choose your destiny | wolfgang

« Solveig reviens ici ! Tout de suite, Dr Campbell te parle ! »
J’avais horreur de ce prénom, Solveig. Ça sonnait faux, ça ne me ressemblait pas. Et puis ce n’était que mon deuxième prénom, le premier étant Wolfgang. « Wolf », le loup solitaire me nommait-on à l’orphelinat. Mais c’était considéré comme trop vulgaire pour un enfant de douze ans, c’était hors des conventions, alors ils avaient repris mon deuxième prénom. Mais Wolfgang c’était plus que mon existence, c’était ma personnalité, ce que j’étais au fond de moi. J’étais ce loup solitaire, ce gamin hors d’atteinte, qui a trop vite grandit, sans respect des règles et des conventions. J’étais l’insoumis, le hors-la-loi, l’enfant perdu. J’étais tout ce qu’ils détestaient. Non pas parce que j’étais indocile, mais plus parce que je ne me confiais pas, je ne parlais pas ou peu. Ils savaient que j’avais vécu la violence, l’horreur et l’effroi dans ma dernière famille d’accueil, et pourtant je ne disais rien. Il n’y avait que les stigmates sur mon corps pour parler, ces coupures, ces cicatrices, ces marques de brûlures et ces hématomes. J’avais été tellement traumatisé, que j’en cauchemardais la nuit, je me méfiais du monde entier et refusais qu’on me touche. Alors parler à psychiatre, c’était hors de portée, inconcevable, pourtant les éducateurs pensaient que c’était la bonne solution, à tort, car elle avait directement attaqué le sujet qui fâche, sans prendre de gant. Ce qui m’avait fait péter un câble et lever de ma chaise sans vergogne, avec rage. Lucy, mon éducatrice m’attrapait par le bras, et je me relâchais de son emprise en soulevant mon tee shirt pour montrer l’ampleur des dégâts, les regardant les yeux emplis de colère.
« - Je n’ai pas besoin d’en parler. Mon corps parle pour moi. Alors foutez-moi la paix. C’est tout ce que je veux, qu’on me laisse tranquille. »
Elles étaient horrifiées en voyant ma peau scarifié, et j’avais ainsi pu m’échapper de ce bureau exigu. Je ne voulais plus jamais que l’on m’en parle, je voulais juste oublier. Oublier qu’on m’avait abandonné dès la naissance et à de nombreuses reprises, qu’on m’avait mutilé. Oublier tout simplement.


« - Wolfgang, c’est ta chance, saisis-là, s’il te plait. T’es un gars bien, tu mérites cette famille. Alors me déçoit pas, et vit ta vie d’adolescent ! »
Lucy misait beaucoup sur cette famille, Les Evans. Ils avaient été touchés par mon histoire, mon caractère et ma façon d’être. Garçon de quinze ans introverti et solitaire, un peu turbulent et colérique, mais eux ne voyait en moi qu’un adolescent en manque de repère, en manque d’amour surtout. Alors ils ont voulus faire un essai, m’insérer dans leur famille et essayer de me donner un semblant de vie de famille. Je n’avais pas pu réellement dire non, car Alice, la mère de cette famille d’accueil, avait l’air si douce. Le feeling était passé, même si j’étais sur la réserve et la méfiance. Alors j’avais dit ok, même si dans le fond, la crainte que tout recommence était vive. Lucy avait toujours cru en moi, depuis le début, et avait souhaité qu’enfin je trouve la paix. Elle les avait sélectionnés, invités à me rencontrer, et elle avait eu raison. Car aujourd’hui je faisais mes valises pour la campagne. Une nouvelle vie, une nouvelle famille, une nouvelle école et de nouveaux amis. Je n’étais pas très friand de la nouveauté, mais j’avais envie d’essayer. J’avais envie d’être comme les autres garçons, au moins une fois dans ma vie. Alors je suis partie, sans jamais me retourner, espérant ne jamais revenir à l’orphelinat.


Les Evans n’ont jamais réellement essayé de changer qui j’étais, ils ont juste essayés de m’inculqué le respect et des règles de vie. Je me suis intégré, doucement, imposant ma place au sein de cette famille déjà composé de trois enfants, mais je me suis toujours mis en retrait. J’étais ainsi, le loup solitaire autour de son clan, dans le respect de l’autre et de ses règles. Je faisais ma petite vie d’adolescent, quand je partais en vrille Monsieur Evans se mettait en travers de ma route, et quelques clashs se créaient, mais ce qui était normal. Entre un adulte et un adolescent ça ne peut être que conflictuel. Mais j’étais respectueux de ce qu’ils m’offraient, et je n’ai pas vraiment manqué de quoi que ce soit. Rapidement, je me suis forgé mon identité de garçon énigmatique et mystérieux. A l’école, j’étais celui qu’on craignait, j’avais la réputation d’être un bagarreur. Mais aussi un séducteur sans jamais approcher les filles. Elles venaient toutes à moi sans que je le demande. J’évacuais ma colère dans le sport, la musculation et le dessin. Rapidement j’ai su ce que je voulais faire de ma vie, et j’étais déterminé à devenir tatoueur. Ce n’était pas au goût d’Alice, mais elle comprit qu’elle ne pourrait me faire changer d’avis. Pour m’accompagner à réaliser mon rêve, elle m’a inscrit dans la meilleure école de dessin, payant ainsi tous mes frais de scolarité. J’avais d’abord refusé, ne voulant pas être redevable, mais elle ne m’avait pas laissé le choix. Dans le fond, Alice c’est la seule « mère » que je n’ai jamais eu. J’enchaînais les petits boulots du soir après l’école, Légaux, mais aussi illégaux, dans le seul but de cacher les stigmates de ma vie. Quand j’eus amassé assez d’argent, je suis parti dans un salon de tatouage et j’ai recouvert mes cicatrices d’un tatouage central. D’abord le dos, puis les bras, les mains, le torse. Plus les années passaient et plus ma peau n’était qu’un tapissage de dessin, tous plus beaux les uns que les autres. Je recouvrais mon corps mais aussi mon esprit, c’était le moyen de tout oublier. J’avais dix-sept ans et je me sentais enfin Wolfgang, le vrai. Alice les trouvaient somptueux, Monsieur Evans, effrayants. Il voyait en moi un délinquant, un prédateur. Il commençait à me craindre, à ne plus trop oser se mettre en travers de mon chemin. Le respect était toujours là, mais dans son regard je voyais de la peur. Je n’en jouais pas forcément, ces tatouages, cette force de caractère, faisaient partis de moi, et bien que je me montrais respectueux, les confrontations aux regards se faisaient plus réguliers, plus forts. L’alpha de ma vie c’était moi, et nul autre.


« - Wolfgang, viens par ici s’il te plait ! » Alice m’attrapait par le bras doucement, et m’emmenait au salon, où trônait une jeune fille, toute timide sur le divan. Elle semblait mal à l’aise, normal quand on arrive chez quelqu’un que l’on ne connait ni d’Adam, ni d’Ève. Je ne voyais pas son visage, et Alice se mit en face de moi pour rhabiller doucement, et tenir mon visage entre ses mains. Elle se comportait comme une mère à mon égard, ça me touchait, même si je paraissais totalement hermétique à ses gestes. Elle ne prêtait pas attention à ma manière de réagir, continuant d’être égale à elle-même. Elle semblait nerveuse et stressée, je levais les sourcils, attendant qu’elle s’explique.
« - Ecoute, on est repassé à l’orphelinat. Maintenant de Rory est parti « et moi sous peu selon ses sous-entendus et selon elle », nous avons décidés avec Elliot d’accueillir une jeune fille. C’est pour ça qu’on était souvent absents. Alors soit gentil avec elle, tout comme toi, elle n’a pas eu une vie facile. Je te fais confiance hein ! »
Elle me déposait un baiser sur la joue, puis m’accompagnais au-devant de cette jeune fille. Quand je visionnais son visage, mon cœur s’arrêtait brutalement. Elle était Brune, incandescente à la peau blafarde, les yeux couleur chocolat. Elle semblait transporter tout le malheur du monde. Elle me faisait penser à une nuit noire, elle était Lunaire. Elle était ma lune pour un loup solitaire, je le ressentais au plus profond de mon être, comme une imprégnation. D’instinct animal, elle m’attirait et je n’y pouvais rien. Alors tout simplement, je lui tendais ma main, mes yeux dans les siens, ne pouvant la quitter du regard. Il se passait quelque chose à cet instant précis, entre elle et moi. C’était tellement étrange.
« - Wolfgang. » Disais-je simplement.
« - Noé ». Elle était aussi simple que moi dans les présentations. Sa main dans la mienne, je ne pus la quitter du regard, et ce ne fut que l’intervention d’Alice qui parvenait à nous faire lâcher prise.
« - Ha ! Je suis contente que ça se passe ainsi ! Viens Noé, je vais te faire visiter les lieux. » Alice relâchait alors mon bras, et pris celui de Noé qui partait alors en me regardant de nouveau. Je me sentais étrange, comme hors de moi-même. Elle était exceptionnelle et mon âme est lié à la sienne, je le sentais.


Mes écouteurs dans les oreilles, je peaufinais un dessin pour l’école d’art. La musique m’évadait, tout comme le dessin, et j’en avais bien besoin ces derniers temps. Des flash-backs de ma vie passée me revenaient à la gueule comme un boomerang, alors que j’avais tout fait pour tout oublier. Je ne dormais plus la nuit, et passait mon temps entier à marcher dehors sous des températures polaire ou encore à dessiner. Je mangeais peu, je survivais. La seule qui me comprenait était Noé, et tout en silence, elle m’apaisait. Avec elle, je n’avais pas besoin de m’expliquer, elle comprenait tout, elle était la source de calme dont j’avais besoin quotidiennement. Et elle, elle avait tout autant besoin de moi. J’essayais de la protéger comme je le pouvais, la sortant des griffes de Monsieur Evans quand il avait un coup dans le nez. Il l’a prenait pour un « putching ball », et autant de fois que je le pouvais, je me mettais entre eux deux, le surplombant, l’intimidant du regard pour qu’il ne l’approche pas. L’instinct animal, la domination. Ça marchait, souvent même. Mais ce soir, je n’avais pas vu les coups venir. Et Alice n’était pas là, et lui en profitait. J’entendis cogner à ma porte, fortement, trop même. Le bruit surplombais mes écouteurs, alors je me levais, et ouvrit. Face à moi une Noé éploré, prête à pleurer. Mais sa promesse, promesse sur l’oreiller il y a de ça des mois, promesse flottant dans l’air, elle n’en fit rien. Je lui avais demandé d’être forte, de m’appeler si besoin, mais de ne jamais céder. Je la laissais passer, demandant discrètement ce qu’elle avait, même si les hématomes sur son corps frêle commencent à apparaître. Elle s’approchait de moi doucement, posant sa tête contre mon épaule, et d’instinct mes bras s’enroulaient autour d’elle comme pour la protéger. Murmurant à moi-même ainsi qu’à elle : « - ll a recommencé, Noé ? Il a levé la main sur toi ? ». Questions inutiles car je savais déjà la réponse. Réponse qui faisait bouillonner mon corps, réagir mon âme, ressurgir de douloureux souvenir. J’avais envie de lui casser sa gueule de connard, envie de l’émasculer, de le faire pleurer comme il l’a blesse, le faire souffrir violemment et intensément. Je paraissais tellement calme alors que dans mon esprit j’imaginais mille et une tortures. Elle n’avait pas besoin de ça Noé, non. Elle avait besoin de soutien et d’aide. Son soupir en disait long. Fine et frêle enfant de quinze ans, elle n’avait pas besoin de cette violence. Son « J’peux passer la nuit là, dis ? » sonnait comme une supplication, elle avait besoin de repère ma lune. Besoin de stabilité. Et épris d’elle comme je l’étais, j’acquiesçais à sa demande. J’hochais la tête, lui ouvrait la couverture de mon lit et la laissais s’installer. Elle avait besoin de mon aide. J’allais alors éteindre ma musique, la lumière, laissant mon dessin tel qu’il était et allait me glisser sous la couette près d’elle, pour lui offrir le réconfort dont elle avait besoin. J’allais la sortir de là coûte que coûte. Alors promesse audible et silencieuse dans la nuit noire, je lui murmurais à l’oreille : «- J’vais te sortir de là. J’te le promets. »


Alice avait quasiment quitté la maison, nous abandonnant petit à petit, le couple se déchirait et lui aussi. Amplifiant son agressivité, et je repoussais ses assauts envers Noé. La situation dégénérait, l’urgence devenait absolue. Alors j’ai travaillé jour et nuit pour lui offrir un avenir. J’y ai mis mon cœur, mon âme, mon esprit, mon corps et mon sang pour qu’on ne manque de rien. J’ai cumulé les petits boulots en plus de l’école, les emplois au black, les échanges illégaux. La rage si intense envers Monsieur Evans, je me suis lancé dans les combats clandestins, avec salaire à la clé. Je gagnais, je faisais couler le sang, je lui promettais un avenir meilleur. Elle me voyait revenir avec des hématomes ressemblant au sien, et je voyais son visage s’assombrir, mais Noé elle ne disait rien. Elle comprenait même si elle avait peur. Je n’arrivais plus à vivre autrement, obstiné qu’elle aille mieux, je mettais ma vie en sursis. Ce soir c’était le grand soir. La fuite. L’envol de la lune. Le résultat d’une promesse. J’avais assez d’argent pour nous faire vivre, assez pour qu’elle s’en aille loin d’ici. Elle avait fait son sac, le mien était prêt depuis longtemps, comme si je n’avais attendu que ça. J’allais enfin être libre, et je l’aurais sauvé. C’était un double sauvetage en soit. Je sautais par la fenêtre, habilement tel un félin, et je lui fis signe silencieusement de me suivre. Elle me lançait son sac, que je réceptionnais, puis je la réceptionnais elle. L’importante, l’indispensable dans notre fuite. Je lui pris la main et la conduisait à ma voiture durement volée. Le contact enclenché, le moteur vrombissant, je pris la poudre d’escampette en trombe, disant adieu à ce nid à emmerde. La liberté était là, à portée de main, et je vis le regard de Noé s’embuer de larmes de joie. Je sentais qu’elle se libérait, qu’elle me remerciait silencieusement et je lui souriais simplement. Je lui ai offert un toit, une vie, une espérance et j’espérais de tout cœur qu’on obtiendrait elle et moi, cette liberté tant attendue.


Putain c’était trop dure. Trop imaginaire. Impossible tout simplement. J’avais tout pour être « heureux », enfin encore faut-il en connaître la signification, n'ayant vécut que dans cette bulle de rage, de colère et de mystère. J’étais tatoueur, j’étais avec Noé, pas de contrainte, pas de devoir, et chaque jour était différent. Je ne vivais pas dans la monotonie, on vivait simplement. Mais plus les jours passaient, et plus je sentais ma liberté s’échapper entre mes mains. Je me sentais comme mains liés par Noé. Ses attitudes changeaient, elle changeait, et semblait comme éprise. Au début je ne disais rien, pas vraiment affecté ni conscient des changements qui s’opérait, mais petit à petit j’ai compris. J’ai ressentis. Des sentiments étranges, des sentiments plaisants, mais des sentiments que je ne connaissais pas. Je n’ai pas su trouver le terme exact. Je savais qu’une chose, je l’avais dans la peau. Ma vie tournait autour de la sienne, mais je n’ai jamais rien fait pour l’en empêcher, au contraire, je m’y jetais à corps perdu. On vivait bien, on était Noé et Wolf, la lune et le loup. Et puis un jour elle l’a dit, elle l’a avoué. Amère vérité, menotte aux poignets, elle rompait le pacte envers la liberté, elle m’a emprisonné. « Je t’aime Wolf ». Non pas ça. Pas comme ça. Je n’arrivais pas à être heureux. J’avais peur, peur de l’aimer mal ou pas comme elle voudrait. L’amour fait peur, et j’ai fui. Un mot dans l’appartement. Un sac sur le dos, j’ai dit adieu à ce bonheur, et j’ai appelé ma liberté, laissant mon avenir derrière moi.

Je m’en vais. Je suis sincèrement désolé, Noé. J’peux pas être celui que tu aimerais que je sois. J’peux pas t’aimer comme ça. Déteste-moi, si ça peut t’aider. Déteste-moi. Mais n’oublies pas, Noé. Tu es la lune. La majestueuse. Et tu seras toujours en moi.

J’ai quitté l’appartement, sans me retourner et j’ai renoué avec la liberté. La solitude. L’oubli. Le vide sidéral était au sein même de mon existence. Des pensées sombres ont suivis dans mon esprit quand je l’ai quitté. Je vivais Noé. Je n’arrivais pas à faire autre chose que ça. Elle était en mon sein, à chaque battement de cœur, et je n’arrivais pas à me défaire de sa prise. J’ai sombré, comme le loup cherchant la lune, hurlant la nuit mon désespoir, noyant ma peine dans de sombres dessins. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Primitif. Instinctif. Je devais l’oublier. Il le fallait pour ma survie. Alors j’ai bossé comme un fou furieux au salon, je me suis adonné à d’autres plaisirs pour faire de Noé qu’un mirage, je me suis donné à d’autres femmes, celles qui avaient besoin d’une compagnie. Et j’ai tenté de l’oublier, j’essaye encore aujourd’hui. Mais elle hante mon esprit, s’insinue dans mes dessins, dans ma peau. Elle est viscérale Noé. Elle est lunaire. Elle est ma lune et je suis son loup, elle est désormais la maîtresse de ma vie que je le veuille ou non.