Je rabats mon bras sur mon visage, sans délicatesse aucune. C’est trop tard, je suis réveillée et la luminosité rouge que je suis en train de m’imposer n’arrange pas mon affaire. J’ai l’impression d’être incrustée dans mon matelas. Cela étant, il vaut mieux car celui-ci tangue dangereusement. Je peux dire le désordre qu’il y a dans ma tête. J’arrive à imaginer également que mes neurones ont du s’éclipser par la porte de derrière car il me faut cinq minutes avant d’arriver à reconnaître ma chambre. Cinq minutes de plus pour identifier l’homme allongé à mes côtés. Je fais la moue, me libère de sa jambe avachie sur la mienne et me redresse en position assise. J’ai la tête lourde et les rayons du soleil levant, qui venaient de me réveiller, me font atrocement mal aux yeux. Réfléchis Alexandra. Qu’est-ce que t’as fait comme conneries encore ? J’en sais rien, j’en sais rien, j’en sais rien. Je passe une main dans mes cheveux et m’autorise un regard en arrière pour analyser Owain. Il est torse nu, complètement assommé et n’a pas bougé d’un centimètre. Un peu plus et je lui prends le pouls pour être certaine qu’il respire encore. Je n’arrive plus à me souvenir où tout a dérapé. Je me souviens d’être tombée sur lui, je me souviens avoir ri, je me souviens avoir bu, oui, mais un verre, deux tout au plus. C’était une ivresse agréable. Une de celle qui vous rosit les joues et vous libère des barrières que vous vous acharnez à instaurer vous même. C’était tout ce que je voulais. Oublier l’espace d’une soirée ce qui m’occupait le cœur et l’esprit sans relâche. C’est mon domaine, je suis une as lorsqu’il s’agit de maquiller mes nuits, de me jeter à corps perdu dans les bras des démons qui m’assaillent. J’en ressors à chaque fois satisfaite et blessée à mort. Je cours comme une folle, je n’ai plus de limite et je me rends compte le lendemain à quel point j’allais vite et toutes les fois où j’ai trébuché. J’aurais du me douter que je ne saurais pas faire dans la demi-mesure, que tout allait encore une fois s’accélérer.
D’autant plus si je mettais ce plan à exécution avec Owain. Il n’avait aucun intérêt à être la voix de ma raison, c’est ce qui m’attire et me consterne à la fois. Il est toujours là. Beau, digne, brisé et prêt à se détruire avec moi. C’est effrayant et jouissif. Mon cœur bat comme si je venais de courir un six cent mètres. Rien d’étonnant lorsque j’aperçois les bouteilles vides sur ma table de chevet. Mon organisme ne supporte plus grand chose mais je m’évertue à le mettre à l’épreuve à chaque fois un peu plus. Je suis étonnée d’ailleurs de ne pas m’être déjà précipitée aux toilettes dès mon réveil. Un bon point. Je m’aperçois dans le miroir en face de moi. Je n’ai pas l’air aussi abattue que ce que je ressens, ça me rassure. On dirait même que je ne me suis jamais endormie et que je suis toujours galvanisée par l’alcool dans mes veines. Ce qui ne serait pas étonnant puisque je n’élimine plus rien. Je me penche au pied de mon lit pour attraper mon haut et l’enfile avec plus d’aisance que soupçonnée. Je ne veux pas savoir pourquoi je l’ai enlevé en premier lieu. Je me retiens aussi de soulever les draps pour vérifier si Owain est habillé en dessous. Il me manque toute une partie de la nuit. C’est pathétique. Je lui jette un coup d’œil, il a l’air paisible et je trouve ça franchement injuste. Je pose ma main sur son genou en le secouant deux fois sans grande conviction. « Owain. On s’est endormis », je murmure d’une voix éteinte. C’est pertinent, plein de lucidité, ça lui plaira. Ça me plait en tout cas. Il déteste être réveillé. Je le lui dis aussi parce que je trouve ça étrange. Je ne me souviens pas du moment où j’ai sombré, je ne me souviens pas avoir pris la décision de me coucher à ses côtés et de me laisser prendre par le sommeil. Combien de temps d’ailleurs avions-nous dormi ? Il est tôt, très tôt. Je suis engourdie comme si je me réveillais d’un sommeil interminable mais ça ne peut pas être le cas. J’ai envie de repartir en arrière, je ferme les yeux, j’ai aussi envie de me plaindre comme une enfant que l’on aurait réveillé et qui ne se souvient plus qu’il doit aller à l’école. Les coudes en appui sur mes genoux, je prends ma tête entre les mains. « Qu’est-ce que t’as fait, tu devais pas me laisser boire. » Oui, ça je m’en souviens. Je l’avais prévenu au début de la soirée que je ne devais abuser de rien, ils allaient me tuer à l’hôpital cet après-midi. Ce dont je ne me souviens pas, mais que j’arrive à imaginer aisément, c’est qu’il n’a pas trop du me forcer au fur et à mesure que la soirée s’écoulait. Mais je lui fais ce reproche pour la forme, pour mettre ça sur le dos de quelqu’un, le sien de préférence, pour me déculpabiliser. Si je lui demande de m’empêcher de faire quelque chose, c’est parce que je sais très bien que d’ici peu de temps, je n’aurais plus la volonté de le faire de moi-même. Pourquoi n'étions-nous jamais raisonnables ? « C’est la dernière fois. Et je le pense cette fois, t’es le pire co-pilote du monde. Owain, tu m’entends ? » Il n’allait pas se rendormir dans mon lit, je n’avais pas à être la seule à regretter.