Quand les dieux veulents nous punir, ils exaucent nos prières × Caesius McGregor

Clic. Bruit d'un bouton qu'on tourne.

« ... virage, créant un accident qui heureusement n'a fait aucun mort. Uniquement deux blessés légers. Nous en conviendrons Tommy : chers auditeurs, faites attention sur la route ! A suivre, la météo présentée par Lily et quinze minutes de chanson ! »

Le jeune homme frotte le bout de son nez du dos de sa main droite, en attendant que le café passe. L'agréable odeur, vaguement amère, le maintient éveillé, mais pour le coup de punch - oserait-il dire poing ? - il faudra attendre le goût âcre et noir du liquide brûlant qui goutte, dans un bruit de pluie, dans sa cafetière. Voilà deux nuits et deux jours entiers à bosser sur son fichu programme. Être informaticien pour une entreprise qui vend des boîtes de conserve, c'est tellement pas le pied. Heureusement, Cae a un autre loisir qui n'est pas sans toucher le domaine informatique : sur son temps libre, il s'amuse à récolter des informations diverses et variées en tant que pirate informatique. Il revend ensuite ces informations aux acheteurs potentiels. Si il deal le fruit de ses recherches depuis peu - un mois, peut-être deux ? - il a toujours été plus ou moins doué en nouvelles technologies.

Déjà, son père étant garagiste, il lui avait montré l'envers du décor : sous chaque chose, il y a un système relativement complexe qui sert de moteur. Voiture, plaques électriques, grille-pain ... De quoi attiser la curiosité de l'adolescent en manque de sensations et de défis intellectuels. Et à lui de démonter tout, jusqu'à l'ordinateur portable de sa chère mère. Et là, de fil en aiguille, il était passé du dedans au ... disons un dedans parallèle. Si les diverses compositions des objets continuaient de l'interpeller, comme leur mode de fonctionnement, son intérêt s'était tourné avec passion vers la programmation et l'informatique. Son père lui offrit pour ses treize ans une vieille bécane, un ordinateur vieillot et désuet, qui avait plus que fait son temps. Pourtant, avec son argent de poche et du travail, Caesius retapa l'engin pour en faire une véritable machine de guerre. Planqué dans son grenier, il formait de petits logiciels espions, des programmes de jeux, et s'amusait à pirater les fichiers de son école. Il apprit à être prudent et à ne laisser aucune trace le jour où il manqua de se faire prendre.

Sonnerie d'un téléphone, musique électronique. Il interrompt ses pensées mélancoliques et décroche d'un geste rapide, induit par l'habitude.

« Yep salut Clyve ! Impec et toi ? Non, j'suis pas fatigué, j'ai bien dor-   » Bâillement. Tant pis pour la crédibilité. « Deux jours et deux nuits que je bosse sur son putain de logiciel. Ouai, je penserai à manger. T'es ma mère, ou quoi, pour me fliquer comme ça ? Allez, t'appelles pour quoi ? ... Un problème ? Bon, je passerai tout à l'heure. Je déposerai une clé USB pour le boss, en même temps. Salut ! »

Sa voix, vaguement rauque et grave, s'éteint tout comme la musique à la radio, laissant de nouveaux babillages sur l'actualité People de Londres. Parfois, ses grandes étendues écossaises lui manquent. Le fait de pouvoir se terrer quelque part, et de ne pouvoir être vu que si on le désire, cela le fait rêver quand il doit prendre le métro, ou le bus, quand il prend son bain de foule régulier et son lot de mains baladeuses. Le café est enfin là, comme un trésor noir et odorant. Il s'en sert une tasse, et en profite pour manger un peu - c'est qu'il en oublie de se sustenter, quand il bosse. Mais l'estomac gagne toujours, sur sa flemme. Il croque dans une pomme, fait réchauffer deux saucisses afin de faire taire les grognements de son ventre.

Il fait mentalement la liste de ce qu'il a encore à faire. Alors qu'il en est à la moitié, il réalise que sa priorité sera sûrement une bonne douche et mettre des vêtements propres. Sortir comme ça dans la rue pourrait être passible de crime contre l'humanité ... Il finit sa tasse, s'étire en baillant de nouveau, et monte à l'étage pour prendre une bonne douche chaude et fumante. Mine de rien, son petit train train quotidien ne l'ennuie pas trop - il fait ce qu'il aime, et il peut prétexter avoir besoin de matériel chez lui pour pouvoir bosser à la maison. Il met un tee-shirt propre, un jean repassé et passe sa main dans ses cheveux encore humides. Le miroir renvoie le reflet d'un garçon aux traits fatigués, mais au sourire félin, comme un chat le nez dans la crème.

« ... cas de piratage informatique qui sont sûrement l'oeuvre de jeunes blagueurs. Faites attention quand vous entrez vos coordonnées ou vos données personnelles, vous n-... »
« Tss. Bon allez, je me bouge. Autant passer tout de suite. Ca me réveillera un peu. Et après, je reviens juste pour toi, bébé. »

Il tourne son regard noir vers son bureau : deux unités centrales qui tournent à plein régime, avec système de refroidissement performant, deux écrans et deux claviers. Le top du top. Il sourit, presque amoureusement, et redescend quatre à quatre. Il est pas du genre patient. Le contact de ses touches lui manque déjà. Régler le problème de réseau ne durera pas plus de dix minutes, et déposer la clé avec les dossiers demandés et un début de logiciel suffira à son patron. Une journée comme une autre, somme toute.

Le soleil l'aveugle un instant. Il replace ses lunettes sur son nez. Ferme son blouson bleu, bouge les épaules. Autour de lui, Londres vit. Et il s'y insère doucement, dans cette vie digne d'une fourmilière. Encore un autre jour, oui. Comme tous ceux depuis qu'il a déménagé de chez ses parents. Les années de lycée, puis des études supérieures rapidement menées, et un déménagement dans un quartier plus proche du centre de Londres. Il avait trouvé un boulot là-bas, et s'y était installé à l'âge de vingt deux ans. Ses parents ne lui manquaient pas - sa mère l'appelait toutes les semaines, en bonne mère poule qu'elle était. Et puis, à Glasgow, la connexion internet était pourrie, de toute façon ... Non, Londres, c'était le pied.