"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici i live and i learn from my mistakes, then i forget them again. (rory) 2979874845 i live and i learn from my mistakes, then i forget them again. (rory) 1973890357
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() message posté Ven 6 Juin 2014 - 23:51 par Invité
got a feeling in my stomach that just won't quit. it's subtle as a shotgun. heavy as a brick. because i'm staring at the devil and the truth of it is, he's a lot more familiar than i'd care to admit. ✻✻✻   « Je pense tout de même qu’il serait plus prudent de vous faire faire des examens complémentaires, mademoiselle Lancaster. » Je ne pus m’empêcher de pousser un profond soupir, avant de finalement acquiescer. Quoi que je dise, de toutes manières, l’infirmière ne parviendrait pas à changer d’avis ; cela devait faire une bonne dizaine de minutes que je m’acharnais à lui assurer que j’allais bien. Que j’avais simplement dramatisé ma situation. Que je n’avais besoin de rien hormis rentrer chez moi pour me lover dans le canapé et oublier le monde. Oublier ma vie. Oublier ce que j’étais. Mais elle n’avait rien voulu entendre. Mon avis ne comptait pas, après tout. Je n’étais qu’une patiente. Une malade. Une fille coincée dans un putain de fauteuil roulant. Un parasite. « D’accord. » finis-je par dire. J’avais l’impression d’être contrainte d’être gentille. De ne pas avoir le choix hormis celui de lui adresser un sourire sarcastique. Oh, j’avais toujours été une personne antisociale. Cependant, j’avais l’impression que le temps ne faisait que me rendre pire. Cependant, j’avais l’impression que le temps ne m’arrangeait pas. Que le temps faisait de moi une personne amère. Une personne sans rêve. Une personne désabusée.
Je ne savais pas si cela était le temps ou simplement mon accident qui influait autant sur moi. J’avais fini par admettre qu’il s’agissait un mélange des deux.
Elle me conduisit dans une salle d’attente à part, loin des urgences. Je la laissai pousser mon fauteuil sans rien dire, rangeant mes mains sur mes genoux. Je dus me faire violence pour ne pas lui faire de remarque ou lui demander de me laisser me débrouiller ; cependant, son air déterminé à m’assister m’avait suffisamment refroidi pour que je parvienne à me taire. Alors, je me contentai de fixer le vide. Alors, je me contentai de m’efforcer d’oublier tout ce qui pouvait se dérouler autour de moi en plus de cette honte que j’avais d’être ainsi pousser par une personne qui m’était totalement inconnue. Je rangeai ma fierté, également. Tout du moins, ce qui pouvait bien en rester. « Je vous laisse ici. Une de mes collègues viendra vous chercher pour votre prise de sang. » J’hochai doucement la tête, tandis qu’elle m’installait à côté de sièges déjà présent dans la salle d’attente. Je pris une profonde inspiration. « Merci beaucoup. » lui lançai-je. Connasse, pensai-je encore plus fort. Elle m’adressa un sourire avant de s’en aller, me laissant là. Me laissant seule dans cette salle où se trouvait une seule et unique personne.
Je fermai les paupières pendant quelques instants, me remémorant tout ce qui avait bien pu se passer pour que j’atterrisse ici. Cela avait été stupide. Si stupide. J’avais simplement tenté d’attraper quelque chose sans l’aide de personne dans une petite supérette près de chez moi ; je n’y étais pas parvenue, alors j’avais simplement détaché la ceinture qui me retenait à mon fauteuil afin de me pencher d’autant plus. J’avais glissé. J’étais tombée. Mal tombée. Une douleur fulgurante avait traversé la colonne vertébrale ; une douleur si forte que j’en avais eu les larmes aux yeux. J’avais appelé à l’aide, les urgences avaient débarqué, et je m’étais retrouvé là. Mais il n’y avait rien eu de grave. Le médecin qui m’avait pris en charge m’avait simplement affirmé que mes médicaments ne devaient plus être adaptés et que la panique avait sans doute joué un grand rôle dans la douleur que j’avais ressenti.
Et il m’avait prescrit des examens complémentaires pour vérifier que l’état de ma colonne vertébrale ne s’était pas aggravé. Et cela juste après m’avoir affirmé que tout allait bien. Je tentais encore d’y trouver une quelconque logique.
Je finis par rouvrir les yeux, contrôlant ma respiration. La pièce où je me trouvais était celle destinée à faire patienter les personnes dans l’attente d’un examen dit de routine. Elle ne m’était guère inconnue. A vrai dire, je devais sans doute connaître l’hôpital dans ses moindres recoins, mais je préférais ne pas y penser. Distraitement, j’observai mon portable. Je n’avais pas encore prévenu ma sœur, non. Je ne souhaitais pas l’inquiéter plus que nécessaire. J’espérais même rentrer suffisamment tôt de l’hôpital pour qu’elle ne remarque même pas mon absence. Mais je n’étais pas assez naïve pour me dire que cela puisse être possible. Je pris une profonde inspiration, avant de me tourner vers la seule personne présente dans cette pièce : une jeune femme dont les deux jambes semblaient fonctionner à merveilles. « Excusez-moi… » lui marmonnai-je, avant d’esquisser un léger sourire. « Est-ce que vous pouvez me passer le Cosmopolitan sur la table basse, s’il vous plait ? » Je lui désignai du doigt le magazine dont je parlais, sans doute envahi par les bactéries de tous les patients qui avaient bien pu le lire avant moi. J’avais besoin de m’occuper. M’occuper l’esprit. Les hôpitaux avaient tendance à m’affoler, après tout. Les hôpitaux me rappelaient bien trop de mauvais souvenirs que j'aurais préféré oublier.
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Margot Bernstein-Woolf
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() message posté Dim 29 Juin 2014 - 1:23 par Margot Bernstein-Woolf

called up to listen to the voice of reason,
got his answering machine
eugenia lancaster & rory hepburn.
♔ ♔ ♔ ♔ ♔

Ca avait été la panique ce matin au petit déjeuner. Une panique monstre. Il n’y avait tout simplement pas d’autres mots pour définir ce en quoi s’était transformé le petit déjeuner de ce matin. Comme à son habitude, Sam, ma colocataire, avait ouvert la porte de ma chambre et ouvert mes volets, baignant ainsi la petite pièce de la lumière du soleil matinale. C’était ainsi qu’on fonctionnait. Elle était mon réveil ; on travaillait avec un de mes cinq sens qui fonctionnait encore à la perfection pour me réveiller. Vivre seule aurait été pour moi un calvaire. Je n’étais pas totalement sourde, mais j’entendais à moitié. Sam s’était vite adapté : malgré mon appareil auditif, à l’appartement, elle parlait plus fort pour que j’entende, elle articulait, la télé était plus forte. C’était tout un assortiment de choses que les gens font naturellement et auxquelles ils ne font pas attention, que moi, je vivais différemment. La raison pour laquelle Sam me réveillait, était des plus simples : nous n’étions pas sûres que je puisse l’entendre. Dans un profond sommeil ou autre, je n’avais que la moitié de mon audition pour le percevoir. On ne voulait pas prendre de risques. On savait très bien que des réveils vibrants –qui se mettaient sous les oreillers- existaient pour les sourds : mais de un, je n’étais qu’à moitié sourde et de deux, réveil vibrant me faisait penser à autre chose de vibrant qui pouvait se trouver dans un lit –pensée malsaine, moi ?-.
De toute façon, ce matin, je n’aurais pas pu entendre de réveil.
Sam été rentrée dans ma chambre, avait ouvert les volets, m’avait laissé m’extirper des bras de Morphée. J’étais sortie du lit, m’étais enroulée dans mon gilet favori, étais allée dans la salle de bain, avais mis mon appareil auditif dans mon oreille droite et étais partie dans la salle de bain. Ce n’est qu’en arrivant dans la cuisine pour prendre mon thé du matin que j’ai remarqué que quelque chose clochait. Aucun son ne sortait de la bouche de Sam. Aucun. Nada. Pas comme d’habitude. En fait, si, je percevais quelque chose. Un bruit étouffé, recouvert, comme si j’étais dans une bulle. Je ne voyais que les lèvres de Sam bouger, je percevais quelques sons.
Mais j’étais paniquée. Je ne pouvais pas être encore plus sourde. Je ne voulais pas. J’avais beau avoir grandit en acceptant le fait que de toute façon, je n’avais jamais su ce qu’était qu’entendre parfaitement, mais de la à perdre totalement l’audition… Non. Je ne voulais pas.
Alors Sam, telle une grande sœur, m’avait pris par la main, m’avait fais me préparer et m’avait déposé à l’hôpital plutôt que de me déposer à la faculté, comme on faisait toujours. A mon grand regret, elle n’avait pas pu rester avec moi : oui, elle devait travailler.
Alors j’étais rentrée, toute penaude, redoutant fortement le moment où je devrai expliquer à la responsable de l’accueil ma situation, et comprendre ce qu’elle me dirait. Finalement, celle-ci avait fini par m’inscrire tout sur un bout de papier tout en me guidant. Qu’est-ce que ça pouvait être rassurant et frustrant à la fois. Se faire materner. Ca faisait longtemps que ça ne s’était plus passé ainsi pour moi. Ca devait remonter à l’adolescence ; jusqu’à ce que je me décide à cacher le dispositif qui m’aidait à mieux entendre. Je m’étais installée dans la salle d’attente. Je devrais attendre jusqu’à ce qu’un spécialiste arrive, apparemment. Plus le temps passait, plus j’avais l’impression d’entendre peu à peu –vraiment vraiment petit à petit- les sons autour de moi.

Et là, je sens qu’on me parle. Je sens des gestes, un regard sur moi. Je me retourne, une brunette en fauteuil roulant, un bras tendu vers la pile de magasine posés sur la table devant moi. Je la fixe, silencieuse pendant cinq secondes. Et je lis sur ses lèvres. « Cos-mo-po-li-tain »
Aucun son ne sort de ma bouche. Je ne supporte pas de ne pas m’entendre. C’est d’ailleurs ça qui m’a empêcher de parler à l’âge habituel où le font les bambins. Je dois entendre ma voix. Ce n’est pas possible autrement.
Alors je me penche et prends le magasine en question. Il me dit quelque chose celui là. J’ai le même à la maison pour une raison bien simple : je suis sur une des pages publicitaires, vêtue de ce que la marque de lingerie avait bien voulu me donner à mettre sur le dos. Je souris à la brunette et prend un stylo dans mon sac, arrache une des dernières pages du magasine et y inscris :
« Je ne m’entends pas, donc du coup, je vous le dis quand même, histoire que vous ne soyez pas surprise : je suis dans ce magasine. Et puis j’espère que vous n’êtes pas là pour quelque chose de grave. »
Je lui souris et lui tend le magasine et le petit message.
De un, j’ai l’air ridicule. De deux, je fais mégalomane-aimez-moi-s’il-vous-plait-je-suis-dans-un-magasine. De trois, elle est en chaise roulante, il y a forcément quelque chose de grave, idiote.
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() message posté Lun 30 Juin 2014 - 0:03 par Invité
got a feeling in my stomach that just won't quit. it's subtle as a shotgun. heavy as a brick. because i'm staring at the devil and the truth of it is, he's a lot more familiar than i'd care to admit. ✻✻✻  Je n’étais pas suffisamment naïve pour croire ce que l’infirmière avait bien pu me dire. On va bientôt s’occuper de vous résonnait dans mes oreilles comme l’un des pires mensonges de cette planète. C’était faux. Si faux. J’étais suffisamment habituée aux hôpitaux pour savoir que seuls les cas d’extrêmes urgences bénéficiaient d’une attention immédiate ; j’en avais fait l’expérience il y avait un an et demi de cela, désormais, et je n’étais pas prête de recommencer. Les autres personnes étaient contraintes d’attendre. Les autres personnes étaient contraintes de patienter. Après tout, les hôpitaux étaient bien connus pour leur surcharge de travail et leur trop grands nombre de patients. J’avais beaucoup de mal à prendre mon mal en patience, cependant ; me contenir me demandait bien des efforts, surtout lorsque je n’avais jamais demandé à me retrouver là. J’aurais aimé rentrer chez moi et ne plus sortir. J’aurais aimé rentrer chez moi et oublier l’épisode du supermarché. J’aurais aimé rentrer chez moi et demeurer aussi loin que possible de cet hôpital. Je sentais mon pouls irrégulier brouiller ma vue, tandis que mes doigts tapotaient sans cesse l’accoudoir de mon fauteuil. Au fond, j’avais toujours été une grande anxieuse ; mon accident n’avait fait qu’accroitre ce côté de ma personnalité. J’étais devenue intenable. Et, bien souvent, je ne parvenais même plus à me supporter moi-même.
Une autre personne était présente à quelques mètres de moi ; je ne pus m’empêcher de me poser des questions sur les raisons qui la contraignaient d’être là, dans cette salle d’attente. Elle semblait en forme. Elle était belle, également, comme si tous les traits de son visage avaient été dessinés par les anges eux-mêmes. Je l’observai quelques instants, comme si l’expression de son regard allait me fournir des réponses. Je savais que cela ne servirait absolument à rien. Si elle avait une maladie ou un quelconque handicap, cela ne se voyait pas ; je serais bien incapable de le deviner en l’observant simplement. C’était l’inverse dans mon cas. Cela se voyait. Il ne fallait guère plus de quelques secondes aux personnes qui me croisaient pour deviner que j’étais handicapée moteur. Je trouvais le monde injuste. Mais peu importe. Alors, presque déçue de n’avoir obtenu aucune réponse à mes questions muettes, je lui demandais simplement de me passer un magazine afin que je puisse m’occuper autrement. Elle me fixa en silence sans bouger, et je fronçai les sourcils en me demandant si j’avais bien pu dire quelque chose de travers ; puis, finalement, elle saisit le Cosmopolitain avant de le regarder quelques secondes. Je ne compris pas, non plus, lorsqu’elle arracha une page au magazine avant d’écrire dessus. Au bout d’une vingtaine de secondes, elle finit par me tout me tendre, et j’attrapai le Cosmopolitain accompagné de sa note. Je baissai les yeux pour la lire avec attention.
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    Je ne m’entends pas, donc du coup, je vous le dis quand même, histoire que vous ne soyez pas surprise : je suis dans ce magazine. Et puis j’espère que vous n’êtes pas là pour quelque chose de grave.
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J’esquissai un petit sourire, posant mon regard de nouveau sur elle, avant de feuilleter les pages du magazine pour tomber sur elle. Je parcourus rapidement chaque page avant de finalement tomber sur une pub de lingerie ; une nouvelle fois, je relevai la tête vers elle, comme pour comparer son visage imprimé à celui qui me faisait face. Je ne savais pas ce qui m’intéressait le plus, chez elle ; le fait qu’elle contribue à cette société préfabriquée clamant l’existence d’une idée de beauté parfaite ou la surdité dont elle semblait souffrir.
Alors, simplement, je cherchai un stylo dans mon sac pour lui écrire un mot en retour.
N’était-ce pas mon entraineur qui m’avait demandé de m’ouvrir aux autres ? D’aller à leur rencontre et d’essayer de vivre comme tout le monde ? D’être souriante et avenante ? Si. En l’espace de quelques séances, il avait trouvé le moyen de me le répéter une bonne centaine de fois et, sans doute pour la première fois, j’allais faire un effort pour tenter d’appliquer ses conseils.
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    Surdité totale ? – Désolée, je suis une grande curieuse.
    Les sous-vêtements n’ont pas l’air particulièrement confortable. J’espère que tu as pu les voler après les avoir porté devant un photographe qui a sans doute pris énormément de plaisir à t’observer vêtue que de ça.
    Normalement, je ne suis pas là pour quelque chose de grave. Mais on ne sait jamais avec les hôpitaux, on peut arriver en allant très bien, et ressortir de là dans un cercueil. (Au fait, moi c’est Eugenia.)
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Je lui tendis la feuille, où j’avais écrit ma réponse, avec un petit sourire. C’était la première fois au cours de ma vie que je m’étais sans doute présentée avant que l’autre ne le fasse. J’avais l’impression de faire un nombre incalculable d’efforts ; cependant, quelque part, je tenais à voir ce que cela pourrait bien changer à ma vie. Je tenais à voir si mon entraineur avait raison de croire en moi ou si le monde et moi n’étions tout simplement pas compatible.
J’avais toujours été une personne étrange, après tout. Différente. En dehors des schémas ordinaires. J’avais souvent tendance à dire des choses qu’il ne fallait pas. Mais je n’avais jamais réussi à corriger cet aspect de ma personnalité – sans doute parce que je n’avais jamais cherché à le faire, après tout.
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() message posté Mer 2 Juil 2014 - 11:42 par Margot Bernstein-Woolf
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C’était tout simplement horrible. Attendre comme ça, être dans le doute est une horreur. On est livrée à soi-même, dans un endroit où l’on vous promet assistance et puis finalement : vous devez attendre votre tour. Je me suis toujours demander, si un type arrivait avec un couteau dans le ventre, est-ce qu’il devrait lui aussi faire la queue ? Techniquement oui, mais bon, j’espérais que les urgences justement avaient la notion d’urgence. Apparemment, je n’étais pas un cas d’urgence extrême. En même temps, je suis déjà à moitié sourde en temps normal, je ne suis pas une vie en danger. Une oreille qui entend en plus ou une en moins ne changeront pas mon cas désespéré.
Mais oui, c’est inquiétant. C’est inquiétant en sachant qu’on a déjà vécu toute une vie en entendant la vie que d’une oreille de croire qu’on pourra perdre l’autre. Mais bon, ça sera sûrement comme les aveugles, mes autres sens s’aiguiseront. Enfin, à ce qui parait, ça se passe de cette façon. Je n’ai jamais rentré d’autres sourds. Ou encore d’aveugle ou de muets –de toute façon ces derniers n’auraient pas pu m’expliquer (mauvaise blague). J’ai du mal à m’imaginer totalement sourde. Mais que l’on se pose tout d’abord les bonnes questions : pour c’est apparu ce matin, d’un seul coup ? Pourquoi mon ouïe m’a lâché ce matin même. Sans prévenir. En même temps, elle n’allait pas m’envoyer un courrier en recommandé du genre hey Rory, je vais disparaitre demain quand tu te lèveras, salut : idiot. Mais c’est idiot, au fond, de s’inquiéter pour soi même. Après tout, une sourde ne perdra pas la vie oui. Il n’y a pas de notion d’urgence quand à une sourde –demi-sourde, techniquement. Qu’on attendre deux heures, douze ou même deux jours, elle le sera toujours. Et puis j’arrive à relativiser, d’une certaines façon ; certains ont une jambe en moins, un cœur défaillant. Je suis plutôt bien lotie du côté des infirmes après tout. Même si c’est handicap, il faut bien se l’avouer. Bien que j’essaye de caractériser ma surdité par une particularité plutôt qu’un handicap, s’en est un. Je ne pourrais jamais avoir le confort de vie d’une personne lambda en bonne santé.
Et si une autre personne n’avait pas été avec moi dans la salle d’attente, j’aurai totalement paniquée, j’aurai pleurée, j’aurai hurlée jusqu’à ce que je m’entende. Je commençais à percevoir quelques sons, mais j’étais persuadée que c’était uniquement mon oreille droite qui me permettait de les entendre : soit celle qui avait un appareil. L’oreille gauche était aux abonnés absents, elle avait pris un congé à durée indéterminé.
Alors oui, j’étais bien lotie, comparée à la personne qui était à mes côtés, elle aussi en train de patienter. Elle était en chaise roulante, ses jambes devaient être touchées. Mais bon, on était sûr de rien avec les hôpitaux : on m’avait déjà mise dans une chaise roulante pour un bras cassé. Réaliser qu’elle était en fauteuil roulant, alors qu’elle était sûrement aussi jeune que moi, qu’elle avait toute la vie devant elle, qu’elle était belle, pleine d’énergie, me fit me rendre compte que je n’avais pas à me plaindre. Je pouvais marcher, courir, danser. J’entendais juste moins. Et ça ne m’empêcherait pas de faire les choses les plus simples de la vie –enfin sauf entendre et parler, parce qu’il faut le dire, c’est tout de même sacrément important.
Elle sourit quand elle lut mon petit mot et se mit à feuilleter dans le magasine. J’aurai mieux fais de la fermer. Elle serait tombée dessus et elle m’aurait lancé des petits regards, rien de plus. Pas que je sois une asociale, loin de là, mais bon, ce n’était pas réellement une fierté d’avoir posée presque nue pour que des ados se rincent l’œil. Enfin quoi que, je disais que c’était moi : une part de mon inconscient devait être vachement fier.
Elle se mit à écrire un mot en retour. Et Dieu que ça pouvait faire plaisir finalement. La brunette était sûrement la meilleure personne au monde, si elle était handicapée –bien que les chances qu’elle ne le soit pas soit infimes- pour me comprendre et pour essayer de s’adapter à moi.

Surdité totale ? – Désolée, je suis une grande curieuse.
Les sous-vêtements n’ont pas l’air particulièrement confortable. J’espère que tu as pu les voler après les avoir porté devant un photographe qui a sans doute pris énormément de plaisir à t’observer vêtue que de ça.
Normalement, je ne suis pas là pour quelque chose de grave. Mais on ne sait jamais avec les hôpitaux, on peut arriver en allant très bien, et ressortir de là dans un cercueil. (Au fait, moi c’est Eugenia.)


Je souris. Elle parait naturelle, même sur un bout de papier. Et elle sourit, elle ne me prend pas en pitié. Et c’est un soulagement, pour une fois. Parce qu’elle doit savoir ce que c’est. Ou alors elle essaye juste d’être gentille. Elle lit la panique sur mon visage, mon inquiétude. Elle semble un peu plus sereine elle.
Eugenia, elle s’appelle Eugenia. Ca lui va drôlement bien.
Je cherche un morceau de papier dans mon sac, pour lui répondre. Pourquoi arrêter une conversation qui commence si bien ? Un mouchoir en papier qui traine fera l’affaire.

Je suis sourde de l’oreille droite, depuis la naissance. J’ai un appareil auditif à cette oreille. Sauf que depuis ce matin, je n’entends plus rien. Mon joker –l’oreille gauche- m’a lâchée apparemment.
Et non, je n’ai même pas pu garder les sous-vêtements. De toute façon je ne les trouvais pas très jolie. Et tant mieux s’il s’est rincé l’œil, il ne semblait pas être un grand tombeur : si ça a pu lui faire plaisir !
C’est impoli de demander pourquoi tu es ici ? –un peu curieuse aussi je l’avoue.
Et moi c’est Rory, enchantée.


Et je lui tends fièrement mon mouchoir. Grand sourire sur les lèvres, oubliant presque pourquoi je suis là.
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() message posté Lun 7 Juil 2014 - 15:03 par Invité
got a feeling in my stomach that just won't quit. it's subtle as a shotgun. heavy as a brick. because i'm staring at the devil and the truth of it is, he's a lot more familiar than i'd care to admit. ✻✻✻  Je pouvais paraître froide et distante, incapable de ressentir un semblant d’empathie ou de soutient. Cependant, je ne parvins pas à m’affliger sur le sort de l’autre patiente à mes côtés. Je ne parvins pas à me dire qu’elle était malchanceuse. Que je n’aimerais pas être à sa place. Qu’être sourde devait être difficile et qu’elle n’avait sans doute pas mérité cela. Certes, tout cela était vrai, au fond. Cela ne devait pas être facile tous les jours. Elle n’avait pas demandé à ne pas pouvoir entendre. Personne ne méritait un tel handicap. Pourtant, mon histoire personnelle m’avait enseigné que la plupart des personnes dont une fonction de leur corps leur faisait défaut ne souhaitaient pas de pitié. Ils ne souhaitaient pas de regards larmoyants. De paroles compatissantes. La plupart de ces personnes étaient des gens forts et fiers, convaincus qu’ils pouvaient s’en sortir, convaincue qu’ils pouvaient aller de l’avant sans l’aide des autres. Alors, non, je n’allais pas la prendre en pitié pour une chose qu’elle n’avait pas demandée. Je n’allais pas la prendre en pitié parce que son seul moyen de communiquer avec moi était d’écrire sur un bout de papier. Je pouvais paraître froide et distante, incapable de ressentir un semblant d’empathie ou de soutient, mais je faisais ça pour elle, quelque part. J’aurais aimé que les personnes autour de moi réagissent de cette façon. Mais ils ne l’avaient pas fait. Après tout, ils ne savaient pas ce que cela faisait.
Ils ne connaissaient pas les ravages que la pitié pouvait faire.
J’avais senti son regard insistant sur mon fauteuil, mais je ne lui en teins pas compte. J’avais connu pire, après tout ; j’avais souvent vu des personnes détourner le regard en me voyant, j’avais souvent croisé des personnes marmonnant sur mon passage. Je ne pouvais pas lui en vouloir pour se questionner à mon sujet ; je venais de la questionner moi-même, après tout. J’observai la jeune femme sortir un mouchoir pour me répondre, et je me mis à rire doucement. Elle rédigea sa réponse tandis que je jouai avec les pages du Cosmopolitain. Je ne m’étais pas attendu à ce que les choses prennent ce tournant mais, quelque part, cela me convenait. Je n’avais jamais été une personne particulièrement douée pour parler avec les autres ; communiquer par écrit semblait être une alternative qui me convenait. Elle finit par me tendre le mouchoir, et je l’attrapai avant de poser mes yeux sur les lettres qu’elle avait tracées.
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    Je suis sourde de l’oreille droite, depuis la naissance. J’ai un appareil auditif à cette oreille. Sauf que depuis ce matin, je n’entends plus rien. Mon joker –l’oreille gauche- m’a lâchée apparemment.
    Et non, je n’ai même pas pu garder les sous-vêtements. De toute façon je ne les trouvais pas très jolie. Et tant mieux s’il s’est rincé l’œil, il ne semblait pas être un grand tombeur : si ça a pu lui faire plaisir !
    C’est impoli de demander pourquoi tu es ici ? –un peu curieuse aussi je l’avoue.
    Et moi c’est Rory, enchantée.

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J’esquissai un sourire, avant de finalement chercher dans mon sac le petit carnet dans lequel ma liste de courses avait été soigneusement notée. Je pris une nouvelle page, avant de m’armer de mon stylo. Elle était donc sourde. Sourde d’une oreille. Sourde d’une oreille avec l’autre qui semblait vouloir lui faire défaut à son tour. La biologie n’avait jamais été mon domaine. Cependant, il ne fallait pas être spécialement intelligent pour comprendre qu’une perte d’audition soudaine n’était pas forcément bon signe.
Mais après tout, qui étais-je pour penser à ce genre de choses ? Pour croire ce genre de choses ? Cela était le domaine des médecins. Pas le mien. Alors, arrêtant simplement de me poser trop de questions, je commençai à rédiger une réponse, loin de toutes mes suppositions toutes aussi dramatiques les unes que les autres.
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    Enchantée, Rory !
    C’est peut-être que temporaire. Le corps humain semble être champion quand il s’agit de nous donner des frayeurs. En tout cas je l’espère pour toi – ça se trouve tu as simplement une otite ou quelque chose dans ce genre-là.
    Je confirme ! Dans le pire des cas, tu aurais pu les revendre sur internet.
    J’ai fait une mauvaise chute en tentant d’attraper quelque chose – me détacher de mon fauteuil n’a pas été la meilleure idée de toute ma vie. J’ai eu mal au dos et c’était insoutenable. Une personne a appelé les urgences. Maintenant je suis coincée ici en attendant de faire toute une batterie d’examen pour vérifier que tout est bien en place.

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Je me relue une fois avant de finalement lui faire passer mon carnet, un petit sourire aux lèvres. Elle m’avait parlé de son problème. Je lui parlais du mien. J’avais l’impression que les choses étaient bien plus faciles à travers des mots écrits, que je pouvais plus facilement être moi-même sans pour autant être constamment sur la défensive. J’avais tenté d’être réconfortante, également ; je ne savais pas si cela était une bonne idée, mais je pensais sincèrement que tous les cas de figure étaient possibles dans son cas. Que tout pouvait arriver. Après tout, le corps humain était encore une chose que personne ne parvenait réellement à comprendre.
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Margot Bernstein-Woolf
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() message posté Mer 3 Sep 2014 - 15:58 par Margot Bernstein-Woolf
♔ ♔ ♔ ♔ ♔

Il y avait toujours pire que moi. C'était ainsi que ma grand-mère m'avait toujours rassuré. Enfin tenté de me rassurer. Pendant toute mon enfance j'avais été la petite Rory, chouchouter par les trois quarts des membres de sa famille et qui ne savait pas comment s'adapter à cet aléa de la vie. Au fond, je n'avais jamais été une petite fille normale. Je n'avais pas eu d'enfance normale. Même si, comme tous les enfants, j'avais eu des amies, des amoureux, des jeux tous plus stupides les uns que les autres. J'avais fais ça. Mais d'un autre côté, j'avais été longtemps à part des autres enfants parce que j'avais eu des difficultés à parler à cause de ma semi-surdité. Je mettais plus de temps à comprendre les choses, je n'entendais pas tout, j'avais du mal avec les accents. Ca m'avait fortement handicapée oui. Et plus j'avais grandi, plus j'avais remarqué les différences entre les enfants lambdas, sans problème de santé, et moi. J'avais remarqué que c'était bien à moi que l'on s'adaptait, que les autres étaient de toutes façon obligés de s'adapter à mon handicap, et j'avais du mal à le supporter. Mon petit frère et ma petite soeur avaient du comprendre très jeune que c'était normal que j'ai un peu plus d'attention qu'eux. Mais c'était stupide. J'avais détesté ça. Si jeunes, et devoir s'occuper de leur grande soeur. Tout à fait inconcevable à mon gout. Je n'aimais pas être le centre de l'attention. J'aurais voulu être normale, comme tout le monde. Deux bras, deux jambes, mes cinq sens qui fonctionnent à la perfection. Mais non. Ce n'était pas le cas. Et j'avais eu vingt et un ans pour m'y faire. Vingt-et-un ans pour construire des habitudes de vie, pour faire s'adapter des personnes à mon handicap, bien qu'il ne soit pas moteur.
Et je ne voulais pas aggraver tout ça. Recommencer tout. Trouver de nouvelles façons de vivre. Non, je ne voulais pas. Je ne pouvais pas. Ou du moins je ne m'en sentais pas capable pour l'instant. C'était assez compliqué de supporter tout ça.
Et Eugenia, comment avait-elle fait pour s'adapter à son handicap, comment son entourage avait-il modifier sa façon de vivre dans le but qu'elle puisse faire semblant que rien n'a changé ? C'était le genre de questions qui trottait dans ma tête, mais que je ne poserais jamais.
Après tout, elle avait du, comme moi, s'y faire. On était presque dans le même bateau. Et actuellement, elle ne faisait que s'adapter à moi et à mon unique façon de communiquer avec elle.

On échangeait des sourires, des petits mots. Au fond, parler avec elle me faisait penser à autre chose, m'apaisait. J'étais plus concentrée à attendre sa réponse et à écrire les miennes de façon plus que brouillonne sur un mouchoir en papier qu'autre chose. C'était agréable de partager de telle chose avec une inconnue, qui, pour une fois, ne me prenait pas pour la dernière débile du monde qui avait besoin qu'on la materne une fois qu'ils étaient au courant pour ma surdité. C'était plus qu'agréable.
Elle me tendit son carnet. Dieu que c'était bon d'avoir pu exprimer un peu sa peur. Parce que oui, je flippais totalement. Je ne voulais pas être sourde. Vraiment pas.

Enchantée, Rory !
C’est peut-être que temporaire. Le corps humain semble être champion quand il s’agit de nous donner des frayeurs. En tout cas je l’espère pour toi – ça se trouve tu as simplement une otite ou quelque chose dans ce genre-là.
Je confirme ! Dans le pire des cas, tu aurais pu les revendre sur internet.
J’ai fait une mauvaise chute en tentant d’attraper quelque chose – me détacher de mon fauteuil n’a pas été la meilleure idée de toute ma vie. J’ai eu mal au dos et c’était insoutenable. Une personne a appelé les urgences. Maintenant je suis coincée ici en attendant de faire toute une batterie d’examen pour vérifier que tout est bien en place.


Je lui souris. Elle avait envisagé quelque chose que je n'avais pas même pas penser possible. Elle me soutenait, me réconfortait. Elle était là pour moi, alors qu'une quinzaine de minutes auparavant nous n'étions que deux inconnues, infirmes, dans une salle d'attentes des urgences. Rien de plus rien de moins. Pourtant, elle me soutenait. Sans que je ne lui ai rien demander.
Je me permets de prendre son carnet et d'écrire à la suite de son mot. Au pire, ça lui fera un souvenir de cette journée. J'écris vraiment mal. Je tremble, ça doit bien être pour ça.

J'espère sincèrement avoir juste une otite, ça serait juste par-fait (même si ça fait mal, non ?) Pas réellement envie d'apprendre le langage des signes...
Si la douleur est passée, je ne pense pas que tu ais quelque chose de grave. La prochaine fois tu prendras une de ces pinces que les grands-mères ont dans leur salon pour attraper la télécommande de la télé. C'est pratique, j'en ai une (parce que je suis feignante.)


Je lui souris en lui tendant le carnet et garde mon stylo en main. Impatiente d'avoir la réponse. Parce que ça me plait d'échanger comme ça. Vraiment.
Et une infirmière arrive dans la salle d'attente. Je n'arrive pas à lire sur ses lèvres. Mais Eugenia remballe ses affaires et me sourit. C'est pour elle que l'infirmière est venue. Elle va faire ses tests ou en avoir les résultats. Je ne sais pas trop.
Je ne sais pas ce qu'il me prend, si c'est un élan de gentillesse, la peur de perdre mon soutien ou celle de me retrouver livrer à moi-même dans cette salle d'attente morbide, mais j'écris quelques mots sur ma main en vitesse, avant de lui montrer alors qu'elle s'apprêtait à partir avec l'infirmière.

Tu veux que je vienne avec toi ?


Parce que de toute façon, à ce train là, j'ai encore pas mal de temps à attendre, alors...
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() message posté Dim 12 Oct 2014 - 20:21 par Invité
got a feeling in my stomach that just won't quit. it's subtle as a shotgun. heavy as a brick. because i'm staring at the devil and the truth of it is, he's a lot more familiar than i'd care to admit. ✻✻✻  Les mois qui avaient suivi mon accident avaient été durs pour moi, mais également pour ma famille. J’avais tendance à l’oublier. J’avais tendance à ne pas y penser. J’avais cru que s’adapter à ma condition avait été mon combat, mais cela n’avait pas été tout à fait le cas. J’avais eu l’impression de le mener seule, mais mes parents, ma sœur, avaient été à mes côtés. Chaque moment de mon quotidien avait dû être repensé. Chaque instant avait dû être recalculé. Chez ma mère, à Cardiff, ma chambre avait été déménagée au rez-de-chaussée, dans l’ancien bureau, de sorte à ce que je puisse y accéder à ma guise ; des barres avaient été montées dans les toilettes et dans les salles de bain, et mon père avait fait de même chez lui, dans sa villa perdue dans les landes du Pays de Galles. Le reste avait suivi. Ils avaient cessé de me confier des tâches ménagères ou des corvées comme ils avaient bien pu le faire auparavant, faisant de moi une enfant intouchable et protégée ; ils m’avaient éloigné en pensant m’aider, avaient fait en sorte que je sois sans doute trop gâtée comme pour compenser avec ce que j’avais perdu lors de l’accident. J’avais vu la pitié dans leur regard. J’avais ressenti leur tristesse, même lorsqu’ils avaient cherché à ne pas me la montrer. Nous avions été contraintes, avec ma sœur, d’acheter un appartement spécialement conçus pour les personnes en fauteuil roulant ; il avait couté bien plus cher que prévu et chaque meuble, chaque encadrement de porte, chaque espace, avait été calculé pour les personnes comme moi. J’avais pu jouir d’une autonomie nouvelle, mais cela n’avait été que s’adapter à ma nouvelle réalité.
Les gens ne se rendaient pas compte. Les gens ne comprenaient pas à quel point cela pouvait changer une vie, avant d’y être eux-mêmes confrontés. J’observai Rory écrire une réponse sur une autre page de mon carnet, songeant aux concessions que ses parents avaient dû faire, songeant aux adaptations qui s’étaient imposées à eux. Je secouai la tête avant d’attraper ce qu’elle me tendait, un sourire aux lèvres. Je baissai les yeux pour lire son écriture tremblante et légèrement précipitée.

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    J'espère sincèrement avoir juste une otite, ça serait juste par-fait (même si ça fait mal, non ?) Pas réellement envie d'apprendre le langage des signes...
    Si la douleur est passée, je ne pense pas que tu ais quelque chose de grave. La prochaine fois tu prendras une de ces pinces que les grands-mères ont dans leur salon pour attraper la télécommande de la télé. C'est pratique, j'en ai une (parce que je suis feignante.)

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Je me mis à rire en visualisant l’objet dont elle parlait, et je tournai la tête vers elle avant de lever les yeux au ciel. J’aimais sa façon d’être à travers ses mots, et j’attrapai le stylo pour rédiger une réponse. Je fus coupée dans mon élan par l’arrivée d’une infirmière, et je levai les yeux vers elle. Elle m’adressa un sourire hypocrite, avant de se diriger vers moi. « Mademoiselle Lancaster ? C’est l’heure de votre prise de sang. » me dit-elle et j’hochai la tête avant de rassembler mes affaires, adressant un regard à Rory en souriant. Elle avait sans doute compris par elle-même que c’était en cet instant que nos chemins se sépareraient. Je lui adressai un signe de tête avant de finalement poser mes mains sur mes roues et suivre l’infirmière à contre cœur ; je m’arrêtai dans mon élan lorsque Rory arriva à ma hauteur en me montrant sa main avec empressement.

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    Tu veux que je vienne avec toi ?

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Je levai la tête vers elle, le cœur battant, avant de finalement hocher la tête avec un immense sourire. Je ne m’étais pas attendue à ce qu’elle se propose de cette façon. Je ne m’étais pas attendue à ce qu’elle vienne vers moi, à ce qu’elle me m’accorde sa présence. Je n’étais qu’une personne de passage dans sa vie. Je n’étais qu’une inconnue.
Pourtant, nous n’avions échangé que quelques mots et j’avais déjà la sensation de la connaître.
Je suivis l’infirmière dans les couloirs des urgences, Rory à mes côtés, et je finis par pénétrer dans une salle où du matériel médical était entreposé. L’infirmière, malgré la présence du lit d’examen, demanda à ce que je reste dans mon fauteuil ; elle enroula un garrot autour de mon bras droit et désinfecta le creux de mon coude avant de procéder à la prise de sang. La main gauche libre, je repris mon carnet de notes, armée de mon stylo ; rapidement, je griffonnai une réponse à Rory.

-----
    C’est gentil d’être venue. J’espère que tu n’as pas peur du sang – je pense que tu peux t’asseoir sur le lit de consultation au lit de rester debout. Peut-être que je pourrais demander à l’infirmière de s’occuper de toi tout de suite après, ça te fera gagner du temps.
    Bienvenue dans mon monde. Ils me vident de mon sang pour voir si je ne produits pas trop d’anticorps ou je ne sais pas trop quoi. Ah, ah, ah. Ça ne sert à rien. Je suis handicapée, pas à l’article de la mort. Je suis sûre que ce n’est qu’un prétexte pour remplir des tubes de mon sang et le revendre au marché noir par derrière.
    Pour revenir à la pince de grand-mère, je n’y avais jamais pensé. J’enverrais mon demi-frère la voler chez toi quand tu seras plongée dans un lourd sommeil. (Il est beau gosse, mon demi-frère, ça ne sera pas si horrible que ça, je te le promets. Tu pourras même exiger un strip-tease en guise de dédommagement.)

-----
Je lui tendis le calepin avec un sourire, indifférente à ce que l’infirmière était en train de trafiquer avec mon bras. J’étais à l’aise avec toutes ces choses-là. J’avais eu le temps de m’y faire, après tout, au lit des semaines et des mois à passer sans cesse des examens. J’étais moins sensible à la douleur, également, endurant plus facilement les choses sans lâcher ne serait-ce qu’un cri de douleur. Après tout, cela faisait partie de mon quotidien. Après tout, j’avais eu le temps de m’y faire et de vivre avec. Je n’avais pas le choix. Je n’avais plus le choix.
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Margot Bernstein-Woolf
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() message posté Ven 31 Oct 2014 - 15:07 par Margot Bernstein-Woolf
♔ ♔ ♔ ♔ ♔

Eugenia sourit à ma proposition. Toute notre conversation, une fois destituée de papier et de stylo, devait passer par le regard. On avait pas d'autre choix en même. J'étais l'handicapée qui forçait Eugenia a avoir une conversation de la sorte. J'avais l'impression d'être un boulet, rien de plus, rien de moins. Et dire qu'en me levant ce matin, j'avais cru que ma journée serait normale. J'avais cru que je continuerais d'être une Rory plus que normale -à la différence prêt de l'oreille droite défaillante- pour une journée de plus, que j'irais à la fac, que je ferais le genre de chose que je fais d'habitude, sans me préoccuper de mon oreille. Parce qu'après tout, j'avais appris à vivre avec. Même si je m'en plaignais, des fois je parvenais à oublier que j'étais sourde d'une oreille et donc qu'une moitié seulement de mon dispositif auditif était en état. J'étais née comme ça. J'étais née à moitié sourde. Je n'avais jamais rien connu d'autre. Et je ne connaitrais jamais rien d'autre. Oui, je portais un appareil auditif, mais ça ne remplacerait jamais une oreille qui fonctionne normalement. Ce n'était qu'une aide, pas un remède miracle : on me l'avait expliqué en long en large et en travers à partir du moment où j'avais pu être en âge de comprendre mon problème. On l'avait expliqué en long en large et en travers à ma mère aussi, mais rien n'y faisait, elle continuait de croire qu'un jour les scientifiques créeraient un super appareil bionique capable de me redonner une audition parfaite. Après tout, ma mère se sentait coupable. Alors qu'elle n'avait rien a voir avec mon handicap : c'était juste un problème d'origine génétique et elle n'avait eu aucun contrôle là dessus pendant sa grossesse. Qui d'ailleurs avait un contrôle sur ce qui se passait dans son utérus ? Personne. Mais par dessus ça, elle s'en voulait de ne pas avoir remarqué plus tôt que j'avais ce problème. Elle s'en voudrait toute sa vie.
Eugenia hocha la tête, acceptant donc ma proposition. Merde, ça faisait du bien de se sentir un peu utile. Et ça permettait d'oublier un peu pourquoi j'étais là. Le temps de quelques secondes toutes les quelques minutes. Et puis il faut avouer qu'en plus de m'occuper et de me rendre utile, cette proposition permettait d'être avec quelqu'un qui me rassurait pas sa présence. Ouais, j'avais rencontré Eugenia quelques minutes plus tôt et pourtant elle me rassurait. Un peu comme le dicton qui disait qu'on avait toujours plus de facilité à se confier à un inconnu, sauf que là, c'était adapté à ma situation, d'une certaine façon. Alors je suivais Eugenia le long des couloirs avant qu'on ne pénètre dans une salle d'examen. Le genre de choses dont j'avais l'habitude quand j'étais plus jeune quand ma mère était encore à la recherche du remède miracle.
Alors je regarde Eugenia, toujours dans sa chaise, se faire poser un garot, l'infirmière sortir ses aiguilles. Eugenia, ne faisait pas attention à ce que l'infirmière faisait, n'y accordant aucune importance, prit son carnet et gribouilla quelque chose avant de me le tendre.

C’est gentil d’être venue. J’espère que tu n’as pas peur du sang – je pense que tu peux t’asseoir sur le lit de consultation au lit de rester debout. Peut-être que je pourrais demander à l’infirmière de s’occuper de toi tout de suite après, ça te fera gagner du temps.
Bienvenue dans mon monde. Ils me vident de mon sang pour voir si je ne produits pas trop d’anticorps ou je ne sais pas trop quoi. Ah, ah, ah. Ça ne sert à rien. Je suis handicapée, pas à l’article de la mort. Je suis sûre que ce n’est qu’un prétexte pour remplir des tubes de mon sang et le revendre au marché noir par derrière.
Pour revenir à la pince de grand-mère, je n’y avais jamais pensé. J’enverrais mon demi-frère la voler chez toi quand tu seras plongée dans un lourd sommeil. (Il est beau gosse, mon demi-frère, ça ne sera pas si horrible que ça, je te le promets. Tu pourras même exiger un strip-tease en guise de dédommagement.)


Je lui souris, et comme avant, je me permets de répondre à son message à la suite du sien, sur son carnet. D'ailleurs, pourquoi elle a un carnet sur elle ? Pour les courses ? Ou elle suit une thérapie qui la force a écrire tout ce qu'elle ressent dans un carnet ? Oui, je parle avec une parfaite inconnue, c'est maintenant que je m'en rend compte. Mais ça ne me dérange pas. J'aime ça.

Je suis une dure à cuire -d'ailleurs c'est "dure à cuir" le cuir des vaches ou "dure à cuire" genre cuire le verbe?- j'ai peur de rien! Et je suis restée assise assez longtemps dans la salle d'attente pour rester debout ne t'inquiètes pas. Mais si tu demandes à l'infirmière de prendre soin de moi, tu veux bien rester avec moi ? Je n'ai pas envie d'être toute seule. Même si je ne veux pas abuser de ta gentillesse..
Je dois t'avouer que je suis toujours en train de chercher le rapport entre ton sang et ton fauteuil roulant. Mais pour ma défense j'étais une buse au lycée.
Je ne sais pas quand est ton anniversaire, mais je t'en ferais livrer une. Pas que ça me dérange d'avoir un striptease de ton demi-frère sexy mais bon j'veux garder ma pince. D'ailleurs, il est sexy a quel point ?


J'ai envie de connaitre Eugenia. J'ai envie qu'elle soit mon ami oui. J'ai envie qu'en sortant de cet hopital je sois capable de lui dire viens on va boire un coup parce que d'une certaine façon, elle peut me comprendre, elle.

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() message posté Sam 8 Nov 2014 - 18:41 par Invité
got a feeling in my stomach that just won't quit. it's subtle as a shotgun. heavy as a brick. because i'm staring at the devil and the truth of it is, he's a lot more familiar than i'd care to admit. ✻✻✻  Une habituée des hôpitaux. Une habituée des examens. Je trouvai mon existence emprunte d’une certaine tristesse, après tout ; je me disais que, dans l’ordre des choses, les personnes de mon âge n’étaient pas censées connaître autant de choses, d’endurer autant d’épreuves. Que les personnes de mon âge étaient censées, au contraire, passer bien plus de temps à sortir et à vivre, qu’à passer des IRM, des scanners, des radios, encore et encore, sans que cela finisse réellement. Je n’en avais pas vu le bout, pendant une longue période. Les jours avaient défilé, les jours s’étaient enchainé, et je m’étais demandé si mon existence toute entière se finirait par se résumer à des examens médicaux. J’avais passé des mois dans un lit d’hôpital à fixer des murs aux couleurs fades et à me demander à quoi cette vie pouvait bien rimer. A me demander quel sens avaient mes journées et mes semaines. J’avais été en soins intensifs plusieurs fois, parfois pour quelques jours, d’autres pour quelques semaines, à peine consciente de mon état. J’avais été opéré de nombreuses fois dans des tentatives vaines de réparer l’irréparable. J’avais connu anesthésies, perfusions, morphine et assistance respiratoire. Je ne haussai même plus les sourcils lorsque l’on me prescrivait une analyse d’urine, lorsque l’on me demandait de venir pour une prise de sang. Je vivais chaque entrée à l’hôpital comme une routine qui m’était étrangement familière.
Ma vie était triste, oui. Je m’en rendais compte à mesure que je me retrouvais confrontée à ce nouveau quotidien. J’observai Rory écrire une réponse à mon mot et je me demandai ce qu’elle ressentait lorsqu’elle avait un IRM à faire. Quelque part, j’aurais aimé ressentir cette vague et futile angoisse qui prenait les personnes lorsqu’on leur annonçait ces nouvelles désagréables. Quelque part, j’aurais aimé être comme les autres, tout simplement, et connaître moins de choses.
Mon père me disait souvent que j’avais trop vécu.
L’infirmière changea de tube et, au même instant, Rory me tendit mon carnet avec sa réponse rédigée rapidement. Mon regard s’attarda sur son visage aux traits frôlant la perfection, et je baissai le regard sur ses mots.

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    Je suis une dure à cuire - d'ailleurs c'est "dure à cuir" le cuir des vaches ou "dure à cuire" genre cuire le verbe? - j'ai peur de rien ! Et je suis restée assise assez longtemps dans la salle d'attente pour rester debout ne t'inquiète pas. Mais si tu demandes à l'infirmière de prendre soin de moi, tu veux bien rester avec moi ? Je n'ai pas envie d'être toute seule. Même si je ne veux pas abuser de ta gentillesse…
    Je dois t'avouer que je suis toujours en train de chercher le rapport entre ton sang et ton fauteuil roulant. Mais pour ma défense j'étais une buse au lycée.
    Je ne sais pas quand est ton anniversaire, mais je t'en ferais livrer une. Pas que ça me dérange d'avoir un striptease de ton demi-frère sexy mais bon j'veux garder ma pince. D'ailleurs, il est sexy à quel point ?

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Je me mis à rire doucement, l’infirmière qui s’occupait de moi levant la tête dans ma direction. Je repensai à la proposition que j’avais faite à Rory, et je m’éclaircis doucement la gorge. « Excusez-moi, je me demandais… » commençai-je, avant de poursuivre lorsque je compris que j’avais capté son attention. « Mon amie et moi on est plutôt pressées et on ne sait pas du tout quand est-ce que quelqu’un va s’occuper d’elle. Est-ce que vous pourriez vous charger de son dossier après ma prise de sang ? S’il vous plait ? » Je l’observai avec mes grands yeux, n’ayant absolument aucun scrupule à embellir la vérité pour la pousser à accepter ma requête. Je la vis réfléchir, avant de juger le nombre de dossier qui l’attendait, sur un meuble présent dans la salle de consultation ; puis, elle haussa simplement les épaules. Je compris que c’était bon. « Oui, bien sûr. »
Je me mis à sourire, avant d’attraper mon stylo et rédiger une réponse à Rory, à la suite de son précédent message. J’étais contente, contente d’avoir pu l’aider d’une quelconque manière pour la remercier d’être restée avec moi ; je savais que cela n’avait pas été une nécessité et qu’elle n’avait pas désiré de contrepartie à sa présence, mais j’avais jugé cela nécessaire.

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    L’infirmière est d’accord pour se charger de toi après moi.
    Et bien entendu que je reste, quelle question. Il faut bien que quelqu’un te serve d’interprète.
    (Il me semble que c’est dur à cuire. Pourquoi ce verbe-là, je n’en sais rien. Ils auraient pu dire un truc plus cool dans le genre dur à faire danser. Ou dur à cuisiner des pâtes.)
    Je ne t’en veux pas. Ça fait des mois que je suis dans ce fauteuil et je n’ai toujours pas compris le rapport.
    C’est le 17 octobre, mais ce n’est pas la peine ! J’en trouverais bien une moi-même. Et hmm, sur une échelle de un à dix, je lui donnerais un bon 6,5 ou bien un 7. Et encore, je suis peut-être trop sévère parce qu’il s’agit de mon demi-frère. Disons qu’il a hérité des bons gènes de notre famille.

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Je lui tendis de nouveau mon carnet, mon sourire refusant d’abandonner mes lèvres. Je pensais à la fois à mon demi-frère, beau comme un Dieu mais malheureusement très loin d’être responsable, et à mon anniversaire, mais aussi à ce lien qui s’établissait doucement entre Rory et moi à travers l’encre et le papier. J’avais l’impression que j’étais spéciale. Que j’étais à part, que je n’étais pas comme les autres. A mes côtés, l’infirmière retira le garrot de mon bras et je fronçai les sourcils en me rendant compte que je n’avais même pas remarqué qu’elle avait retiré l’aiguille de mon bras. Elle se tourna vers Rory, tenant les paroles qu’elle m’avait adressées.
C’était à son tour. Et, comme elle avait pu le faire pour moi, je restai à ses côtés.
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() message posté Sam 29 Nov 2014 - 18:33 par Margot Bernstein-Woolf
♔ ♔ ♔ ♔ ♔

J'observais tranquillement Eugenia se faire vider de son sang. Je n'étais pas le genre de personne qui s'évanouissait à la moindre vue du sang. J'en avais vu plus que ça. J'avais vu pire. Ce n'était pas le genre de choses dont on se vantait : s'être retrouvée dans un accident de voiture, avoir vu son propre corps dégouliner de sang, celui de sa petite-soeur, et celui de son petit-frère aussi. Je préférais effacer ce genre de souvenir de ma mémoire ; car Soren n'avait pas survécu. Et c'était la dernière image de lui vivant que j'avais, avant de tomber dans les pommes, sûrement à cause du choc. Une prise de sang à côté de ça, c'était quoi ? Pas grand chose. Alors, les bras croisées, j'attends, j'accompagne celle qui au fur et à mesure des bouts de papiers échangés, devient mon ami, mon soutien hospitalier. C'est ainsi que je me permets de la considérer. Et puis, elle m'aide, elle fait en sorte que je n'attende plus longtemps et que je sache au plus vite ce qui se trame avec mes fichues oreilles.
Je regardai la belle Eugenia lire le petit mot que je lui avais passé. Et je me demandais comment le karma avait fait son compte pour punir une fille telle qu'elle. Elle était jolie, elle avait un visage doux, des yeux noisettes qui me rendaient presque jalouse. Elle avait le corps d'une athlète, elle était fine et de ce que je devinais, élancée. Mais elle était bloquée dans ce fauteuil. Sûrement jusqu'à la fin des temps. Le monde était cruel. Saleté de karma. Il ne savait même pas faire son boulot correctement : Eugenia n'avait pas l'air d'être une fille qui méritait ce qui lui arrivait. Même si bon, d'une certaine façon, personne ne méritait ça.
Lorsqu'elle eut finit de lire mon mot, tout commença à s'agiter. Je pus voir Eugenia parler à l'infirmière. Je ne pouvais que deviner ce qu'elles se disaient, étant tout à fait démunie de toute capacité à entendre pour l'instant. Eugenia demande à l'infirmière si elle peut me prendre en charge. Lire sur les lèvres : quelque chose que je n'ai plus fait depuis longtemps, préférant laisser à mon appareil auditif la lourde tache de me macher le travail pour que je puisse comprendre. Mais avant, je devais bel et bien me débrouiller en lisant sur les lèvres, la technologie n'étant pas aussi avancée qu'aujourd'hui. J'avais tenté (ou plutôt mes parents m'avaient forcé) à apprendre le langage des signes, mais bon, je n'avais jamais poussé l'apprentissage plus loin que ça, me laissant donc uniquement quelques mots de vocabulaire en mémoire à l'heure d'aujourd'hui.
Eugenia me tendit son carnet après avoir rédigé la réponse à mon mot.

L’infirmière est d’accord pour se charger de toi après moi.
Et bien entendu que je reste, quelle question. Il faut bien que quelqu’un te serve d’interprète.
(Il me semble que c’est dur à cuire. Pourquoi ce verbe-là, je n’en sais rien. Ils auraient pu dire un truc plus cool dans le genre dur à faire danser. Ou dur à cuisiner des pâtes.)
Je ne t’en veux pas. Ça fait des mois que je suis dans ce fauteuil et je n’ai toujours pas compris le rapport.
C’est le 17 octobre, mais ce n’est pas la peine ! J’en trouverais bien une moi-même. Et hmm, sur une échelle de un à dix, je lui donnerais un bon 6,5 ou bien un 7. Et encore, je suis peut-être trop sévère parce qu’il s’agit de mon demi-frère. Disons qu’il a hérité des bons gènes de notre famille.

Amen, on allait se charger de moi, me faisant donc éviter une attente que je n'aurais pas supporter, ou du moins pas seule. Et en plus de me faire prendre en charge, Eugenia allait rester avec moi. Je me demandais si c'était juste histoire de me rendre la pareille, ou bien si elle restait vraiment avec moi parce qu'elle en avait envie. Parce que j'étais moi, et qu'elle avait apprécié le petit morceau d'un moi vulnérable qu'elle avait découvert aujourd'hui.

Si je deviens définitivement sourde, je doute que souhaite devenir mon interprète à temps plein. Ah pitié que je garde au moins une de mes deux oreilles fonctionnelles.
La science et la médecine : plus grand mystère pour moi.
17 octobre, donc tu es balance. Techniquement on devrait pas s'entendre, je dis bien techniquement. (oui j'ai un sacré problème avec l'astrologie) Mais bon, ça ne change rien, je t'offrirais quand même cette super pince !
En plus de jouer les interprètes, jouer les entremetteuses ça ne t'intéresse pas ?


J'abuse clairement. Mais bon, c'est un moyen comme un autre de faire un peu d'humour -bien que ça soit plus compliqué avec un morceau de papier et de l'encre qu'avec ma voix.
L'infirmière finit par retirer l'aiguille du bras d'Eugenia. Elle se tourne vers moi, essaye de parler plus fort pour que j'entende -sans réel succès- pour me dire que c'est à mon tour, du moins, je le devine.
Alors que je m'installe sur la table d'examen, je me rends compte que je ne peux absolument pas communiquer avec cette personne, dans le genre, pas du tout. Je ne peux pas me forcer à produire des sons que je n'entends pas. Et pourtant, je vois l'infirmière me demander quelque chose. Quels sont mes symptomes peut-être, ou bien si j'ai mal quelque part.
Et je me retourne vers Eugenia, perdue, espérant qu'elle se souvienne de ce que je lui ai dis tout à l'heure, qu'elle puisse expliquer que je suis déjà à moitié sourde en temps normaux, et que ce matin, je le suis devenue complètement.

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