Fucksgiving ¤ Sharona & Tyler

Je venais délibérément de mentir à Sharona en prétendant ne pas connaître les deux jeunes hommes qui venaient de quitter le restaurant. Non pas que j’avais particulièrement honte de savoir qui ils étaient, mais je n’avais surtout pas envie d’en parler. La dernière fois que j’avais eu le malheur de tomber sur eux, l’un des deux m’avait jeté son verre d’alcool à la figure, tandis que l’autre m’avait tout simplement… déçu. Et tout cela m’avait mis dans une rage que je n’avais pas ressentie depuis très longtemps puisque j’avais non seulement été humilié devant au moins une vingtaine de personnes, mais je m’étais aussi senti totalement abandonné sans même en connaître la cause exacte. Voilà donc pourquoi je n’avais pas particulièrement envie de remettre ses sentiments étranges sur le tapis – surtout que le simple fait de les revoir tous les deux toujours aussi proches et semblait-il « amoureux » me faisait littéralement bouillir de rage et boire mon verre de rosé d’un seul trait ne m’aida pas vraiment à me calmer… – et que je préférai diriger la conversation vers les parents de la jeune femme.

- Oh bah... Je serais pas toute seule, je viendrais t'emmerder, répondit-elle sur le ton de la plaisanterie. Du moins, je l’espérai parce qu’il était absolument hors de question qu’elle vienne m’importuner un soir de Noël. Ce jour-là était l’un des seuls durant lequel je préférais tout simplement rester cloitrer seul chez moi à me morfondre sur ma misérable existence, et je n’avais aucune envie que l’on me dérange.

- Mais bien sûr… fis-je alors pour seule réponse, avant de boire une longue gorgée du nouveau verre de rosé que le serveur venait de déposer sur la table – j’allais essayer de le garder plus de trente seconde, celui-là…

- Je devrais appeler mes parents, peut-être... concéda-t-elle finalement, me donnant alors raison – pour une fois que j’étais de bons conseils… Et toi tu devrais pas dire que tu les connais pas ces deux types alors que le fait de les voir ensemble te fout à ce point en rogne, s’exclama-t-elle tout à coup, me forçant ainsi à aborder un sujet de conversation qui était loin de me plaire. C'est lequel qui te plaît ? Le grand tout fin à gueule d'ange ou le plus baraqué genre chippendale ?

- Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler, me défendis-je alors de cette accusation totalement infondée selon laquelle l’un de ses types me plaisait. C’est vrai que je les connais – et tu as d’ailleurs parfaitement bien décrit la profession de l’un d’entre eux –, mais je n’ai craqué sur aucun des deux, insistai-je dans le but de lui sortir cette idée idiote de la tête. Je ne craque jamais sur personne, d’ailleurs, et tu le sais très bien ! Comment pouvait-elle croire une telle chose ?!

- Alors pourquoi ça te fout autant en rogne ? me demanda-t-elle alors, mettant en lumière un fait on-ne-peut-plus évident, mais qui ne possédait pas réellement d’explications. Car il m’était totalement impossible de définir les raisons de cette rage qui bouillonnait en moi chaque fois que j’avais le malheur de les croiser tous les deux. J’aurais très bien pu tenter de répondre à cette question en lui racontant l’humiliation que Tristan m’avait fait subir le soir durant lequel il m’avait jeté son verre d’alcool à la figure, mais je n’aurai pas su quoi dire concernant la rage que je pouvais également ressentir vis-à-vis de Nate. Car si le jeune homme ne m’avait absolument rien fait, j’étais tout autant en colère contre lui que je l’étais envers le strip-teaseur.

Je m’apprêtais donc à répondre à sa question par cette anecdote qui était loin d’être drôle lorsque le serveur revint avec nos deux pizzas. J’entamai donc la mienne avec un plaisir non dissimulé, tandis que Sharona repris la parole, bien décidée à me faire avouer quelque chose que je n’étais même pas prêt à admettre à moi-même.

- Je veux pas me battre avec toi, Ty... Juste... Ça sert à rien de se voiler la face, tenta-t-elle gentiment de m’ouvrir les yeux. Un peu comme moi qui m'efforce de convaincre tout le monde que j'en ai rien à foutre que mes parents sont cons et que ma sœur s'est barrée en me laissant toute seule dans la merde...

Les paroles de Sharona restèrent un moment en suspens, le temps pour moi de bien réfléchir à ce que je pouvais réellement ressentir, mais aussi et surtout, la raison pour laquelle je ressentais tout cela. Je mangeai donc un morceau assez important de ma pizza et pris aussi le temps de boire une bonne gorgée du rosé fruité que dormait dans mon verre – comme pour occuper ma bouche le plus longtemps possible avant que je ne sois forcé de prendre la parole.

- Il est parfois préférable de se voiler la face, répondis-je finalement, après avoir pris une profonde inspiration comme si j’étais en train de me donner du courage – ce qui était un peu le cas, à vrai dire… En tout cas, c’est toujours mieux que de savoir que le type sur lequel on a malheureusement craqué s’est trouvé un nouveau mec en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire…

Et voilà ! Je venais officiellement d’admettre à voix haute que j’en pinçais pour Nate… C’était d’ailleurs assez étrange comme sensation. Comme si tout à coup le poids que je ressentais dans ma poitrine depuis cette fameuse soirée où je les avais vu pour la première fois tous les deux venait soudain de disparaître, mais qu’un autre poids vint tout de suite prendre sa place, ne m’offrant ainsi qu’un soulagement de courte durée.

- Oublie ce que je viens de dire, je crois que j’ai trop bu, ajoutai-je alors afin de nier mes propos précédents pour la simple et unique raison que je voulais me protéger d’une éventuelle moquerie de la part de Sharona – bien que je connaissais quelque peu la jeune fille à présent pour savoir que ce n’était pas son genre. Et comme pour illustrer mes propos, je finis le fond de mon verre d’un seul trait avant de presque crier « Un autre » au serveur.

Je venais donc définitivement d’admettre mon attirance pour Nate. Et si cela n’avait absolument rien d’exceptionnel pour certains, c’était au contraire quelque chose de totalement remarquable venant de moi. Après tout, depuis que ma vie sexuelle avait commencé il y a de cela un peu plus de dix ans, je n’étais jamais tombé ne serait-ce qu’un chouia sous le charme d’une de mes conquêtes et je ne m’étais même engagé dans aucune relation que ce soit sauf si elle était bien évidemment de nature sexuelle. Il fallait dire aussi que je rejetais toute forme d’attachement autre que l’amitié – et encore, le groupe d’amis qui m’entouraient actuellement me suffisait largement. Bien entendu, j’étais pleinement conscient de ces problèmes affectifs dont j’étais victime et qui était entièrement la faute de mes parents puisqu’il était pour moi impossible de penser que quelqu’un puisse réussir un jour à m’aimer alors que mon père et ma mère m’avait entièrement rejeté – leur seul fils – pour la simple et unique raison que j’étais homosexuel.

Ce fut donc dans une vie de débauche et de mal-être émotionnel absolu que je me rendis finalement compte que j’étais peut-être en train de changer. Enfin… « changer » était un bien grand mot puisque, je venais peut-être d’admettre à voix haute et devant Sharona que l’un des deux types qui venait à l’instant de sortir du restaurant m’attirait plus ou moins, j’étais encore loin de le clamer haut et fort à qui voulez bien entendre, mais aussi et surtout, de l’avouer directement à la personne concernée. En tout cas, tout ce que je m’apprêtais à faire pour le moment, c’était de me bourrer la gueule jusqu’à en oublier ces paroles que je venais à peine de prononcer et aux conséquences encore inconnues.

- Dis... C'est la Gueule d'Ange qui te plaît ? demanda alors la jeune Américaine qui ne semblait pas pouvoir s’empêcher de se montrer curieuse. Je prie le temps de mâcher longuement le morceau de pizza que j’avais dans la bouche avant de lui répondre.

- Au fait, ta pizza est bonne ? m’empressai-je de changer ce sujet de conversation qui me mettait de plus en plus mal à l’aise en posant une autre question. Et si j’avais voulu me montrer encore plus sadique que je ne l’étais déjà, j’aurais même pu réengager la discussion sur ses parents – ce que je ne fis finalement pas puisqu’elle avait à présent une arme contre moi qu’elle pouvait me balancer au visage à tout moment. Ce fut donc dans un silence presque religieux que nos finîmes notre repas lorsque vint le moment du dessert. Tu prends quelque chose ? Sinon, ce que je te propose, c’est qu’on se prenne une glace chez moi devant un bon film, proposai-je alors, ne souhaitant pour ma part rien prendre d’autre.