if you work for a living, then why do you kill yourself working? (rose)

Elle n’a toujours pas quitté son lit, sauf pour certains de ses besoins vitaux.
Elle n’a toujours presque rien avalé.
Elle pleure toujours aussi.
Dans sa chambre. Dans le salon. Dans la cuisine. Dans la salle de bain. Partout dans la maison, elle traine sa misère. Elle traine telle une âme en peine.
Une âme en peine, voilà ce qu’est Anne depuis le décès de son mari l’année dernière, laissant ainsi sa fille unique de quinze ans à l’époque prendre les choses plus ou moins en main quittant son internat par la même occasion. Le risque d’avoir une relation plus que fusionnelle avec son conjoint.
Évidemment, l’adolescente est en deuil et en peine, pourtant elle s’est prise en main. Sachant son père condamné depuis le début par ce qui s’est avéré être un « parfait » cancer du pancréas foudroyant, elle a profité des six derniers mois que la vie lui offrait.
Aussi triste cette disparition soit-elle, cela eut l’effet d’une claque et de voir sa vie autrement.

Aujourd’hui est un « grand » jour, parce que ce cirque doit cesser maintenant et qu’elle a assez confiance pour que son idée fonctionne. Rose ne supporte plus de la voir dans cet état. Physiquement, cette femme est méconnaissable. Psychologiquement, elle est anéantie. Plus bas qu’au fond du trou. Elle qui a tenté de mettre fin à ses jours il y a quelques semaines. C’est triste à voir depuis le temps. À seize ans, il lui en aura fallu du courage pour appeler un psychologue afin de la faire aider, de la sortir de ce cercle vicieux où elle ne cesse de s’enfoncer un peu plus chaque jour. Il lui aura également fallu du courage pour ton manigancer dans le dos de sa propre mère. En effet, à défaut de pouvoir faire en sorte qu’elle soit présentable pour sortir ou même de pouvoir franchir la porte, Rose a du s’arranger pour que l’entretien ait lieu chez elles.
On sonne à la porte d’entrée. La jeune femme dévale les escaliers à toute vitesse manquant de finir étalée au sol une fois en bas. Mais ça, ce n’est qu’un détail. Au final, le plus important dans cette histoire c’est qu’Anne aille mieux. C’est tout confus : une sorte d’euphorie mêlée à de l’angoisse. Et avec son sourire rassurant, cette femme aura eu besoin que d’une minute pour donner beaucoup d’espoir à Rose.
Les deux femmes se sont vues au domicile des O’Pry pendant près d’un an.
Un an où la jeune femme a vu sa mère évoluer, retrouver le sourire, l’appétit.
Un an où la jeune femme a vu sa mère remonter cette fameuse pente, pour sortir de son cercle infernal.
Enfin.
Incapable de pouvoir reprendre une activité, la psy et la mère se sont mises d’accord sur la nécessité de prendre l’air, retourner dans son pays natal, prendre du recul et se reposer pour de bon. Et bien que Rose aime ce pays de la gastronomie et des jolies choses, elle ne s’est pas sentie capable de partir. Elle a trop de souvenirs ici. Trop de souvenirs qui, contrairement à sa mère, lui donne envie de profiter.

Elle n’est pas fraîchement sortie de l’université, mais des cas comme celui-là, elle n’en a encore jamais eu jusqu’ici. Pourtant en dehors de son activité libérale, Rose en a croisé des jeunes en difficulté au centre. Tous différents, mais jamais comme lui : Simon Hamilton — ou plutôt Sims diminutif auquel il tient particulièrement. Il a l’art d’éluder toutes les questions ou partir pile au moment elle croit qu’il va lui dire enfin quelque chose d’intéressant ou de la déstabiliser.
Comme le jour où il lui a filé son numéro.
Comme le jour où il a débarqué chez elle. Dur de dire non à sa tête de chiot abandonné à la recherche d’une maison accueillante. Risqué aussi de dire oui.