"La France ne peut être la France sans la grandeur" - De Gaulle

Mars 1975, beau bébé, belle famille… Tout avait tellement bien commencé dans la famille Blondel, du nom du père de Natanael, tout juste sorti du ventre de sa mère. Paul, ancien député à l’Assemblée Nationale Française, Marie, institutrice, venaient tout juste de s’installer à Londres.

Petit quartier résidentiel, beaux revenus, le couple avait donc décidé de faire ce que la nature leur avait offert de plus beau : donner la vie. C’est ainsi que leur fils, Natanael (le nom juif inspiré par les origines de Paul), arriva sur cette belle terre britannique qui lui donna les quelques droits de porter les couleurs du Royaume-Uni.

Natanael était un enfant très calme, très docile, aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui. Toujours le nez dans ses bouquins à partir du moment où il apprit à lire, le petit garçon avait une culture générale bien plus développée que la moyenne. Raison pour laquelle sa vie sociale ne commença que très tard, si encore on peut appeler cela une vie sociale.

Petit, Natanael était plutôt le vilain petit canard, rejeté, mal-aimé. Chouchouté par ses professeurs pour son génie, et détesté par ses petits camarades, il préférait rester dans son coin, toujours observateur pour autant. Pourtant, cette situation ne le rendait pas malheureux. Quand Marie lui demandait s’il fallait y remédier, Nate disait toujours qu’il se sentait mieux seul, que les autres n’en valaient pas la peine.

Neuf ans plus tard, Eloïse arriva dans la famille. Petite fille magnifique, tout de suite intégrée dans la société. C’était une perle, la beauté de la famille. Mais Natanael le prit bien, s’en occupa à merveille lorsque ses parents travaillent jusqu’à ses heures pas possibles. Bien que très peu sociable, détestant la compagnie, Natanael avait un don avec les enfants, une grande patience. Mais surtout l’amour de sa petite sœur.

Son adolescence fut un moment simple, contrairement à tous ses gentils camarades, qui se cherchaient. Nate avait grandi très vite, trop vite. Tellement vite qu’il revint en enfance un peu plus tard, mais ça, c’est une autre histoire… Nate brillait, dans tout. Le sport, l’écriture, il était appelé « le petit génie ». Et pourtant ses résultats scolaires étaient épouvantables. « S’ennuie en cours, ne veut plus faire l’effort d’écouter. »

Les problèmes de politique qui avaient poussé la famille Blondel à fuir la France s’étant arrangés, Paul et Marie décidèrent de revenir vivre à Paris. A l’âge de 13 ans, Nate intégra un collège en région parisienne, dans lequel il devint cet adolescent difficile, rebelle, qui causait tant de problème à tous ses professeurs. Ironique voire cynique, toujours à s’opposer aux règles, longues furent les heures à bouquiner en salle de colle.

Pour le canaliser, Marie le fit intégrer un cours d’équitation, après avoir entendu qu’on pouvait redonner confiance et stabilité à une personne juste avec cet animal. Et finalement, les efforts portèrent leurs fruits. Mais c’est ce moment que Nate choisit pour commencer à fréquenter les femmes. Entouré de jeunes filles dans ses cours, en pleine période d’adolescence, montée d’hormones, le jeune homme s’abandonna à la séduction. Il brisa probablement plus de cœur qu’il n’en conquit. L’équitation, finalement, était très efficace pour avoir toutes les jolies filles. Sa métamorphose physique arriva d’ailleurs dans cette période. Nate devint un homme, désiré, désirable, mais pas pour autant facile à avoir.

En parallèle, il commença à se prendre d'amour pour un autre animal, bien différent du cheval, pourtant. Les oiseaux n'avaient plus aucun secret pour lui. Il lui suffisait de trouver une plume pour en identifier un. Pour le plus grand malheur de sa mère, qui en vit passer quelques uns en douce dans la maison, il fut également un très bon soigneur...

Eloïse et Nate étaient inséparables. Elle était la petite fille modèle, et lui le garçon rebelle, mais tout le monde s’accordait à dire que leur fœtus s’était coupé en deux, tant ils étaient complémentaires. Leur différence physique était aussi marquante que leur caractère, mais ces deux là n’auraient pu vivre l’un sans l’autre. L’une blonde aux yeux noirs, l’autre brun aux yeux clairs… Tout prêtait à confusion.

Lorsque Nate obtint son baccalauréat français, mention européenne grâce à son anglais parfait, la famille s’installa à Rome. Marie devint professeur dans une grande université, Paul la suivit, pour une fois que ce n’était pas le contraire. Tout était si beau… Eloïse intégra un grand conservatoire musical, repérée lorsqu’elle était arrivée, jouant sur le piano d’une gare italienne.

L’apprentissage de la langue ne posa aucun problème à la famille, habituée aux changements. Natanael mit quelques mois seulement à parler d’un italien courant (les jolies italiennes y étaient probablement pour quelque chose…). Il travailla dans une bibliothèque pendant quelques temps.

Un évènement marquant fit prendre un tournant dans la vie des Blondel. Attentat à la bombe dans le métro londonien, où Paul se trouvait pour un congrès politique. Celui-ci trouva la mort, et sa famille se précipita dans la ville au plus vite. Mais le mal était déjà fait. La peine s’abattit sur les deux femmes. Très probablement sur Nate, aussi, mais il était résolu à ne pas montrer ses sentiments. Marie s’enferma dans son travail, ne rentrant presque plus à la maison. Eloïse fondit dans une immense dépression que seule la musique était capable d’apaiser. Elle fut envoyée dans un pensionnat en Nouvelle Zélande, pour retrouver un peu de joie de vivre.

Nate fut donc laissé seul, à vingt ans, dans une ville immense, magnifique, mais tellement remplie de souvenirs. Sans s’en rendre compte, il n’avait plus goût à rien. Ses rares amis ne le voyaient plus, il avait complètement laissé tomber les femmes. La peine ne se devinait pas sur son visage, mais le rongeait de l’intérieur.

Il passait de longues heures assis au milieu des champs de la campagne romaine, assis aux pieds d’un cheval, à penser. Et puis un jour, l’un des vieillards qui gérait le domaine vint s’asseoir à ses côtés. Dans un français parfait, il lui dit : « Pars. Pars pendant que tu es jeune, vas voir le monde, inspire-toi. Construis-toi. » Il ne fallut pas deux jours pour le convaincre. Nate sauta dans le premier avion.

Les années qui suivirent, le jeune homme enchaîna les tâches ingrâtes pour survivre, toujours en suivant sa passion : les oiseaux. Il intégra l'équipe d'un zoo, pour soigner les oiseaux d'une serre tropicale. Chaque année, et cela pendant dix ans, Natanael changea de pays pour intégrer un nouveau parc animalier. Tant qu'il y avait des oiseaux... Croatie, Irlande, Espagne, Mexique, Afrique du Sud, Japon, Turquie, Tanzanie, Etats-Unis, et enfin Nouvelle Zélande furent ses terres d’accueil. A chaque fois, il acceptait les boulots les plus ingrats, les appartements les plus miteux, tant qu’il pouvait se balader à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit en se sentant libre. Libre de vivre, libre de s’abandonner.

A l’âge de 30 ans, Nate décida qu’il était temps de rejoindre la personne qui lui tenait le plus à cœur, en dehors de sa chère mère, qu’il revoyait de temps en temps… Eloïse n’était jamais revenue en Europe après avoir été envoyée en Nouvelle Zélande. Tout juste mariée, elle lui manquait terriblement.

Nate devint palefrenier dans un ranch, où il gérait les machines (tracteurs) pour nourrir le bétail, ou nettoyer les stabulations. C’était le prix à payer pour voir sa chère sœur.

Les années passèrent, gentiment, et cela dans une routine monstrueuse qui commençait à peser sur les épaules de Natanael. Un matin, il se promenait dans son quartier, voulut prendre le bus, et s’installa sur le banc détruit en attendant que le chauffeur daigne se montrer… C’est alors que son regard se posa sur une affiche, tout aussi miteuse… « Oiseaux tropicaux de Londres » C’était si gentiment proposé !

Et voilà que Natanael remit les pieds à Londres. Pas de valises, quelques billets dans la poche… Et simplement envie de se faire oublier du reste du monde. Il n'eut qu'à se présenter, le tour était joué. Il s’installa là où il trouva de la place, et commença à vivre. Vraiment.