Tyrah V. Gallini - Zadig killed Voltaire

Je m'appelle Tyrah Violette Gallini, je n'ai pas grand-chose à raconter. Mon histoire est banale à mes yeux. J'ai l'air d'une enfant gâtée en revendiquant cette indifférence là. Mais pour être tout à fait honnête, j'ai appris à m'en moquer. Je suis née en France, dans une ville plus connue pour son vin qu'autre chose. En effet, j'ai grandi à Bordeaux jusqu'à mes six ans. Pendant six belles années, j'ai admiré presque chaque matin, le soleil caresser les quais. Pendant six petites années, j'ai admiré presque chaque soir le soleil plonger dans l'horizon en irradiant la Garonne.

Je suis née de deux parents aimants. Paul et Ksenia Gallini. J'ai grandi dans le luxe, dans la fête. Dans la joie et dans la bonne humeur. Je n'ai manqué de rien et n'ai jamais cessé de m'émerveiller sur tout. L'année de mes sept ans, mon père, grand homme d'affaires, a décidé de retourner vivre dans son pays d'origine. Et nous voilà partis pour l'Angleterre. Dans un premier temps dans le comté froid et gris de Kent, juste avant la station balnéaire de Broadstairs. Le temps maussade et l'attitude rétive des habitants nous ont poussés à partir un peu plus loin, et un an plus tard, nous arrivions à Londres, god save me.

Mais the Smoke, aux yeux d'une enfant d'à peine dix ans, restait un simple amas de granit, de bitume et de bruit. Pour changer depuis que nous avions quitté la France, le temps grimaçait en permanence, balançant un petit éclair à droite ou à gauche. Cependant, mes parents avaient décidé d’élire domicile dans la City, et cela semblait incontestable. J'ai donc atterri à Londres. Ballottée entre les passants trop pressés, interpellée par les iroquoises des punks le soir, fatiguée par le ronronnement constant du métro et des bus.

Ma vie aurait pu être idyllique. J'étais bonne élève, toujours radieuse, polie et à l'écoute. Et surtout, démesurément riche. Mon père avait trouvé la poule aux œufs d'or, comme il disait souvent. Je n'ai jamais trop su sur quoi il travaillait exactement, mais je ne me suis jamais vraiment posé la question. Quand il s'absentait plusieurs jours pour le travail, ma mère et moi étions couvertes de cadeaux. Et quand il était quelques jours en congés, nous étions encore plus gâtées. Malgré le fossé qui se creusait entre moi et mes camarades au fil des années, je n'ai jamais changé de comportement. Je suis restée moi, Ty-ty', la jeune fille pétillante et déjantée qui ne disait jamais non pour payer sa tournée de pintes et qui organisait des soirées d'enfer.

La jet-set londonienne se bousculait devant notre porche. Et j'avais eu tendance à penser que c'était parce qu'on nous appréciait. Le fait est que je m'étais trompée. Il y à deux ans maintenant que mon père est décédé. deux ans que ma mère et moi vivons de son capital, dilapidons sa fortune, tantôt pour essayer de maintenir la galerie d'art de ma mère à flot, tantôt pour s'offrir les dernières pièces de créateur à la mode.

J'ai aujourd'hui vingt-deux ans. Et si ma mère s'en sort un peu mieux avec la Galerie, je n'y arrive toujours pas avec l'argent. Ma vie toute entière est un paradoxe, et je suis accrochée en permanence à un fil au milieu d'un ravin. Je travaille dans un fastfood douteux où je fréquente la pire vermine de la City ; voleurs, racailles, dealers en me faisant la plus petite possible. J'ai rêvé mille fois de quitter mon travail. Mais avec un diplôme à moitié obtenu à l'université et mon refus maladif de l'autorité, personne d'autre n'a voulu m'offrir un poste nulle part. Le matin, je pars de la maison en voiture avec mon chauffeur qui est mieux payé que moi. Tous les jours, j'espère que mon père revienne, que tout ça ne soit qu'une blague, que ma mère retrouve le sourire, que je puisse enfin aller exercer le métier dont je rêve... Mais alors j'ouvre les yeux, la rêverie s'estompe et je me souviens à quel point mon existence est pitoyable.

A l'heure actuelle, mon unique objectif est de me sortir de cette spirale infernale et de ce métier que je déteste. Et ma foi... Advienne que pourra.