« Il en loupe tellement pas une... Tu sais que je suis sûr et certain qu'il croit toujours dur comme faire qu'on n'a pas été dans le même cursus parce qu'évidemment, t'étais censé être d'un niveau inférieur, hein... Serviteur... »
J'ai vraiment dit ça de façon mi-dépitée, mi-hilare. Mon grand-père, donc, dans toute sa splendeur. Ca va que Spencer est habitué. Ca va qu'on se connaît suffisamment pour qu'il ait bien compris que je pensais pas une seconde comme mon aïeul. Parce que c'est bien mignon son côté paternaliste et tout, mais l'époque coloniale, elle est révolue depuis bien longtemps, et les indiens et toutes les autres communautés d'ailleurs n'ont pas vraiment besoin de lui et ses petits copains bien-pensants pour vivre leur vie avec leurs coutumes. Mais ça, manifestement, c'est toujours aussi difficile de le lui faire comprendre. Le pire, c'est que je sais qu'il est pas vraiment méchant, en plus, qu'il essaie, même, de venir en aide... aux plus démunis et défavorisés que lui... Sauf qu'il a toujours pas intégré le fait que la famille de Tiger était aussi aisée que la nôtre, mais passons.
C'est un peu de notre faute aussi, faut avouer, on a dû sortir une fois en déconnant que Shere Khan était mon larbin, et s'il a relevé le terme - il ne faut pas dire les choses de cette façon, Nathanael, voyons - je suis persuadé qu'il est convaincu que c'est la vérité. Et que Spence a énoooooooooooooormément de chance d'avoir été accepté dans cette école... Bref, que du bonheur.
Et je pensais pas qu'on se prendrait, nous-mêmes, au pied de la lettre. Pourtant c'est bien ce qu'on s'est décidé à faire aujourd'hui. Le repas dominical chez mes grands-parents, c'est sacré - même si j'y participe en fait une fois sur douze, mais chut -, et quand j'ai émis l'idée de venir avec mon pote, outre les remarques désobligeantes de mon paternel, j'ai eu droit à tout un tas de laïus sur le fait que c'était on ne peut plus charitable d'accueillir une personne moins favorisée à notre table. Non mais ça va, il mange à sa faim vous savez... Alors histoire de bien enfoncer le clou, et parce qu'on a lancé cette connerie en l'air, mais qu'on est pas vraiment du genre à se refuser un défi à la con non plus, on a pris le parti de rentrer dans les rôles dans lesquels ma charmante famille a décidé de nous voir. Je saurais pas décrire le costume de mon pote, encore moins le nommer, mais toujours est-il que si, avant ça, on avait eu le moindre doute quand au fait qu'il soit indien, c'était terminé à cet instant. Et le choix du costume - oui oui ça va, j'ai mis un costume pour une fois, donc... - accentuait largement la distinction de 'classe' entre nous. Fait exprès, bien évidemment.
Quand on est tous les deux arrivés chez mes parents, j'avoue que j'ai un peu flippé. Autant ma mère dirait trop rien, quoi qu'elle en pense. Autant mon père, je m'attends pas un instant à ce qu'il trouve ça drôle. Quant aux seniors... Bah je m'attendais pas à ça. Que grand-père prenne ça au premier degré à peine arrivés - mettez-vous à l'aise mon petit, il ne fait pas très chaud ici, ça doit vous changer de là-bas (mais Papy, comment t'arrives à oublier que ça fait quinze ans qu'il est en Angleterre ? Oo) - c'était juste couru. Que ma grand-mère rie sous cape et rentre parfois dans notre jeu, ça l'était moins par contre. Pourtant, elle a commencé dès qu'elle a ouvert la porte...
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(✰) message posté Sam 30 Aoû 2014 - 17:46 par Invité
J'avais toujours dans mon placard une tenue traditionnelle indienne qui m'était réservée lors de grande occasions. Les autres se situaient chez le reste de ma famille en Inde, puisque j'y allais plus ou moins souvent aussi et que lorsque j'y mettais les pieds, j'étais dans un tout autre monde. L'Angleterre devenait qu'un rêve, c'était comme s'il n'y avait plus que l'Inde dans le monde. Comme si tous les problèmes n'existaient plus que que j'avais toujours vécu là bas. J'adorais mon pays natal, je le chérissais de tout mon cœur et pour moi, ça n'avait aucun doute que mon avenir se situait là bas. Anushka avait tendance à penser comme moi, même si elle appréciait grandement l'Angleterre. Elle était très mitigée sur la chose sauf que son cœur semblait plus balancer plus le pays de la Rose. J'aimais aussi ce pays, il était différent de l'Inde et je pouvais faire des choses que nous ne faisions pas là bas. C'était difficile d'être dans ce genre de situation et plus je devenais encore plus adulte, plus mon avenir approchait, plus ça me pinçait le cœur. J'allais devoir faire des choix et des sacrifices, sauf que je n'avais pas encore décidé quoi.
Pourquoi je parlais de cela? Parce que j'étais accoutré de la grande tenue rouge et beige à motifs indiens discrets. Je n'aurais jamais cru faire cela un jour dans ma vie, mais le défi m'avait amusé. Depuis le temps que je connaissais Nathanaël, j'avais eu vent de sa famille. Je ne l'avais pas énormément vue dans ma vie, pas plus que Nathanaël avait vu la mienne en tout cas mais je voyais parfaitement le cas de figure.
« Il en loupe tellement pas une... Tu sais que je suis sûr et certain qu'il croit toujours dur comme faire qu'on n'a pas été dans le même cursus parce qu'évidemment, t'étais censé être d'un niveau inférieur, hein... Serviteur... » - N'en profite pas trop non plus, hein... Maître. Je plissais des yeux. Je n'étais pas sérieux et mon meilleur ami non plus mais c'était tout de même étrange comme cas de figure. Le grand père de Nate vivait encore dans le passé, pensant que l'Inde était toujours sous la colonie Anglaises et que par conséquent, les Indiens étaient considérés comme une sorte... d'indigène à leur service. En tout cas, de personnes non civilisée apprenant à l'être grâce aux hommes blancs. C'était quand même rigolo, à y penser.
"Que veux tu, c'est pas grave. Ça va être bien marrant quand même. Tes parents vont pas le prendre mal?"
Penser à voir le père et la mère de mon meilleur ami m'inquiétait tout de même. Ils me connaissaient et je ne savais pas comment ils pourraient réagir à la vue de mon accoutrement. J'avais été jusqu'au moindre détail. Je ressemblait au prince Ali en... différent.
"Et.. ils savent que t'es végétarien au moins?"
Qui disait repas disait parfois problème pour moi puisque je ne mangeais pas de viande, par principe. Il faudrait que je sois mort de faim et qu'il n'y ait rien d'autre à avaler pour que je puisse un jour sauter le pas.
Nous attentions devant le seuil de la porte de chez les parents de Nate et la porte ne tarda pas à s'ouvrir. Une vieille dame nous accueilli, la grand mère de mon meilleur ami, et je n'aurais trop su décrire sa réaction à notre vue. Toujours était-il que je décidai de jouer le jeu jusqu'au bout et je joignis mes mains comme un geste de prière tout en m'abaissant légèrement pour souhaiter le bonjour.
"Laissez moi vous présenter une excellente journée, Madame, en espérant qu'elle puisse continuer à vous être favorable. Je suis venu en présence de Maitre Keynes qui a été fort généreux de m'inviter à votre tablée. Si je puis faire quoique ce soit pour vous, n'hésitez pas à m'en faire part."
Je ne savais pas si je pouvais me considérer comme bénévole pour faire une telle action ou quoi. Mais je me forçai de cacher mon long sourire amusé, tant mes mots me sonnaient dérisoire.
Nathanael E. Keynes
sometimes it lasts to love and sometimes it hurts instead.
« N'en profite pas trop non plus, hein... Maître. »
Je m'arrête, quand même, en route, lui prend le bras.
« Tu sais que c'est des conneries, hein ? »
Oui, non, parce qu'on n'a beau se connaître depuis des années, je voudrais quand même pas qu'il y ait de malaise. J'ai jamais cautionné les avis rétrogrades de ma famille, je suis pas prêt de commencer. Et même si je pense qu'il en est parfaitement conscient, je préfère quand même éclaircir les choses...
« Que veux-tu, c'est pas grave. Ça va être bien marrant quand même. Tes parents vont pas le prendre mal ? - Oh bah mon père, comme à peu près tout ce que je fais... Mais t'inquiète pas pour ma mère par contre. Et je suis tellement sûr que mon grand-père va courir... »
Ca, c'est une certitude. Il est tellement dans son truc, dans ses idées de supériorité britannique, que c'est presque trop facile. Je m'interroge un peu plus sur Granny, mais du coup, je me prononce pas, et on verra bien.
« Et.. ils savent que t'es végétarien au moins ? - La seule qui l'a compris et pas pris comme un lubie de gamin, c'est Granny. Et ça tombe bien, c'est chez elle qu'on va... Bon évidemment, y aura forcément une viande, peut-être même un poisson pour les autres, mais elle fait toujours en sorte que je puisse manger. Bon faudra pas s'étonner si mon père fait des remarques, mais... comme d'hab', j'ai envie de dire... »
J'ai haussé les épaules, comme on sonnait chez mes grands-parents, et ma grand-mère nous a ouvert, tout sourire devant moi. Elle est venue me prendre dans ses bras un instant.
« Nathanael... Tu es venu ! - Hi Granny... Tu as déjà entendu parler de Spencer... - Laissez moi vous présenter une excellente journée, Madame, en espérant qu'elle puisse continuer à vous être favorable. Je suis venu en présence de Maitre Keynes qui a été fort généreux de m'inviter à votre tablée. Si je puis faire quoique ce soit pour vous, n'hésitez pas à m'en faire part. »
Okay là je suis vraiment mort de rire, mais faut que je reste zen. J'ai un petit sourire genre je suis content d'être là, mais c'est surtout parce que je suis complètement hilare en fait. Et puis je croise le regard de Granny, je vois son petit sourire à elle. T'es en train de te marrer aussi, vraiment ?
« Mille mercis Spencer, vos attentions son adorables. Mais entrez, entrez, ne restez pas sur le palier. Tes parents viennent d'arriver... - Game on... »
Je me suis tourné vers Spence, légèrement plus tendu. Ma grand-mère est encore plus exceptionnelle que je pensais, en fait. Mes parents se sont levés à notre approche, de même que mon grand-père qui est venu nous accueillir.
« Ah ! Nathanael mon petit ! Pile à l'heure ! Et voilà ton... ami indien - Bonjour Grand-Père... »
J'ai serré sa main tendue, il s'est fendu d'une salutation à l'indienne, des vestiges de sa jeunesse, sans doute, et j'ai vu son regard. Ok, je me défais de mon caban et je le file à Spence, n'est-ce pas ? A moitié mort de rire, j'ai retiré mon manteau, et je l'ai tendu à mon meilleur ami. Ma grand-mère a aussitôt pris le relais. Granny, je crois vraiment qu'il va falloir qu'on parle un peu tous les deux, un de ces quatre... Quand mon père sera pas là.
« Venez par ici... Spencer, n'est-ce pas ? Le dressing se trouve par ici... »
Je les ai regardés partir, je sais pas trop ce qu'ils vont se dire parce que je crois bien que ma grand-mère va lui taper la discut', et puis je me suis retourné, et j'ai croisé le regard noir de mon père. Mais comme Grand-Père a tout de suite repris le fil et qu'il est ravi de cette bonne action, il se tait, et ça me va très bien comme ça.
« Ah !... Ca me rappelle ma jeunesse... Tu sais que j'étais aux colonies, moi, quand j'avais à peu près ton âge... C'était une autre époque, vraiment... »
Il a passé un bras autour de mes épaules, et je me suis concentré sur lui, occultant les ondes plus que négatives qui émanent de mon père. Grand-Père a des défauts, et il est vraiment déconnecté de la réalité, mais...
« Ta grand-mère a préparé les légumes à part, tu sais. Et je crois bien qu'elle a prévu une entrée qui devrait te convenir. Ton père a râlé à peine arrivé, mais il a toujours été assez bougon tu sais... »
Grand-Père, tu sais que je t'aime, là ?
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(✰) message posté Ven 5 Sep 2014 - 11:22 par Invité
« Tu sais que c'est des conneries, hein ? » - Mais oui t'en fais pas! Encore heureux, sinon je n'aurais pas accepté, tu penses bien.
Jouer les esclaves, ou plutôt le domestique, ne me dérangeait pas tant que ce n'était que du second degrés. Avec Nate, je n'avais pas de soucis à me faire et ça m'amusais plus qu'autre chose. Loin de là mon envie de me moquer de son grand père, mais ça avait été un coup à faire. Je ne savais pas comment réagirais le reste de la famille de mon meilleur ami, en particulier son père qui était connu pour sa stricte autorité et son manque de sens de l'humour, mais je n'avais pas de soucis à me faire personnellement. Si jamais mon père avait vent de cette histoire, je ne pensais pas qu'il le prendrait mal. Ce n'était pas méchant, il n'y avait aucune mauvaise intention là dessous, juste de l'amusement. On ne faisait rien de mal. "Oh bah mon père, comme à peu près tout ce que je fais... Mais t'inquiète pas pour ma mère par contre. Et je suis tellement sûr que mon grand-père va courir... " Je souris à cette idée. Me connaissant, j'allais avoir du mal à tenir mon sérieux, mais je jouerais le jeu jusqu'au bout. Je ne savais pas vraiment comment se comportais les domestiques indiens à l'époque de la colonie anglaise, mais faire le serviteur fera l'affaire. Au pire, je mettrais ça sur le dos d'un manque d'éducation. Après tout, mes parents ne sont-ils pas sensé être de simples indigènes?
Je me souciais toutefois du repas. Nate et moi étions tous les deux végétariens. Nate, par principe, moi depuis ma naissance. J'aurais pu me mettre à commencer à manger de la viande mais je n'avais jamais voulu. C'était et par tradition, et par principe aussi. - La seule qui l'a compris et pas pris comme un lubie de gamin, c'est Granny. Et ça tombe bien, c'est chez elle qu'on va... Bon évidemment, y aura forcément une viande, peut-être même un poisson pour les autres, mais elle fait toujours en sorte que je puisse manger. Bon faudra pas s'étonner si mon père fait des remarques, mais... comme d'hab', j'ai envie de dire... Il suffisait d'entendre parler Nate pour comprendre qu'il avait des problèmes sérieux avec son paternel. Ce dernier ayant unique Nate pour seul et unique fils, il avait beaucoup d'attente sur lui. Ca n'était heureusement pas le cas du miens, qui désirait me pousser faire les chose que j'avais envie de faire, moi. Il était content que je lui apprenne que mon vœux le plus cher était d'être journaliste. J'aurais désiré être peintre, il aurait peut être été un peu déçu mais il ne se serait pas opposé à ma décision. Toutefois, j'espérais quand même que la relation entre Nate et son père s'arrangerait, même s'il y avait peu de chance que ça aboutisse. "Çà va bien se passer" l'encourageai-je même si j'espérais ne pas envenimer les choses. Le père de Nate avait tendance à m'inquiéter, dans le sens où je n'appréciais pas forcément les personnes dans son genre et que sa présence risquait d'être particulièrement puissante.
Une fois que la grand mère de Nate apparut sur le seuil de la porte et que les présentations avaient été faites, la vieille dame me remercia et nous invita à rentrer. - Game on..., souffla Nate tout en pénétrant dans la maison. "Geronimo..." renchéris-je aussitôt. Lorsque nous entrèrent dans la salle à manger, toute l'assemblée se leva, ce qui eut le don de plutôt me surprendre. Les parents de Nate étaient présents comme convenus, ainsi que le fameux grand père. "Ah ! Nathanael mon petit ! Pile à l'heure ! Et voilà ton... ami indien." J'aurais pu le prendre mal, mais j'étais au courant de la situation, chose pour laquelle j'étais ici, précisément, avec cet accoutrement que je mettais tout les trente-six du mois. "Monsieur, voyez moi honoré de votre invitation. Je n'aurais jamais la prétention de me considérer comme ami avec maître Keynes, je ne suis qu'un humble serviteur." A ces mots, le Maitre Keynes en question retira ses sujets pour me les tendre. Je les accueillis en jouant mon rôle, tout en me disant qu'un jour ou l'autre, il allait quand même falloir s'échanger les rôles. La Grand Mère de Nate m'invita à aller rejoindre le dressing pour pouvoir déposer les affaires et je ne fis pas obstacle à cette initiative.
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Nathanael E. Keynes
sometimes it lasts to love and sometimes it hurts instead.
« Mais oui t'en fais pas ! Encore heureux, sinon je n'aurais pas accepté, tu penses bien. »
Evidemment. Il y a des choses, comme ça, qui vont sans dire, mais qui vont toujours mieux en les disant. Au moins, Spence est sur la même longueur d'ondes que moi, j'uarais effectivement tout annulé sinon. Mais je dois admettre que je suis pas complètement serein non plus. C'était un drôle de coup à faire, mais je commence un peu à flipper sur les conséquences. De là à rebrousser chemin, faut pas déconner, juste parti pour bien rigoler et faire chier mon père dans le même temps... Et puis c'est pas méchant, n'est-ce pas ?
Enfin ça, c'est un point qui ne fera sans doute ni chaud ni froid à mon père, mais ça fait longtemps que j'ai abandonné l'idée de lui plaire. J'ai tenté, plus jeune, même en allant à l'encontre de mes idées. J'ai appris à tirer, j'ai mangé de la viande parce qu'il le fallait, tu beaucoup de choses qui me tenaient à coeur parce que ça risquait de mal passer. La musique est longtemps resté un sujet tabou, le fait que j'aime aussi les hommes l'est encore, et mon boulot de nuit reste une aberration à ses yeux. Et si quelque part, j'aimerais bien qu'il m'accepte comme je suis un jour, il y a longtemps que je ne me fais plus d'illusion à ce sujet.
« Ça va bien se passer... Geronimo... »
Cette expression me fera définitivement toujours rire ! Et là, en l'occurrence, on va forcément rire un minimum. Mais pour la suite, je sais pas trop. Je vais donc m'efforcer de ne pas penser aux conséquences, ça sera plus simple. Et comme Tiger rentre direct dans le rôle, j'oublie assez rapidement le regard noir de mon père, de toute façon, je suis accaparé par Grand-Père.
« Monsieur, voyez moi honoré de votre invitation. Je n'aurais jamais la prétention de me considérer comme ami avec maître Keynes, je ne suis qu'un humble serviteur. »
Mon Dieu achevez-moi, je vais mourir de rire avant qu'on attaque l'entrée... J'en rajoute une couche en tendant ma veste à Spence, qui gagne l'entrée avec Granny, tandis que le majordome de la famille - lui, il a la même tête depuis que j'ai 3 ans, c'est hallucinant - s'apprête à nous servir l'apéritif. Et comme Granny et Spence reviennent - et j'ignore ce que ma grand-mère a pu dire à mon ami, mais vu son petit sourire distingué quand elle revient, je crois bien que d'une, elle n'est pas dupe une seconde, et de deux, elle a bien plus de sens de l'humour que je ne le savais jusque-là - je me tourne vers le maître de maison, très sérieusement.
« Grand-père... Crois-tu que Spencer puisse se joindre à nous pour le repas ? Je suis sûr qu'il serait ravi de goûter à la cuisine de Granny... - Faire découvrir la culture anglaise à ton ami indien ! Mais oui bien sûr, quelle charmante attention ! Installez-vous... Comment as-tu dit qu'il s'appelait ? »
Je crois que Grand-Père a du mal à assimiler que mon ami indien porte un nom britannique. Granny est venue à notre secours alors.
« Spencer, voulez-vous prendre place près de Nathanael ? Wentworth va vous servir un verre de champagne. »
Le majordome affable que j'ai toujours connu s'est exécuté sans un mot. Wentworth, c'est le flegme anglais dans toute sa splendeur. Et il faut bien ça pour supporter l'esprit chaotique de Grand-Père et l'amabilité - notez l'ironie - chronique de Père. D'ailleurs...
« Et pourquoi ne pas convier Wentworth à se joindre à nous tant que nous y sommes ? Et Penny et Alfie aussi ! »
Ca manquait, tiens... Mon père dans toute sa délicatesse. Comment cet homme peut-il être le fils de mes grands-parents, sérieusement ? C'est à quel moment que ça a foiré pour qu'il devienne aussi... aigri ? Je crois que j'arriverais jamais à comprendre... Ou peut-être que c'est son boulot qui l'a rendu comme ça, allez savoir... Cela dit, ça me va, parce qu'il passe plus de temps en France où il est censé être résident, même si nous, on est restés ici, qu'auprès de nous, et c'est pas comme si sa présence me manquait beaucoup quand il est à Paris. Un silence pesant suit la remarque acerbe de mon père, donc, avant que mon grand-père ne réagisse, tout sourire.
« Et pourquoi pas, en effet... C'est dimanche après tout ! Wentworth, voulez-vous bien aller chercher Penny ? Je crois qu'Alfie est de congé cependant... »
Un majordome, une dame de maison et un jardinier attablés avec nous ? Ok, là je vais vraiment éclater de rire, je pensais pas que Grand-Père prendrait à ce point les choses au pied de la lettre. Et l'air particulièrement exaspéré de mon père en rajoute à mon hilarité. Je sais pas ce qui lui passe par la tête, mais je crois que là, il a des envies de meurtre sur son père. Sauf que c'est son père, donc, et qu'il ne peut décemment pas se permettre de l'ouvrir. Et le voir fulminer mais fermer sa gueule, je crois que ça suffit à faire mon bonheur pour la journée. Bon, je doute pas une seconde que je vais en prendre pour mon grade plus tard, mais... sincèrement, ça aura bien valu le coup. Maman, elle, garde le silence, et elle a juste posé une main qui se veut apaisante sur celle de mon père. La seule vraie conversation qu'on a eue tous les deux, depuis qu'ils ont décidé de me fiancer, ça n'a pas forcément été très... calme, et dans son regard, j'ai l'impression qu'il y a un peu trop de choses mêlées pour que je sache vraiment à quoi m'en tenir.
« Alfie est toujours avec sa famille le dimanche, Darling, tu le sais bien. Mais nous pouvons demander à Penny de nous rejoindre, bien sûr. »
Il n'a pas fallu plus de quelques instants pour qu'un majordome mal à l'aise et une petite rouquine les doigts noués sur son verre soient installés parmi nous. Rouquine avec qui j'ai pu passer quelques moments... sympathiques à son arrivée chez mes grands-parents et qui sait se montrer bien moins réservée qu'à cet instant d'ordinaire. Maman l'a invitée à s'installer près d'elle, et de temps en temps, elle lui adresse quelques mots à l'oreille, ce qui semble la rassurer quelque peu. J'ignorais qu'elles avaient une relation quelque peu complice... Et du coup, je sais pas trop quoi penser de quelques-uns de leurs regards dans ma direction. C'est toi qui m'a fiancé à la fille de Lewis, Maman, ça veut dire quoi tout ça, hein ?
Et puis nos verres se sont vidés et mon grand-père a eu l'air un peu perdu un instant. Avec tout ça, je crois bien qu'il ne savait plus trop vers qui se tourner, lui qui avait quand même très fortement l'habitude de se faire servir. Et les habitudes ont la vie dure, parce que le service, c'est le mien de boulot, et que mon réflexe a donc été de tendre le bras vers la bouteille... Sauf que ce midi, ça n'est pas mon rôle, bien au contraire.
On a joué le jeu comme on a pu, le temps du repas, en se marrant sous cape relativement régulièrement devant mes réflexes boulettes, les remarques un peu à l'ouest de mon grand-père et la complicité plus qu'évidente des femmes de ma famille. On a occulté les regards de mon père, moi surtout, et quand on a fini par approcher de la fin du repas, je crois que j'ai quand même bien senti un poids quitter mes épaules. C'était drôle à la base, mais... C'est pas comme si mon père était le mec le plus comique du monde. D'ailleurs, dès le lendemain, j'ai été sommé de venir les voir, en face, et je m'en suis un peu pris plein la gueule. Parti comme c'était, il n'allait plus pouvoir supporter l'évocation de Spencer, si bien que j'ai tout pris à mon compte. C'était mon idée, et je lui ai forcé la main. Histoire qu'il puisse avoir au moins un minimum droit de cité à la maison. Maman a aidé à calmer le jeu, et j'ai presque été surpris que ça en reste à des hurlements - bah alors, Père, où est donc passé votre flegme britannique, voyons ? - et des regards noirs. C'aurait pas été la première baffe que je prends dans la tronche, ni la dernière mais... Non, pas là. Je vais pas m'en plaindre et j'ai pas trop demandé mon reste non plus. Je me suis barré, après un dernier signe à Maman qui m'a regardé partir par la fenêtre, et j'ai laissé ça de côté. C'était qu'une blague, après tout. Peut-être pas de super bon goût, mais ça nous aura quand même bien fait rire une après-midi presque entière alors...
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