Théo Williams

"Lève ton bras, là c'est trop moue ! Dis toi qu'il peut te sauter dessus, il veut te briser, il veut te niquer ta jolie gueule tu comprends ? C'est toi ou lui. Tu crèves ou il crève, c'est simple Théo, TIRE !"
Un oeil clos, je fixe mon objectif. Il est là derrière moi, m'usant de ses mots, m'usant de ses ordres. Je ne l'écoute plus. Il a raison. C'est la cible ou moi. Marcher ou crever. C'est la règle, SA règle qui est devenue mienne depuis les évènements.
Mon doigt exerce une légère pression, le coup part, le recul de l'arme me fait à peine bouger. La balle file à toute vitesse laissant dans son sillage un sifflement appelant la mort. Elle se loge au cœur de la poupée de paille. La seconde dans la tête, la troisième se loge dans les poumons. Mort, mort et encore mort. Je sens une main se poser sur mon épaule. Mister Lane me sourit ce à quoi je réponds par un crachat lancé à ses pieds. Il rit, ses doigts serrent mon épaule, son regard me menace. Je sais que je n'ai pas intérêt à faire ma maligne avec lui. Il peut me tuer s'il le souhaite et j'ai beau ne pas trop aimer mon existence je tiens encore à cette dernière. C'est un truc instinctif ça, s'accrocher comme une teigne à une vie merdique et nauséabonde. Je suis une teigne, une vraie chienne, une mordue, une timbrée. Il le sait, il le voit. Il ne voit pas en moi une petite ado de tout juste 15 ans. Il voit une arme de guerre. Des connexions de neurones directement liées à un instinct de survie unique. Il veut faire de moi son bras droit, sa tueuse à gage, celle devant qui tous ses ennemis trembleront un jour. Je ne sais pas ce que c'est de tuer mais je n'ai pas peur. Je n'ai jamais peur.
"Tu vois quand tu veux ! continues de t'entrainer ma chérie, je reviens plus tard. Max, veille au bon déroulement des opérations tu veux ?"
Opération. C'est comme ça qu'il parle de mon entrainement. Je ne dois pas être bonne tireuse je dois être la meilleure. Je ne dois pas être bonne traqueuse je dois être la meilleure. Je ne dois pas me contenter d'un à peu près, je dois être parfaite.
Max veille sur moi alors que je recommence inlassablement l'exercice. Je ne loupe jamais ma cible, les morts sauraient parler qu'ils en témoigneraient volontiers.

Je suis nue devant mon miroir. Les bras ballants j'essaye de comprendre ce corps qui me semble si éloignée de moi. Mon ventre n'est qu'un seul bloc semblant taillé dans l'acier. Il n'a rien de mignon, de féminin ou de séduisant. Il est fort, absent de toute matière graisseuse comme sur le reste de mon corps. Et ce visage... Ce visage maigre, blanc, sans saveur, sans relief. Il est creux, malingre et les cernes se dessinant sous mes yeux sans lueurs témoignent de mon rythme de vie éreintant.
Demeure mes cheveux, encore long, d'un noir de jais venant alourdir ma tête de vampire. J'ai l'air de revenir d'entre les morts. C'est ce que je suis, la mort, qu'une putain d'annonciatrice de fin de vie. Je jette un coup d'oeil à mon lavabo, dessus trône un rasoir. Je m'en saisis et, sans plus réfléchir, me rase le crâne. Je ne laisse qu'une touffe sur le haut et une mèche qui vient couvrir mon grand front maussade. Voilà. J'ai détruit ce qui me restait de féminité. Je soupire et regarde l'horloge accrochée au mur. Il sera bientôt l'heure d'agir. Première mission, premier meurtre, pauvre homme destiné à finir sous la lame de mon couteau. J'ai choisit une approche discrète pour lui. Il ne sentira rien, je déteste faire souffrir hormis quand j'estime avoir véritablement à faire à de gros connards. Vous savez les violeurs et ceux qui battent leurs femmes ? Je joue de ma lame avant de les envoyer dans le néant. J'aime pas qu'on s'en prenne aux plus faibles. Je suis encore jeune, j'ai encore des principes et des valeurs. 

"Alors ? C'était comment ? Cette première fois."
Il me regarde, avide et j'ai envie de lui cracher à la gueule. Je viens à peine de rentrer qu'il m'agresse déjà. J'ai du sang sur mes fringues. Je pue, je ne m'étais pas attendue à ce que ce gros porc se débatte autant. Il était bien plus fort que moi, plus gros mais moins souple il n'empêche que j'ai faillit y passer à sa place et ça, il le sait. Mister Lane c'est tout, toujours un tour d'avance, impossible de lui faire à l'envers.
"Salissant." Je réponds dans un grognement tout en me débarrassant de mes vêtements. Mister Lane éclate de son rire gras. Ses mains saisissent mon visage, ses lèvres capturent les miennes. Il pourrait être mon père, je m'en fou, je me laisse faire, si je devais perdre mon temps à analyser ma situation je serai sans doute bonne à enfermer. Il m'emmène dans sa chambre et je ne compte pas la suite. Déjà sienne, bientôt morte.
"Pourquoi tu l'as buté Lane ?"
Sa tête est posée contre mon sein. Je caresse doucement son visage, adopte une voix douce et chantante. Je ne pose jamais de question frontale à Lane mais il est un homme et comme tous les hommes, le sexe adoucit son caractère de gros con.
Il a buté ta mère. T'étais qu'une famine, j'voulais pas qu'il te bousille ce con.
"Tu voulais me protéger ?"
"Ouais... T'étais une sacrée gosse. Ce connard a tué ta mère sous tes yeux et toi. Toi t'as pas chouiné, quand t'es venue me l'annoncer t'étais pas effrayée. J'ai vu dans tes yeux cette lueur. La même que tu as actuellement. Des yeux de tueuses, un regard de haine. C'est ta haine, celle qui te guide à chaque putain de pas qui m'a dit que tu valais plus que ton père n'avait valut. Fallait que j'tais, alors je l'ai buté."

21 ans. L'âge de la raison, je suis majeur dans le monde entier à présent. Mister Lane à de gros projets pour moi. Il veut que je sois son bras droit mais également son allier, celle qui prendra des décisions lorsqu'il ne sera pas là. Celle qui règlera les conflits inter-gang et agira en conséquence si elle estime qu'un membre est nocif. Les responsabilités sont lourdes de conséquences je le sais et ils le savent. Je vois bien dans leur regard qu'aucun d'eux n'est capable d'accepter une petite frappe comme moi. Ce sont tous des cons aux gros bras. Ils n'ont rien dans la cervelle, se sont des chiens qui obéissent à Lane parce qu'ils ont peur, parce qu'il est puissant, parce qu'il pourrait leur couper la tête d'un claquement de doigt. Mais moi. Je ne suis qu'une gamine qui ne connait rien à rien. Ils savent ce que j'ai réalisé, l'entrainement que j'ai suivit néanmoins, aucun d'eux ne m'a jamais vu à l’œuvre. Si je veux gagner ma place je dois obtenir le respect. Le respect nécessite la peur. Dans ce monde tu ne tiens les gens que comme ça. Se sont des chiens et je serai leur maître, aucun de ces putains de gros con n'aura ma peau.


France, douce France. Première fois que je quitte la grosse pomme, première fois que je mets les pieds ailleurs que dans la fourmilière New-Yorkaise. Mister Lane m'avait prévenu, la France c'est différent. Les gens font attention à toi, ils te regardent, te dévisagent, te juge en un regard. A New-York personne ne prêtait attention à ma gueule de toxico. Je n'étais qu'une nana bizarre au milieu d'autres nanas bizarres. Rien de fou. Ici, c'était différent. Ils me reluquent comme si j'étais une sdf, j'ai faillit en tourner une à un mec. Je finie par accepter de me la jouer plus cool. J'ai supprimé deux de mes piercings et revêtit des vêtements moins déchirés. Celui que je dois butter s'appelle Laurent De la Court. Un bourgeois qui tire les ficelles d'une salle affaire de réseau de prostitution. C'est un connard qui rachète des pauvres nanas venues de l'est. Elles viennent gonfler les rangs sur les trottoirs français. Il ne fait rien de bien mais j'ai arrêté de juger depuis que j'ai capté que je n'étais pas Dieu. Ça m'est venue comme une révélation quand Max me tatouait mon dragon sur le dos, ma "récompense" pour avoir étripé à main nue ce conard de Mathias qui pensait avoir tous les droits sur ce qu'il me restait de vertu.
Je n'étais pas Dieu et je tuais. Je ne tuais pas pour les bonnes raisons, je tuais parce qu'il me l'ordonnait. J'étais qu'une chienne moi aussi, tenue en laisse, effrayée comme les autres. Celui-ci ça serait le dernier. Je butte Monsieur De La Court et je me tire.


Il fait un froid de chien. La pluie tombe sans s'arrêter depuis des heures et des heures. Je cours. Je ne sais pas où je vais, mes yeux ne voient plus, ils ne sont plus que deux trous par lesquels ne filtrent aucune information. Je pleurs, je cris, j'hurle. Je n'arrive pas à croire ce qu'il vient de se passer, je n'arrive pas à croire en ce que je viens de faire.
Mes pieds buttent sur une roche, je manque de m'affaler face contre terre. Cette enfoiré m'a doublé. Cette enfoiré à compris que je voulais partir, cette enfoiré à faillit avoir ma peau.
Il n'était pas seul le De La Court. Il était bien au chaud, chez lui avec sa petite famille et une armée de flics prêt à me cueillir. Si je n'avais pas sauté par cette fenêtre, si il n'y avait pas eu l'arbre putain. Je serai morte. Je suis morte. Bloquée à Paris avec les flics au cul, dans l'impossibilité de rentrer à New-York sans tomber sur cet enfoiré qui, à coup sûr, voudra et aura ta peau. On ne trahit pas Mister Lane. On ne tue pas Théo Williams.

J'ai enfin quitté ce putain de trou à rat. Pratiquement trois ans passé sur le sol français. Trois ans à trimer, à me cacher, à me faire complètement oublier. Je ne pouvais pas partir dans l'urgence, pas avec Lane, il faut faire attention à ses arrières, tout calculer.
Mais j'ai réussit, je suis à Londres, vivante et sans personne pour me dicter ma conduite. J'ai l'impression d'émerger d'un long sommeil, d'avoir peut-être l'occasion de me retrouver.
Mais rien n'est encore fini. Je n'ose pas quitter les bas quartiers de Londres, à me trouver un logement décent. J'ai trop peur, peur qu'il me piste, peur qu'il me retrouve, peur qu'il me trou la peau au moment où je m'y attendrais le moins.
J'ai peur mais je suis en vie. C'est cela, le plus important.
En vie...