☆ on se branle devant les bombardements. (teddy)

La vie peut être sacrément chienne, quand on y pense. C’est vrai, elle donne parfois tellement à des gens qui ne le méritent certainement pas et elle reprend à ceux qui sont le plus dans le besoin. Pourquoi eux ? Pourquoi pas ces autres ? On ne sait pas. Ça vous tombe sur le coin du nez, sans que vous y soyez préparé et vous devez juste accepter. Encaisser. Et avancer. Pas le choix, la vie c’est un avancement continuel qui ne vous permet pas de vous arrêter, de revenir en arrière. Non, il faut toujours continuer. Même si vous trébuchez, il faut vous relever et reprendre votre route. Un peu comme si quelqu’un vous poursuivait à chaque instant. Si vous vous arrêtez, il vous attrape ; s’il vous attrape, vous êtes fichu. Alors il faut avancer, encore et encore, même si vous êtes fatigué. Même si vous en avez marre et que vous avez mal aux pieds. Même si ce petit rocher, là, sur le bas-côté, vous fait de l’œil et qu’il paraîtrait presque douillet en comparaison. Non, il faut avancer, juste avancer. Comme des moutons, comme des automates. Comme des robots. Mais avancer vers quoi au juste ? Avancer vers notre fin, la mort ? Parce que c’est ce qui nous attend au bout du chemin, non ? C’est bien la mort que l’on va trouver au bout du chemin ? Triste. Triste en sachant que l’on n’a pas d’autre choix que de la rejoindre, au final. C’est pas comme si un petit sentier se dessinait devant vous et qu’un panneau vous indiquait “vers autre chose que la fin” en somme. Ce serait trop beau.
Je n’ai pas eu la chance de naître dans une famille très riche. Mon père était en fait un vrai connard qui dilapidait tout notre argent dans les jeux et la boisson et quand il est mort dans un accident de la route (soi-disant renversé par un chauffard ivre), il nous a laissés ma mère et moi avec une montagne de dettes à rembourser. J’avais une dizaine d’années. J’étais jeune, innocent et pourtant j’ai bien vite compris que ma vie ne serait jamais bien rose. Je ne suis pas allé à l’école, c’est ma mère qui m’a tout enseigné. J’ai dû trouver des petits boulots par-ci par-là afin d’aider cette femme qui me donnait tant au quotidien. Mais c’est parfois difficile de se faire respecter quand on est haut comme trois pommes et qu’on se pointe, la bouche en cœur, en demandant innocemment si on veut bien vous prendre à l’essai alors que vous n’avez aucune qualification. Alors je m’occupais de sortir les chiens de ces familles de riches, je portais les courses des vieilles dames. Parfois même, je lavais les carreaux à un feu rouge sur Piccadilly Circus. Ça ne payait pas beaucoup, mais chaque plus petite pièce que je gagnais, je la donnais à ma mère. Et chaque fois, j’interceptais son regard humide mais fier. Ses grands yeux fatigués mais si chaleureux.
Ma mère est une véritable reine, quoiqu’on en dise. Elle est tout pour moi. Elle m’a tout donné. Quand mon père nous a abandonnés, elle s’est démenée comme une folle pour faire vivre le foyer, pour que je ne manque de rien. Elle s’est saignée à banc, juste pour moi. Son fils. Combien de fois l’ai-je vue partir tôt à travail et ne rentrer que tard le soir, quand la nuit est déjà tombée ? Elle était si fatiguée. Mais elle rentrait toujours avec un sourire tendre aux lèvres, surtout quand elle voyait notre petit appartement miteux bien rangé, propre et le couvert dressé. Je l’attendais toujours pour manger, même si crevais la dalle. Même s’il n’y avait pas grand-chose sur notre table. Mais au moins, nous nous avions l’un l’autre et c’était ce qui comptait. J’aurais voulu pouvoir faire bien plus, pouvoir l’aide encore plus. Elle qui se tuait à la tache chaque jour, j’avais l’impression d’être un poids pour elle. Je me disais que, peut-être, si je gagnais encore plus d’argent, alors ça serait plus facile pour elle. J’ai essayé une fois de revendre un peu de drogue. Comme ça, juste parce que ça payait bien et que nous avions besoin de cet argent. J’avais dix-sept ans à peine et ça me tuait de la voir ainsi. Mais ça n’a pas vraiment bien marché. Ma mère a découvert le pot aux roses et je me suis fait engueuler. Puis elle a pleuré. Elle a pleuré en disant qu’elle était une mauvaise mère parce qu’elle n’arrivait pas m’offrir une vie décente. Bien sûr, je l’ai rassurée et lui ai dit que je voulais juste la décharger un peu, qu’elle puisse profiter de sa vie, elle aussi. On a fini par s’accorder sur le fait que je devais oublier ma carrière de dealer à la sauvette. C’était mieux comme ça. J’aime ma mère. Je lui dois absolument tout. Elle est la personne la plus formidable qui existe sur cette Terre et jamais aucune femme ne pourra lui arriver à la cheville.
C’est sûrement pour ça que je suis gay. Foutrement gay. Jusqu’à mon gland. Je sais que je ne trouverai jamais une femme aussi bien qu’elle et je ne pourrais pas m’empêcher de faire la comparaison. Au moins, avec les hommes, je n’ai pas d’attente. Pas d’espoir. Je sais ce que la plupart d’entre peuvent valoir. Je sais comment ils sont. Je ne m’attends pas au conte de fées ni à un “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants” (déjà, pour les enfants, ça va être difficile). Avec les hommes, c’est simple. Pas compliqué. Tu veux, tu prends. Tu jettes, le cas échéant. Pas de prise de tête, pas de complication. Je n’ai jamais cherché à me caser. En réalité, ce n’est pas le genre de relation qui m’intéresse pour l’instant. Je suis bien trop accaparé par ma vie quotidienne branlante pour m’investir dans une relation qui me prendra les trois quart de mon temps. Alors ce ne sont que des coups d’un soir, des amourettes d’été ou de passage. Rien de concret, rien de définitif. Rien de profond, en somme. Je reste dans ce genre de relation superficielle et sans saveur. C’est juste histoire de passer du bon temps et d’oublier pendant un moment. De m’oublier. Je n’existe plus, mes problèmes disparaissent. Et ça fait du bien de relâcher la pression de temps à autre. C’est vrai, j’ai l’impression d’avoir un tel fardeau sur les épaules que ça devient épuisant par moment. Comme si j’étais déjà vieux à vingt-cinq ans. Comme si j’en avais vingt de plus. Je suppose que ma vie a fait que j’ai dû murir bien trop vite, bien trop tôt et parfois j’aimerais retrouver un peu d’insouciance et de liberté. Juste un peu, histoire de souffler et de me dire que ma vie ne sera pas toujours comme ça. Qu’un jour, ça s’arrangera.
J’ai aujourd’hui un vrai travail. Fini les promenades de toutous manucurés, fini les sacs remplis de soupes et de légumes. Je sers des hamburgers et des frites trop salées à des foutus gosses de riches qui pensent que se mêler à la ‘populace’ va les rendre plus humains. En fait, je ne les sers pas vraiment. C’est plutôt moi qui les prépare. Le patron a dit que les tatouages allaient choquer sa clientèle de péteux alors il m’a mis derrière. C’est pas si mal, au moins je n’éprouve pas l’envie de leur claquer leur hamburger pas assez cuit dans leur figure enfarinée. J’avoue, hier j’ai craché entre la salade et le steak d’un de nos clients. Une tête de con. Il n’a pas eu l’air de s’en rendre compte. Au contraire, j’ai entendu dire qu’il s’était régalé. S’il avait su, je crois qu’il aurait vomi ses tripes sur le plateau de son déjeuner. Ça aurait été marrant. Sûrement moins drôle après coup, mais sur le moment je me serais bidonné. Certes, ce travail n’est pas très reluisant mais, au pire, je m’en fiche. Il paye plutôt pas mal (plus que de laver des voitures, en tout cas) et certains collègues sont sympas. À part le manager, lui, c’est un vrai fouille-merde. Mais, en dehors de ça, l’ambiance est agréable et ça me permet de ramener de quoi manger chez moi. Je sais que ma mère m’en est reconnaissante et que ça la soulage un peu. Je ne sais pas tellement ce que l’avenir nous réserve, si on arrivera un jour à s’en sortir mais je n’abandonnerai pas ma mère. Après tout, je suis tout ce qu’elle a désormais. Et elle est tout ce que j’ai également. C’est un peu elle et moi contre le monde entier. Contre tous. Du moment qu’elle est là, avec moi, je sais que je peux continuer de marcher tout droit.