[The Parcel Yard ▬ King's Cross Station] Mistaken ♦ Natyella

C'est drôle comme les choses se font parfois... bizarrement. Cette fille-là, j'avais pas vraiment de raison de la connaître. J'aurais pu si j'avais été d'humeur à séduire ce jour-là, tenter de l'aborder, mais à vrai dire, j'étais un peu trop occupé à écrire pour faire attention à ce qu'il se passait autour. Assis au comptoir, une pinte de bière entamée devant moi, ça fait un moment que je griffonne sur un carnet quand mon téléphone a vibré dans ma poche, et j'ai checké mes messages avant de le reposer sur le comptoir à ma droite. Un truc que je fais un peu trop souvent, en réalité, parce que je pourrais réellement me le faire piquer douze mille fois, Spencer arrête pas de me le répéter, d'ailleurs, quand il vient me rejoindre. Et ça ne risque pas trop de louper cette fois encore.

C'est dommage cela dit, que je m'en sois pas rendu compte, parce que c'est une jolie blonde qui est à côté de moi. Et qui embarque mon téléphone au lieu du sien posé juste à côté. Comme quoi je suis pas le seul à avoir de mauvaises habitudes. Elle est repartie, j'ai vérifié l'heure non pas sur l'écran, mais sur ma montre, et attrapé l'appareil semblable au mien sans me rendre compte de rien. Mais quand j'ai voulu appeler Tiger et que je suis tombé sur un selfie d'une blondinette en fond d'écran, j'ai su qu'il y avait un léger problème... Ca, c'est pas mon téléphone, définitivement. Je me suis arrêté comme un con en plein milieu de la rue, pestant contre moi-même intérieurement, et j'ai d'abord voulu appeler mon pote pour lui expliquer que je passerais pas le voir avant d'aller bosser, je me suis rendu compte que... bah on avait tous des codes secrets et que je pouvais pas l'utiliser. Par contre, trouver une cabine et appeler mon propre téléphone, c'est pas trop compliqué pour la peine, au moins... Et je verrais plus tard pour appeler Spencer et décommander - expliquer pourquoi c'était pas mon numéro qui l'appelait aussi. Je sens tellement comme il va m'allumer parce qu'il avait raison, c'est juste couru d'avance.

Ce qui est bien dans le fait d'avoir manifestement interverti des mobiles, c'est que j'ai facilement pu appeler mon numéro pour joindre la propriétaire de mon téléphone, donc.

« Hey ! Hum... Merci d'avoir décroché, qui que vous soyez... Dites euh... J'ai votre téléphone apparemment, mais je peux évidemment pas le déverrouiller... Et j'aimerais bien récupérer le mien tout comme j'imagine que vous voudrez récupérer le vôtre... Alors... Si vous avez une minute... »

Je m'entends parler et je me dis que j'ai l'air d'un sombre crétin. Autant pour aborder la jolie blonde, donc...

C'est pas vraiment la situation la plus agréable du monde, même si j'en conviens, ce pourrait être largement pire. Mais comme pour beaucuop de gens de nos jours, mon portable, c'est un peu toute ma vie, et je sais pas comment je ferais sans, si bien que tenter de le récupérer est juste... primordial. Et si possible, avant le début de mon service... Alors je croise très fort les doigts en appelant la fille en question pour qu'elle soit dispo genre super rapidement. Mais je m'attendais pas à cette réaction-là à vrai dire.

« Je ne sais pas. Qu'est-ce qui me dit que si je vous donne rendez-vous pour vous rendre votre téléphone vous ne me decouperez pas comme un ananas ? »

Je suis resté comme un con une demi-seconde, assez surprise de cette réflexion à vrai dire... et puis j'ai éclaté de rire.

« Là comme ça, pas grand chose, faut bien avouer. Et ma parole vaudra pas grand chose non plus, mais je peux vous assurer que je suis pas un tel psychopathe... ou alors je l'ignore. »

Je l'entends donner des directives, de ce que j'en comprends, on est en train de s'occuper de ses ongles, et vu comme elle a l'air pressée, elle est pas prête de revenir me trouver - si tant est qu'elle finisse par accepter, donc, qu'on se retrouve quelque part.

« Vous avez l'air occupée... Je viendrais bien vous apporter votre téléphone, mais je crains d'être légèrement pressé par le temps... Est-ce qu'il vous serait possible de passer au Barfly quand vous aurez fini ? Je vous promets que j'ai pas de tronçonneuse à disposition sur place, et je doute de vous faire beaucoup de mal avec un shaker... »

A part aux cheveux le lendemain matin en cas d'abus, mais c'est pas bien grave, n'est-ce pas ? Et pas répréhensible par la loi tant qu'elle est majeure, non plus...

Une fois le rendez-vous pris, j'ai pas trop tardé à raccrocher, parce que c'est pas que, mais ces appels sur un portable, ça coûte la peau des fesses encore, et je préfère mettre l'argent que je gagne ailleurs, genre dans la Telecaster de Springsteen ou la Mustang de Cobain, par exemple...

Le bar ouvrait à peine quand j'ai reconnu la fille du fond d'écran, et je lui ai adressé un grand sourire charmeur - on ne se refait pas - comme elle approchait du comptoir.

« Les seules armes à ma disposition, promis... »

Je montre le shaker que j'étais justement en train de rincer à son arrivée, et après l'avoir méticuleusement essuyé et reposé à sa place habituelle, j'ai sorti le téléphone qui ne m'appartient pas de ma poche.

« Il me semble que ceci vous appartient... »

Si mademoiselle veut bien se donner la peine d'approcher... J'ai posé son téléphone sur le comptoir, les mains posés sur mon côté du bar, toujours souriant. Et si elle pouvait me rendre mon bien en échange, aussi, au passage, ça serait cool...

La remarque de la fille me faisait bien marrer. Clairement, il est évident qu'on s'est jamais croisés, parce que sincèrement, ça doit se voir sur ma gueule qu'il y a pas grand chose à craindre. Enfin, elle le dit plutôt sur le ton de l'humour, donc ça devrait aller. Et donc j'espère bien pouvoir récupérer mon téléphone et lui rendre le sien.

Et là, je me pose une question existencielle en raccrochant. Quand j'aurais raccroché, qu'est-ce qu'elle peut faire avec mon téléphone ? Mmmh... C'est pas comme si y avait une sécurité maximale dessus, je veux dire, j'ai mon diagramme à effectuer au doigt mais... un de ces quatre, ça serait bien que je mette un code au déverrouillage, tiens. Ou que je suive les conseils de Spencer, mais je suis pas sûr d'avoir envie de l'entendre me dire qu'il me l'avait dit, ça lui ferait bien trop plaisir, n'est-ce pas ?

Du coup en avançant vers mon boulot, je me fais une liste de ce sur quoi elle peut tomber. Ma liste de contacts, et je me dis que pour la blague, elle pourrait y foutre un bordel monstre - je pense que je m'en serais pas privé, mais elle, elle a un code que j'ai pas envie de me prendre la tête à cracker -, et puis mes photos - de soirée, de concerts, vu de l'extérieur, ça doit pas être triste, tiens - et... un peu toute ma vie en fait. Les messages de tout le monde, aussi, oh boy... Bon bah au moins les choses seront claires sur ma façon de vivre quoi.

Elle n'a pas mis si longtemps à arriver, finalement, j'ai juste eu le temps de m'installer derrière le bar, checker mon matos et le ravitaillement depuis la veille que la jolie blonde débarquait, et que je lui dédiais un sourire charmeur. On ne se refait pas.

« Et avec tes armes, tu peux me faire quels genre de cocktails dis-moi...
- Anything you want, deary... »

Elle s'est accoudée au comptoir, a récupéré son bien, et déposé le mien sur le zinc.

« Ta vie privée est sauve, si ça peut te rassurer, à part la photo du fond d'écran qui m'a informé de l'échange involontaire, je ne me suis pas immiscé dans tes petites affaires...
- J'ai… entré mon numéro… Si jamais... »

Un sourire et un hochement de tête appréciateur. J'ai attrapé mon téléphone, ai envoyé un sms rapide sur son numéro, donc, indiquant simplement « avec les compliments du barman psychopathe :) » tout en commentant sa démarche.

« Charmante initiative... »

Tout autant que la jeune femme en question d'ailleurs, et je ne manquerai pas de m'en souvenir, ça, je peux te l'assurer. Elle a tapé du plat de la main sur le comptoir, et j'ai pas vraiment besoin de la suite pour savoir ce que ça veut dire.

« Alors ce cocktail Monsieur le psychopathe… d'ailleurs, nous avons oublié les civilités. Je m'appelle Mikyella, mais on m'appelle Miky !
- Quoi ? T'as pas été voir si loin dans mes affaires ? Tu me déçois Miky. Je m'appelle Nathanael, mais mes amis m'appellent Nate. »

Ce qui n'a rien de très original, mais ça reste plus court que mon nom de baptême, un peu comme pour elle, quoi.

« Et donc, qu'est-ce que je peux te servir ? »

A priori, quoi que tu proposes, je peux le faire, là, maintenant, tout de suite, je viens de vérifier mes stocks. Et faut quand même y aller pour tomber sur un cocktail que je ne connaisse pas déjà...

C'est toujours plaisant de voir mes bêtises faire rire. Ca sera pas le même son de cloche demain, malheureusement. Pour l'heure, j'ai face à moi une charmante jeune femme qui répond positivement à mon humour pourri, que demande le peuple ? C'était pas si mal, finalement, l'inversion des portables...

« Il faut bien garder une part de mystère. Il serait dommage de tout connaître d'un beau ténébreux !
- Je ne suis pas très sûr que ténébreux soit tout à fait le meilleur adjectif pour me qualifier... »

Elle a ri à sa propre boutade, et moi de même, parce que sincèrement, je crois que je suis trop pile électrique et souriant pour être qualifié de « ténébreux ». Et trop sociable, et serviable, donc... D'ailleurs, je fais plus acte en ce sens en lui proposant un verre, mais je suis un peu déçu de sa réponse.

« Un cocktail au jus ? Tu vois genre comme un Cosmos ou un truc dans le genre. N'hésite pas à me mettre des rondelles dans le verre… J'adore grignoter ! »

Là je suis clairement mort de rire. En fait, ce qui l'intéresse dans le verre, c'est la déco, c'est ça ? Alors allons-y... Un verre à long drink glacé au sucre, un shaker empli de jus de fruits mais pas tout à fait l'idée d'un Cosmos cependant, avec la douceur de la mangue et la poire et l'acidité des citrons verts, le tout gentiment frappé avec des glaçons et versé puis coloré d'un trait de sirop de cassis, une rondelle d'orange et de carambole sur le bord du verre et une brochette de bonbons divers sur le dessus en prime... Le tout avec une dextérité manifeste, preuve que, oui, j'ai l'habitude de travailler ici.

« Divine Dancer », lui indiqué-je en posant le verre devant elle sur un des sous-bocks du bar qui me servent parfois de... carte de visite dirons-nous. Pendant ce temps, elle jouait avec son téléphone, et je reçois, alors qu'elle repose le sien un sms qui à mon tour me fait sourire. « Quelle charmante attention ». Je n'aurais pas dit mieux... Quant au chat...

« Charmant... J'aime bien ce qualificatif. Et ce petit chat est adorable, dommage qu'on se supporte pas trop bien, eux et moi. Mais tant qu'il reste dans un écran, tout va bien... »

Un clin d'oeil et je l'ai vue se retourner vers la salle quasiment vide, laissant échapper un soupir.

« C'est comme ça tous les soirs ici ?
- Hola, non ! Mais il est encore tôt. Les clients affluent plutôt après dîner... Ou à l'heure du concert, quand il y en a. Le samedi, c'est généralement le cas. »

D'un signe de tête, je désigne la scène au fond où un va-et-vient continu a lieu depuis un moment maintenant. Et comme je m'occupais d'un autre verre, justement pour un musicien qui passera tout à l'heure, Miky a sorti à nouveau son téléphone et m'a pris en photo.

« T'en fais pas… Cette photo ne sera vue que par tous ceux que je connais.
- Rien à craindre, donc ! »

Et non, ça ne me dérange pas plus que ça, c'est pas comme si on avait des uniformes imposés ici. Au contraire, plus on est proches des clients, accessibles et tant qu'à faire, séduisants, mieux ça marche. Et je me prive pas vraiment. Une chemise à carreaux au col pas complètement fermé, aux manches retroussées, sur un t-shirt noir, un jean slim et des converses, tout le monde ne peut pas forcément se permettre d'aller bosser comme ça, faut bien avouer. Moi ça m'arrange, j'aime pas me forcer à porter des vêtements que j'ai pas envie de mettre, pour quelque raison que ce soit - encore moins pour faire plaisir au paternel, mais c'est encore un autre sujet - même si je le fais quand même pour le journal, pas le choix. J'ai fini par m'appuyer les coudes sur le bar, le regard vers la scène, mais m'adressant visiblement à elle, sur le ton de la confidence.

« C'est un peu le branle-bas de combat parce qu'ils doivent commencer dans une demi-heure et que c'est pas vraiment prêt sur scène... Mais c'est toujours comme ça, à chaque fois qu'ils sont venus, ils ont commencé à la bourre. Cela dit, si tu veux rester les écouter, eux, je cautionne, ils gèrent plutôt pas mal. Malheureusement, c'est pas forcément toujours le cas des groupes qu'on reçoit. »  

Un doigt sur les lèvres genre « Shhh... je viens de te révéler le plus grand secret du monde » et puis j'ai ajouté, en accentuant l'accent posh que j'ai déjà assez bien naturellement.

« La boisson de Mademoiselle est-elle au goût de Mademoiselle ?... »

J'ai l'air sérieux trois secondes. Trois secondes, pas plus. Et puis grand sourire et je suis assez près d'éclater de rire... J'ai beau être un peu arrogant parfois, y a des choses sur lesquelles je me prends clairement pas au sérieux, et ça, ça en fait partie.

Miky a l'air à l'aise, et ça, c'est toujours positif. Ici, un client qui ne se sent pas bien ne reste pas, et ça ne fait pas consommer, forcément. Bon pour ce qui me concerne là maintenant tout de suite, c'est pas vraiment les chiffres du bar que je regarde, mais ma jolie cliente qui m'a gentiment laissé son numéro et sirote un de mes cocktails. Alors, verdict ? Restera, restera pas ?

« Ouais, ça peut être intéressant. Mais si je ne compte pas tenir jusqu'à minuit !
- On fera en sorte que Cendrillon retrouve sa mansarde à temps alors... »

Un clin d'oeil - je ne peux définitivement pas m'en empêcher - mais il faut avouer qu'elle pourrait tout à fait jouer le rôle de la princesse en question... Surtout si elle doit être rentrée à cette heure fatidique. Minuit, pour moi, c'est le rush complet - et bien souvent la moitié de ma nuit - et même si je l'ignore encore, manifestement, nos horaires sont tout à l'opposés. C'est rare que je me couche avant quatre ou cinq heures du matin, du coup les levers avant midi sont assez rares. Bon je vais avoir droit à un beau réveil trop matinal et assez... spécial, la semaine prochaine, mais ça, je le sais pas encore. Encore moins que ce qui va me tomber dessus le samedi d'après. Faut croire que tout le monde va se décider à me pourrir mes samedis matins, en fait... Bref. C'est l'heure de l'autre verdict, celui de mes prestations professionnelles et je l'écoute très attentivement donner son avis. Je sais d'ores et déjà à son petit air intimidé que ça ne sera pas complètement positif... Et je dois bien avouer que ça me fait jamais super plaisir. Non pas que j'aurais préféré qu'elle dise le contraire, loin de là, mais simplement que je me pardonne assez difficilement mes erreurs. Cela étant... je peux pas m'empêcher d'éclater de rire quand elle dévore un premier bonbon après avoir critiqué la teneur en sucre du cocktail.

« Je trouve qu'il y a un peu trop de sucre. Même si c'est une dose bien plus raisonnable que dans la plupart des bars !
- Donc le sucre dans le verre te dérange, mais celui au-dessus... pas trop, hein ? »

Je trouve ça définitivement assez drôle. D'autant plus que c'est assorti de cette petite moue d'enfant pris en faute qui la rend particulièrement craquante. Cela étant, je note. A voir si je ne devrais pas jongler un peu sur les proportions.

« Toi, tu dois faire tourner un tas de mecs en bourriques... »

Peut-être pas que des mecs, d'ailleurs, mais je vais pas prendre mon cas pour une généralité. En tout cas, une chose est sûre à mes yeux : ça marche. Elle me plaît bien cette fille.