I can feel the blood spilling on my soul (Andreas)

KINGSTON – In their reality, their hope is the false hope of someone else.

Une désillusion. Camouflée entre les bâtisses trop nombreuses, entre les ruelles trop étroites, elle n'est que silence et larmes sèches sur un visage qu'elle ronge. Les sanglots s'étouffent au fond de la gorge serrée de la jeune femme qui essuie avec vigueur les creux de ses traits émaciés, comme si ses doigts rougit allaient retirer la peine trop ancrée dans sa peau. Mais elle ne fait que l'étirer et, en le constatant, replonge ses mains dans l'eau chaude de l'évier pour terminer sa tâche. Sa bague de mariage tape contre une assiette et un sourire triste lui vient. Elle se rappelle s'être disputé avec lui pour une simple couleur de vaisselle, mais se souvient également de ce grand 'oui' qu'il avait prononcé le jour le plus beau de sa vie. Ses yeux s'embuent à nouveau de larme sous les souvenirs trop frais dans sa mémoire. Elle est jeune mais le chagrin la vieillit. Combien de temps cela aurait-il fait, eux deux ? Sept longues années ? Jamais elle n'aurait cru que son dernier mot soit un simple adieu sans qu'aucune explication ne soit donnée. Elle n'en avait pas l'utilité, mais le besoin d'avoir quelque chose, une dernière attention de lui, s'était fait vital. Rêveuse, la sonnerie du téléphone la surprend et elle échappe l'assiette des mains, s'écartant à temps pour la regarder s'éclater en morceaux au sol. Un soupir las lui vient avant qu'elle ne se dirige d'un pas lent vers le téléphone qui sonne sa dernière sonnerie. « Allô ? » Fait-elle de sa voix fatiguée. Elle ressemble à ces vieux films anglais, à l'une de ces jeunes femmes de téléfilm qui a le cœur brisé. Elle n'est que copie d'un chagrin cinématographique pour faire de l'argent. C'est connu, la tristesse fait vendre. « Tatianna ? » Répond la voix inquiète au bout du fil, poussant la dite Tatianna à essuyer un peu plus ses larmes, comme si son amie pouvait la voir. La jeune brune secoue la tête avec un sourire morne étirant ses lèvres au rouge à lèvre inexistant. Elle qui se maquillait même pour sortir les poubelles... « Oh Carmen, c'est toi. » Elle n'aurait jamais cru être soutenue par autant de monde, et pourtant, depuis le départ de son mari, les voisins et les amis défilent dans son salon. Mais elle en semble presque exténuée, déçue. La solitude aurait été une meilleure alliée. Elle ne veut pas de leur pitié, elle ne veut pas de leur compagnie. Elle le veut lui. Mais cela semble trop en demander. « Tu vas bien ? » La question comme un sauveteur ayant entendu un SOS silencieux. Une respiration forcée à être un peu plus calme lui répond, alors que la jeune femme part se réfugier près de la fenêtre aux larges rideaux opaques. Elle aime un peu trop fixer l'extérieur, comme si elle attendait de voir son retour, sa silhouette au bout de la rue. « Je vais bien, oui. » Soupire-t-elle, laissant son front venir se coller à la vitre. « C'est ça, arrête de faire genre. Je sais comment tu te sens depuis le départ de Pierce. Tatianna, c'est moi, tu sais que tu peux tout me dire. » Un nouveau soupire, alors qu'elle ferme les yeux, secouant un peu la tête en crispant ses doigts sur le téléphone. « Je m'y attendais, Carmen... Je savais que ça allait arriver. Pourquoi... Est-ce que j'ai espéré ? » Un silence. Elle ne s'attend pas à une réponse, de toute manière. La seule réponse, c'est elle qui peut la donner. Pourquoi ? Parce qu'elle l'aime. Mais cet homme s'était déjà promit à une autre lorsqu'elle l'a rencontré. Elle était jeune, dix-neuf ans tout au plus, alors que lui en avait vingt-cinq. Il était fiancé à cette belle blonde, celle dont on a l'impression qu'elle provient d'un magazine. Puis elle est tombée amoureuse, forcément. La vérité c'est qu'elle a honte de s'être immiscée dans son couple. Ils semblaient si fusionnels, si complémentaires... Elle a bien trop espéré, et même si elle tentait de ne rien faire pour casser ce couple, elle n'est pas innocente. Une amourette, un béguin, trouvez lui tous les synonymes que vous voulez, mais Pierce était accroc à elle au point de tromper sa dulcinée. Tatianna, intelligente, n'en a pas été dupe et pourtant, l'espoir a grandit au fur et à mesure, et elle a tenté de se calquer à tout ce que l'homme de ses rêves voulait chez une femme, comme une gamine trop en manque d'amour. Et elle a réussit. Elle a réussit, avec cette voix au fond d'elle qui n'a jamais cessé de lui chuchoter qu'un béguin ne dure jamais à côté d'un véritable lien inébranlable comme son Amour a connu avant et pendant elle. Elle avait eu raison. Aujourd'hui, il est avec Elle. Aujourd'hui, il a retrouvé celle qu'il a toujours aimé, selon ses dires. Celle pour qui il n'aurait pas dû abandonner son cœur pour ses instincts d'homme trop heureux de trouver en Tatianna une belle jeune femme prête à tout pour lui. « Il l'a toujours aimé, Carmen... Je n'ai été que... Que l'idiote trop amoureuse pour pouvoir se rebeller sur ses décisions. Et lorsque j'ai commencé à le faire... Il s'est rendu compte à quel point ça ne rimait à rien, nous deux. » Sa voix tremble. Ses mots ne sonnent que comme une reprise de paroles qui ne sont pas siennes. Elle secoue la tête, la laissant se cogner de chaque part du cadran de la fenêtre. A quoi bon faire attention, la douleur n'est rien comparée à celle de sa poitrine. « J'ai été stupide, stupide... Je n'aurais jamais cru l'être à ce point un jour... J'ai... » Un soupir termine sa phrase. La maladie d'amour porte bien son nom. Elle l'a rendu fiévreuse, irréfléchie. Malade de lui comme elle le devient de plus en plus. « Maman ? » Ses yeux s'ouvrent brusquement sur la réalité alors qu'elle se redresse, essuyant encore plus sèchement ses larmes. « Je te laisse. » Prend-elle le temps de prononcer d'une voix faiblarde avant de raccrocher et se tourner vers son fils. Il est si jeune, que devrait-elle lui dire ? Elle sait ce qu'il va lui demander. Alors un sourire faux étire le coin de ses lèvres pâles. « Il est où Papa ? » Elle dépose le téléphone se comptoir et se rapproche du garçon à l'encadrement de porte, s'accroupissant pour être à sa hauteur et passer sa main dans sa chevelure presque blonde. Elle ne peut pas lui dire. Elle ne peut pas lui dire que son père est l'un de ces hommes un peu trop faible, un peu trop lâche pour venir parler à son propre fils avant son départ pour lui expliquer qu'il a succombé au plaisir de la chair avant le plaisir du cœur. Elle ne peut pas lui dire qu'il est resté avec eux parce que lui avait fait son apparition, qu'il n'était pas prévu. Qu'il n'avait pas été voulu de son père, sûrement. Elle prend une profonde inspiration puis hoche doucement la tête, tentant d'être rassurante. « Il est... Occupé, ailleurs. Il reviendra vite. Va te coucher maintenant. » Elle se redresse et observe son fils partir  la course vers sa chambre, fermant les yeux en les pressant à l'aide de ses doigts. Alors ce sera ça, leur quotidien maintenant ? Une pluie acide de mensonge ? Elle soupire et se tourne vers l'une des seules photos où ils sont tous les trois qu'elle a accroché avec soin il y a quelques mois, au milieu du mur le plus voyant de la pièce. Son sourire à lui sonne faux désormais. Ses doigts attrapent sa bague et la retire avec force, la laissant s'échouer au sol avant qu'elle ne suive. Elle a toujours été ainsi. Elle a toujours eu besoin de tomber pour se relever.