(elijah) we'll be strangers if we see this through

(you were just a small bump unborn)

J’ai perdu le bébé. Elijah laissa tomber la fourchette qu’il tenait dans ses mains, celle-ci se cognant contre l’assiette posée devant lui, envoyant valser un peu de sauce accompagnée de quelques pâtes sur sa chemise. Il s’en occuperait plus tard. La tache sur son vêtement était le cadet de ses soucis en ce moment. Elle avait lâché cette bombe comme ça, sans l’y préparer. Comment avait-elle le droit? Quoi? La question n’en était pas réellement une, mais il lui fallait un moment pour que son cerveau assimile l’information et la traite, qu’il trouve quoi dire ou quoi faire. Le bébé, je l’ai perdu. qu'elle avait répété un peu plus lentement, un peu plus fort. Il avait compris, là n’était pas la question. Il pouvait bien voir que son ventre arrondi n’était plus. Il n’était pas idiot et avait réussi à faire le lien. Pourtant, qu’elle y ait mis les mots, qu’elle ait rendu ça véridique en admettant ce qui lui était arrivé, ce qui leur était arrivé, c’était un coup auquel il ne s’attendait clairement pas.  Son regard rivé sur Charlotte, il ne savait pas quoi dire. Quels mots étaient justes dans une telle situation? Il y avait aussi mille et une questions qui lui vinrent à l’esprit. Quand était-ce arrivé? Comment? Enfin, il comprenait le principe de la fausse-couche, mais se demandait simplement il était possible que ça lui arrive. Elle était en santé, ne s’épuisait pas à l’ouvrage. Il n’y avait aucune raison pour qu’elle perde  le bébé. Si au départ, cette grossesse n’était pas prévue et qu’Elijah ne se sentait pas nécessairement prêt à être père, sa relation avec Charlotte n’en étant qu’à ses débuts, il avait fini par accepter qu’un petit être humain allait, quelques mois plus tard, entrer dans leur vie, la chambouler du tout au tout et que tout deviendrait secondaire aux besoins de cet enfant. Il n’était pas prêt à 100%, mais quel parent pouvait affirmer sans l’ombre d’un doute être prêt à accueillir un enfant dans sa vie et être prêt à faire face à toute éventualité?

Il croyait réellement qu’ils auraient pu traverser n’importe quoi. Du moins, il voulait y croire. Pourtant, ce fut le début de la fin. Malgré tous leurs efforts, ils se sont éloignés. Peut-être que si cette épreuve était arrivée un peu plus tard dans leur relation, ils auraient pu la surmonter ensemble. Il s’est souvent demandé ce qu’aurait été sa vie si… s’ils avaient décidé que ce n’était pas le moment, qu’ils avaient jugés ne pas être prêts à endosser ce rôle de parent qui les attendait. Si la grossesse de Charlotte n’avait pas pris fin abruptement. Bien des suppositions qui l’ont longtemps hanté et quelque peu détruit. Il faut essayer de passer à autre chose. Oui, les conseils des grands sages sont arrivés par dizaine lorsqu'il a annoncé la nouvelle à ses amis, après que ceux-ci se soient enquis de la grossesse de Charlotte, cherchant à savoir si tout se déroulait bien. Pourtant, aucun d'entre eux n'avait été dans une situation ne serait-ce que similaire. Ils ne pouvaient pas comprendre. Certes, il appréciait l'intention, mais des phrases clichées, ce n'était aucunement ce dont il avait besoin. Et puis, c'était beaucoup plus difficile à dire qu'à faire, de passer à autre chose. Il aurait bien voulu pouvoir tourner la page juste comme ça, aussi simplement, mais il y avait cette petite part de lui qui, au final, aurait peut-être bien aimé être père. Mais ça, il ne l'a jamais avoué à qui que ce soit.

( yesterday you were here with me)

Il lui aura fallu du temps, à Elijah, pour s’en remettre. Parce qu’il n’avait pas simplement à faire le deuil de cet enfant qu’il ne connaitrait jamais, mais faire le deuil de cette relation. Il l’avait bien vue venir. Ils avaient fait des efforts, mais deux mois après que la nouvelle soit tombée, ils ont décidé qu’il était plus sage pour eux de vivre leur deuil chacun de leur côté. Si la réaction initiale fut simplement de tenter de garder leur relation à flot, force est d’admettre qu’à un moment, il en a voulu à Charlotte, se disant que si elle avait fait un peu plus attention, si elle avait pris du repos, ils seraient peut-être toujours ensemble et qu’il y aurait sur cette planète, un petit humain qui serait à la fois d’elle et de lui, à courir partout et semer la terreur. De nombreuses fois, sous l’effet d’un peu d’alcool le plus souvent, il a composé son numéro, à Charlotte, juste pour prendre de ses nouvelles. Savoir comment elle affrontait cette épreuve. Mais chaque fois, il flanchait. Faible. Et peut-être aussi un peu anxieux de savoir qu’elle avait réussi à tourner la page, tirer un trait sur leur histoire. Parce qu’elle avait été importante pour lui. Elle l’était toujours.

Et finalement, après des mois, après près de deux ans, il a finalement réussi à composer son numéro, à appuyer sur ce bouton vert et ne pas raccrocher avant d’avoir entendu la sonnerie. Pourtant, rien. Pas de réponse. Personne n’a décroché. Il n’a pas entendu de voix à l’autre bout du fil. Et tout à coup, c’était comme si elle avait disparu de la civilisation. Il lui était arrivé de l’apercevoir de temps à autre, au loin, sans jamais oser l’approcher, l’aborder pour mille et une raisons diverses. À cet instant, il comprit. Elle était partie. Elle ne résidait plus sur le continent. Les liens s’étaient fait dans sa tête. Peut-être avait-il raison, peut-être avait-elle finalement réussi à tourner la page. Où peut-être était-ce juste pour pouvoir finalement tourner la page qu’elle était partie. Il ne savait pas. Tout ce qu’il savait, c’était que ça lui faisait mal et, il l’aurait nié jusqu’à la mort, mais il était aussi jaloux. Il aurait voulu pouvoir quitter l’Australie, rentrer chez lui à Oslo. Sa mère lui avait d’ailleurs dit que s’il en ressentait le besoin, il pouvait retrouver la chambre dans laquelle il avait dormi toute son enfance, qu’elle l’attendrait. Il en  aurait sans doute eu besoin, de tout plaquer, mais il en était incapable. Il ne pouvait pas tout plaquer comme ça. Il avait une vie, un boulot, des amis. Il ne pouvait pas tout simplement plier bagage, dire au revoir à tout le monde et partir sans se retourner. Il n’en était pas capable. Sans doute trop sentimental et attaché à cette terre qui était devenue terre d’accueil pour lui, un peu comme une seconde maison.

(i'm a mess right now inside out)

Si sa vie semblait tomber en morceau, si elle semblait lui glisser entre les doigts, une chose restait. Son boulot. Spécialiste en relations publiques, il s’était noyé dans le boulot. On l’avait toujours su bosseur et travaillant, mais là, c’était à l’extrême. Ç’a commencé après la perte du bébé. Au boulot, il se concentrait sur la tâche à effectuer et pouvait, pendant quelques heures, ne pas penser au vide qu’il ressentait. On lui disait d’en faire moins, qu’il allait se bruler à trop en faire, mais têtu comme il était, Elijah n’en a fait qu’à sa tête, délaissant Charlotte, se coupant peu à peu de ceux qui l’entouraient, ceux qui comptaient. Certains disaient que ce n’était qu’une phase, qu’il allait vite s’en remettre, mais ce ne fut malheureusement pas le cas. Pendant des mois, Elijah passait le plus claire de son temps au bureau, ne rentrant chez lui que pour dormir. Il était comme un fantôme dans sa propre demeure, ses voisins sursautant lorsqu’ils le voyaient rentrer chez lui. Évidemment, impossible de garder une attitude aussi malsaine pour une longue période. Ce qui s’avérait être une visite de routine chez le médecin se termina avec une prescription d’anti-dépresseurs. Lorsque le médecin lui donna ce petit bout de papier sur lequel était gribouillé la marque du médicament, il voulu rire, Elijah. Lui, sous médication? Ce n’était pas possible. Il allait bien. Il le répétait à qui voulait l’entendre qu’il allait bien. Pourtant, sa santé tant mentale que physique s’était détériorée. Et finalement, un soir, chez lui, il s’assied à la table de la cuisine et contempla ce petit pot de pilules. Les minutes passèrent avant qu’il ne l’ouvre et en laisse tomber une dans sa main. Il lui fallait arrêter de jouer à l’homme fort. Ça ne servait plus à rien. Il n’y avait plus personne à impressionner, plus rien à gagner à faire semblant.

(wait for me to come home)

Londres? Tu pourras venir nous voir plus souvent! Voilà la réaction de sa mère lorsqu’il lui annonça qu’il avait eu une offre pour un poste à Londres, quelque chose de permanant. Un sourire se dessina sur le visage d’Elijah qui hocha la tête, malgré que sa mère ne puisse pas le voir. Il était heureux de se retrouver près de sa famille à nouveau. Sydney, l’Australie, c’était bien, mais tellement différente d’Oslo, de tout ce qu’il connaissait. Et puis, il avait fait le tour, il avait vu ce qu’il y avait à voir. Il avait aussi profité de tout ce que Sydney avait à lui offrir, lui qui avait amplement profiter du nightlife australien pendant les études, du moins, c’était l’impression qu’il en avait. Vous pourrez aussi venir me rendre visite, papa et toi. Suggéra-t-il, même s’il savait que son horaire allait être plutôt chargé. Il pouvait presque voir sa mère sourire à l’autre bout du fil. Il la connaissait si bien. Ça lui avait fait mal lorsqu’il lui avait annoncé qu’il irait terminer ses études à Sydney. Il avait toujours eu l’âme voyageuse et savait qu’il aspirait à plus que rester à Oslo toute sa vie, mais elle n’était sans doute pas prête à ça. Elijah était son bébé, surnom duquel elle l’affublait parfois encore et qui lui faisait rouler les yeux. Maman, je dois te  laisser. J’ai encore quelques trucs à ranger avant de partir. Et comme toutes les mères, elle lui rappela les milles et unes consignes de sécurité et lui souhaita un bon voyage, mais surtout d’être prudent. Elle avait le don de toujours imaginer le pire et Elijah savait qu’elle n’aurait pas la conscience tranquille tant qu’il ne l’aurait pas contacté une fois arrivé à Londres. Comme quoi l’âge importe peu pour une mère. Et six heures plus tard, il était dans un avion et, pour les vingt-quatre prochaines heures, il parcourerait le globe jusqu'à finalement atteindre sa destination finale, l'aéroport d'Heathrow.

(I am so gone, so tell me the way home)

Ne vous inquiétez pas, je serai présent et à l’affut. À la moindre incartade, elle rentre à l’hôtel. Avait assuré Elijah au manager de cette nouvelle star dont il était responsable. Il faut dire, il n’avait fallu que deux heures avant qu’Elijah ne décide qu’il était temps pour elle de rentrer, elle qui avait enfilé les verres plus rapidement qu’il ne pouvait les compter. Poussant un soupire d’exaspération, il lui attrapa le bras et l’attira loin de la foule qui se délectait déjà du spectacle qu’elle était prête à leur offrir. Impossible de laisser aux gens ne serait-ce que la possibilité de prendre Nina en flagrant délit. Elle qui avait déjà fait la couverture de plusieurs magazines à potins dernièrement – et pas pour les bonnes raisons – il était impossible qu’on la retrouve en page couverture d’un autre de ces torchons. Lâche-moi. Elijah roula les yeux. Tant que tu ne sauras pas te contrôler, je ne te lâcherai pas. Déclara-t-il d’un ton autoritaire. Un vrai papa poule. De toute façon, tu peines à tenir debout. Elle lui fit une grimace, ce qui lui arracha un énième soupire. Alors qu’ils marchaient vers la sortie, là ou les véhicules les attendaient, prêt à raccompagner les invités à leur hôtel, il la remarqua, là, au loin à discuter avec des gens importants sans doute. Il ne savait pas, ce n’était pas son type de soirée. Et puis, ça ne l’intéressait pas, ce soir, il faisait son boulot, point final. Va la voir. Elijah regarda Nina d’un regard interrogateur. Je peux rentrer seule, tu sais. Ils sont la pour ça après tout. Dit-elle en désignant les voitures de l’autre côté de la porte. Voilà qu’elle semblait presque lucide tout à coup. Si on découvrait qu’il l’avait laissée rentrer à l’hôtel sans qu’il n’ait supervisé le trajet, il s’en mordrait les doigts, pourtant, il prit une chance. Il ne pouvait pas laisser Charlotte filer. Après que Nina soit installée à l’arrière du véhicule, Elijah s’adressa au chauffeur. Peu importe ce qu’elle dit ou fait, assurez-vous qu’elle rentre bien à l’hôtel. Je sais qu’elle peut se montrer persuasive, mais sachez résister. Il glissa quelques billets au chauffeur qui hocha la tête. Et il regarda le taxi s’éloigner avant de rentrer dans la bâtisse, décidé à retrouver Charlotte.

Une fois qu’il la retrouva, ils trouvèrent un coin un peu plus tranquille et loin des regards pour discuter. Après tout, Elijah avait beaucoup à dire à Charlotte. En fait, il avait surtout des questions. Pourtant, la conversation ne se déroula pas tel qu’espéré. Que des questions de surface, rien pour provoquer l’autre, pour rouvrir les vieilles blessures du passé, jusqu’à ce qu’Elijah n’ose sauter à pieds joints dans le sujet. Parce que c’était stupide de prendre des détours quand il était évident qu’ils devaient aborder les sujets qui fâchent. Il le fit de façon plutôt discrète, lui demandant comment elle avait atterri à Londres, même si au fond, il se doutait de la réponse. Le voilà qui osait finalement aborder le sujet, affronter ce démon du passé, mais ce fut au tour de Charlotte de refuser de l’aborder, coupant court à toute conversation en quittant la pièce. Meilleure chance la prochaine fois, parce qu’il espérait qu’il y ait une prochaine fois. Il en avait besoin. Il fallait en discuter pour permettre de panser la blessure.