Le jour s'est levée sur cette étrange idée- Dimitri

« Je dissocie en fait les deux choses, l'amour est une réalité et l'amour éternel, un mythe. Je crois que l'on peut ressentir des sentiments, je pense que l'on peut finir sa vie avec une personne, mais il n'y a pas de notions d'éternité. L'amour éternel est, par définition, aimer une seule personne... Malgré les rencontres que tu feras après ta rencontre avec cette personne, ou même avant, tu ne sentiras ou n'aura jamais senti de véritable sentiments.  Et jamais tu ne pourras te détacher de cette personne, même après sa mort si elle perd tragiquement la vie. C'est assez triste. » Je continue de marcher à ses côtés, approchant de la sortie du parc tandis que je repense à mes mots, avant d'ajouter. « Le mythe des âmes sœurs de Platon est effroyablement triste, une forme de vie séparée en deux âmes par la crainte d'un dieu, chacun ayant le besoin vitale de retrouver la partie manquante. Cela possède une certaine beauté, j'en suis conscient mais... je me pose simplement une question. Quelle vie un sentiment éternel peut-il donner à part le désespoir ? »

J'appelle un taxi peu avant de sortir totalement du parc, ainsi quand nous arrivons, je vois le premier taxi du quartier arriver prêt de nous. J'ouvre la porte pour qu'il entre. Tristan s’exécute, non sans m'envoyer une petite remarque comme quoi il n'était plus un gamin. Je lève furtivement les yeux en direction du ciel avant de me joindre à lui dans l'habitacle du taxi londonien. Donnant l'adresse au conducteur, je me rassois bien juste après, observant mon voisin avant de regarder en direction de l'extérieur. Je n'ai pas besoin de répondre à sa remarque sur son âge... C'est vrai il est adulte, il fait bien ce qu'il veut, de son corps, de sa vie, tant que cela reste dans une limite. Quand le comportement d'une personne devient un sujet d'inquiétude pour tout le monde et que certains sont obligés d'aller chercher ce personnage, sans chaussure et encore un peu soul... Ce n'est pas franchement un comportement adulte dirons nous.

Enfin, qu'importe car il me pose assez rapidement une nouvelle question. Il aimerait savoir ce que je fais réellement et enfin, cette seconde question me fit hausser un sourcil, si je couche avec tous mes clients. La voiture s'arrête au feu rouge. Je regarde les passants avant de reprendre la parole.

« Mon travail s'appelle expert d'art. J'aide ou j'effectue directement des ventes et achats d'une ou plusieurs œuvres d'arts, que cela soit de la littérature anciennes, des toiles, des compositions... Il m'arrive de faire des conférences sur l'histoire de l'art, à des élèves en archéologie ou en histoire de l'art principalement. Enfin, je fais des expertises, que cela soit pour l'aide à une vente ou seulement pour certaines institutions publiques qui ont besoin de mes services. » Puis, je tourne la tête dans sa direction, tandis que la voiture redémarre, croisant les jambes. « Tu le sais aussi bien que moi, parfois mélanger plaisir et travail n'est pas un véritable problème. Je ne couche pas avec tous mes clients, et la personne de la nuit dernière était un collectionneur avec qui j'avais un arrangement, un simple arrangement pour ne pas se marcher sur les pieds lors d'une vente. »

Je retombe dans le silence tandis que les rues défilent à la fenêtre. Enfin, je termine simplement...

« Est-ce un problème ? »

« Je crois que tu te trompes un peu sur moi. Enfin c'est difficile à expliquer. »

Nous sommes maintenant dans le taxi, les voitures et les gens défilent de l'autre côté des fenêtres de l'habitacle. Je suis certains éléments du regard, sans vraiment continuer ma phrase ou même mon explication. Après tout, il peut penser ce qu'il souhaite à mon sujet... il peut dire ce qu'il veut sur moi... J'aime ce mystère que je met en scène autour de moi. Pourtant, malgré les mots que j'ai prononcé il y a un instant, ce n'est pas si difficile que cela. Les gens confondent tout, veulent lier des choses impossible... Comme l'expression le dit, les gens veulent le beurre et l'argent du beurre. Mais non, ça ne se passe pas comme ça, pas aussi facilement. Je tourne les yeux vers le conducteur, avant de sortir deux billets, les faisant passer devant pour les lâcher sur la place du mort, lui intimant l'ordre de regarder ailleurs, d'écouter autre chose. Je n'aime pas parler de moi... je déteste parler de moi... les gens n'ont pas à me connaître. Enfin... pas tous... Je peux bien... faire une exception.

« Tu confonds la fidélité et l'éternité... Tu confonds l'amour et le rêve. Je peux être amoureux, je l'ai sûrement déjà été et je le saurais sûrement plus tard, mais croire que la passion, le désir, l'amour, sont des choses éternelles, est une chimère. Je ne veux pas sombrer dans la dépression parce que la personne que j'aime, encore et toujours, pour l'éternité, a disparue, ou ne veut plus de moi. Ce n'est pas saint. » Je laisse échapper un rire vague, ce n'est pas vraiment à moi de parler de ce qui est saint ou non d'un côté... « Finir mes jours avec quelqu'un ? C'est une chose envisageable, ne transforme pas mes propos. Tout ce que je dis est que le conte de fée du prince charmant n'est pas une chose en laquelle je crois. Si je termine ma vie avec quelqu'un, ce n'est pas parce que je l'aime simplement, ce n'est pas qu'une histoire de sentiments... c'est une histoire de pensée, de paroles, de gestes quotidiens, le tout associé à la passion, la tendresse et l'amour. Si quelque chose crée un mur entre ton prince et toi, penses-tu que l'amour sera éternel ? Et je me répète... l'amour, lui, existe... et plus il dure, mieux c'est. »

Je tourne mon visage dans sa direction. Je n'aime vraiment pas parler de ce genre de choses. Je comprends ceux qui veulent croire en l'âme sœur, c'est un beau mythe. Mais... je le trouve vraiment trop douloureux, et bien trop absolu. J'aime à croire que la nature humaine nous a doté de la pensée, l'un des plus beaux cadeaux de l'évolution, pour pouvoir exprimer tellement de choses, d'opinions, de personnalités qu'il est impossible que l'amour éternel puisse exister. Quelles sont les chances pour qu'un couple ne rompt pas après une importante divergence d'opinion ? Quelles sont les chances que les secrets, les passés, ne sont pas des éléments destructeurs ? Dans ce monde de sang, de guerre, de cendres et de coup bas, il faut croire en l'amour, au plaisir, à la liberté... mais il ne faut en rien croire à ce fol espoir qu'est l'éternité.... Sauf celle de l'art et du savoir.

Je regarde à nouveau le monde défilé, tout en l'écoutant attentivement, je détache d'ailleurs rapidement mes yeux de ce petit spectacle pour les poser sur Tristan, quelque peu surpris par ce qu'il dit. Quels doutes a t-il ? Je n'aimerais pas qu'il devienne trop curieux, qu'il s'inquiète... ou qu'il ait des problèmes par ma faute. Enfin, outre ce point, il est vrai que nous nous sommes pas vu depuis longtemps... je peux donc comprendre qu'il n'ait pas totalement confiance en mes propos.

« Pourquoi penses-tu que j'ai quelque chose à te cacher ? Je ne suis pas très bavard en ce qui concerne ma vie mais c'est un trait de ma personnalité qui existe depuis assez longtemps. Tu connais ma famille, ce qu'elle est réellement, c'est pour en partie me détacher de ça que je parle très peu de moi. Enfin... pour te répondre, c'est vrai que cela fait assez longtemps que nous ne nous sommes pas vu, donc profitons un peu de ton sms pour rester ensemble. »

Une forteresse, c'est ce que je dois être de toute façon...

« C'est plutôt dommage que ce soit dans ces conditions, mais je ne vais pas me plaindre... Au final, ta présence me manquait un peu... »

Les mots sont sortis seuls... c'est vrai, il m'a un peu manqué... On s'est tout de même bien connu, quelque soit ce que l'on peut dire sur nos relations. Pourtant, ce n'est pas vraiment dans mes habitudes de dire quelque chose de ce genre, loin de là même... Je préfère garder les choses pour moi, ça permet de mieux les contrôler. Je peux prévoir lorsque je parle de choses techniques, lorsque je ne suis pas aussi une pièce importante de la discussion. Mais lorsque les choses me touchent personnellement et, globalement, touchent à l'idée de l'intime, du passé ou de la création de liens, je considère qu'on ne peut rien prévoir. En ce moment, je n'arrive pas à imaginer quelles réactions possibles de la part de mon ami, alors que cette phrase n'est pas forcément la plus passionnante, la plus révélatrice. Quoique... Je suis pas assez expert en matière de sentiments personnels pour vraiment juger.

Passant la main dans mes cheveux, je me souviens rapidement de ce qu'il m'a expliqué, comme quoi je dois être l'une des seules personnes à donner de l'argent à un taxi pour qu'il n'écoute pas. La vérité est que je sais qu'avec un peu d'argents, les gens oublient facilement... L'être humain oublie tout si cela peut lui permettre d'avoir quelques petits avantages. Tournant mes yeux dans la direction du rétroviseur du chauffeur, je lance alors un sourire à l'homme, pour qu'il soit bien plus gêné qu'il ne l'est déjà. Puis, brisant à nouveau le silence, je reprends.

« Tu sais, malgré ce qu'on peut dire tous les deux, on garde quelques enseignements. On m'a toujours appris à très peu montrer mes sentiments, ou parler de ceux-ci... Ou même parler de moi. Avoir un petit groupe de confiance, ne pas déborder et ensuite faire en sorte que le reste ne s'apprenne pas. » Un nouveau sourire, tandis que je joue avec un billet entre mes doigts. J'entends alors la musique s'élever dans l'habitacle, voilà qui devrait déjà suffire. Reprenant alors. « Parler de ça avec toi est normal d'un côté, au final tu fais parti des personnes à qui, j'espère, je peux avoir confiance... Si tu penses que j'ai des secrets, c'est peut-être que c'est vrai... Mais que je ne me sens pas vraiment prêt pour en parler. Ou alors peut-être n'est-ce qu'une impression ? Tu l'as dis, on ne s'est plus vu depuis quelque temps, on n'a pas parlé comme ça depuis longtemps. C'est un peu se redécouvrir. »

Rangeant alors simplement le billet dans ma poche, mon pied bouge au rythme de la musique. Sortant alors simplement mon portable, je regarde quelques messages, j'en envoie un seul, avant de l'éteindre, totalement... Je montre d'ailleurs à Tristan l'acte, avant d'accompagner au geste une parole.

« Aujourd'hui, je coupe les communications. Comme je l'ai dis, profitons d'être ensemble. »

« En fait... je n'ai jamais eu l'attention de garder cette image de toi. Chacun possède ses moments de baisse de morale, de perte de contrôle. Par contre... et c'est en ami que je te dis ça et non en tant qu'une personne effectuant un jugement... Si tu as un problème, quelque soit ce problème, trouve une personne avec qui en parler... Cela t'aidera vraiment... J'en suis certain. Ce n'est pas obligé d'être un spécialiste... ça peut juste être un ami. »

Je l'observe, doucement, avant de sourire légèrement. Je le connais, mieux qu'il ne le pense. Peut-être parce que nous venons du même monde... ou alors seulement parce que mes souvenirs de lui plus jeune m'aident à comprendre au mieux le personnage visible et invisible. Détournant les yeux, je joue un peu avec mon téléphone, l'envoyant avant de le rattraper, sans jamais le faire tomber, concentrant mon regard sur des détails de l'environnement extérieur. La circulation est plutôt bonne … nous serons bientôt chez moi. C'est une bonne chose, la présence du conducteur commence à m'insupporter au plus haut point. Mais, c'est totalement normal... je déteste les seconds rôles, non que dis-je, les figurant qui n'ont aucun intérêt pour l'avancée de l'histoire.

Sorti de ma concentration par les dernières questions de mon ami, j'avoue que je ne sais pas vraiment quoi répondre. Il y a plusieurs raisons qui m'ont donnés l'envie d'aller le voir... L'amitié qui me lie avec lui, malgré nos conversations peu présentes... Mon envie d'être prêt de lui aussi. Oh et aussi... le fait que cette soirée, bien qu'elle commençait bien, aurait pu tout aussi bien être très ennuyante. Rangeant mon portable dans ma poche, je me décide à lui répondre.

« Le fait que tu ais besoin de moi ? Enfin, c'est ce que j'ai déduis lorsque j'ai vu le message. Malgré le fait qu'on se voit peu, j'aurais été un ami très médiocre de ne pas venir voir ce qui n'allait pas... Je ne sais pas si je dois dire ici ce que tu veux entendre, mais sache que tout est un peu vrai en fait. C'est un peu tordu de dire « vouloir profiter de ton mal-être » pour réussir à te croiser à nouveau, mais c'est un peu ça. Shakespeare a écrit une belle phrase dessus. Qui néglige les marques de l'amitié, finit par en perdre le sentiment. » Je détourne à nouveau les yeux, regardant simplement la rue. « Voilà pourquoi. Je pourrais d'ailleurs te demander si tu as envoyé ce message à tout ton répertoire ou si tu m'as choisi avec quelques personnes... et pourquoi tu l'as fais ? »

J'ai le droit d'être un peu curieux aussi, après l'interrogatoire que j'ai subis durant la première partie du trajet. Et je profite de ce droit, je ne le nie pas.