Appel de Lydia Hobbs à Liam McAlister

Les feux d’artifices s’étaient éteints depuis une bonne demi-heure. Lydia happait hasardeusement la pile de vestes et de manteaux, dans l’espoir de trouver sa pochette. Sa vision était quelque peu floue et ses mains ne coopéraient pas vraiment. Trop d’alcool dans le sang. Mais c’était la célébration de la nouvelle année, elle ne voyait pas pourquoi, elle devrait se limiter. Les verres s’étaient enchaînés à une vitesse, qui lui donnait encore le tournis. La soirée n’était pas terminée, elle était même bien loin de l’être. Elle avait souhaité la bonne année à des dizaines de personnes, à des inconnus, à des amis, à des connaissances. Mais pas à la personne qui était, sûrement, la plus importante. Ses doigts s’enroulèrent dans la hanse d’un sac. Comme par chance, c’était la hanse de sa pochette. Elle s’empara de son téléphone, les notifications se succédaient, mais elle les ignora. Ses doigts tapèrent avec hâte le numéro de téléphone qu’elle avait appris par cœur. La voix de Liam finit finalement par se faire entendre à l’autre bout du combiné. « Bonne année bébé ! » S’écria-t-elle avec enthousiasme.

Les paupières de Louis se fermaient doucement, il n’avait pas l’habitude de veiller aussi tard, mais les feux d’artifices l’avaient réveillé et il était venu assister au spectacle avec nous. Un sourire se dessina sur mes lèvres en le regardant s’endormir, d’un air paisible. En bas, j’entendais encore les rires de Lyanna et de nos amis. La soirée avait été plutôt tranquille, un repas entre amis et des jeux avec les enfants. C’était loin d’être la soirée de l’année, mais nous avions passé de bons moments et ce n’était pas encore terminé. Mon téléphone vibra dans la poche de mon jean, je le sortis de cette dernière et un sourire se dessina sur le coin de mes lèvres en voyant le nom s’afficher sur l’écran. Je n’avais pas encore trouvé le temps de l’appeler pour lui souhaiter la bonne année et je ne voulais pas le faire par texto. Entendre sa voix me manquait. Je sortis de la chambre pour aller m’enfermer dans la salle de bain. « Salut bébé. » Murmurai-je en décrochant. « Bonne année bébé ! » Je laissai échapper un rire face à son enthousiasme. « Bonne année à toi aussi. » Déclarai-je en venant m’asseoir sur le rebord de la baignoire.

Lydia se laissait tomber sur la pile de manteaux et vestes, qui s’empilaient sur le lit telle une montagne de tissus. Elle avait passé sa soirée à changer d’endroit, pour finalement finir dans la villa d’un parfait inconnu, un peu à l’extérieur de Londres. Ça lui importait peu. L’alcool qui coulait dans ses veines altérait encore plus son jugement. Un sourire se dessina sur ses lèvres en entendant la voix de Liam au bout du fil. « J’ai pas eu de bisou à minuit pour la nouvelle année, je boude. » Elle mettait un point d’honneur à le faire chaque année, mais cette fois-ci c’était différent. Ses lèvres – comme le reste de son corps – appartenait à Liam. Rien qu’à lui. Ses doigts jouaient avec les franges d’une veste. Ses dents s’enfoncèrent dans sa lèvre inférieure. « Tu me manques, tout le temps. J’en ai marre que tu me manques en permanence. » L’alcool avait tendance à la faire parler, à rendre sa langue toute molle, à l’empêcher de retenir les mots. « Qu’est-ce que tu m’as fait ? Qu’est-ce que t’as fait pour que je sois autant amoureuse de toi ? » S’enquit-elle en soupirant dramatiquement. Les mots glissaient simplement, sans même qu’elle s’en rende compte.

La voix de Lydia à l’autre bout du fil était comme une douce mélodie. Un frisson parcourait mon corps, chaque fois que je l’entendais. L’effet qu’elle avait sur moi réussissait encore à m’étonner. Mais je ne m’en cachais plus. Au fil des mois, Lydia était devenue comme une drogue dont je ne voulais me passer pour rien au monde. Un rire s’échappa de mes lèvres en l’entendant parler du bisou qui avait traditionnellement lieu à minuit, le soir du nouvel an. Une part de moi était désolée pour elle, mais l’autre était rassurée de savoir que personne n’avait eu ce privilège. Si je ne pouvais capturer ses lèvres pour ce fameux baiser, je ne voulais que personne d’autre n’ait le droit de le faire. « Je viendrai t’embrasser demain si j’arrive à me libérer. » Plaisantai-je à moitié. « Tu me manques, tout le temps. J’en ai marre que tu me manques en permanence. » Un sourire traversa mes lèvres face à sa confession. « On est quitte dans ce cas. Tu me manques chaque fois qu’on n’est pas ensemble. » Soufflai-je, doucement. C’était la vérité. Je devenais de plus en plus dépendant d’elle, comme si j’avais besoin de la toucher et de la voir chaque jour. Lorsqu’elle n’était pas là, elle hantait mes pensées. Plus qu’elle ne le devrait. « Qu’est-ce que tu m’as fait ? Qu’est-ce que t’as fait pour que je sois autant amoureuse de toi ? » Je laissai échapper un rire en secouant la tête. « J’ai absolument rien fait bé… » Je fronçai les sourcils et mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Amoureuse de toi. Pendant une fraction de seconde je me demandais si je n’avais pas imaginé ce que je venais d’entendre, mais ce n’était pas le cas. Ces mots étaient bien réels. « Quoi ? » Mon pouls s’accéléra. M’aimer compliquerait tout, elle n’avait pas le droit de tomber amoureuse de moi.

Ses doigts continuaient avec les franges de la veste. C’était stupide de mettre des franges à une veste, songea-t-elle. Elles pouvaient se prendre dans n’importe quel creux, s’accrocher bêtement à n’importe quel objet. Lydia n’approuvait pas, et si elle savait à qui appartenait cette veste, elle ne se gênerait pas pour leur faire savoir. De toute façon, elle ne s’en souviendrait pas. Elle avait consommé une quantité d’alcool plus que raisonnable. « T’as intérêt. » Un sourire se dessinait sur ses lèvres, alors que son ton se voulait sérieux, voire même menaçant. Ce n’était pas concevable, pour elle, ne pas être embrassée pour la nouvelle année. C’était une tradition, d’elle à elle-même, qu’elle comptait honorer chaque année. Liam n’avait cas se débrouiller pour être présent. C’était lui le menteur, après tout. « On est quitte dans ce cas. Tu me manques chaque fois qu’on n’est pas ensemble. » Son sourire s’élargit. « C’est vrai ce mensonge ? » S’enquit-elle, sur un ton plus doux. Liam lui manquait, tout le temps. Même quand ils se disputaient, même quand elle voulait le détester profondément. Il lui avait forcément fait quelque chose. Leurs vies n’étaient pas celles d’un téléfilm du dimanche après-midi, mais Lydia se demandait vraiment comment elle avait réussi à être aussi dépendante d’une autre personne. D’être aussi amoureuse d’une autre personne. « Je t’ai dit : Qu’est-ce que t’as fait pour que je sois autant amoureuse de toi ? » Souffla-t-elle. « Tu deviens de plus en plus sourd, » lança-t-elle, sur un ton taquin.

Je laissai échapper un rire face à sa remarque. Je n’avais pas l’intention de laisser passer cette occasion, d’être le premier à lui donner un baiser, pour cette nouvelle année. Lyanna avait pris des jours de congés, et moi aussi, mais je pouvais tenter de me libérer quelques heures. Je pouvais le faire, pour elle. Pour retrouver ses bras, ses lèvres, et ses caresses. « C’est vrai ce mensonge ? » Je levai les yeux au ciel, un sourire traversant mes lèvres. « Je ne mens jamais. » Lançai-je, sur un ton taquin. C’était l’hôpital qui se foutait de la charité. Mais, en un sens c’était vrai. Je ne lui mentais jamais, à elle. Je n’avais pas besoin de le faire. Elle était l’objet même de mes plus gros mensonges. J’aimais croire que notre relation était basée sur l’honnêteté. Je n’avais pas besoin de lui cacher des choses, car elle connaissait déjà mes pires côtés. Je me stoppai dans mon élan en me rendant compte de ce qu’elle venait de dire. Je ne m’attendais pas à l’entendre le répéter. Aussi aisément, aussi spontanément. « Tu deviens de plus en plus sourd, » J’ignorai sa remarque, restant silencieux un moment. Seuls les rires des invités faisaient écho au silence. Elle ne pouvait pas être tombée amoureuse, pas en sachant que cette liaison ne mènerait nulle part. Je savais que ce qui la poussait à parler était l’alcool qui devait couler dans son sang. Elle avait bu, je pouvais l’entendre à sa façon de parler. Je l’avais déjà vu dans cet état. Mais, pourtant, elle semblait sincère. Cette révélation changeait tout, bousculait tout. « Tu peux pas Lydia… » soufflai-je, dans un murmure presque inaudible.

Ses yeux se plissèrent, alors qu’un rire s’échappa du fin fond de sa gorge. Evidemment qu’il mentait. Tout le temps, tous les jours, à tout le monde. Sauf à elle. Ou du moins, elle l’espérait. S’il était capable de mentir à la femme qu’il aimait, alors il pouvait aussi lui mentir, à elle. La maîtresse, l’autre femme. Celle qu’on blâmerait pour tout, celle qui se ferait insulter, si un jour ça se savait. « Tu mens bien, c’est pas pareil. » Elle ne préférait pas y penser, ne préférait pas se dire qu’il pouvait lui avoir menti. Parce que ce serait un trop douloureux rappel à la réalité. Et Lydia n’était pas prête à le perdre. Elle se redressa doucement, quand son silence devint trop long. Elle passa une main dans ses cheveux, fronçant les sourcils face aux nœuds qu’elle pouvait sentir entre ses doigts. La musique, en bas, faisait trembler la porte, les murs, les fenêtres. Une centaine de personnes, voire plus, dansaient, chantaient, riaient, pour célébrer le passage de 2016 à 2017. Et Lydia attendait. « Bébé ? » S’enquit-elle doucement. « Tu peux pas Lydia… » Les plis de son front s’accentuèrent davantage. Elle peut pas ? Elle peut pas quoi ? « Je peux pas te dire que t’es sourd ? » Elle pouffa doucement de rire.  « Figure toi que je peux. T’es sourd ! Mais c’est la vieillesse ça, tu sais. »

Je secouai la tête en riant. Elle avait raison, je mentais bien. J’avais appris à le faire, pour me protéger, et parce que c’était plus facile ainsi. « Je ne te mens pas à toi. Jamais. Je voulais qu’elle le sache, parce que c’était la vérité. Elle était probablement la personne avec laquelle j’étais le plus honnête. Mon regard s’arrêta sur une fissure dans le bas de la porte. Je la fixai comme s’il s’agissait de la plus belle chose qu’il m’est était donné de voir. Mais, mes pensées étaient ailleurs. Lydia ne semblait pas se rendre compte de ce qu’elle venait de dire. Son rire était innocent. Elle semblait heureuse, en cet instant. En cette nouvelle année qui commençait. « Figure toi que je peux. T’es sourd ! Mais c’est la vieillesse ça, tu sais. » Je me raclai la gorge, mais cette dernière sembla compressée, comme si quelque chose m’empêchait de respirer convenablement. « Je suis pas si vieux que ça. La trentaine c’est le plus bel âge, je serais jamais aussi beau que maintenant.» Tentai-je, sur un ton faussement amusé. Ses taquineries avaient l’habitude de me faire rire mais, ce soir, je ne pensais qu’aux complications qu’allaient engendrer ses paroles. Je pouvais faire semblant de ne pas les avoir entendues, juste pour ce soir, mais elles allaient hanter mes pensées, et je n’allais pas pouvoir faire semblant éternellement.