Nice guys finish last

Si vous vous attendez à une histoire avec beaucoup de perturbations, une histoire avec des complications, une histoire digne des grands drames de cinéma américain, vous pouvez aller voir un peu plus loin, l'histoire de Jeremiah n'a rien de tout ça. Certes, sa vie jusqu'ici a connu ses aléas, mais il n'a jamais perdu un membre de sa famille autrement que de vieillesse, ses parents n'ont pas divorcé, il n'a jamais eu d'accident grave. Il n'est pas gravement malade, ses frères n'ont jamais fugué, ses parents étaient présents pendant son enfance. La liste serait longue, si on faisait celle de tout ce qui ne lui est jamais arrivé. Mais ce qui nous intéresse surtout, ce sont effectivement les choses qui se sont passées, aussi quelconques soient-elles.

Jeremiah est né un froid jour de Novembre, devenant ainsi le premier enfant d'une famille qui en comptera par la suite trois, le nombre d'années séparant chaque nouveau du précédent s'élevant à deux. Il a grandi bien entouré, dans une famille aimante et chaleureuse, avec des parents un minimum exigeants quant à sa réussite scolaire, mais jamais au point de le perturber et de lui mettre une pression trop grande sur les épaules. Il a toujours été encouragé, quels que soient ses choix, tant qu'ils étaient « raisonnables ». Comprenez par là que si le jeune homme avait subitement décidé de se mettre au crack, Mr. et Mrs. Morrison auraient surement râlé, pour rester polis. Ce qui a surement été le plus dur durant sa scolarité, c'est le fait qu'il voulait tout et rien faire à la fois, dans le futur. Il se donnait toujours toutes les chances de réussir, mais il changeait d'avis en permanence. Un jour, il voulait devenir pompier, et quelques semaines après, il décidait qu'il serait romancier. Et ce tout au long de ses années de lycée.

Ce qui le décida pour de bon, lui permit de comprendre réellement ce qu'il ferait de sa vie, c'est la basse que son père lui offrit pour ses dix-sept ans. Il n'avait jamais manifesté une quelconque envie de devenir musicien, mais la musique était dans les veines de la famille depuis quelques générations déjà, et fatigué d'attendre que son fils lui fasse part d'une demande d'instrument quelconque, Mr. Morrison espérait provoquer avec ce cadeau une quelconque révélation chez Jeremiah. En un sens, ça a marché. En un sens. S'il se plaisait à laisser ses doigts glisser sur les cordes épaisses de l'instrument, ce qui l'intéressait n'était plus que ça d'en jouer.

Il se renseigna pour savoir où il pourrait suivre des études pour devenir ingénieur du son, termina son lycée et commença ses études immédiatement, plus motivé que jamais. Avec les capacités que lui offrait l'université, il trouva un travail à mi-temps à l'Arena, ce qui lui permit de prendre son indépendance en louant, avec l'aide de ses parents sur les débuts, un appartement il y a de cela deux ans et demi.

En ce qui concerne sa vie amoureuse, elle n'est pas inexistante, elle est surtout très malchanceuse. Jeremiah a toujours eu le chic pour tomber sur des filles qui le « bouffent », comme tous les gentils garçons. Il n'est aujourd'hui pas traumatisé par ces expériences, mais mettons que ses barrières sont un peu plus solides que quelques années auparavant. Mais Jeremiah restant ce qu'il est, si un battement de cils et un sourire sincère ne lui suffisent pas à tomber, ça n'en est pas loin.

Vous voyez, pas d'épisode absolument traumatisant. Rien qui aurait pu radicalement bouleverser sa vie. Si la famille classique et sans soucis avait un nom, peut-être porterait-elle celui de Morrison. Ou peut-être bien que non, peut-être qu'il existe une famille encore plus classique que la leur, avec un garçon médecin et une fille pompom-girl, les deux réussissant parfaitement ce qu'ils entreprennent. Peut-être que la famille « classique » n'existe pas. Toujours est-il que pour Jeremiah, le quotidien lui convient, peu amateur des complications qu'il est.