emily ▬ when kids become boring and ripe, we call them "adults"

Une bougie supplémentaire vient s'ajouter sur le gâteau que la mère d'Emily a préparé pour elle. Au chocolat, simple et classique, comme elle l'aime. Chaque année, la même modeste petite fête est organisée à la demeure des Norbury. Mais cette année-là, les choses ne se sont malheureusement pas passées comme prévu. En effet, ce fut la première fois que la petite fille et sa mère sont seules pour fêter son anniversaire. Année qui lui laissera certainement un souvenir peu agréable lorsqu'elle se remémorera le moment où sa sixième bougie fut soufflée sans la présence de son père, ni de sa grand-mère. Tous deux étaient absents, indépendamment de leur volonté. L'un n'ayant pu s'accorder la semaine de congé qu'il avait pour habitude de demander chaque année, l'autre étant tombée très malade et retenue en soin intensifs à l'hôpital. L'année 2003 ne fut pas l'une des meilleures à se remémorer. Mais à cet instant, de telles pensées ne traversent pas l'esprit candide de la jeune Emily. Elle était malgré tout restée très enthousiaste, comme n'importe quel enfant à l'idée de fêter son anniversaire. Des cadeaux, un gâteau rien que pour elle, une journée toute à son honneur... que demander de plus? En plus de cela, c'était Halloween, ce qui signifiait deux fois plus de bonbons à se mettre sous la dent. Ça semble si facile de surmonter les choses lorsqu'on possède un âme aussi innocente que celle d'un enfant. Emily ne s'en fait pas, elle. Elle sait que son papa va bientôt revenir, si ce n'est pas cette semaine alors ce sera la prochaine. elle sait aussi que Nannie a juste attrapée une vilaine grippe, ça arrive aux plus résistants d'entre nous, elle se rétablira bientôt. Dans ses yeux bleus et pétillants se reflètent une lueur d'émerveillement lorsqu'elle observe l'allumette enflammer les six bougies.

- Vite maman, dépêche-toi, ne peut s'empêcher de lâcher la gamine, trépignant d'impatience, un grand sourire aux lèvres.

Attendrie par l'enthousiasme de sa fille, l'intéressée ne peut s'empêcher de sourire à son tour, et s'exécute en accélérant la cadence. Une fois fini, elle s'écarte pour laisser place à la rouquine qui ne se fait pas prier pour s'avancer en direction du gâteau, guillerette.

- N'oublie pas de faire un vœu, lui rappelle-t-elle avant qu'elle ne se lance.

Évidemment qu'Emily ne l'a pas oublié. Elle ferme les yeux, et souhaite en silence de tout son cœur que Nannie se rétablisse vite, et, dans un élan de folie, espère que son père lui fasse en réalité une surprise en débarquant à l'improviste pour son anniversaire, comme il y a deux ans. Elle se rappelle encore quand elle lui a sauté dans les bras lorsqu'elle l'a vu arriver, c'était magique. Une fois le vœu professé, elle prend une grande inspiration et ses petits poumons recrachent tout l'air qu'ils peuvent pour éteindre les six lueurs rougeâtres qui éclairaient le gâteau. S'ensuivirent les applaudissements de sa mère avant que cette dernière ne la serre dans ses bras et l'embrasse.

- Joyeux anniversaire ma chérie, lui murmure-t-elle, la voix cassée par l'émotion qui la submerge.

Les larmes qui roulent silencieusement sur ses joues témoignent toute la joie qu'elle éprouve de voir son petit bébé grandir aussi vite, mais également la peine d'en avoir tristement déduit les vœux qu'elle avait souhaités, qui ne lui laissaient que des espoirs vains. La tumeur que sa grand-mère avait développée n'allait probablement pas la laisser s'en sortir malgré son tempérament de battante, et elle ne pourrait pas voir son père avant l'année prochaine.

- Maman, j'ai fait un cauchemar...

Les yeux tout endormis, la jeune Emily aperçoit à peine sa mère avec un inconnu à ses côtés, dans son lit. Lorsque sa vue devient plus claire, ses petits yeux deviennent ronds d'incompréhension. Au vu de la réaction paniquée des deux amants, elle en déduit qu'ils n'avaient pas prévu qu'elle débarquent dans la chambre en pleine nuit.

- Emily, chérie..., tente-t-elle d'expliquer à sa fille.

Le silence s'installe, étant donné que l'intéressée reste muette comme une carpe. Devant cette absence sa mère pince les lèvres, profondément gênée.

- Je t'en supplie chérie, va te recoucher, et on parle de tout ça demain, d'accord? S'il te plaît...

La petite après quelques secondes s'exécute, refermant la porte de la chambre de sa mère. Trop perturbée par ce qu'elle vient de voir, elle ne cherche même pas à décrypter les murmures de la dispute qui commence à éclater entre les deux autres. Elle n'avait beau avoir que huit ans, elle avait compris ce qu'il y avait à comprendre. Cet inconnu, dans son lit, ce n'était pas son père, et si c'était son nouveau père, elle n'avait pas envie qu'il le soit.

Six bons mois s'écoulèrent tandis qu'une nouvelle présence masculine vivait sous le toit des Norbury. L'idée d'avoir un nouveau papa n'était simplement pas concevable pour Emily, bien qu'elle dut le supporter comme un simple colocataire. Elle ne l'aimait pas, et lui ne l'aimait pas comme un père le devrait. Au fond, elle aurait aimé qu'il remplace son vrai père par moments, dont elle n'avait plus reçu de nouvelles depuis quelques mois déjà. Son absence se faisait terriblement ressentir chaque jour s'écoulant.

Un jour, à la fin de l'année 2005, son père revint blessé à la jambe, rescapé de la guerre en Irak. Sa joie ne fut pas des moindres de retrouver son vrai papa, cependant ce ne fut pas vraiment le cas de sa mère, qui avait déjà tourné la page avec un autre. Sa décision, bien qu'elle ne fut pas des plus sages, fut de cacher son adultère en convaincant sa fille avec des mots doux de ne rien dire à propos de son amant, lui promettant que tout serait comme avant. La petite la crut bien évidemment et tenta de passer outre tant bien que mal et de tenir parole, mais il ne put s'écouler une semaine sans que toute cette histoire lui trotte dans la tête, plus particulièrement une question, ce qu'elle redoutait plus que tout.

- Dis papa, tu repars pas à la guerre maintenant, pas vrai?

L'intéressé se retourne vers sa petite rouquine, et lui sourit doucement.

- Ce n'est pas prévu que je reprenne mon service, ne t'en fais pas. Je ne pars plus.

Soulagée, elle sourit mais le doute est tout de même toujours présent.

- Tu es sûr?

- Même plus que sûr, renchérit-il.

L'espace de quelques secondes une pause s'installe. L'instinct parental le fait douter sur le comportement douteux de sa fille et le malaise qui semble régner.

- Tu m'as l'air préoccupée depuis mon retour, lui fait-il remarquer. Quelque chose ne va pas? Tu sais, tu peux me dire si...

- Je voulais pas qu'il y ait un autre papa que toi à la maison, le coupe-t-elle brusquement.

Ça y est, la bombe est larguée. Elle avait beau avoir promis de ne rien dire c'était tout bonnement impossible pour elle de mentir davantage à son père. Les dures conséquences qui ensuivirent cette révélation, on les connait tous. Le divorce, l'abandon de sa mère.

Tout va s'arranger, qu'elle lui disait.