Perfection, as seen by Rosalynn M. Dashwood

-   Rosalyn-na !

Mère m'appelle de l'entrée et je soupire. Elle a cette drôle de manie de détacher les syllabes de mon nom lorsqu'elle cherche mon attention, je ne sais toujours pas si j'aime ou je déteste. C'est à la fois agaçant et rassurant. C'est sa signature, notre façon de savoir qu'elle est de bonne humeur et pense à nous. J'aime, je crois. Chose certaine, si je déménageais ou voyageais un jour ça me manquerait. Je décolle le bout du stylo de mon menton, pensive. * Où en étais-je... Ah oui.*

- Rooo-sa-lyn-na !! Ma chérie !

C’est malin, j’ai fait une belle bavure sur mes notes de cours. *Bon. Pour le moment, je déteste.* C’est la moitié du trimestre et j’ai encore beaucoup de travaux à remettre la semaine prochaine. J’ai terminé tout ce qui avait trait à la Gestion d’Entreprise de Mode pour ne garder que le meilleur pour la fin. Cet après-midi, je me penche sur les préparations un projet énorme qu’on fait en collaboration avec une autre université de Londres. Le mien sera sur la danse. Aussitôt que je connais la routine, je commencerai les costumes. Pour le moment on s’est décidé sur un style et je fais de la recherche un peu partout dans les cabarets de Londres en attendant que la chorégraphe ne me contacte.

- Rosalynn, je t’appelle !!

Sa voix stridente s'est rapprochée et vient m'arracher les tympans, il m'est impossible de rester concentrée. Peut-être devrais-je capituler et voir ce qu'elle me veut. Tant pis, je continuerai ma rédaction plus tard. Ce qui me fait grincer des dents, ce n'est pas de me faire déranger, non.. C'est plutôt le fait que je sache que ce n'est pas important, qu'elle m'appelle pour un truc qui pourrait attendre le dîner. Dans un discret râle d'exaspération, je me lève de mon bureau et me dirige vers le corridor. *On inspire et on sourit* Je me force un sourire, redresse les épaules et m'étire un peu. Mes chaussons glissent sur le parquet fraîchement ciré du couloir. En tournant le coin je la vois radieuse le bras gauche encombré de sacs. Mon visage se détend face au comique de la situation; il y en a d'autres à ses pieds. *Ah tiens, le bleu de Tiffany&Co. C'est un petit sac... un autre bijou ?*

- Ma biche, j’ai de jolies surprises pour toi !

Elle semble exagérément excitée pour des achats, aussi nombreux soient-ils, et je commence à me douter de la surprise. Cela fait un moment que j'entends maman parler de Barcelone et avec les vacances des Fêtes qui approchent... Elle sort doucement son autre bras de derrière elle et je suis immédiatement hypnotisée par la boîte que cachait son dos. Un foulard Hermès. Mon premier. Je l'ouvre hâtivement et il est là, dans son emballage protecteur que j'épluche prudemment. L'odeur d'un foulard neuf accompagne le doux bruissement du tissu lorsque je le sors délicatement de son écrin. La richesse du détail et la délicatesse du textile viennent combler tous mes sens. *C'est donc ça, le paradis.* J'ai le sourire fendu aux oreilles et embrasse chaleureusement maman pour la remercier. Et puis je me rappelle :

- Tu as parlé de plus d’une surprise ?

Sa main s’avance vers la poignée de porte et mon cœur bat encore la chamade. L’excitation de mon premier Hermès, vous comprendrez, je suis aux anges. Elle ouvre la porte tout sourire et je vois une silhouette dans l’encadrement. Mes yeux remontent vers le visage de l’inconnu et surprise, je recule. Je sens mon cœur se contracter et me monter à la gorge en même temps, des larmes viennent me brouiller les yeux. Je me sens étourdie. *Non... Non, je ne suis pas au paradis. C’est ma descente aux enfers !* Et l’impuissance, l'incompréhension, la rancœur me reviennent avec ce souvenir d’abandon.

Axel est là et me sourit.