Gisel A. Heredia - Take flight

Je vous en prie, mettez vous à l'aise...
Je fis craquer ma nuque. - Je ne sais pas si c'est possible à dire vrai, mais soit, je m'assieds donc là... Je demande la confirmation parce que je ne suis pas sure de la place qui m'est attribuée.
La journaliste me regarde, elle m'observe avec attention, dois-je parler maintenant? Je fronce les sourcils, tire sur la manche de ma veste, je me suis habillée de manière sérieuse pour faire honneur à l'institut mais je ne suis pas à l'aise du tout.
Vous avez intégré récemment l'institut médico légale, c'est exact? J'hoche la tête, avant qu'elle me rappelle qu'il s'agissait d'une interview et qu'il me faudrait parler, faire des phrases, ce genre de choses. Je me fais la réflexion que sa condescendance est limite attendrissante et je décide de me plier à l'exercice. - Tout à fait, je suis anthropologue judiciaire junior, nouvellement affiliée à l'institut londonien. Elle parait satisfaite de ma réponse, je ne suis pas détendue pour autant.
Rappelez nous votre parcours pour en arriver là. Question qui admet une réponse plutôt longue à dire vrai. Essaierait elle de meubler l'interview, de peur de n'avoir pas assez de matière? Je lui adresse un léger sourire, en me mordillant l'intérieur de la lèvre, il faut se lancer, mon directeur m'a spécifié que cette intervention de ma part, serait une bonne publicité, que mon joli minois serait un atout. En fait, on m'a pas choisit pour mes compétences, mais pour mon faciès, charmant non? Je pousse un léger soupir et entreprend de répondre. - Le parcours est plutôt simple, si tenté que l'on soit intéressé par les vieux os et les chairs en putréfaction... C'est une blague, mais à sa tête, je ne suis pas certaine qu'elle soit de bon goût. Je me racle la gorge, au pire elle coupera ce passage. - C'est en réalité un métier passionnant et une voie professionnelle tout aussi intéressante. A la sortie du lycée, il s'agit de prendre la spécialisation en faculté, pas toutes l'ont, les plus prestigieuses oui. Je passais une langue distraite sur mes lèvres, petite pause avant de reprendre la narration de mon parcours. Maman ne voulait pas vraiment que je fasse ça, elle me disait que je ne trouverais pas autre chose que des stages, à vrai dire maman a toujours été commerçante dans cette petite boutique de jouets en bois, pour enfants. Du coup, elle ne comprit pas pourquoi je voulus faire 5 ans d'études. - Pour ma part, j'ai fait 4 ans d'études après le bac. ajoutais-je. Dit comme ça, ça parait plus simple, et quand on aime ce que l'on fait, ça l'est. Ce que je ne dirais probablement pas à cette femme, c'est que les squelettes me font sourire comme jamais. Les êtres vivants sont trop compliqués, alors que les morts sont si...reposant. Mais si je dis tout ça à haute voix, je vais passer pour plus folle que je ne suis! Je glisse mes mains jointes entre mes cuisses, haussant mes petites épaules. Je me suis toujours vu comme Sally dans mes rêves, la petite amie de Jack et je rêve de son étrange noël avec délectation. Mes grosses lunettes de vue glissent sur mon nez, et je donne un coup d'index pour les remonter, mon nez se fronce un peu et je reporte mon attention sur la femme en face de moi. - 4 ans d'études à Londres, l'impérial collège pour être exacte.
Expliquez nous en quoi consiste votre métier.
Je suis la personne qui relie des os et des corps morts à des assassins ou à des affaires non résolues. Je ne sais pas si c'est très vendeur, c'est bien cela dont il s'agit pourtant, vendre un métier. - Et bien, je retrace la vie des corps que l'on m'apporte, je redonne identité et famille si elles sont encore en vie. La datation au carbone 14 n'est pas la seule solution au problème, il existe bien d'autres méthodes. Je suis l'enquêtrice de l'ombre en fait. Je n'ai pas toujours voulu faire ça, étant petite j'aurais aimé être danseuse, ou musicienne, chanteuse même... Mais on ne vit pas dans un rêve mais dans une réalité. Un air lointain, une petite musique me revient en mémoire, ça m'effleure doucement de l'intérieur et ça m'emporte alors vers un agréable souvenir. Une agréable personne, enfin je pense qu'il l'est... je l'espère, je le rêve et le fantasme, il fait partie de ma boite de Pandore. D'habitude il prend vie, dans mon esprit, en plein milieu de la nuit... Je vais en rougir, ce n'est pas le moment.
Que pourriez vous conseiller aux jeunes qui veulent suivre cette voie? Je retiens un petit rire, je leur dirais qu'une rêveuse ou un rêveur devra prendre conscience de la réalité, de se raccrocher au wagon de la vérité, en cessant de rêvasser. Et ce n'est pas le plus aisé. Je recommence à faire des rimes, c'est mon leitmotiv lorsque je me sens un peu à côté de mes pompes. Il ne reste que peu de temps encore, avant que je regagne ma liberté bien méritée, que je regagne mes arrières pensées, toutes dirigées vers  son souvenir. Je l'ai recroisé oui, son regard bleu, parant un visage d'adulte, d'homme, barbu et toujours aussi rouquin. Je décroche de l'instant, je me perds un moment dans sa contemplation aveugle et silencieuse. Je ne suis pas sure qu'il se souvienne de moi, la danseuse de flamenco dans cette fête foraine si particulière...
Mlle Heredia?
Je pose mon regard sur la journaliste, sursautant un peu. - Oui pardon, un conseil? Elle hoche la tête et je la suis. - Travailler beaucoup, écouter toujours et s'appliquer en toutes situations. C'est un peu passe partout je l'admets, mais j'ai envie d'aller voir ailleurs! Elle me remercia, me serra la main et je filais de là, pour regagner l’institut et mon bureau.