui nous piégeaient dans la circulation. J’étais plus à l’aise, déjà, lorsque nous étions immobilisés. Je sentais la panique sourde doucement m’abandonner. « J’ai tout arrêté. » finis-je par concéder, répondant à sa précédente questions. Mes paroles avaient été comme portés dans une plainte ; j’avais la sensation de confesser un de mes plus grands crimes. Au fond, peut-être en était-ce un, aux yeux de Theodore. Je n’en savais rien, au fond. Il s’était bien appliqué à me faire comprendre qu’il ne voulait plus me voir, plus entendre parler de moi. Peut-être avait-ce été un soulagement, quand il s’était rendu compte que j’étais partie du King’s College. « Je sais ce que tu vas me dire… Que c’est idiot étant donné qu’il ne me restait qu’une poignée de fichus examens pour être diplômée et entrer dans la police comme prévu. Ne t’en fais pas. On m’a déjà fait la leçon. » Je pris une profonde inspiration avant de passer une mèche de cheveux derrière mes oreilles. Je me rendis compte que je tremblai. Je tremblai parce que, de toutes les personnes que je pouvais connaître, j’avais l’impression que cela était à Theodore que j’avais le plus de comptes à rendre vis-à-vis de mes études. « Mais je n’ai pas réussi à continuer. Pas en droit, ni même ailleurs. J’ai arrêté. C’est sans doute mieux comme ça. Je n’ai pas l’argent, ni même le temps de toute manière. Le tennis et la rééducation me demandent beaucoup trop d’attention et de sous que je puisse songer à réellement reprendre mes études. » J’haussai vaguement les épaules. J’entendis presque la voix de Theodore me murmurer ce n’est pas assez à l’oreille, comme lorsque j’avais eu l’habitude de lui présenter des hypothèses bâclées pour ses enquêtes. Je frissonnai doucement avant de poser mon regard droit devant moi, sur la route qui n’avançait pas ; je ne pouvais pas le fuir. Plus maintenant. Et Dieu savait à quel point je pouvais avoir peur de son avis, de ses paroles.
(✰) message posté Jeu 16 Avr 2015 - 0:00 par Theodore A. Rottenford
‘‘Curiosity is the lust of the mind and its greatest weakness.’’ ✻ Les panneaux de signalisation défilaient lentement sous mon regard profond, sans que je ne puisse me détacher de ma torpeur. Mes pensées chahutaient dans ma tête. Je songeais à l’avenir prometteur que j’avais un jour perçu dans l’essence courageuse d’Eugenia Lancaster, et étrangement, je me languissais de sa passion presque malsaine pour les enquêtes compliquées et les cas désespérés. J’étais hélas un tueur sanguinaire. Je n’avais rien de bon à transmettre, cependant j’avais appris en côtoyant les valeurs fantaisistes de cette gamine, que l’univers aussi vaste et ténébreux soit-il, était parsemé par les filets d’une lumière salvatrice. C’était l’espoir qui avait quitté les traits de son visage après son accident. Il m’était impossible d’observer son expression en détails sans ressentir une certaine tristesse. J’avais l’impression que je lui devais une part de mon humanité car malgré nos chamailleries et mon autorité obsessive, je l’avais estimé comme mon égale : une représentante des forces de l’ordre. « J’ai tout arrêté. » Affirma-t-elle sans aucune émotion. Mon souffle se brisa dans ma gorge. Je serrai ma prise sur le volant de la voiture en la regardant au coin. C’était la froideur déroutante que j’aimais la voir arborer lors des interrogatoires. « Je sais ce que tu vas me dire… Que c’est idiot étant donné qu’il ne me restait qu’une poignée de fichus examens pour être diplômée et entrer dans la police comme prévu. Ne t’en fais pas. On m’a déjà fait la leçon. Mais je n’ai pas réussi à continuer. Pas en droit, ni même ailleurs. J’ai arrêté. C’est sans doute mieux comme ça. Je n’ai pas l’argent, ni même le temps de toute manière. Le tennis et la rééducation me demandent beaucoup trop d’attention et de sous que je puisse songer à réellement reprendre mes études. » Je relevai mon menton vers la rue bondée. Un rire cristallin m’échappa tandis que j’enfonçai mon pied sur l’embrayage. En effet, j’aurais pu critiquer ses choix pour le simple plaisir de prolonger notre bras de fer, mais je me retins par principe. Elle se trompait à mon sujet. « Tu avais raison d’abandonner. » Sifflai-je d’une voix stridente.« Je pense qu’il faut courir pour rattraper un suspect. C’est injuste, mais tu ne seras jamais à ta place sur le terrain. » Ma langue claqua vicieusement contre mon palais. Ange déchu, tu es mon sauveur lorsque le vent fouette la poussière, mais je te vois sombrer dans les flammes de mon enfer. Ginny, aussi loin que mon instinct de protection t’éloigne, je m’arroche tous les jours à tes rêves brisés. Si seulement je pouvais te prêter ma vision noire. Ce ne sont pas les hommes qui brandissent les flingues qui font la justice. Ceux-là, n’ont plus le cœur à se battre. Face aux vices, c’est la ruse qui gagne à tous les coups. Tu as toujours été une grande enquêtrice. Un vrai soldat obéit sans restriction mais tu es bien trop sauvage pour être dompté. Tu galopes vers ton sort sans regarder en arrière, mais es-tu aussi libre que je le crois ? Je déglutis en chassant mes divagations. Mon oreille sourde bourdonna violement au creux de ma raison. « Cependant, tu n’as pas besoin de tes jambes pour raisonner. » Je gardais le visage rivé droit devant, incapable de lui offrir un sourire réconfortant. Je me tournai machinalement en calant ma main derrière le dossier de sa chaise. Nous étions cernés par les véhicules, et l’idée d’être coincée dans l’apathie me rendait nerveux. Je soupirai avant de regarder l’heure qui s’affichait sur le tableau de bord. J’étais déjà en retard pour récupérer Jasmine – Olivia travaillait souvent de nuit, et Julia devait diriger tout le service de traumatologie de l’hôpital. Je peinais à intégrer l’éducation d’un bébé dans mon quotidien tumultueux, et pourtant, je ne l’aurais abandonné pour rien au monde. La paternité était un sentiment complexe, à la fois étouffant et insurmontable, mais il y avait quelques jouissances à retrouver l’expression innocente d’un enfant qui était à moitié fait de moi. Les secondes se consumaient dans une lenteur maladive, je me tortillai au bout de 20 minutes, lorsque mon téléphone vibra. - Je rentre au bloc. Mon interne est déjà devant ta porte avec Jazz. Julia.
Je n’y serais jamais à temps. Le trafic commençait à peine à se libérer. J’haussai les épaules d’un air contrarié avant de me retourner vers Eugenia. « Je suis désolé mais on va devoir passer chez moi avant. » J’appuyai sur la pédale avant de rebrousser chemin vers le quartier asiatique de la ville. Mon profil aigu et vigoureux s’accordait avec ma posture droite. Je fonçai vers mes appartements sans un mot. Je stationnai avant de sortir le fauteuil de la jeune femme. « Tu vas devoir descendre, il se peut que je tarde un peu. » Murmurai-je en ancrant mon regard ombrageux dans le sien. La vérité était imminente et pourtant, je ne parvenais toujours pas à parler de Jasmine. Elle me semblait parfois surréelle mais aucun fantôme ne pouvait être aussi fulgurant que les éclats de rire d’un enfant. J’aperçu la silhouette de l’interne de Julia au loin. Je m’approchai à pas pressé, laissant Eugenia derrière moi. Je tendis mes bras vers le couffin de Jasmine avant de la gratifier d’un sourire franc. J’ouvris la porte de l’entrée à la volée avant de m’engouffrer dans le hall. La décoration sobre et élégante des murs était en désaccord avec les couleurs criardes des jouets pour enfants rangés sur la commode. Je soupirai en logeant Jazz sur mon torse. Elle m’adressa un regard troublé avant de régurgiter sur ma chemise. Je l’éloignai aussitôt, les sourcils froncés. L’odeur aigrelette du lait fermenté s’engouffrait dans mes narines, tandis que j’essuyais sa petite bouche avec un mouchoir en tissu. « Tu peux la tenir ? Je dois me changer. » Grinçai-je en me penchant vers Eugenia.
we always see our worst selves. our most vulnerable selves. we need someone else to get close enough to tell us we’re wrong. someone we trust. ;; there comes a time when you have to let go all the words, all the teaching and trust the infinite. ✻✻✻ Je n’osai même pas glisser un regard en direction de Theodore. Mes yeux demeuraient fixés sur le pare-brise, inlassablement, alors que je laissais un libre cours à mes pensées volatiles. Je me demandais ce qu’il pouvait bien penser, lui, à mes côtés. Je me demandais ce sur quoi il devait bien s’attarder. Je doutais qu’il m’accorde suffisamment d’importance pour me consacrer ses pensées en ce moment même ; je le sentais bien s’agiter à mes côtés, après tout, alors que les autres voitures s’immobilisaient autour de nous. Son esprit devait se focaliser sur la densité du trafic. Sur les dossiers et les cas dont il s’occupait actuellement. Sur ce qu’il allait bien pouvoir faire ce soir. Sur ces magouilles qui semblaient toujours rythmer son quotidien. Il n’y avait pas de place, dans son crâne, pour une jeune femme handicapée comme moi ; j’avais fait partie de sa vie par le passé, ce passé désormais révolu, ce passé qui appartenait à une époque lointaine et brumeuse. Je n’avais jamais eu suffisamment d’importance pour être portée dans son estime et je m’étais faite à cette idée ; à vrai dire, je la respectais autant que je pouvais bien le respecter lui. D’une certaine manière, j’avais toujours été un parasite. Un parasite dans son existence, un parasite pour les autres. Un parasite qui fouillait un peu trop loin, un parasite qui empiétait sur son quotidien, un parasite qui n’hésitait pas à se faire une place là où elle n’était pas la bienvenue. Désormais, si je ne faisais plus partie de sa vie, j’étais toujours un parasite. Un parasite différent. Mais toujours un poids pour la société, un poids pour les autres. Je me mordis l’intérieur de la joue avec application, comme si cela allait m’aider à mettre un frein au cours de mes pensées, ces pensées qui allaient trop vite dans mon crâne. Cela me faisait du mal, quelque part, de me rendre compte que je n’étais rien, absolument rien. Cela me faisait mal de me rendre compte que j’étais insignifiante dans les vies de ceux qui avaient été importantes à mes yeux. « Tu avais raison d’abandonner. » Sa voix me ramena sur Terre, et mon cœur s’arrêta quand j’entendis ses mots. Je tournai la tête vers lui avec précaution, ayant profondément peur de ce qu’il s’apprêtait à me dire. Je connaissais cette vérité. Il ne faisait qu’énoncer à voix haute ce que j’avais toujours pensé tout bas. Cependant, l’entendre de sa bouche me paraissait encore plus dur que toutes les pensées dépréciatives que j’avais bien pu avoir à mon encontre. « Je pense qu’il faut courir pour rattraper un suspect. C’est injuste, mais tu ne seras jamais à ta place sur le terrain. » Je déglutis avec difficulté, sentant mes joues se teinter de plaques rouges. J’hochai la tête sans doute avec trop de conviction pour appuyer ses paroles, profondément blessée. Je ne comprenais pas ma réaction, cependant. Je ne comprenais pas que cela puisse me faire du mal. Je ne comprenais pas pourquoi entendre la vérité, cette vérité dont j’avais conscience, cette vérité que j’avais admise, me faisait autant de mal. Cela était sans doute parce que cela venait de lui. Cela était sans doute parce qu’il était celui dont l’avis m’importait le plus. Parce qu’il était celui à qui j’accordais le plus de crédit malgré tout ce qui avait bien pu se passer. Je pris une profonde inspiration, tentant en vain de ravaler mes déceptions. « Cependant, tu n’as pas besoin de tes jambes pour raisonner. » Je fronçai les sourcils. Je ne savais pas réellement comment interpréter ses paroles ; il me jetait du chaud, puis du froid, comme s’il s’amusait avec mes émotions et mes sentiments. « Certes. » concédai-je néanmoins. « Mais personne ne voudrait d’une infirme qui sait raisonner dans son équipe. Vous l’avez dit vous même. Je n’aurais jamais pu aider sur le terrain. J’aurais été un fardeau pour tout le monde, y compris moi. » Puis, finalement, je tournai de nouveau la tête vers le pare-brise pour observer la circulation, les joues toujours rouges de gêne. Je me focalisai sur ses inspirations pour faire le vide dans mon esprit, en vain, presque ; je ne cessais de repenser à ses paroles pour comprendre où est-ce qu’il avait bien pu vouloir en venir. Puis, finalement, je me laissai avoir par le temps, m’enfonçant tant dans mes pensées que je ne remarquai pas le reste. Ce fût le vibreur du téléphone de Theodore qui me tira de mes rêveries, et je tournai doucement la tête vers lui. « Je suis désolé mais on va devoir passer chez moi avant. » Je demeurai silencieuse. J’avais appris à garder mes questions pour moi, après tout. Il ne prit pas la peine de me donner des informations supplémentaires ; il se dirigea dans Chinatown, pour finalement s’arrêter devant l’immeuble où il habitait. Il se gara sans un mot, avant de descendre. Je me préparai à rester là mais il fit le tour du véhicule pour sortir mon fauteuil roulant et le présenter devant ma portière. « Tu vas devoir descendre, il se peut que je tarde un peu. » J’hochai la tête sans un bruit, avant de finalement sortir de sa voiture. Je le suivis à distance, pénétrant à l’intérieur de son immeuble. Je l’observai de loin, fronçant les sourcils en voyant une personne lui tendre le couffin d’un bébé, mais je ne fis absolument aucun commentaire ; je me contentai de le suivre, mille et une questions germant dans mon esprit. Cela était son enfant, je n’en doutais pas un seul instant. Cela était son enfant mais je peinais à imaginer Theodore avec une vie de famille. Cela était son enfant mais je n’avais jamais entendu parler de sa naissance, ni même d’une mère potentielle. J’entrai à l’intérieur de son appartement, les yeux rivés sur lui ; finalement, j’entendis un petit hoquet venant du bébé, et il se tourna vers moi presque aussitôt. Je notai le lait renvoyé sur ses vêtements, alors qu’il me tendait l’enfant. « Tu peux la tenir ? Je dois me changer. » Sa demande me surprit, mais j’acquiesçai. « Oui, oui, bien sûr. » lui répondis-je en accueillant le bébé dans mes bras. Je me sentais légèrement mal à l’aise, mais la chaleur qui émanait du petit corps de l’enfant était presque rassurante. J’observai ses traits, alors que Theodore se hâtait déjà pour changer de vêtements. « Mais t’es qui, toi ? » murmurai-je doucement au bébé, la serrant fort contre moi, ayant presque peur de la faire tomber. Je caressai sa joue. Cela était son enfant, oui, mais avec les mois que j’avais pu passer aux côtés de Theodore, je ne l’imaginais pas père. « Il semblerait que ton papa ne m’ait pas tout dit, hein ? C’est pas grave. Il a toujours été très secret. » poursuivis-je, avant de rire doucement. « Même si je ne vois pas pourquoi il aurait voulu cacher une aussi belle frimousse. » Elle était incroyablement apaisante, oui. Son visage me renvoya une mine rayonnante, et je ne pus m’empêcher de rire. Elle me faisait presque oublier. Oublier ce qu’il avait pu me dire.
(✰) message posté Dim 3 Mai 2015 - 0:57 par Theodore A. Rottenford
‘‘Curiosity is the lust of the mind and its greatest weakness.’’ ✻ Je ne savais pas réellement comment exprimer le fond de ma pensée ; les fantômes du passé chahutaient au creux de ma tête, pris entre les feux ravageurs du mal qui se consumait en moi. Je portais un terrible fardeau, un secret inadmissible qui me bouffait de l’intérieur depuis l’apparition de Jasmine dans ma vie. Quel était ce sentiment grisant qui troublait le cours de ma routine ? Pourquoi les parois de mon cœur glacé laissaient-elles échapper des larmes de tristesse en rencontrant le visage allongé d’Eugenia ? Je soupirai en sentant son regard perçant se poser sur moi. La vérité cruelle qui se versait dans l’habitacle de la voiture la rendait mélancolique, mais je n’avais aucune intention de la blesser - pour une fois. « Certes. Mais personne ne voudrait d’une infirme qui sait raisonner dans son équipe. Vous l’avez dit vous même. Je n’aurais jamais pu aider sur le terrain. J’aurais été un fardeau pour tout le monde, y compris moi. » Je fronçai les sourcils d’un air concerné. Moi, j’aurais voulu d’elle. Pas parce qu’elle était handicapée, ou que j’avais pitié de son destin – Il était clair que je n’étais pas le genre d’homme animé par ce genre de niaiseries - mais parce que je connaissais ses talents et sa passion pour les enquêtes. Ginny, tu es ton propre sauveur. Mon cœur se serra dans ma poitrine avant de pomper mon sang brûlant à toute allure. Je papillonnai des yeux à plusieurs reprises, avant de me concentrer sur la route. J’étais désolé de ne pas pouvoir encourager ses rêves brisés. A vrai dire, je pouvais que la mettre sur la voie de la raison sans la pousser vers mes retranchements. Je refusais de lui vendre l’espoir éphémère d’un avenir meilleur, mais j’aurais tant voulu qu’elle comprenne que je l’acceptais encore dans mon équipe même si j’étais indigne de sa confiance. Je déglutis douloureusement. Ma gorge s’enflammait, assailli par mes incertitudes. Je ne te laisserais pas revenir dans mon monde. Tu es comme ma Jasmine ; un faisceau de lumière qui brille dans l’obscurité sans prendre part aux ténèbres. Je serrai ma prise sur le volant. « Une tierce personne est toujours un fardeau sur le terrain, handicapée ou pas. Le concept d’équipe c’est d’être soudé. La possibilité de perdre un coéquipier est toujours pesante. » Ma langue fourcha tout à coup. Je me livrais à elle sans m’en rendre compte ; il y avait des rumeurs sur mon caractère glacial. Certains disaient que j’avais perdu mon meilleur ami pendant une prise d’otage, d’autres pensaient que je l’avais abattu pour me libérer de la charge de son corps blessé ou que je l’avais abandonné pour m’en sortir – Il y avait tellement de versions que je peinais à faire la part des choses. Parfois, j’avais l’impression que la culpabilité qui rongeait mon âme ne me quitterait jamais. Ce n’était pas une question de deuil, mais je n’aimais pas l’idée de lui avoir survécu aussi impunément. J’avais hérité de sa place au sein de la mafia et de la considération de son père, le grand chef O’Connor, mais le vide qui envahissait ma poitrine à chaque fois que je me rappelais des circonstances de sa disparition me rendait extrêmement fébrile. Mon obsession irrationnelle pour la propreté avait commencé ce jour-là. Je pensais qu’en chassant toutes les traces de sang qui maculaient mes vêtements je pourrais oublier le sifflement ronflant de ses derniers soupirs. Mais j’avais beau astiquer, ses traits figés me hantaient encore. Il s’était évanoui dans mes bras, brusquement, cruellement, en plein milieu d’une phrase. La vie m’avait arraché mon seul ami. Je l’avais connu depuis l’enfance, mais lorsque ses yeux gris s’étaient éteints, j’avais eu l’impression de me retrouver face au cadavre d’un étranger. Ce n’était pas son expression enjouée ; ce n’était pas sa bouche mesquine et taquine. C’était un étranger mort. Je soupirai en stationnant en face de mon immeuble. Le visage poupin de Jasmine me transportait vers une dimension parallèle, où le seul but de mon existence se résumait à la protéger de la pègre irlandaise. Je remis une nouvelle chemise après avoir rapidement rejoint l’étage. Il n’y avait personne dans l’appartement, Kaspar était certainement occupé à flâner en ville au bras de sa petite amie rouquine, inconscient que le monde paisible dans lequel il vivait n’était qu’une illusion. Dehors, le danger guettait la moindre faille pour faucher les vies par millions. Je regardais mon reflet dans le miroir avant de rajuster mon col. Je pris un bavoir d’échange et une serviette hygiénique à la volée, puis je dévalai les marches à pas de course. Je n’aimais pas rester éloigné de la petite trop longtemps. La paternité était une sensation étrange ; j’avais peur qu’elle se rende compte de mon absence. Pouvait-elle faire la différence entre mon expression habituelle et mon air ému lorsque je posais mon regard abyssal sur elle ? Je redoutais mon attachement pour cette petite. Passé le doute et l’effroi de notre première rencontre, je me rendais compte de toute l’attention que j’étais prêt à lui accorder. J’avais choisi ses prénoms impulsivement, sans m’attarder dans de longues réflexions pour une fois. Elle me changeait.
J’esquissai un sourire au coin en observant Eugenia bercer Jazz. Je me raclai la gorge afin d’annoncer mon arrivée imminente. « Je pense qu’elle t’aime bien – c’est bizarre, elle fait toujours la grincheuse avec les gens qu’elle ne connait pas. » Elle tendit ses petites mains afin d’agripper les cheveux de Ginny, mais au lieu de tirer dessus, elle se contenta de les enrouler autour de ses doigts. J’arquai un sourcil avant de me pencher pour la récupérer. « Je vais la reprendre. » Jasmine lança un cri déchirant au moment même où elle fut séparée d’Eugenia. Je tentai de la calmer mais elle continuait à se débattre contre mon torse, rejetant tous mes efforts pour l’étreindre. Elle était indomptable lorsqu’elle faisait ses crises. Je ne savais pas comment la réconforter, alors je me contentais de l’agiter au gré de ses pleurs désagréables. Mon oreille sourde bourdonnait dans ma tête, et je dû me faire violence pour ne pas céder à la colère à mon tour. Je soupirai ; « Elle doit tenir ça de sa mère. » M’adressai-je à mon ancienne stagiaire dans une tentative d’humour maladroite. Je levai les yeux au ciel. « Chut Jasmine. »
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(✰) message posté Dim 3 Mai 2015 - 16:51 par Invité
We always see our worst selves. our most vulnerable selves. we need someone else to get close enough to tell us we’re wrong. someone we trust. ;; there comes a time when you have to let go all the words, all the teaching and trust the infinite. ✻✻✻ « Une tierce personne est toujours un fardeau sur le terrain, handicapée ou pas. Le concept d’équipe c’est d’être soudé. La possibilité de perdre un coéquipier est toujours pesante. » Ses paroles résonnaient encore dans mon esprit quand je passais le seuil de la porte d’entrée. C’était comme si ses mots flottaient dans mon crâne, flottaient encore et encore, flottaient jusqu’à ce que je finisse par leur trouver une signification. Je savais qu’il avait perdu quelqu’un, oui. Je savais qu’il y avait un vécu derrière ses affirmations. Je savais qu’il ne s’agissait pas de paroles en l’air, qu’il pesait chacun de ses mots. Mais mes connaissances s’arrêtaient là. J’étais presque persuadée que cela ne pouvait se comparer à une situation où je serais impliquée, d’une manière ou d’une autre ; alors, au lieu de chercher des réponses, je laissais simplement mes interrogations de côté. Cela était plus simple de cette manière. Plus simple d’instaurer de la distance entre ses paroles codées et mes interprétations erronées. Je savais qu’il y avait toujours un prix à payer, quand on finissait par travailler en équipe. Je savais qu’il y avait sans cesse cette peur, cette peur de perdre l’autre, cette peur qu’il nous laisse seul. Cette peur qu’il nous abandonne. J’avais ressenti cette angoisse, la fois où je l’avais bousculé pour lui éviter de se faire tirer dessus. Je l’avais ressenti dans tout mon être. J’avais eu peur qu’il meurt. J’avais eu peur qu’il connaisse ses derniers instants. J’avais eu peur qu’il lâche prise. J’avais eu peur de me retrouver seule. Seule sans lui. Alors, oui, un coéquipier était toujours un fardeau, sur le terrain, qu’il soit handicapé ou pas. Mais, si je venais à intégrer la police un jour, je n’aurais jamais l’occasion de mener des opérations de ce type. Je n’aurais jamais la possibilité de venir les aider. Je serais un fardeau différent ; un fardeau inutile, un membre de l’équipe dont on pourrait se passer. Après tout, entre une personne capable de courir et moi, le choix pouvait être très vite fait. Et cela était sans doute ce qui me faisait le plus peur. Cela me faisait peur parce que j’étais terre à terre. Parce que je ne vivais plus dans une existence peuplée de rêves et de doux songes. Parce que, de cette manière, je me rendais bien compte que je n’avais aucune chance. Que je n’avais aucune chance d’être choisie, un jour. Alors, inconsciemment, j’avais tout arrêté avant de pouvoir raté. Avant de pouvoir être rejetée. Je focalisai mon attention sur la petite, répondant à chacun de ses sourires. Je savais que j’avais agi comme une perdante, que je n’avais pas pris la peine de saisir la petite chance que j’avais eu de m’en sortir. Je ne m’étais pas battu. J’avais abandonné la bataille avant même de perdre la guerre. « Je pense qu’elle t’aime bien. C’est bizarre, elle fait toujours la grincheuse avec les gens qu’elle ne connait pas, » me dit Theodore en revenant dans la pièce. Je relevai la tête vers lui pour lui adresser un sourire. Il y avait une centaine de questions qui se pressaient dans mon crâne mais je savais que je n’avais pas le droit de les poser ; alors je reportai mon attention sur la petite fille, occupée à jouer avec mes cheveux. « Je vais la reprendre. » Il se pencha vers moi pour ponctuer ses paroles, la récupérant dans ses bras. Aussitôt, elle s’agita, poussant des petits gémissements suraigus d’enfant en bas âge ; j’observai Theodore se débattre avec elle, presque désolé pour lui. Elle avait été si calme, dans mes bras. Si calme que je ne l’avais même pas imaginé en train de pleurer. « Elle doit tenir ça de sa mère, » me confia-t-il, comme pour rire, mais cela ne fut pas suffisant pour me retirer l’impression qu’il était sur le point de craquer. Je le voyais contenir sa colère. Je l’entendais presque gronder silencieusement, se démenant pour ne pas céder à son tour. Le bébé, lui, semblait étranger au ressenti de son père et continuait de manifester son contentement. « Chut, Jasmine. » J’esquissai un sourire amusé en l’entendant. Je n’y connaissais pas grand-chose, en bébé, non. Tout comme je n’y connaissais pas grand-chose en coéquipiers, en équipe. Cependant, je doutais fortement que cela puisse l’aider à calmer l’enfant. « C’est mignon, comme prénom, Jasmine, » dis-je doucement. J’aurais imaginé Theodore donner à sa fille un prénom plus classique, comme Elizabeth ou Victoria. Ou alors, un prénom aux connotations irlandaises, comme Saoirse ou Cathleen. Mais je n’aurais jamais songé à Jasmine. « Je ne savais pas que vous aviez un enfant, » repris-je, mais ma voix était couverte par les petits gémissements de l’enfant. Je poussai un petit soupir en observant ses traits déformés par une colère passagère. Je me demandai, même, si c’était de ma faute. Si j’avais fait quelque chose de mal. Si je l’avais blessé involontairement en la portant maladroitement. Mais, face à moi, Theodore semblait complètement perdre ses moyens. Alors je tendis simplement mes bras devant moi. « Vous avez l’air sur le point de faire une crise d’hystérie, » dis-je en l’observant dans les yeux. « Redonnez-la moi. » J’hochai doucement la tête pour appuyer mes propos, comme pour l’encourager à me faire confiance. Je ne me faisais même pas confiance, au fond. J’étais bien incapable de songer que je pouvais faire quelque chose de bien dans mon existence. Mais, quelque part, j’espérais. J’espérais qu’il pense le contraire. Parce qu’au fond de moi, je savais qu’il serait capable de me donner confiance en moi. Parce qu’au fond de moi, je savais que je lui accordais tellement de crédit qu’il pouvait m’aider à croire. Croire en moi.
(✰) message posté Mar 2 Juin 2015 - 12:55 par Theodore A. Rottenford
‘‘Curiosity is the lust of the mind and its greatest weakness.’’ ✻ Jasmine criait dans mes bras mais je ne pouvais l’entendre qu’à moitié. Je me sentais presque honteux, qu’elle s’agite de cette façon contre mon torse. Elle devait probablement ressentir tout le mal qui s’infiltrait dans mes veines. Elle devait avoir froid et peur car je n’étais pas un homme conventionnel ou démonstratif. Je baissai lentement les yeux en la berçant d’un geste frénétique, mais sa gorge déployée ne faisait que monter dans les aigus. Mes doigts se fermèrent sur l’arrière de sa tête, alors que mon expression la suppliait silencieusement de se calmer. Son petit air larmoyant me déchirait le cœur et je réalisais en la regardant se débattre contre mon autorité que je n’étais pas encore prêt à être un bon père. Je n’avais pas songé à tout cela en l’acceptant sous mon toit, mais à présent il était évident que cette enfant était devenue mon coéquipier pour la vie. J’étais hanté et effrayé par les dangers qui menaçaient sa sécurité, mais surtout, je redoutais l’effet néfaste que je pouvais avoir sur son éducation. Rottenford , mon nom sonnait avec la gravité tragique d’une catastrophe imminente. Ses résonnances s’élevaient dans la pièce avant de me revenir en pleine face. Un famille de mafieux, de traitres et de criminels. Je soupirai, pris par une sensation de frayeur étrange. Je la serrais si près de mon visage. J’essayais de la réconforter avant de me reculer avec effroi. Mon expression impassible fixait le mur avec cet air disgracieux et prédateur qui me ceignait parfaitement. Je devenais tout à coup impatient, menaçant et vieux. J’avais réellement l’impression d’avoir mille ans. Mes cheveux blancs tombaient sur mes épaules alors que mes os craquaient sans bruit, secoués par la sénescence et la folie. C’était donc cela être impuissant. Ma bouche flétrie se courba, exposant ma détresse insondable et nouvelle. « C’est mignon, comme prénom, Jasmine, » Je me retournais lentement vers Eugenia. J’étais tombé désespérément amoureux, une fois. Ce sentiment m’avait envahi d’un coup et m’avait donné l’impression de connaitre précisément tous les secrets du désir et du tourment – mais il n’en était rien. L’amour était une gêne, un tiraillement convulsif qui m’arrachait de ma zone de confort afin de me rejeter avec violence. Elle s’appelait Jasmine – Elle était partie et je ne voulais plus jamais la revoir. Elle était comme un rêve chaleureux que j’oubliais au réveil, mais que je me remémorais plus tard pendant la journée. J’haussai les épaules en pinçant les lèvres. « Ce n’est pas très irlandais, je l’avoue. » Je chancelais dans le couloir afin de bercer la petite, mais elle refusait toujours de répondre à ma sollicitude. Je ne comprenais pas encore tous ses réflexes colériques ; avait-elle faim ? Etat-elle fatiguée ? Avait-elle besoin d’être changée ? Je me penchai afin de renifler ses vêtements, mais elle me semblait être parfaitement propre. « Je ne savais pas que vous aviez un enfant, » La voix fluette de Ginny, recouvrait à peine les gémissement de Jazz. Je distinguais difficilement ses paroles, alors je m’approchais lentement en inclinant la tête vers mon oreille valide. Je ne savais pas non plus que j’avais un enfant – en réalité. Je n’étais pas encore sûr, même en la tenant à bout de bras et en sentant les frottements de ses jambes minuscules contre mon abdomen. Je me murais dans le silence. Comment lui avouer que ma fille n’était qu’un accident ? J’avais quitté sa mère alors qu’elle commençait à envahir mon intimité. Nous nous étions accordés à ne jamais tomber dans le cliché des sentiments, mais elle n’avait pas respecté cette règle. Anabeth avait faiblie face à mon égoïsme et je l’avais abandonné sans aucun remord. Elle avait sans doute essayé de me prévenir de sa grossesse, mais j’avais ignoré ses appels et rejeté toutes ses tentatives par dépit. Parce que je ne tolère pas l’erreur. Je me sentais navré en observant le regard troublé de ma petite fille – Peut-être, les choses étaient-elle mieux ainsi. Peut-être que la mort d’Anabeth m’avait permis de retrouver une part de mon humanité volée. « Vous avez l’air sur le point de faire une crise d’hystérie, redonnez-la moi. » J’hochai doucement la tête. Si seulement la situation pouvait être différente. J’avais une chance formidable d’effleurer le bout d’un rêve, mais ma double identité me retenait dans tous mes élans de spontanéité. De toute façon, je n’étais pas un homme spontané. J’étais un robot destiné à suivre les recommandations d’une organisation complexe et déloyale. Eugenia me tendait la main, une main bienveillante, belle et chaleureuse. Je voulais tellement l’attraper et fuir la réalité, ailleurs – dans un autre monde, mais ce serait un mensonge. Ce ne serait pas moi, et je ne serais pas heureux sans mon mépris et mon dédain pour le monde. Je lui souris avec retenue. Mon cœur presque figé par le froid respirait à nouveau. Je me penchai vers elle afin de déposer Jasmine sur ses genoux. Le retour à la solitude m’inspirait une certaine terreur, mais je me redressai tout de même d’un air impérial. « Tu devrais revenir plus souvent. » Déclarai-je sur un ton solennel. « J’ai besoin d’une babysitter de confiance, et il me semble que tu aies besoin de t’occuper – Je ramène souvent des enquêtes non résolues à la maison. Tes préférées. » Lui proposai-je en m’installant à ses côtés, sur l’une des chaises disposées à l’entrée de l’appartement. Je ne savais pas si elle pouvait accepter un tel marché – après tout, je l’avais menacé pour qu’elle parte. Je l’avais poussé à abandonner une partie de son rêve afin de la protéger de la vérité, de la pègre - de moi . Je joignis mes mains sous mon menton en suivant les mouvements de Jasmine. J’aurais donné beaucoup pour qu’elle soit aussi sereine et calme en ma compagnie, mais ce n’était pas encore le cas. Je soupirai. « Je sais que tu ne seras plus dans la police, tout du moins, pas sur le terrain. Mais tu peux toujours élucider les mystères pour le plaisir. » Je fis l’effort de me redresser afin de la regarder avec insistance.
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(✰) message posté Sam 20 Juin 2015 - 17:06 par Invité
We always see our worst selves. our most vulnerable selves. we need someone else to get close enough to tell us we’re wrong. someone we trust. ;; there comes a time when you have to let go all the words, all the teaching and trust the infinite. ✻✻✻ Je refusais presque l’espoir, tant je savais à quel point cela pouvait faire mal, tant je pouvais bien avoir conscience que mon coeur n’était pas prêt pour affronter de nouvelles désillusions. Je me protégeais, oui. Je me protégeais parce que j’avais l’impression qu’il n’y aurait que de cette manière que je continuerais d’avancer. Je me protégeais parce que j’avais l’intime conviction que je n’étais pas encore prête à faire confiance de nouveau. A faire confiance au destin. A faire confiance au reste. J’avais rangé mes rêves dans des boîtes, des boîtes que j’avais alignées dans mon esprit perdu. Toutes avaient renfermé mes anciens objectifs ; dans l’une d’elles se trouvait ma vocation d’intégrer un jour la police. Il s’était passé de nombreux mois depuis mon acceptation : j’avais compris que je ne pouvais pas devenir détective et, depuis, je n’avais jamais cherché à y songer comme une possibilité. Comme une réalité. Comme un futur à ma portée. Dans l’une de ces boîtes se trouvaient aussi mes fantasmes. Ceux que j’avais eu en songeant à une vie paisible avec Julian. Ceux qui m’accordaient vie de famille et vie de couple. Ceux qui me donnaient toutes ces choses auxquelles je n’aurais jamais le droit, finalement. Theodore finit par remettre Jasmine dans mes bras et je l’observai avec attention, passant mon index sur sa joue douce. Elle se calma presque instantanément ; je lançai un regard désolé à mon ancien maître de stage, comme si je venais de lui voler l’affection de sa fille. Il avait ignoré mes sous-entendus avec superbe ; je n’avais pas réussi à récolter la moindre information sur la mère de sa fille. Alors, comme à mon habitude, je me contentais de formuler des hypothèses. Peut-être Jasmine avait-elle simplement besoin d’une présence féminine parce que sa mère était hors de portée. Peut-être Jasmine avait-elle simplement besoin de bras plus doux et plus maternels pour qu’elle cesse de s’en faire. Pour qu’elle ait l’impression d’être aimée. Aimée et soutenue. Je déglutis en relevant la tête vers Theodore au moment où il reprenait la parole. « Tu devrais revenir plus souvent. J’ai besoin d’une baby-sitter de confiance, et il me semble que tu aies besoin de t’occuper. Je ramène souvent des enquêtes non résolues à la maison. Tes préférées, » dit-il et je frissonnai légèrement. J’étais presque abasourdie, oui, mais je fis de mon possible pour ne rien laisser transparaître ; après tout, il avait été celui à me menacer, celui à me faire comprendre que je n’avais plus rien à faire dans les parages, celui à me jeter de son existence. Et, à l’instant même, il venait de me proposer du travail. Me proposer un job. Quelque chose me permettant de mettre mon nez où il ne fallait pas, exactement comme j’avais pu le faire quand il avait jugé que j’étais allée beaucoup trop loin à son goût. « Je sais que tu ne seras plus dans la police, tout du moins, pas sur le terrain. Mais tu peux toujours élucider les mystères pour le plaisir, » expliqua-t-il. Il s’était assis pour être à ma hauteur, dans l’un des fauteuils du salon. Je tenais fermement Jasmine contre moi, soudain animée par la peur de la lâcher par mégarde. Je battis plusieurs fois des cils pour retenir les larmes qui menaçaient de briller au fond de mes prunelles. « Je… » commençai-je en sentant ma gorge se serrer. Je refusais l’espoir, après tout. Je le refusais parce que je l’associais presque automatiquement à la pitié, cette pitié qui animait les iris de chacune des personnes que je pouvais croiser. Nombreuses avaient été les personnes à me faire des promesses sans les penser ; comme une idiote, je les avais souvent cru, avant de me faire une raison. Avant de me construire une forteresse pour protéger mon coeur. « Je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée, » achevai-je avant de croiser son regard. Je me rendis compte que cela prenait des allures de propositions mais qu’il restait Theodore ; ce même Theodore qui m’avait tout appris, ce même Theodore qui conservait ce ton sans appel. Et je me rendis compte que je n’avais pas le choix. « Mais… Je commence à quelle heure ? » demandai-je. Au fond de moi, je me fis une promesse. Celle de ne pas me laisser avoir. Celle de rester sur mes gardes. Celle de ne pas céder à l’espoir, quoi qu’il arrive, quoi qu’il se passe, quoi qu’il me dise.