Eileen Grace Finnigan, 21st March 1988, Dublin.Son père, irlandais, dirige l’une des plus grandes entreprises d’extraction de pétrole au monde. Sa mère, Moïra, est l’une des descendantes de la fameuse famille Borthwick, en Écosse. Papa-Maman ont de l’argent. Papa-Maman ont des attentes. D’ailleurs, ils ont aussi un autre enfant, un fils, son jumeau de deux minutes son cadet. Et la petite dernière de la lignée...la princesse qui l’agace. Sa famille, c’est toute une histoire. Une histoire d’espoirs et d’attentes placés sur les enfants ... une histoire de désillusions. Enfin ... Surtout avec Eileen. Quel gâchis ! Quel scandale...
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Plus tard je veux être ... Ailleurs.
Une réponse toute simple, et pourtant il y avait déjà chez cette Eileen de sept ans une envie d’évasion. Trop d’attentes et d’exigences posées sur ses épaules. L’illustre professeur de l’école privée où elle suivait déjà des cours avait dû avoir l’air surpris, en recevant ce devoir. Mais c’est qu’il ne la connaissait pas encore...
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« Eileeeeeeeeeeeeeeeeeeeeen !!! EILEEN GRACE FINNIGAN OÙ ES-TU ENCORE CACHÉE ?!? » Mmh... Le doux son de la voix de sa mère. Qui l’attend, visiblement hystérique, robe de bal en main... La gamine, qui fête aujourd’hui ses huit ans, se frotte les mains de joie de ne pas avoir été encore trouvée. Ça marche à tous les coups, le tipi caché dans les arbres.
« Psssst. » Eileen sursaute.
« Psssssst ! En haut ... » Elle fronce les sourcils. Bien sûr.
Il est là. Il ? Son frère... son jumeau. Il a dû avoir la même idée qu’elle et s’est aussi réfugié dans les arbres pour fuir leur mère. C’est qu’elle veut les mettre sur leur trente-et-un pour qu’ils puissent assister à leur fête d’anniversaire. Où les seuls mineurs seront les gamins de la haute société du Royaume-Uni. Autant dire qu’ils sont aussi ennuyeux que les adultes. La fille lève la tête vers son complice, d’un air dépité.
« On n’a pas le choix, uh ? » L’autre secoue la tête. S’ils sont têtus, leur mère peut aussi l’être. Et devenir une vraie dragonne, sous ses airs de duchesse...
« EILEEEEEEEEEEEEEEEN !! » La concernée arrive en courant, les chaussures pleines de boue.
« Suis là... » Air absolument dépité. Sa mère l’analyse d’un air de dégoût mélangé à du reproche.
« Que fichais-tu dehors ?? Nous avons une réception ! » La fillette est ailleurs, dans un autre monde. Un monde de pirates et d’aventuriers ... de princesses guerrières et de créatures fantastiques. Tout pour être ailleurs et pas ici, dans l’immense réception qui sert à accueillir les convives pour un soi-disant bal où elle ne fera que s’ennuyer. Elle serre les dents quand sa mère tire les mèches rebelles de son crâne pour faire la tresse la plus parfaite possible et regarde son acolyte d’un air complice alors que celui-ci a les cheveux enduits d’une substance étrange – du gel, paraît-il ? – pour avoir l’air d’un homme d’affaires ... de huit ans. Elle se moquera de lui plus tard, quand elle aura réussi à libérer son cuir chevelu de cette torture appelée tresse.
[...]
« Poussiiiiiiiiin ... » Elle imite la voix de leur mère. Et de leur sœur, qui est devenue une copie conforme et idéale pour les parents... pauvre enfant qui ne connaît rien à la vie. Non, là c’est Eileen qui provoque son frère. C’est à la vie à la mort ces deux-là ... sont pas jumeaux pour rien.
« Mon poussiiiiin... » Il la fusille du regard, mais elle n’a pas peur. Du haut de ses seize ans, elle est plus sûre d’elle que jamais. Rien ne pourrait l’ébranler, encore moins son frère qu’elle connaît par cœur. Elle lui fait un sourire victorieux et le tire par la main.
« Alooors ... tu y as réfléchi ? » Il a l’air embêté. C’est vrai qu’Eileen est un as pour s’amuser, mais c’est aussi la meilleure quand il s’agit de s’attirer des problèmes. La faute à son impulsivité, tout ça... Il se gratte la nuque. Il fait toujours ça, quand il voudrait dire oui mais qu’il est tiraillé par la conscience que ses parents ont inculquée en lui. Conscience dont elle n’a pas hérité, visiblement... Elle n’a hérité que de l’envie de n’en faire qu’à sa tête, et les paternels ont bien vite déchanté et réalisé qu’elle ne serait jamais la digne héritière qu’ils auraient voulu qu’elle soit.
« Alleeeez quoi... penses-y : si tu ramènes tes amis on sera autant de filles que de garçons ... ou presque. Et puis ... il y aura Victoria. » Victoria. L’arme fatale d’Eileen ; l’une de ses magnifiques amies. Il finit par hocher la tête, se doutant qu’il va le regretter.
« D’accord Lynn... Je les ramène à 19heures tapantes. » Elle tape dans ses mains et court crier la nouvelle à Victoria et aux autres : ce soir, c’est fête surprise chez elle. Il paraît qu’il y aura aussi un jeu de bouteille...
[...]
« JESUS MARIE JOSEPH QU’EST-CE QU’IL TE PREND ?!?? EILEEN GRACE ! SORS IMMÉDIATEMENT DES BRAS DE CETTE ... DE CETTE ... fille ? » Sa mère était blême et tremblait ; son père interdit. Choqués ou en colère...dur à dire. L’aînée Finnigan aime aussi les filles... Curieuse façon que de l’annoncer aux parents ! Elle n’a jamais planifié le leur dire, à la base. Tout comme elle ne leur a jamais présenté ses rares petits copains. Cela ne les regardait pas, à son humble avis. Mais bien-sûûûûr sa peste de petite-sœur avait découvert le jeu de la bouteille et s’était dépêchée de tout raconter aux parents...qui sont rentrés fissa prendre l’aînée sur le fait. La bouteille était tombée sur elle et Anna. Et Dieu seul savait à quel point Anna était belle ! Avec ses beaux cheveux noirs et ses yeux bleus... À faire craquer un saint. À bien y réfléchir, Anna valait pleinement la punition qu’elle avait écopée après coup. Chaque minute privée de son portable était une minute de plus à imaginer ses belles lèvres charnues et tout ce qu’elles avaient fait ... et auraient pu faire si elles n’avaient pas été interrompues par ses prudes parents.
[...]
« Poussiiiiiiin ! » « Lynn’... Je déteste quand tu m’appelles comme ça. » « Pourtant tu m’aimes poussin ... » « ... » Eileen rit un peu, fière de parvenir encore aujourd’hui à faire chier son frère.
« Tu vérifies que je sois toujours en vie pour savoir à combien s’élèvera le montant de ton héritage ? » « Lynn’... Tu es déshéritée. » « Really ? Sooo shocked. » Elle rit de nouveau. Son style de vie ne plaît pas à ses parents. Par style de vie entendre quitter la maison familiale ; refuser le mariage arrangé et l’inscription en faculté de droit ; s’inscrire aux Beaux-Arts pour finir gérante d’une boutique de tattoos.
Plus aucun respect, les jeunes de nos jours. C’était un ultimatum : elle retournait dans le droit chemin ou elle était déshéritée. C’est sans grande surprise qu’elle a choisi la deuxième option.
« Dooonc je ne touche pas un rond de l’empire Finnigan ? » « Non. Mais si je me sens l’âme altruiste je partagerai un repas avec toi... frais partagés of course. » « Crève poussin. » L’autre rit, et Eileen se détend dans son fauteuil en cuir, tête en bas. Son frère, ils n’ont pas réussi à le lui voler. Même s’il est un homme sérieux maintenant...contrairement à elle. Elle virevolte, toujours dans cette quête incessante d’une liberté qui lui a trop longtemps été refusée.
« Alooooors ... le mouton noir de la famille a-t-il un ou une future à présenter, histoire de choquer encore plus l’aristocratie irlando-écossaise ? » La blonde rit aux éclats et se redresse dans son fauteuil.
« Tu sais bien qu’homme ou femme, je ne sais que prendre la crème de la crème. Et qu’ils ne plairont jamais aux paternels. Ce dont je me contrefiche, au cas où tu l’aurais oublié. Je suis tout de même déshéritée... » Elle prend un bonbon qu’elle commence à suçoter.
« Et toi, Chouuuu ? C’est qui maintenant ? La belle-sœur du prince William ? » À lui de rire.
« J’aimerais bien. Je crois que Maman a l’intention de me présenter à Olive Styles. » Eileen grimace.
« Fuis Poussin ; fuis. Olive est aussi intéressante qu’une asperge pourrie... » Râclement de gorge à l’autre bout du fil.
« Pssst ... tu peux toujours passer à la maison. Quitter les beaux quartiers... T’aventurer dans Londres. Il y aura toujours un canapé pourri pour le zizi qui a partagé le même toit que moi pendant neuf mois... »