PRIMROSE ϟ She never looked nice. She looked like art, And art wasn’t supposed to look nice, it was supposed to make you feel something.

Assise à l'arrière du vieux taco familial, la petite Primrose regarde le paysage défiler. Adieu, les collines vertes de l'Écosse. Ou au revoir, peut-être ? Prim espère bien remettre les pieds un jour ici. C'est son chez-elle, après tout. Comment aurait-il pu en être autrement, alors qu'elle a grandi ici ? Les gouttes d'eau glissent sur la vitre, se font la course, et Prim se décide à faire un pari. Si la mienne arrive en bas de la vitre en premier, ça va bien se passer. Elle choisit deux gouttes d'eau, se décide sur celle qu'elle préfère, et le défi est lancé. Leur parcours est un peu chaotique, mais c'est finalement la goutte de Prim qui arrive au bord de la vitre en premier. Son cœur bat un peu plus fort, mais l'espoir est permis. Prim lève les yeux et sourit. La voiture s'éloigne de plus en plus de sa maison, cette pensée lui revient soudainement en tête. Et sur cette joue cette fois-ci, deux gouttes se font la course pour tomber du visage de Prim en premier. Deux larmes. Une est tristesse, l'autre espoir.

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Londres. Les bus à impériale, les fish and chips, les écureuils de St James's Park. Prim devrait s'y sentir bien. Et puis, son père devait bien retourner chez lui un jour, non ? Lui qui avait tout abandonné pour suivre cette jolie Écossaise aux cheveux de feu, juste parce qu'elle le lui avait demandé. Prim sait que le coup de foudre existe, et qu'on peut tout abandonner par amour. Après tout, sans ça, elle n'aurait jamais vu le jour. Un retour dans les terres écossaises, une naissance, une enfance. Il est là, le résumé de sa vie. Des petits moments collés bouts à bouts, pour finalement un retour à la case départ. Londres, c'est ici qu'elle passera le reste de son enfance. « Je vais réussir, là-bas. » C'est ça, ce que lui répète son père. C'est un artiste. C'est ce qu'il dit. Sa mère sourit, quand elle entend cette phrase. Prim ne sait pas pourquoi. En tout cas, c'est pour ça qu'ils sont ici. La fillette aimerait bien réussir, elle aussi. À se faire des amis à l'école. À trouver une phrase qui clouerait le bec à la petite brute de l'école qui se moque de son accent. À trouver sa place. Sans compter que chez elle, la famille s'aggrandit. Ses parents doivent désormais partager leur amour entre leurs deux fleurs. Primrose, et désormais Lily. Prim la rejette, Prim l'aime quand même. Et malgré tout, la rouquine se fait peu à peu à sa nouvelle vie. Même si c'est également à cette époque qu'elle développe des habitudes un peu étranges. Ses crayons doivent absolument être rangés suivant les couleurs de l'arc-en-ciel, ses pieds ne doivent pas toucher les lignes blanches lorsqu'elle traverse la rue, elle ne peut s'empêcher de toucher un objet de la main gauche si sa main droite l'a effleuré. C'est un peu embêtant, et cela la poursuivra longtemps. Enfance. Adolescence. Les pages se tournent, mais Prim sait qu'elle n'est qu'au début du livre.

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Un soupir. C'est tout ce dont son corps semble capable. Avec un grognement, Primrose se retourne, roule jusqu'au bord de son lit en manquant de tomber, et tâtonne sur sa table de nuit pour faire taire son réveil. Là. C'est mieux. Toujours un peu à l'aveugle, la jeune femme se lève, attrape sa chemise en jean, la boutonne machinalement d'une main en ouvrant sa fenêtre de l'autre. Plic. Plop. Ce sera la bande-son de sa journée. Prim tend les mains avec un petit sourire. La pluie ne l'a jamais dérangée. Elle est maintenant une londonienne. Ou presque. Il lui semble que son cœur se trouve toujours là-bas. Dans les collines écossaises. Elle jette un coup d’œil à la carte du monde accrochée au-dessus de son lit. Peut-être qu'un jour, elle y retournera. En attendant, Prim a enfin réussi à trouver sa place. Parmi son élément : les fleurs. Elle est la petite fleuriste rouquine, à l'accent un peu chantant. Cette boutique lui plaît bien. Alors bien-sûr, elle doit obéir à un patron parfois un peu bougon. C'est normal. Elle n'est que la petite écossaise dans une ville qui ne cesse de bouger. Mais Primrose se dit qu'un jour, peut-être que ce sera elle, la patronne grincheuse. Elle aime ça en plus, ronchonner. Sa boutique serait petite mais accueillante. Elle s’appellerait Florist Gump. Ou quelque chose comme ça. Autant faire les choses à fond. En attendant, les clients lui demandent souvent si elle s'appelle vraiment Primrose, ou si c'est juste pour être raccord. Alors elle sourit. Il lui en faudrait plus que ça pour être raccord. Et elle leur répond toujours, le regard brillant « Je suis une fleur, moi aussi ». Elle l'est. C'est ce que sa mère ne cessait de lui répéter, et ce que Prim se plaisait à croire. Elle est une fleur. Fragile, à la merci de la nature et des autres. Mais forte et unique. Du moins essaie-t-elle de s'en persuader. L'amour de Primrose pour les fleurs a toujours été spécial. C'est elle qui arrosait celles au fond de la classe, plutôt que d'aller jouer en récréation. C'était son moment à elle, loin du tumulte et des moqueries. Les fleurs c'était rassurant, elle avait parfois l'impression que lorsqu'elle leur parlait, elles l'entendaient. Et elles l'entendaient, Prim en reste persuadée. Parfois, lorsqu'elle se retrouve seule au fond de l'arrière boutique, la rouquine se remet à leur parler. C'est une habitude qu'elle n'a jamais abandonnée. Elle leur livre le récit de sa journée. Ses attentes quant à celle qui arrive. Elle leur demande si c'est si bizarre de chiper encore un ballon gonflable en sortant des fast-food. Ou si c'est normal, de trouver les filles aussi belles que les garçons, sans trop savoir qui elle préfère. Alors bien-sûr, les tulipes ou les azalées ne lui répondent pas. Primrose se sentirait peut-être un peu moins seule, si c'était le cas.
Secouant la tête, Prim referme la fenêtre. Justement, son travail l'attend. Son vélo l'attend. Et la vie n'attend pas. La rouquine sait qu'elle doit se bouger un peu, pour obtenir ce qu'elle veut. Elle a déjà réussi à quitter la petite maison familiale pour vivre dans son propre appartement. C'est absolument minuscule mais cela ne l'empêche pas de l'adorer. C'est son chez-elle, après tout. Ses livres jamais terminés l'attendent sur sa table de nuit, ses minuscules cactus semblent veiller sur les lieux en son absence, son vieux canapé défraîchi a imprimé la forme de son corps. Primrose s'est créé une routine qu'elle apprécie. Ça la rassure. Mais parfois, certaines journées sont dignes d'être racontées plus tard à ses arrières-petits-enfants. Comme lorsqu'elle sourit à un inconnu dans le bus, et que celui-ci lui renvoie un sourire en retour. Lorsque c'est le cas, Prim a l'impression de voler. Ou lorsqu'elle se rend au cinéma et qu'à la sortie, le monde est un peu différent, au point de ne plus savoir où elle se trouve. Voilà des journées dignes d'être vécues. Primrose se contente de peu, mais sa vie lui plaît ainsi. Elle est persuadée qu'un jour, une rencontre bousculera son petit monde. Après tout, Prim sait qu'elle est faite de poussière d'étoile. Que Londres est la ville de tous les possibles. Et qu'il lui faut faire en sorte que la réalité soit à la hauteur de ses rêves. Au moins un peu.