(✰) message posté Jeu 2 Oct 2014 - 22:56 par Invité
L’insondable regard de James se perdit dans celui de Lexie tandis qu’elle tentait par tous les moyens de le convaincre que sa présence à l’hôpital n’était vraiment pas nécessaire. Son insistance et ses références télévisuelles hautes en couleurs le firent volontiers sourire même s’il n’était pas vraiment d’humeur à changer d’avis. Quand allait-elle comprendre qu’il n’était pas là que dans les bons moments ? Il voulait tout partager avec elle, être cette présence rassurante dont elle pourrait avoir besoin. Mais non. Elle s’y refusait. James savait que ce n’était pas contre lui, mais Lexie avait visiblement un mal fou à lâcher prise. A croire que c’était viscéral chez elle de réagir ainsi. Mais une fois encore, James ne souhaitait pas la brusquer et si véritablement sa présence l’incommodait, alors il ferait l’effort de rester à l’écart durant ces quelques heures. Machinalement, il s’empara de la tasse de café et à son tour, appuya sa tête contre celle de Lexie. « Ce n’est pas exactement ce que j’avais prévu pour ce matin … Merci de ne pas avoir paniquer. Est-ce qu’il y a une chose que tu ne sais pas faire ? » Des milliers, en réalité. Il était loin d’être aussi parfait et irréprochable qu’elle l’imaginait. Mais pour le coup, James se contenta d’esquisser un léger sourire. « Les pancakes. Je les fais toujours brûler, c’est une véritable malédiction. Tu devrais donc réviser ton jugement à mon sujet.» lança-t-il sur le ton de la plaisanterie avant de déposer un baiser dans les cheveux de Lexie. Quand à savoir pourquoi il n’avait pas paniqué et bien … disons qu’il était surentrainé en matière de self-control. Vraiment, il n’aimait pas la voir ainsi. Personne ne devrait avoir à subir ça. James se sentait impuissant et cette sensation était éminemment désagréable. Lexie ne lui avait jamais ouvertement parlé de sa maladie. Elle l’évoquait de temps à autre sans jamais s’attarder sur la chose. N’étant pas particulièrement intrusif et respectant la position de la jeune femme, il n’avait jamais cherché à obtenir plus d’informations que ce qu’elle voulait bien lui fournir. Mais la donne était différente, à présent. Ainsi, après un temps d’hésitation, James reposa sa tasse de café et se redressa légèrement de manière à ce que Lexie en fasse de même et qu’il puisse de nouveau plonger son regard dans le sien. « Je sais que je ne devrais probablement pas te poser toutes ces questions et crois bien que j’en suis navré mais … concrètement, quelles sont les solutions ? Est-ce que … tu peux envisager une greffe ou quelque chose de ce genre ? » C’était vraiment la première fois depuis qu’ils se connaissaient que James se permettait d’aborder ce sujet par lui-même. Il espérait sincèrement que Lexie ne se braquerait pas et qu’il parviendrait à annihiler ses habituelles barrières et autres moyens défensifs. Personne ne connaissait vraiment cette ravissante petite blonde à la fois fragile et fuyante, qui a si peur d’être malmenée qu’elle préfère manipuler en premier. Mais face à James, c’était perdu d’avance. Contrairement à d’autres, il était parvenu à voir clair dans son jeu et savait que derrière cette femme fatale et pleine d’assurance se cachait une personne intelligente, adorable, pleine d’enthousiasme et aussi lumineuse qu’une étoile dans un ciel non voilé. Et il ne voulait pas la voir s’éteindre. Non, il voulait la voir heureuse. La voir sourire. La voir rire. Bon sang, ce qu’elle était belle quand elle riait ! C’est ainsi qu’il la préférait. Sans souci, sans aucune douleur apparente. Juste … heureuse. « Durant ses campagnes, mon père avait pour habitude de s’entourer des personnalités les plus importantes de New York. Ses différents réseaux professionnels s’étendant jusqu’à Londres, j’ai eu l’occasion de recroiser la route de certaines de ces personnes. Si je te dis tout ça, c’est parce-que mon père a longtemps fréquenté un éminent ponte de la médecine. Peut-être que tu devrais le rencontrer … » Simple suggestion. Deux avis valent mieux qu’un. Et peut-être qu’il pourrait envisager un nouveau traitement, d’autres alternatives etc. Avant d’enchainer, James approcha son visage de celui de Lexie, pour venir murmurer d’une voix caressante, au creux de son oreille. « Mais quoi qu’il advienne, quels que soient tes choix, tes décisions, tes projets … je serai toujours là pour t’épauler. Si tu ne tiens pas à ce que je reste cet après-midi, laisse-moi au moins t’accompagner et revenir te chercher. Et si entre les deux, tu sens que tu t’ennuies ou que la vie de Nicole n’est pas si attrayante qu’elle en a l’air alors … je viendrais.»
(✰) message posté Ven 3 Oct 2014 - 16:35 par Invité
Dehors il pleut toujours. Je n’ai jamais été dérangée par la pluie, bien au contraire. Je regarde par la fenêtre l’averse qui s’intensifie et les branches des arbres qui ploient sous le vent qui se lève, ils semblent se moquer, danser dans la tourmente. Ça n’a rien d’exceptionnel à Londres mais je me sens soudain chanceuse d’être près de James. C’est pourquoi je me redresse à mon tour, acceptant de me décaler alors que je perçois dans son regard une lueur que je connais trop bien pour l’avoir déjà aperçue dans le regard de beaucoup d’autres. « Je sais que je ne devrais probablement pas te poser toutes ces questions et crois bien que j’en suis navré mais … concrètement, quelles sont les solutions ? Est-ce que … tu peux envisager une greffe ou quelque chose de ce genre ? » J’inspire doucement et le laisse continuer. J’ai beau détourné le regard, j’écoute attentivement chacune de ses paroles. Je repose ma tasse de thé et replie mes jambes en tailleur pour lui faire ensuite face. J’ai le cœur qui s’emballe, ou qui ne s’est pas encore calmé. Je sais bien que James a le droit à toutes les réponses qu’il demande aujourd’hui. Lui plus que n’importe qui à présent. Je sais qu’il les mérite, qu’il en a besoin, que je n’ai pas le droit de lui cacher quoique ce soit alors même qu’il semble prêt à s’engager aux plus grandes des folies. Je me rebute souvent, je refuse d’en parler, ce n’est pas tabou, simplement j’ai décidé que ce n’était pas ce qui me définissait. J’ai souvent cru que là était la seule raison. Cependant, devant James, je sais que c’est une appréhension toute nouvelle qui me prend au ventre. J’ai peur de le faire souffrir. J’ai peur également de trop lui en dire et qu’il prenne ses jambes à son cou. Je crains également que, quand il le fasse, je me rende compte qu’il s’agit sûrement là de la meilleure des décisions pour lui. Il n’a pas à supporter tout ça. Il a tellement de choses dans sa vie … Je lui souhaite tout le succès du monde, je sais qu’il s’accomplit de cette façon, je ne veux pas qu’il se rende compte de tout ce que je pourrais lui enlever. Je ferme les yeux une seconde lorsqu’il s’approche de moi. Je ne suis pas sûre de mériter le quart des attentions qu’il me porte, son implication me bouleverse tellement, je ne peux plus me résoudre à esquiver quoique ce soit. « Si ça ne tenait qu’à moi, je te demanderais de m’accompagner à chacune de mes dialyses. Mais ce n’est pas une solution, je refuse d’imposer ceci à qui que ce soit, surtout pas toi. Elles ne gaspilleront le temps de personne d’autre. » Je lui adresse un léger sourire, véritablement touchée par ce qu’il me propose. Mes yeux croisent alors les siens, d’un bleu azur, et s’y attachent. Ils semblent prêts à tout accueillir. Peut-être pouvais-je y jeter l’ancre. « Mes reins ont aujourd’hui définitivement cessé de fonctionner. Je suis inscrite dans un protocole de greffe rénale mais en attendant, j’ai besoin de ces dialyses comme technique de suppléance, oui », commençais-je avec précaution. « On ne peut pas guérir l’insuffisance rénale, il n’y a pas de méthode miracle mais il est évident que la transplantation offre aux patients une qualité de vie bien supérieure à celle offerte par la dialyse. Elle permet également une espérance de vie nettement plus élevée. Sous dialyse, il est considéré que vivre plus de 5 ans est difficile. » Je marque une pause de quelques secondes. Je m’emploie à garder un ton neutre, dénué de variations. Je ne tiens pas à introduire une quelconque émotion au sein des mes explications. Je ne fais que répéter ce que l’on me ressasse depuis des années à présent, ce que l’on m’explique sous toutes les coutures, ce que j’ai entendu à chacune de mes visites il fut un temps. « Bien sûr, ce n’est qu’une simple statistique, l’espérance de vie est différente d’un patient à un autre. Il m’est arrivé de discuter avec certains patients dialysés depuis plus de 10 ans », rajoutais-je avec un léger sourire. C'est un de ces sourires discrets, presque imperceptible, un de ces sourires qui se dessine parfois sur mes lèvres, sans que je le décide. Je suis l’opposée de la patiente modèle, ce n’est un secret pour personne. Je rate une dialyse sur deux lorsque je suis supposée y être quatre à cinq fois par semaine. Mon régime et rythme de vie sont désastreux et dangereux. Tout ceci parce que je sais pertinemment que je ne suis pas de celle que l’on retrouvera encore en dialyse dix ans plus tard. Que la mort m’emporte avant ou que je prenne cette décision d’arrêter moi-même. Je n’y serais pas. Mais ça, je ne le dirais pas à voix haute. Sam l’avait compris lors de notre dernière discussion, elle était presque parvenue à m’arracher cette confession. Peut-être que James le comprendrait dans mon regard, peut-être qu’il l’avait compris bien avant, je ne sais pas, il ne m’avait jamais reproché quoique ce soit quant à mon comportement jugé inconscient pour beaucoup. J’engloutis mon existence entière dans un flou savamment entretenu. « Mais on sait aujourd’hui que plus le délai d’attente en dialyse s’allonge, plus la réussite de la greffe à venir est compromise alors je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose. Pour ma part, cela fait maintenant plus de 3 ans que je suis sur la liste. » J’aurai voulu le délester bien plus longtemps de ce poids écrasant qui m’accompagne chaque jour. Je meurs à petit feu dans ma tête, mon esprit est sans arrêt assailli par cette réalité qui ne me quitte pas, je suis chaque jour vidée de mon sang, j’ai jour et nuit une boule à l’estomac, de celle qui est là et qui semble bien décidée à ne jamais lâcher prise. Je vois Sam s’éloigner, sa lumière s’éteindre, je la vois en souffrir autant que moi. Je n'ose plus penser à Kenzo. Je pèse chacun de mes mots uniquement pour lui. « Ce n’est pas si rare que ça ou exceptionnellement long. Les durées d’attente dépendent de plusieurs critères biologiques ou immunologiques propre à chaque patient. Le fait est que je produis un nombre d’anticorps remarquable, que j’ai déjà bénéficié d’une greffe il y a plus de deux ans et que mon corps a rejeté l’organe, ça ne joue pas en ma faveur … Le don entre vivants doit s’effectuer dans le cercle familial, dans mon cas, c’est Sam qui m’a fait ce cadeau malgré les doutes des médecins. Les traitements immunosuppresseurs n’ont pas fonctionné, sans parler des effets secondaires qu’ils ont provoqué ... Ça n’a pas été une réussite, loin de là », laissais-je échapper avec un haussement d’épaules résigné. « J’ai privé ma soeur d’un de ses reins. Pour rien. Si un jour, il lui arrive quelque chose à son tour … » Je m’interromps, incapable de continuer et en détournant le regard pour ne pas avoir à l’affronter. Je m’expose, je m’offre aux coups, je sais qu’il s’agit là de ma véritable blessure depuis tout ce temps. Ce que j’ai fait à Sam ne guérira jamais. Voilà ce que la maladie me prend. Ce que j’ai de plus précieux. Voilà ce que j’ai peur de faire à James.
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(✰) message posté Mar 7 Oct 2014 - 23:30 par Invité
James mit un certain temps avant de digérer chacun des mots que Lexie venait de lui asséner. C’était insupportable à entendre et on ne peut plus réaliste à la fois. Inutile de se voiler la face, l’éditeur savait déjà quelle serait l’issue dans le pire des cas. A force de passer des heures à chercher des renseignements concernant ce type d’insuffisance sur internet, il avait déniché un site sur lequel il avait lu des choses totalement effrayantes au sujet du cas de Lexie. La plupart des témoignages relataient des cas de patients décédés dans l’espoir d’obtenir une greffe. Les listes d’attentes étaient interminables et les donneurs compatibles, peu nombreux. Rares étaient les cas d’amélioration et les progrès de la science dans ce domaine n’étaient guère reluisants. En somme, James aurait préféré ne jamais obtenir le moindre renseignement supplémentaire. Pourtant il avait cherché. Non pas en raison d’une curiosité malsaine, mais plutôt pour tenter de comprendre, de mettre des mots sur ce qu’elle lui dissimulait depuis longtemps. Il avait compris. Mais entendre Lexie lui répéter toutes ces choses leur donnait un sens nouveau, même si plus il l’écoutait s’exprimer et plus il se perdait au beau milieu de cet impérieux jargon dont il ne préférait pas comprendre les subtilités. Le temps était compté et si James en avait toujours eu conscience, cette évidence lui sautait désormais aux yeux avec une incroyable brutalité. Désormais, il était incapable de penser avec discernement, incapable d’esquisser le moindre mouvement et surtout, il buvait ses paroles dans l’espoir stupide qu’elle finirait par lui dire ce qu’il avait cruellement besoin d’entendre. En vain. Toutefois, l’éditeur parvenait à se dominer admirablement, refusant catégoriquement de se soumettre au trouble qu’était le sien. Il existait pour toute chose un point de non retour et en dépit de sa volonté de lutter contre ses sentiments, James avait fini par tomber amoureux de cette fabuleuse demoiselle qui lui faisait face. Oui, il l’aimait. Et autant dire qu’il n’avait jamais aimé qui que ce soit de la sorte auparavant. Envisager l’avenir sans elle n’était donc pas concevable un seul instant. Pourquoi croise-t-on des milliers de personnes et ne s'éprend-on que d'une seule ? Glissant ses doigts sous le menton de la jeune femme, James l’incita à lui faire face avant d’esquisser un léger sourire, à peine perceptible. Un sourire n’étant rien d’autre qu’un mensonge, un masque en vue de se protéger de cette vérité qu’il ne pouvait pas regarder en face ; la perdre un jour. « Je pense que ce serait idiot de ne plus y croire. » Oui, c’est tout. Que devait-il, que pouvait-il ajouter de plus ? Si … au fond, il avait beaucoup de choses à dire, mais il craignait tellement de se lancer qu’il préférait garder le silence plutôt que de se tromper et de se montrer maladroit. James avait beau être capable de tenir ses nerfs face à des situations impossibles en tant que professionnel, mais il avait toujours été maladroit lorsqu’il s’agissait de s’impliquer de manière plus personnel. Il avait l’impression de ne jamais savoir ce qu’il faut dire quand il faut le dire et était effrayé à l’idée de mal faire les choses. De ce fait, il préférait employer des mots justes et bien choisis. Lexie ne pouvait pas percevoir son trouble. Heureusement, il était capable de la tromper comme il le faisait avec les autres : dans le fond, que connaissait-elle de lui si ce n’est ce qu’il voulait bien lui montrer ? Il déposa un léger baiser contre ses lèvres, puis sur sa joue. Reprenant sa main, James afficha une mine plus détendue et tâcha de maintenir ce délicieux contact entre leurs regards. « Oscar Wilde disait que la sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit. Je trouve que c’est une belle philosophie de vie, pas toi ? En l’occurrence, mon rêve c’est toi. C’est nous. C’est tout ce que nous pouvons vivre et partager à deux. Notre éternité. » Leur éternité … qu’importe si les obstacles leur barraient la route, James savait qu’il ne l’abandonnerait jamais. C’est aussi la raison pour laquelle il était capable de faire preuve d’une telle patience ; il voulait avancer à son rythme, la laisser briser les mûrs qu’elle dressait entre eux tout en apprenant à lui faire confiance. Car pour sa part, James croyait en eux. Il y croyait dur comme fer et ce n’est certainement pas cette putain de maladie qui risquait de tout remettre en question. Lexie restait Lexie. Et Lexie, il n’y en avait qu’une. Très souvent, James avait le sentiment qu’il ne pourrait jamais rien lui offrir qui puisse arriver à la cheville de ce qu’elle lui donnait. Grâce à elle, il se sentait renaitre, il était un homme nouveau. Comme si le monde se changeait en un endroit meilleur en sa présence. Et il ne fallait que quelques secondes pour changer entièrement une existence. C’est ce qu’elle avait fait avec la sienne, probablement sans même en avoir conscience. S’il s’était initialement laissé déstabilisé par cette remarquable situation, James savait désormais s’en accommoder et ne pouvait pas envisager revenir en arrière. D’ailleurs, qui était-il avant de la rencontrer ? « Pour revenir sur une chose m’ayant interpellé dans ton discours, sache que le temps que nous passons ensemble ne sera jamais du gaspillage. Au contraire, j’ai l’impression de n’être vivant que lorsque nous sommes ensemble. Peut-être que fondamentalement, tu es la seule à pouvoir éveiller en moi ce genre d'émotions. Je t’aime Lexie. Je me fiche que ce soit risqué, stupide ou fou…Je ne peux que dire que nulle cause n’est perdue tant qu’il y a un pauvre fou prêt à se battre pour elle. Et je suis prêt à me battre pour les sentiments que je ressens. Ils sont insensés, furieux…Mais j’y crois parce qu’ils me font mal à chaque fois que je pose mes yeux sur toi. Mon cœur se serre, ma respiration s’accélère et j’ai l’impression que tout mon être est en ébullition, mais…Pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs, ou poser mes yeux sur quelqu’un d’autre. Je ne voudrais pas que mon cœur devienne fébrile pour quelqu’un d’autre, et je ne l’ai jamais voulu. Alors toutes ces épreuves, on les traversera ensemble. Et je te promets que je serai toujours là, tant que tu voudras de moi.» Pour ponctuer ses propos, James déposa un nouveau baiser sur son front avant de se redresser. « Mange encore, tu dois prendre des forces.» Et voilà qu’il retrouvait désormais son assurance de maniaque de l’autorité.
(✰) message posté Jeu 9 Oct 2014 - 13:45 par Invité
La planète tourne toujours. Mais notre horloge à nous semble s’être momentanément arrêtée. C’est une drôle de sensation. Je laisse le temps nécessaire à James de trouver une réponse appropriée, s’il en existe une, à ce que je viens de lui expliquer. Le temps nécessaire pour que nos aiguilles reprennent leur course folle. Il pourrait ne rien dire, je ne lui en tiendrais pas rigueur. Je le comprendrais. Je pense même que c’est ce que je cherchais en lui assénant ces réalités médicales, tel un automate. Le silence qui s’installe ne me dérange pas. Il pense me duper, mais je sais désormais lire entre les lignes de son impassibilité. Je connais ses gestes depuis de nombreux mois, assiste à ses réflexions depuis tout autant de temps. Je sais lire le trouble qu’il essaye de cacher. C’est son sourire fatigué, impossible, reflétant tout ce qu’il était. Ce sont ses doigts qui se glissent sous mon menton avec hésitation pour emprisonner mon regard du sien. « Je pense que ce serait idiot de ne plus y croire. » C’est le mouvement de ses lèvres contre les miennes qui finissent de me ramener totalement à lui. « Je pense aussi qu’on ne doit mettre son espoir qu’en soi même », répondis-je avec lucidité et un recul sans pareil. Je l’écoute continuer, attentive à chacun des termes employés. Du moins, je le tente. Mais l’émoi qu’ils provoquent en moi ne m’aide pas à garder la tête froide. Ils aident cependant à me rendre du souffle, de la respiration. Je les sens vivre en moi, ils atténuent mon malaise et amplifient mon trouble, paradoxale mais irradiant. « Et tant que tu voudras de moi. » Je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille comme pour ne rien rater de cette scène, cherche les mots à la hauteur pour lui répondre, ce n'est pas facile, je n'exprime pas mes sentiments aussi facilement. « Tout partager, même ce qu’on ne peut pas comprendre. Même le plus sombre. Je n’y ai jamais cru, à cette définition de l’amour. Mais je veux y croire avec toi. Parce qu’au milieu de toute cette obscurité, cette absence totale de lumière, tu es aujourd’hui la seule étincelle de clarté qui me parvient. C’est plus qu’une étincelle, un véritable soleil. Et crois-moi que j’ai essayé de lutter. Mais c’était idiot. Ça me brûle maintenant. Ça me dévore. Mais je comprends petit à petit que c’est un privilège d’éprouver ce sentiment. » Un privilège de le vivre avec lui. Un privilège d’éprouver ce que je me suis assez longtemps interdit. Quand la pensée même de l’amour de deux corps, de deux âmes, suffisait à me révulser. Ce qui m’avait déjà détruite. Ce que je voulais reconstruire à chaque fois qu’il posait son regard sur moi. Et je ne peux pas dire que ça ne me fait pas peur, pas encore, je ne peux lui mentir. Mais il y a autre chose, aujourd’hui. Un sentiment d’urgence qui a surgi, s’est imposé. Il y a quelques semaines, je n’aurais pas pu imaginé les ravages que la perte de lui était susceptible de provoquer. Je ne m’étais jamais imaginé la perte de lui, tout simplement. Maintenant que cela avait été fait, j’ai peur de manquer de temps, j’ai peur de ne pas tout connaître de lui, j’ai peur de ne pas me laisser connaître. Je ne veux pas être privée de lui, je suis fébrile de ne pas savoir de combien de temps nous disposons pour s’aimer. C’est une inquiétude informulable. C’est pourtant ce qui empêche la fièvre et la frénésie de retomber chez moi, c’est ce qui m’habite, c’est ce qui me pousse. Et, sur cette seule pensée, je vais vers lui. « Mange encore, tu dois prendre des forces. » Je le regarde s’activer devant moi, et je souris. « Je n’ai pas besoin de manger. J’ai besoin de me rafraichir, j’en ai pour quelques minutes », répondis-je en me glissant en dehors du lit, non sans m’être emparée au passage d’une fraise pour ne pas le défier inutilement. Ce n’est pas de la provocation, je ne connais plus la sensation de faim depuis trois ans, je me force à donner le change. Dans la douche, sous l’eau, j’inspire profondément, mets de l’ordre dans mon esprit, calme mes ardeurs et éduque mon cœur. Ça n’a rien de mécanique, tout est réfléchi pour reprendre le dessus, je m’y emploie et j’y parviens, tandis que je me sèche. La force de l’habitude. J’entends soudain une mélodie semblant s’échapper de la chambre. D’abord perçue comme le fruit de mon imagination, je comprends bien vite qu’il s’agit en réalité de la radio de James sans doute automatiquement réglée pour se mettre en marche à cette heure-ci. J’enroule une dernière fois mes cheveux humides au creux de la serviette avant de les laisser distraitement tomber dans une chute d’ondulations sur mes épaules, les laissant finir de sécher à l’air libre. Je finis rapidement de me vêtir. Dans la chambre, la musique ne s’est pas interrompue. Un morceau de jazz s’échappe de la station. J’intercepte James devant moi dans un sourire. Ma main s’attarde dans la sienne et je tourne une fois sur moi-même par dessous son bras dans un mouvement de danse. Je me rattrape à sa taille en mouvement et laisse échapper un murmure contre sa joue une fois pressée contre lui. « Je te défie de ne pas me rattraper. » Je m’éloigne, avec malice, sans lâcher sa main, tournoie une nouvelle fois en rythme avant de me laisser glisser en arrière, rieuse de sentir ses bras raffermir son étreinte pour me faire basculer. Ces quelques secondes de spontanéité suffisent, ma vue est trouble mais je n’y prête aucune attention. M’emploie à réguler ma respiration sans rien laisser paraître. Mes médicaments feront bientôt effet en attendant la séance de cet après-midi, il était inutile de m’en faire plus que de raison. Je plonge mon regard dans le sien. Seulement quelques secondes. Que tout tournoie autour de nous, que le temps suspende son action. Juste une seconde. Que la vie explose dans mon cœur. Je me redresse, me dérobe de ses bras et m’éloigne. « Je connais ta préférence pour les opéras. Mais ce soir, si tu parviens à t’échapper du travail, je t’amène dans un piano bar, pour jazzman aguerris. Lieu secret de la capitale. » Lieu secret dont je tais l'identité de celui qui me l’a révélé, je n’ai pas revu cet homme depuis une éternité. J’attache le fermoir du jonc autour de mon poignet, relève mes yeux vers lui et le fais tinter avec un sourire. « Promis, je serais en forme », anticipais-je.
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(✰) message posté Sam 11 Oct 2014 - 14:44 par Invité
Ne s’attendant nullement à voir Lexie revenir aussi rapidement, James fronça légèrement les sourcils avant de comprendre qu’elle n’avait pas su résister à l’appel de la musique. Amusé, il laissa sa main glisser jusqu’à sa taille, la ramenant tout en douceur mais avec fermeté jusqu’à lui. Un sourire presque insolent apparut alors sur son visage tandis qu’il acceptait bien volontiers de se laisser emporter dans ce tourbillon de musique, oubliant par la même occasion tous les tracas du quotidien. La faire basculer, la voir sourire, détecter cette lueur malicieuse et brillante dans son regard … bon sang, il adorait ça ! Pour être honnête, cela faisait bien des années que James n’avait pas apprécié une simple danse à sa juste valeur. Juste deux corps qui virevoltent, se balancent et s’enlacent au rythme de la musique. Un regard échangé, un sourire, une pure complicité. « Je connais ta préférence pour les opéras. Mais ce soir, si tu parviens à t’échapper du travail, je t’amène dans un piano bar, pour jazzman aguerris. Lieu secret de la capitale. » Immédiatement, James afficha une petite moue intriguée qui ne tarda pas à laisser place à un scepticisme évident. Etait-ce bien raisonnable pour elle de sortir ainsi ? Il s’apprêtait à répliquer mais à en croire l’intonation de Lexie, elle avait déjà de nombreux arguments de taille à lui soumettre en cas de refus. Comment résister ? « C’est entendu. A condition que tu te ménages un peu et que nous rentrions au premier signe de fatigue. Je t’assure que passer la soirée à la maison peut être vraiment amusant … » Oh il disait ça comme ça, juste au cas où elle en douterait encore… Où avait-elle l’intention de l’emmener au juste ? Les questions se bousculaient dans son esprit et une fois encore, Lexie se révélait être un mystère qu’il se promettait d’élucider. Un peu comme un livre, il avait hâte d’en tourner les pages. D’en connaître l’histoire et de mettre le mot de la fin. Détournant son attention de ses troublantes prunelles, James s’empara du manuscrit qu’il avait ramené du boulot, la veille. Il en tourna machinalement les pages, sans véritablement les lire. Un léger sourire ponctuait ses lèvres tandis qu’il réalisait que Lexie le connaissait bien mieux qu’il ne l’imaginait. « Je suis assez surpris que tu te souviennes si bien de mes goûts musicaux. » lança t-il avec désinvolture. Après tout, il était loin d’imaginer que la jeune femme avait retenu autant de détails le concernant. Mais elle avait vu juste. James n’était pas un grand afficionado des musiques modernes. Il les écoutait machinalement, sans vraiment les entendre. L’opéra, c’était différent. Il parvenait à détecter de l’émotion dans chaque note, dans chaque instrument. Lorsqu’il vivait encore à New York, il ne se passait pas une semaine sans qu’il n’aille écouter un concert de musique classique. Il avait même déboursé une petite fortune pour faire privatiser l’opéra un soir où il avait le cafard. De toute évidence, les activités de James étaient loin d’être semblables à celles du commun des mortels. Qui cela pouvait-il bien déranger ? Même s’il était fan d’opéra, le jazz était également à son goût. Lorsqu’il était enfant, James passait la plupart de ses vacances à la Nouvelle Orléans. Comment oublier ces rythmes, ces mélodies et ces sonorités si singulières ? « Tu attises ma curiosité… j’ai hâte de découvrir ce lieu secret. De toute façon, je n’avais pas l’intention de m’éterniser au bureau. Jeffrey se fera un plaisir d’assouvir sa soif de pouvoir en occupant ma place un certain temps. Hum… à propos, je tiens encore à m’excuser pour tout à l’heure. Jeff est extrêmement maladroit par moment. Mais c’est vraiment quelqu’un de chouette. En fait, il est mon meilleur ami depuis … oh je ne saurais dire ! J’aurais aimé que tu le rencontres dans de meilleures circonstances. Hélas, sa curiosité quant à ma vie privée n’a plus de limites depuis que … » Depuis que ? Un soupir s’échappa de ses lèvres lorsqu’il fit implicitement référence à son passé et à toutes ces raisons qui l’avaient poussé à quitter son pays natal. James venait de se rendre compte qu’il ne lui avait jamais clairement expliqué les raisons de son départ. Du moins, pas entièrement. Ni même qu’il avait été marié par le passé. Or, il allait bien falloir qu’il lui en parle un jour. Sauf que ce n’était pas le moment. Parce qu’il n’était pas prêt. Parce qu’il n’avait pas envie qu’elle sache tout ça. Plus tard, lorsqu’il sera prêt, ils auront cette conversation. Mais pas maintenant. « Je t’en parlerai à tête reposée, d’accord ? Hum, où doit-on se retrouver ce soir ? »
(✰) message posté Dim 12 Oct 2014 - 20:16 par Invité
« C’est entendu. A condition que tu te ménages un peu et que nous rentrions au premier signe de fatigue. Je t’assure que passer la soirée à la maison peut être vraiment amusant … » J’acquiesce d’un signe de tête à sa première demande mais ne parviens pas à trouver une réponse satisfaisante à la suite de sa phrase. Il ne se rend pas compte. À la maison. Mon ventre s’est noué à cette évocation. Voilà des mois entiers maintenant que je m’évertuais à ne pas passer une seule de ces soirées seule chez moi. Je passe de nombreuses nuits à tester mes limites, à les repousser. Je cherche cette manière incertaine de me tenir au bord de la vie, en équilibre précaire, comme au bord d’un océan tumultueux dans lequel je ne me résoudrais jamais à plonger, simplement vaciller. Parce que je ne suis pas faite pour rester chez moi, pour me retrouver. C’est une sensation intense, presque terrifiante. Je ne suis ni digne ni tragique dans la douleur, juste banale et stupide. Seule, j’avance avec précaution, consciente de pouvoir sombrer à tout moment dans cette rivière gelée. Je ne suis plus seule, voilà ce qu’il me rappelle. Ce n’est pas évident de tout ré-apprendre. Ce n’est pas évident de faire semblant, de prétendre qu’il n’y a rien de plus naturel. Ce n’est pas évident de se délester des poids qui nous encombrent, tout en continuant à donner le change. Ce n’est pas évident de réaliser que James semblait prêt à tout voir de moi, mes forces et mes fragilités. Qu’il n’aurait sans doute pas peur des larmes derrières mes sourires. « Je suis assez surpris que tu te souviennes si bien de mes goûts musicaux. » Je finis de relever mes cheveux en un chignon négligé avant de jeter un regard sur James. « Tu n’étais pas seulement là pour assouvir mes désirs, tu sais. Je t’écoutais attentivement entre deux règlements de compte, pour qui me prends-tu ? » m’enquis-je avec une malice non dissimulée. Nos « règlements de compte », voilà les termes que j’avais longtemps employé avec ironie pour désigner nos rencontres brulantes et expéditives lorsque l’envie nous prenait. Ça en avait à l’époque tout l’air. Seulement, là était la vérité. Pendant de nombreuses semaines, à nos débuts, je m’étais acharnée à me répéter que James n’était qu’un parmi tant d’autre. Je m’étais bien vite résignée en m’apercevant que je revenais encore et toujours vers lui. Notre relation avait été particulière. Il était de ces hommes. Il était, pendant longtemps, celui avec lequel je ne devais pas parler. Je n’en avais pas besoin. Je devais tout de suite être dans ses bras, l’avoir dans les miens, caresser son visage, embrasser ses lèvres, embrasser son corps, l’effleurer de mes doigts, puis passionnément dans un baiser. Les mots étaient inutiles. Je ne les voulais pas. Je ne voulais pas qu’ils viennent confirmer ce que mon corps avait su dès les premiers instants. Puis ils étaient arrivés, naturellement. Après. Et je les avais entendus, je les avais retenus. Je connaissais bien plus de James que ce qu’il semblait percevoir. Mes sentiments pour lui étaient bien plus forts que je n’arriverais jamais à lui exprimer. « Tu attises ma curiosité… j’ai hâte de découvrir ce lieu secret. De toute façon, je n’avais pas l’intention de m’éterniser au bureau. Jeffrey se fera un plaisir d’assouvir sa soif de pouvoir en occupant ma place un certain temps. Hum… à propos, je tiens encore à m’excuser pour tout à l’heure. Jeff est extrêmement maladroit par moment. Mais c’est vraiment quelqu’un de chouette. En fait, il est mon meilleur ami depuis … oh je ne saurais dire ! J’aurais aimé que tu le rencontres dans de meilleures circonstances. » Je n’en avais pas voulu une seule seconde à son ami. Je dois même reconnaître que je lui avais été reconnaissante quelques secondes de m’avoir dévoilé ce que James aurait tenté par tous les moyens de me cacher, du moins c’est ce qui avait traversé mon esprit avant que James ne me donne ses éclaircissements. À y repenser, j’étais à présent plus embarrassée qu’autre chose que la première image que son collègue et ami se soit faite de moi soit celle d’une conquête en petite tenue, le regard flamboyant. « Tu n’as pas à t’en faire, ce n’était absolument pas Jeffrey que je tenais dans mon viseur ce matin », laissais-je échapper en esquissant un sourire amusé. « Hélas, sa curiosité quant à ma vie privée n’a plus de limites depuis que … Je t’en parlerai à tête reposée, d’accord ? Hum, où doit-on se retrouver ce soir ? » Je ne m’attarde pas sur sa dernière question, entrevoyant clairement une manière ici de détourner mon attention. « C’est à toi d’attiser ma curiosité. De quoi devrais-tu me parler ? Nous sommes à tête reposée, si tu me dis que ça ne suffit pas, je risque de me faire des idées », répondis-je avec légèreté en m’approchant de lui. Quel autre moment que celui-ci serait plus propice aux confidences ? Il venait d’annuler ces engagements professionnels pour les heures à venir. Je le rejoins enfin, intriguée. Me voir insister ne serait nullement une surprise pour lui. Les choses simples, les bonnes nouvelles, les anecdotes sans grande importance ne nécessitent aucun détour. Assister à une hésitation de James n’était pas chose habituelle et n’avait fait que forcer mon attention. « Tu mets beaucoup d’ardeur à essayer de percer mes mystères mais ne dévoile aucun des tiens », murmurais-je presque en plongeant mon regard pétillant dans le sien. Ce n’était en rien un reproche, une simple constatation prononcée sur le ton de la confidence. Je suis prête à embrasser nombre de tes secrets si je les entends de ta bouche.
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(✰) message posté Dim 12 Oct 2014 - 22:39 par Invité
« Je ne suis pas de ceux dont tu aimerais percer les secrets. » s’était-il entendu répondre sur un ton anormalement sérieux. De manière générale, James ne faisait jamais clairement allusion à son passé. Lorsque le sujet se présentait à lui, il trouvait toujours une manière habile de détourner la conversation. Soutenant le regard de Lexie durant d’interminables secondes, l’éditeur ne cilla à aucun moment. Pourtant, il savait que tôt ou tard, Lexie aurait besoin d’une explication. Et James ne s’était nullement préparé à cela. Pas plus qu’il n’était préparé à éprouver des sentiments aussi intenses à l’égard de la jeune femme. Ce n’était pas normal. Pour n’importe qui sans doute, mais pas pour James. Comment un éternel solitaire comme lui pouvait soudainement être dépendant de la présence d’autrui ? Cela allait totalement à l’encontre de ce qu’il était. C’est une chose qu’il ne parvenait pas à s’expliquer, qui le dépassait et le perturbait affreusement. Il n’avait pas l’habitude de s’attacher aux autres. Pas de cette manière en tout cas. Pas depuis que … pas depuis une éternité. Désormais, James se sentait totalement dépassé parce qu’il ressentait. Car oui, cette fois c’était différent. Ses propres émotions étaient décuplées et il ne pouvait rien faire pour tenter de les maitriser. Il avait véritablement besoin de Lexie. A croire que sans elle, le monde n’avait plus aucun sens. Et il détestait ça. Pire encore, il haïssait ce sentiment. C’était beaucoup trop lourd à porter car désormais, il allait vivre dans la crainte perpétuelle de la perdre et de retomber dans cette morne existence qu’était la sienne jusqu’à ce qu’elle y fasse irruption. Tout lui semblait alors beaucoup plus simple et abordable. A présent, il allait devoir faire l’effort de lui révéler une part plus sombre de sa vie, de sa personnalité aussi… James n’était pas certain d’en avoir envie. Les traits tendus et le regard sombre, l’éditeur brisa enfin le silence qui s’était lourdement installé dans la pièce. « En quoi est-ce important ? A-t-on réellement besoin de remuer le passé pour apprécier le présent ? » De toute évidence, James n’était pas d’humeur à se montrer concilient. Ce n’était pas contre Lexie, mais plutôt contre lui-même. Il luttait en vain depuis des années afin d’oublier certains évènements de son existence et voilà qu’il était soudainement contrait de les évoquer. « Je suis désolé. C’est juste … que je ne suis pas prêt à parler de tout ça. Cela n’a rien contre toi, mon ange, je t’assure. J’essaie de lutter contre mes propres démons depuis des années mais malheureusement, ils sont bien plus coriaces que moi. » James esquissa un sourire mauvais, trahissant toute l’amertume qu’il éprouvait à l’égard de lui-même. Se détournant de Lexie, il fit quelques pas dans la pièce et passa nerveusement une main sur son visage avant de plaquer ses mains sur ses hanches tout en réfléchissant. Bouche entrouverte, il secoua doucement la tête de droite à gauche ne sachant pas trop par où commencer. « Je n’ai pas toujours été ce maniaque solitaire, obsédé par le boulot. Travailler m’aide à ne pas trop cogiter.» James se laissa tomber assis sur son lit et observa Lexie de haut en bas, machinalement. Il était en train de réfléchir à une manière approprié de lui confier tout ce qu’il avait sur le cœur, chose qui était loin d’être évidente. Elle allait prendre la fuite, il le savait. Ce n’était qu’un juste retour des choses. Après tout, il ne méritait pas d’être heureux. « Tu te souviens d’Emma ? » Il s’agissait là d’une question qui n’en était pas vraiment une. Bien sur qu’elle s’en souvenait. James lui avait déjà parlé de son ex, libraire, dont il avait été follement amoureux. « Contrairement à ce que j’ai pu te dire à son sujet, elle n’a pas seulement été ma petite amie. Emma et moi avons été mariés. Et nous avons eu un fils. Un fils qui est mort par ma faute … »
(✰) message posté Lun 13 Oct 2014 - 18:40 par Invité
« Je ne suis pas de ceux dont tu aimerais percer les secrets. » Je soutiens son regard, ma poitrine se soulevant de manière irrégulière tandis que je tentais d’y sonder quelque chose qui ne viendrait jamais. Je n’aime pas le ton qu’il emploie, il me trouble et me noue le ventre. Je fronce légèrement les sourcils face à sa réponse. « Comment peux-tu en être sûr ? Tu es, au contraire, le seul et unique dont je voudrais tout savoir », répliquais-je doucement. Je sais m’acclimater à sa rudesse. Une fraction de seconde, je me sens curieusement blessée, écartée. Je repousse ce sentiment, dans un élan de volonté. Je sais qu’il est autre part, dans autre chose. Je le vois sur ses traits, je le ressens dans le silence qui s’installe alors qu’il cherche ses mots. « En quoi est-ce important ? A-t-on réellement besoin de remuer le passé pour apprécier le présent ? » Sa question me ramène brutalement sur terre, me fait l'effet d'une douche froide. Je me pince les lèvres pour ne pas répondre. Il met le doigt sur ce qui me fait défaut. Il met le doigt sur ce que je n’arrive pas à faire. Je suis obsédée par le passé. Je suis toute entière tournée vers ce passé qui encombre mon avenir. Je suis incapable de faire autrement, incapable de l’effacer. Incapable d’avancer depuis bien trop longtemps. Mais je sais qu’il est inutile de répondre. Ce n’est pas une véritable question. Il n’attend aucune réponse de ma part et je n’en aurais aucune capable de convenir. Impossible de formuler les mots. Ils restent étouffés dans ma poitrine. Je ne peux pas lui expliquer ma tendance à préférer les complications, la fuite en arrière, les tourments aux amnésies, à l’occultation du passé. Je ne peux pas me l’expliquer alors je me tais et je l’observe, le cœur meurtri par ce que j’arrive à lire dans ses yeux sans y trouver d’explications. « Je suis désolé. C’est juste … que je ne suis pas prêt à parler de tout ça. Cela n’a rien contre toi, mon ange, je t’assure. J’essaie de lutter contre mes propres démons depuis des années mais malheureusement, ils sont bien plus coriaces que moi. » L’esquisse de son sourire me tire un frisson que je tente aussitôt d’oublier. Je ne veux pas le forcer, je n’ai jamais voulu le placer face à ses abîmes. Je ne veux pas lui soutirer les informations qu’il n’est pas encore prêt à me donner. « Alors arrête … Ne dis rien, je peux attendre. J’attendrais, excuse-moi », répondis-je avec précaution, en faisait un nouveau pas vers lui, portant ma main vers la sienne. Il se dérobe et j’attrape le vide. Il s’éloigne dans la chambre, me tourne le dos, enfermant dans ce dos muet un ultime silence, une ultime confrontation à laquelle je n’ai pas ma part, pas mon mot à dire. Je pense qu’il essaie de s’évader. C’est ce que j’aurais fait. J’ai beau le rappeler, je voudrais le rappeler à moi mais rien n’y ferait, je le sais. Je n’ai jamais vu cette expression sur son visage, cette lueur dans son regard. J’ai mal au cœur d’y assister. Je voudrais la lui reprendre. Aussi vite que je l’avais forcé à y faire face. Je réalise alors entièrement, complètement, à corps perdu, à cœur rompu, l’implacable vérité se dressant devant moi avec arrogance, mon amour pour cet homme, mon désir de l’apaiser d’un simple geste, de reprendre tout ce qui semblait le meurtrir en ce moment. « Tu te souviens d’Emma ? » Il s’affaisse sur le lit. Je ne prends pas la peine d’acquiescer. Toute mon attention est dirigée sur ce que James n’arrive plus à cacher de par ses attitudes. J’ai presque envie de l’empêcher de continuer. On peut toujours essayer de comprendre, on ne peut pas le concevoir à l’avance, et une fois que la déchirure s’est produite, j’ai peur de ne pas réussir à la refermer, j’ai peur de ne pas réussir à lui apporter la sérénité. « Contrairement à ce que j’ai pu te dire à son sujet, elle n’a pas seulement été ma petite amie. Emma et moi avons été mariés. Et nous avons eu un fils. Un fils qui est mort par ma faute … » Les mots déboulent. Je reçois l’information comme un coup au plexus, un de ceux qui vous coupe la respiration, qui pourrait me mettre à genoux si je n’avais pas cette faculté à entendre la pire des tragédies sans vaciller. Mais ce n’est qu’une façade. Une sensation affreuse de vide grandit en moi, un étau de pierre qui me broie le cœur au fur et à mesure que je saisis à quel point celui de James devait être détruit. Je comprime ma main droite sur le haut de mon ventre. Cela ne dure que quelques secondes mais les prochaines me semblent inaccessibles. Comment avais-je pu ne pas savoir ? Comment pouvait-il tenir debout ? « Je suis tellement … tellement désolée », parviens-je enfin à dire dans un murmure étouffé. Mon cœur cogne dans mes tempes. Les mots étaient d’une banalité insoutenable. Les mots usés étaient une injure face à sa douleur, j’en suis consciente. Mais il n’y en a pas d’autres. Pour l’avoir vécu, il n’y en a pas d’autre face à la mort. Et je ne peux qu’imaginer qu’il n’y en a aucun face à celle d’un enfant. Je m'approche de lui. Je ressens soudain ce besoin de le toucher, d’abolir cette distance entre nous, un besoin vital de le rejoindre. Cesser de m’absenter face à la douleur, cesser de me réfugier en moi-même. Pas avec lui. « James … » Je relève son visage en l’encadrant doucement de mes mains, mes pouces effleurant d’une caresse ses pommettes. « Laisse-moi t’aider », demandais-je, priais-je doucement sans rompre le contact. Il n’y a aucun mot qui convient, je le sais. Je sais aussi que le pire est d’encaisser les sourires des gens, leur gêne d’en parler, leur manière de tout effacer comme si ça ne s’était jamais produit. La fin de sa phrase résonne, bourdonne soudain dans mes oreilles et je n’y crois pas. Je l’ai entendu et je l’ai aussitôt su, je n’y crois pas. Je voudrais lui dire. Mais j’ignore s’il veut les entendre, seul lui sait ce qu’il est capable de me dire.
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(✰) message posté Sam 18 Oct 2014 - 14:19 par Invité
C’était la première fois en dix ans que James parvenait à exprimer à voix haute ce qui le rongeait depuis la disparition tragique de son fils. Jamais encore il n’avait été capable de formuler ces quelques mots, pas même devant Emma. Surtout pas devant Emma. Entre eux, le sujet était tabou. Oh, la jeune femme avait pourtant essayé de le faire parler mais James entrait systématiquement dans une colère noire. Après la mort de leur enfant, James était devenu un homme totalement différent. Il s’était réfugié dans le travail et avait laissé Emma le lui reprocher. Que souhaitait-elle au juste ? Que les choses redeviennent comme avant ? Mais plus rien ne serait jamais comme avant. Non, jamais. Ainsi, l’éditeur avait su la pousser à bout jusqu’à ce qu’elle décide de partir. De le quitter. C’était ce qu’il y avait de mieux à faire de son point de vue. Emma méritait d’être heureuse et pour sa part, il estimait devoir payer le prix de ses erreurs. « Personne ne peut m’aider. Quand bien même, je ne le mérite pas. Je suis condamné à faire face à tout ça pour le restant de mon existence. C’est un bien faible prix à payer pour ce que j’ai fait. » Ne tenant plus en place, James s’éloigna de la jolie Lexie, s’approchant de la fenêtre pour contempler le monde sans vraiment le voir. Parler de tout ceci était loin d’être évident pour lui. Cela remontait à plusieurs années mais il ne se passait pas une seule journée sans qu’il y pense et il y avait à parier que ce sentiment allait le hanter jusqu’à son dernier souffle. Lexie était pourtant en droit de savoir tout ça. L’éditeur était désormais pris au piège dans les méandres de ses souvenirs et de ses remords. Que faire ? Que dire ? Repenser à tout cela était en train de lui mettre l’estomac à l’envers. James n’était pas dans son assiette et même s’il s’évertuait à ne rien laisser paraître, il était plus nerveux que jamais. Son regard devint encore plus sombre tandis qu’il réfléchissait à la façon dont il allait bien pouvoir lui expliquer ça. « Mon fils est mort par ma faute. » Catégorique, direct et franc. Mais pas réaliste du tout. James n’était pas responsable de la mort de son fils mais lui faire entendre raison à ce sujet était impossible. Il n’enchaina pas immédiatement, bien trop absorbé par ses souvenirs et le dégoût qui en découlait. Adam aurait huit ans désormais. Chaque jour, James se demandait à quoi ressemblerait son petit garçon. Il n’avait aucun mal à l’imaginer espiègle, rieur et fantastique, comme l’était sa mère. Soupirant de nouveau, l’éditeur décida de se lancer dans ses explications. Tournant toujours le dos à Lexie, il commença : « Adam avait à peine six mois quand c’est arrivé. A l’époque, je débutais dans le monde des affaires et ma maison d’édition ne tournait pas encore comme je l’espérais. C’était même tout l’inverse. J’essayais en vain de décrocher un contrat alléchant et de convaincre des auteurs déjà sur le marché de me faire confiance. Emma enchainait les petits boulots et chaque soir, nous refaisions le monde en idéalisant notre avenir. Elle était fantastique. Elle savait trouver les mots juste pour me rassurer et me convaincre de ne pas abandonner. Notre vie n’était pas parfaite mais nous étions ensemble et c’est tout ce qui comptait à mes yeux. » James avait toujours éprouvé une véritable admiration envers Emma. A maintes reprises, il avait eu l’occasion de parler d’elle à Lexie. Naturellement, il ne pourrait jamais tirer un trait sur ce qu’ils avaient vécu ensemble même si désormais, Lexie était la femme de sa vie. « Quand Adam est venu au monde, j’ai découvert une facette de sa personnalité que je ne soupçonnais même pas. Elle était géniale en tant que maman … et sans exagération aucune, notre fils était le plus extraordinaire bébé qui soit. Je pouvais passer des heures entières à les regarder tout les deux. On formait une vraie famille.» La lueur pétillante des yeux de James laissa soudainement place à une expression beaucoup plus sombre. Les souvenirs qui refaisaient surface étaient proprement insupportables. « Puis j’ai décroché un gros contrat. Le premier. L’auteur avait déjà rédigé un best-seller et suite à quelques problèmes, souhaitait changer de maison d’édition. Il voulait que l’on se rencontre dans les plus brefs délais et il n’était pas question pour lui de reporter le rendez-vous. J’étais prêt. Le contrat était rédigé et je savais qu’il signerait le début de ma carrière dans le monde des affaires. J’ai attendu mon client encore et encore … c’était l’hiver, il neigeait et était bloqué en pleine circulation. C’est à ce moment-là qu’Emma m’a appelé pour me demander d’aller chercher Adam. Il était chez sa nounou, Emma coincée en rendez-vous. J’lui ai dit que je m’occupais de tout. Toutefois, mon client n’arrivant pas et ne pouvant décemment pas prendre le risque de partir, j’ai appelé la nounou pour lui demander de garder Adam un peu plus longtemps. Elle a refusé, c’était le soir de son anniversaire et avait prévu de faire la fête avec quelques amis. Elle a insisté pour que je vienne le chercher. Mais j’étais coincé à attendre mon auteur alors je lui ai demandé de m’emmener Adam afin de gagner du temps. Elle l’a fait, seulement … » James s’interrompit et se pinça les lèvres. C’était la première fois qu’il formulait tout ça à voix haute et c’était encore plus compliqué qu’il ne l’avait imaginé. Ses yeux étaient soudainement devenus brillants et en dépit de cette lutte infernale qu’il menait en lui-même, James ne pouvait pas résister à l’émotion qui s’emparait de lui tandis qu’il revivait intérieurement cette infernale soirée. « Je ne savais pas qu’elle avait bu. Sur la route, elle a perdu le contrôle de son véhicule qui a glissé sur le verglas. Une autre voiture arrivait en face et … Adam est mort sur le coup. Quant à elle … elle n’a rien eu. Pas une égratignure. » James n’essayait même plus de contenir son émotion, un mélange évident de tristesse et de rage. « Tout est de ma faute Lexie. Mon fils aurait dû être ma priorité et non pas ce maudit contrat !! »
(✰) message posté Dim 19 Oct 2014 - 14:49 par Invité
Je ne parviens pas à saisir le sens des choses. Je regarde autour de moi et il y a la mort, sa menace permanente, omniprésente, étouffante. Elle reste au dessus de moi, inquiétante. Je la sens de jour comme de nuit s’infiltrer dans mon corps, dans mes muscles, mes organes. En ce moment même, elle m’empêche de respirer convenablement, elle tiraille mes jambes, me soulève le cœur. Mais elle ne me touche pas encore, se contentant de frapper à côté, à chaque fois. Je la côtoie tous les jours, à l’hôpital. Je revis tous les jours ce moment où je l’ai perdu, lui, je n’avais pas pleuré tout de suite. J’étais restée dans cette chambre une éternité, attendant que le ciel me tombe sur la tête. Attendant le moment où la souffrance m’anéantirait, attendant de voir ma vie se transformer en un amas de décombres. J’aurais pu me familiariser, j’aurais pu penser l’être à présent. Mais l’on n’est jamais préparé. Je regarde James, je regarde son dos, ses mains nerveuses, tremblantes tandis qu’il reprend la parole. Comment ai-je pu ne pas voir qu’il avait été touché également ? Comment avait-il réussi jusqu’à maintenant à me le cacher, lorsque toute ma vie est, elle, guidée par cela ? À présent, je le vois fébrile, dévasté, brisé. Et je sais que je suis impuissante. On l’est tous. Mais je ne serais pas de ceux qui m’ont achevé un peu plus, de ceux qui renient la mort, trop effrayés par ces malheurs et qui se contentent de les contempler par peur d’être atteints. Mon désespoir avait, un jour, été si grand qu’il avait fini par dissuader les meilleures volontés. Chaque mot de James s’imprègne en moi tandis que je l’écoute. Je ne peux pas voir son visage, je ne peux pas voir les émotions traverser ses yeux, marquer ses traits. Mais je n’en ai pas besoin. Je les ressens à la qualité de sa voix, à ses frémissements, ses hésitations, sa rage. Je ferme les yeux une seconde, repoussant cette masse noire qui semblait vouloir prendre entière possession de mon corps. Mais ce n’était pas le moment. Je l’entends me parler d’Emma, ce n’était pas la première fois, ça n’avait jamais été de cette façon. J’ai mal, au fond. J’aurai peur aussi. Plus tard. Lorsque je ne serais pas prise dans le tourbillon de ses émotions. Lorsque je ne serais plus entièrement dirigée vers lui, mon être tout entier, mon cœur, mon âme. Lorsque je réaliserais cette vie qu’il a vécu, ce bonheur qu’il a voulu, connu puis perdu. Lorsque je saisirais l’ampleur de ce qu’il a perdu et que je n’avais jamais possédé, que je n’avais jamais voulu connaître. Ce sera plus tard. Je le sais, je me connais, et je me déteste pour cela. Peu importe que cela puisse être humain. « Je ne savais pas qu’elle avait bu. Sur la route, elle a perdu le contrôle de son véhicule qui a glissé sur le verglas. Une autre voiture arrivait en face et … Adam est mort sur le coup. Quant à elle … elle n’a rien eu. Pas une égratignure. » Je me force à prendre une respiration mais elle reste bloquée au fond de ma gorge. « Tout est de ma faute Lexie. Mon fils aurait dû être ma priorité et non pas ce maudit contrat !! » Je secoue une fois la tête, absente et véhémente à la fois. Mais il ne me voit pas. Je m’approche de lui, derrière lui, près de lui. « Ce n’est pas ta faute. » Bien sûr que non. Bien sûr que c’était là la plus évidente des réponses, la plus attendue sûrement. Mais la plus importante. « Ce n’est pas ta faute », répétais-je une nouvelle fois doucement. « Tu n’es pas obligé de te sentir coupable pour pleurer Adam … Tu ne pouvais pas savoir, ce n’est pas toi … » Je marque une pause de quelques secondes durant lesquelles le silence m’assourdit et étourdit mon esprit. Je veux bien rester ferme et forte, mais c’est plus fort que moi, je ne suis plus capable d’affronter les tourments de James sans faillir, pas quand mon cœur tout entier semble être désormais relié au sien. « Tu étais le plus formidable des pères. Je te regarde et je le sais. Je suis tellement désolée pour ce qui vous est arrivé. Il n’y a pas de mots ... » ajoutais-je faiblement. Il n’y aucun mot, en effet. Aucun qui permettrait de lui ôter sa douleur, aucun qui aurait la prétention de changer le passé, d’arranger les choses, aucun qu’il n’aurait pas déjà entendu maintes et maintes fois. Mais c’est le cas, ce n’est pas sa faute. Ce n’est pas non plus celle d’Emma qui avait du honorer son propre rendez-vous. Alors, que lui dire d’autre pour apaiser sa peine que cette vérité ? « Mais je sais, je sens, que tu aurais tout donné pour ton fils, tu ne peux pas te flageller à en douter, s’il-te-plait … », continuais-je d’une voix basse, le cœur meurtri de ce que je pouvais entendre du sien. Mes mains effleurent doucement le long de ses bras tendus jusqu’à ses coudes tandis que je le décale doucement pour me placer devant lui et lui faire enfin face. Je surprend son regard brillant, son regard vague qui scrutait l’extérieur avant de se poser sur moi et qui me raconte l’homme déchu qu’il était depuis le début. Il m’étripe son regard. Je n’ai pas les armes pour le soulager, je n’ai pas les armes pour l’apaiser. Je ne les ai jamais eu, je ne les ai pas pour moi-même. Je suis déjà faible de mon côté, détruite en silence, ignorante de ce qu’il faudrait dire ou faire pour aller mieux. Je n’avais jamais cherché à l’être. Me contentant de tout bloquer à chaque fois que j’étais sur le point de sombrer, de succomber. Et pourtant, me voilà face à lui. Il est le premier pour lequel je serais prête à tout donner pour arrêter, pour savoir comment l’aider, tout donner sur le moment. Pour que cette douleur ne soit pas seulement la sienne, pour que je puisse y faire quelque chose. Mais c’est un gouffre que je ne peux pas combler. « Je suis là. » Comme si ma présence était finalement la seule chose que je sois capable de lui donner face à ce drame. Comme si je repoussais cette impression que ce n’était pas assez.