Locke › If you are always trying to be normal, you will never know how amazing you can be

« Lochlan. Tu te souviens de tes parents ? » Cette question. Encore et toujours. Je la détestais tellement. Je relevais à peine les yeux du livre que je tenais entre mes mains, soupirant profondément. Je détestais cette école, je détestais devoir faire semblant d’être normal. Je continuais de parcourir les lignes, les phrases, les mots sans répondre. « Je prends ça pour un non. » Etait-ce si compliqué que ça de comprendre que je ne pouvais pas en parler, parce que je n’avais aucune idée de ce que je devais  ressentir ? Je fermais le livre d’un coup sec, relevant mes yeux sombres sur mon camarade de classe. « M’appelle pas Lochlan. » Prononçais-je simplement avant de me redresser, jetant un coup d’œil à la fille de ceux qui se plaisaient à s’appeler ma famille d’accueil. Elle me jeta un regard lourd de sens, et je haussais les épaules. Qu’est-ce que j’y pouvais moi, si ses parents avaient décidé d’être les gardiens des petits orphelins sans défense. A dix ans, j’avais déjà une vision négative du monde. Mais je ne savais pas comment je pourrais être… heureux. Personne ne voulait de moi, personne n’avait jamais voulu de moi. Mes parents, pour commencer. Ma mère m’avait porté au creux de son ventre pendant neuf mois, neuf long mois, m’avait supporté à l’intérieur d’elle. Et au final, quand enfin elle a pu me tenir dans ses bras, la première chose qu’elle a faite a été de me mettre dans les bras d’un prêtre de l’église du coin. La seconde a été de m’oublier. Et apparemment, ça n’a pas été si difficile que ça. Depuis ma naissance jusqu’à maintenant, j’ai sans cesse changé d’adulte référent. L’orphelinat semblait être un repère pour moi, jusqu’à ce qu’on me catapulte dans différentes familles d’accueil jusqu’à ma majorité. A partir de là, je ne m’étais attaché à personne. Tout le monde changeait autour de moi, je changeais de ville, d’école, de camarades. Si je me faisais des amis auparavant, j’avais appris à rester seul bien que je détestais cela. Je préférais toujours la solitude à l’oubli. Si on ne m’avait jamais connu, il était impossible de m’oublier. C’était aussi simple que ça.  

« Tu t’appelles Locke ? » Je hochais la tête. Je gardais cette méfiance au fond des yeux, alors que je scrutais le norvégien qui me faisait face. Si j’étais grand pour mon âge, il semblait l’être encore plus, et plus vieux aussi. « Isak. » Répondit-il simplement. Je jetais un coup d’œil par-dessus son épaule, observant le groupe d’adolescents derrière lui. Ils devaient tous être âgés entre quinze et dix-sept ans, alors que je n’en avais que treize. « T’es jeune pour traîner dans les rues à cette heure-là. Ils sont où tes parents ? » Je me raidis. J’avais envie de lui répondre que j’aimerais bien le savoir, moi aussi. Que j’aimerais bien savoir où ils ont toujours été. Mais peu importe l’endroit où ils vivaient, c’était sans moi. « Ils sont morts. » Répliquais-je un peu trop brusquement, lui crachant presque ces trois mots à la figure. Je ne réussis pas à retenir le regard haineux envers le plus grand. « Oh. » Fut sa seule réaction. J’aurais dû avoir peur, mais je ne ressentais que de l’arrogance. Je ne le savais pas encore, mais je venais tout juste de faire la rencontre la plus importante de ma vie. J’étais entré dans l’espèce de groupe d’Isak. J’avais rapidement appris que si je voulais rester dans la rue, je ne pouvais pas rester un sac d’os sans aucun muscle. J’ai appris sur le tas, comme d’habitude. Je passais de moins en moins de temps au domicile qui m’était attribué, restant dehors jusqu’à une heure avancé de la nuit quand le temps le permettait. Mes nouveaux amis n’étaient pas du tout orphelins, et je devins rapidement jaloux des moyens financiers dont certains disposaient. Quand ils allaient au cinéma, je restais dehors à les attendre, quand ils s’achetaient à manger, j’avais toujours le sandwich le moins cher. Je commençais à voler, et me découvrit un talent certain pour les larcins. En fait, j’étais talentueux et débrouillard, pour beaucoup de choses. Mon égo grandit énormément pendant cette période. La majorité de mes tentatives étaient couronnées de succès, en cours ou dans la rue. Jusqu’à ce que je prenne ma première raclée en essayant de voler le portefeuille d’un gars qui devait faire vingt centimètres de plus que moi. Ayant négligé les entraînements qu’Isak m’avait demandé de faire, j’étais revenu vers lui en baissant les yeux. Je me demande encore ce qu’il me trouvait et pourquoi il s’occupait autant de moi, mais il m’apprit les bases des arts martiaux mixes. J’appris le reste par moi-même, ayant eu quelques… occasions de me battre. J’aimais ça, d’ailleurs. Je me faisais toujours disputé par mes « parents » d’accueil. Mais qui étaient-ils pour me dire ce que je devais faire ou non. Je me sentais plus fort et plus intelligent que quiconque, tout ça parce que j’étais un petit con.

« Tiens, teste ça. » Je jetais un regard suspicieux à la cigarette que me tendait Sigvard. « C’est quoi ? » « Arrête, Sig. Isak va te casser la gueule s’il l’apprend. » Une bouffée de colère s’empara de moi. Pour qui ils me prenaient ? « Je suis pas le toutou d’Isak. » Grondais-je en attrapant la clope des mains du plus vieux, qui semblait jubiler. Et passablement défoncé aussi. J’avais seize ans, moment était le commencement d’une des périodes les plus sombres de ma vie. Les mois passèrent, et j’étais de plus en plus accroc. Je le sentais, il me fallait mes doses quotidiennes. Je faisais tout pour qu’Isak, que je considérais comme un grand frère, ne le remarque pas, mais il n’était pas dupe. Il m’arrivait de passer des nuits entières dehors, d’aller à des fêtes où je n’étais pas invité, mes vols et délits s’intensifièrent.

« Tu te fous de ma gueule ? » Je sentais qu’on m’attrapait par le col de mon tee shirt, mais j’étais totalement à l’ouest. Je grimaçais. Isak. C’était la voix d’Isak, j’arrivais au moins à me rappeler ça.  « Isak… J’peux t’expliquer. » « Je savais que tu prenais de la merde, mais t’es même pas capable de tenir debout là ! Merde, Lochlan ! » Je grimaçais. « Et je m’en fous que t’aime pas ton nom, p’tit con ! » « Mais merde, j’suis pas défoncé… » « Tu déconnes ? T’es à deux doigts de te gerber dessus ! » Je ne répliquais pas, parce qu’il avait raison. La promesse, il ne me l’a pas arraché ce jour-ci. Depuis, il n’a pas arrêté d’essayer de me faire arrêter, par tous les moyens. Pourquoi était-il si gentil. Après mes dix-sept ans, je lui ai promis de ne plus m’approcher de ce qui ressemblait de près ou de loin à une cigarette. Je mentais sur beaucoup de choses, mais pas pour mes promesses.

J’ai arrêté les cours après le lycée. J’avais de bonnes notes, mais je ne voulais absolument pas faire d’études longues, malgré mes projets d’avenir. C’était au fond de moi, je le savais. Je n’étais pas fait pour ça. J’ai enchaîné les petits boulots, essayant d’atteindre un petit équilibre. Je laissais encore traîner mes mains dans les poches des gens, plus par automatisme qu’autre chose, même si j’étais réellement dans le besoin. J’ai passé quelques années comme ça, avant de retourner à l’orphelinat dans le but de chercher des réponses. J’étais en réel manque d’informations, et ça commençait à ma grignoter de l’intérieur. Je ne savais pas vraiment qui j’étais, ni d’où je venais. Tout le monde pouvait parler de l’histoire de sa famille, où d’au moins de ses parents, de ses grands-parents. Mais l’histoire des Stjerners, ou plutôt du Stjerners, elle commençait à ma naissance. J’avais besoin de savoir.

« C’est une question plutôt simple, pourtant. Etes-vous ou non en mesure de me fournir des informations sur mes parents ? » En dix ans, j’avais appris à maîtriser mes émotions. Mon visage n’affichait qu’un sourire poli et patient, alors que je bouillonnais de l’intérieur. Leur mine gênée me donnait envie de hurler. « Et bien… Votre mère nous a effectivement laissé… un papier, il y a 25 ans. » Je plissais légèrement les yeux, mais continuait de sourire. Un papier. Et je n’en avais jamais, jamais rien su ? Le gamin colérique que j’avais été aurait sûrement renversé la table qui nous séparait. « Suite à votre appel, nous l’avons retrouvé, et… le voici. » Le directeur de l’orphelinat tenait encore le précieux papier entre ses mains, et planta ses yeux dans les miens avant de se remettre à parler. « Le nom de votre mère était Malekith. Mais il y a quelque chose qu’il faut que vous sachiez. Vos deux parents sont tous les deux morts. » Je restais impassible, sans réagir tout de suite. Je croisais les jambes, soupirant légèrement. Evidemment. J’avais passé plus de vingt-cinq ans à dire qu’ils étaient morts, et j’espérais encore qu’on me prouve le contraire. Et même s’ils étaient en vie, qu’est-ce que je pouvais faire. Je n’étais plus un enfant. J’attrapais finalement la feuille, un peu trop brusquement. Un nom y était inscrit, un seul. Raylan Malekith. Je relis ce nom plusieurs fois, le gravant inconsciemment dans mon esprit. Raylan. Malekith. Je relevais les yeux. « Qui est-ce ? » Plusieurs secondes passèrent, qui me semblaient durer une éternité. « Votre frère. »

J’étais resté sous le choc pendant quelques jours, sans comprendre. Je gardais précieusement son nom dans mon portefeuille, ne sachant pas vraiment quoi faire. Une rapide recherche sur Internet m’informa qu’il habitait à Londres. Il ne m’en fallait pas plus, et quelques mois plus tard, j’étais prêt pour déménager à mon tour, me serrant encore plus la ceinture que d’habitude. J’aurais voulu que ça aille plus vite, mais bon. J’étais arrivé à Londres à la mi-septembre. Et j’étais prêt à recommencer toute ma vie pour retrouver la seule famille que j’avais jamais eu.