london - january, 22nd 2011; to leave, after all, was not the same as being left. “i love you. i send this message through my fingers and into her heart. hear me. i love you. and i'm sorry to leave you.” - in the end, everybody leaves. ✻✻✻ Je me savais injuste et égoïste. Je me savais puérile et coupable, coupable de désirer de ne pas le voir partir. Je voulais qu’il reste. Qu’il reste avec moi. Qu’il reste pour toujours. Mais je n’avais aucun droit sur lui et sur ses désirs ; je ne pouvais pas me mettre en travers de son chemin pour lui supplier de tout arrêter et abandonner ce futur qui l’attendait. Il n’était que mon meilleur ami. Mon cœur pleurait cette réalité cinglante mais je ne pouvais pas me permettre de clamer que cela n’était pas vrai. Son futur, quoi qu’il choisisse de faire, quoi qui puisse lui arriver et quoi qu’il se passerait finalement, serait fatalement sans moi. Je n’avais pas ma place. Je ne l’avais jamais eue. J’étais qu’une âme qui avait croisé sa route et qui était devenu dépendante de sa présence, sans que cela ne l’engage à quoi que ce soit en retour.
J’avais mis des années à le comprendre. Des années à vivre dans un déni singulier qui m’avait tant réconforté.
Il me filait entre les doigts et mon visage était marqué par cette tristesse qui me hantait. J’avais la sensation de le perdre, encore et toujours. J’avais la sensation de le perdre à chaque regard qu’il pouvait détacher de moi, à chaque phrase qui restait en suspens, à chaque geste qu’il ne faisait plus. J’aurais aimé le serrer dans mes bras mais je restais assise, assise et figée, incapable d’esquisser le moindre mouvement. Je tentais de me dire que cette douleur ne serait que passagère. Que, si je n’appartenais pas à son futur, il n’appartiendrait pas non plus au mien. Si nos deux chemins étaient destinés à être séparés, peut-être finirais-je par trouver du réconfort ailleurs. Peut-être trouverais-je ma voie et mon destin. Je retins ma respiration quelques instants en détaillant son visage. Il avait toujours été plus vieux que moi mais j’avais la sensation que l’enfant qu’il avait été était finalement bien derrière lui. Ses traits n’avaient plus la rondeur du jeune âge ; il était un homme, un homme séduisant et beau, un homme qui ne serait jamais à ma portée et qui m’attirait malgré tout. Je ne pus m’empêcher de sourire avant de détourner le regard, presque gênée de penser toutes ces choses. J’étais si insignifiante, en sa présence. Invisible, presque, puisque tous les regards se tournaient sur lui, sur son corps, sur son être. J’étais emprunte de panique mais incroyablement sereine. Mes émotions se déchiraient et je me perdais au beau milieu d’une réalité qui me semblait hostile et chaleureuse. Je déglutis.
« Je ne risque pas de t’oublier, Eugenia. » me dit-il et j’esquissai un vague sourire. Je pensais le contraire mais je n’objectai pas, persuadée, au fond, que seul l’avenir pourrait nous dire qui de nous deux aurait raison. Mon esprit se perdit dans ce futur que j’imaginais déjà ; je visualisais ces cartes de vœux que nous nous enverrons, d’ici quelques années, pour les anniversaires et le réveillon de Noël. Je visualisais ces cartes de vœux qui ne voudront pas dire grand-chose mais qui seront la simple preuve que, un jour, nous avions été proches. Ces cartes de vœux pour la forme. Ces cartes de vœux pour se donner bonne conscience. Ces cartes de vœux qui ne voudraient rien dire, rien du tout, et qui seront présent que pour honorer le passé.
« J’espère que je ne serais pas mort avant. Ça en fait du temps, mine de rien. Je prévois de mourir jeune. C’est la tragédie des âmes pensantes de ce monde. » enchaîna-t-il et je ne pus que lever les yeux au ciel. J’étais fatiguée de l’entendre dire de pareilles choses et épuisée de le contredire ; alors, simplement, je terminais mon café pour m’empêcher de prononcer une quelconque remarque cinglante.
Et la bonne nouvelle tomba. Tomba sans que je ne m’en rende compte. Mon visage se fendit dans un immense sourire lorsque je compris que notre séparation ne serait que de courte durée ; je sentis une poussée d’allégresse m’envahir et je dus me faire violence pour la réprimer au fond de mon être. Il allait revenir. Il allait revenir à Londres dans deux semaines. Il partait mais il ne me laissait pas. Mon esprit, heureux de trouver une excuse pour ne plus être envahi par la tristesse, s’accrocha à ses pensées à mesure que je me levais en protestant joyeusement qu’il ne m’ait pas prévenu plus tôt. Au fond, je me fichais qu’il ne me l’ait pas dit. Je me fichais qu’il ait attendu.
Il revenait. Cela était la seule chose qui m’importait.
« Mais c’était une surprise... » protesta-t-il en se levant à son tour. Je lui adressai un immense sourire, incapable de me contenir.
« Mouais. A d’autres. J’ai failli mourir de désespoir. » lui rétorquai-je. Nous nous étions levés et il attrapa ma main. Il revenait. Il revenait, il revenait, il revenait. Cela ne faisait que repousser l’instant où nous nous détacherions l’un de l’autre mais cela m’arrangeait, au fond de moi ; je n’étais pas prête à le laisser partir.
Je n’étais pas prête à ce qu’il m’oublie, malgré tout ce qu’il pouvait bien me clamer.
Je sautillai, incapable de tenir en place. Sa main dans la mienne m’incitait au calme et à la bonne conduite mais l’euphorie qui m’envahissait prenait les devants. Je cherchai à masquer mon sourire mais je n’y parvenais pas. Je ne pensais qu’à son retour, dans deux semaines, littéralement obsédée par nos retrouvailles ; je savais que cela serait moins dur de le laisser partir en sachant qu’il reviendrait. Je savais que son absence serait plus facile à vivre en sachant que cela n’était que de courte durée. Je savais qu’il aurait à repartir. Je savais que cela ne s’agirait que pour un week-end. Mais je vivais dans la joie insouciante d’une bonne nouvelle et je ne voulais laisser rien, ni personne, entraver mon bonheur passager.
« Dragibus... » marmonna-t-il, après que sa main ait lâché la mienne. Je tournai la tête vers lui, le visage entendu. Il n’ajouta rien. Je ne prononçai pas un mot non plus. J’entendis une annonce se faire dans la gare et Julian sembla se réveiller de sa torpeur.
« Je crois qu’on m’appelle… Je suis désolé… » Je n’eus pas le temps de comprendre qu’il me serrait déjà contre lui. Je passai mes bras dans son dos et je sentis sa main presser l’arrière de mon crâne. Je fermai les paupières.
Mon cœur battait si fort et si vite que ma tête semblait me tourner. Je ne voulais pas qu’il parte. Je ne voulais pas qu’il s’en aille. Je sentis la bile envahir ma bouche et je me focalisai sur le rythme de ma respiration pour ne pas complètement perdre pieds. Je le serrai contre moi. Je le serrai si fort. Mais il m’échappait quand même. Il se détacha de moi et prit la direction de son quai, et je le suivis d’un air absent. Je secouai frénétiquement la tête pour chasser chacun de mes pensées. Nous marchâmes en silence. Ni lui, ni moi n’étions capable de dire quoi que ce soit. J’avais l’impression que mon esprit survolait mon corps, préférant se détacher de ce corps qui ressentait tout simplement trop de choses. Puis, nous arrivâmes à son wagon. Je me mordis l’intérieur de la joue pour ne pas céder aux larmes qui menaçaient de couler.
« On se voit dans deux semaines. » lui marmonnai-je.
« Tu m’envoies un message quand tu arrives ? » Deux semaines. Cela résonnait comme une éternité. Je l’étreignis une dernière fois avant de faire un pas en arrière et lui adresser un dernier sourire. Je lui fis un petit signe de la main avant de simplement tourner les talons. Tourner les talons sans me retourner.
Parce que j’aurais été incapable de m’en aller si je lui avais lancé un dernier regard par-dessus mon épaule.