(Scotty & Mikyella) Have you met... ?

L’alcool a une saveur âpre et piquante sur ma langue, mais je n’en ressens plus le goût ni la brûlure. Pourtant, je suis encore bien loin de cette torpeur salvatrice que les liquides transparents sont les seuls à pouvoir m’offrir. Je suppose qu’à force de boire comme un trou, jusqu’à l’effondrement, on finit par développer une résistance. J’avais eu ma période où la moindre goutte de liqueur soulevait mon estomac et retournait mon foie, mais à force de persévérance – car oui, hors de question de devenir un Bob ou un Sam, ou je ne sais quel autre nom donné  pour ces tristes, mais courageux gars qui ramenaient leur potes défoncés chez eux – j’étais finalement passé outre cette petite rébellion corporel.

La soirée n’était pas trop mal. Les gens riaient et je riais aussi, même si je savais pas trop pourquoi. J’appréciais d’autant plus de me trouver à l’extérieur même si je soupçonnais l’air frais de garder mes idées au clair quand j’aurai préféré passer en phase de vol libre – où je ne suis plus capable de penser à quoique ce soit et où tout le monde est mon ami le plus fidèle tant qu’il veut bien partager les quelques merveilles qu’il a en sa possession.

Dans la marée humaine qui constitue le festival et qui se presse près de la scène, j’avais eu vite fait de perdre les amis avec lesquels j’étais venu, mais ça ne m’inquiétait pas vraiment. Je préférais de loin m’aventurer tout seul au travers des bras agités et des corps en ébullition que de rester cloitrer dans mon petit cercle d’amis, de plus deux d’entre eux étaient en couple, et ça avait le don de m’exaspérer. Et j’osais croire qu’ils ne repartiraient pas sans moi. Je tâtais tout de même la poche intérieure de ma veste pour y trouver la bosse rassurante de mon portefeuille et mon smartphone.

J’avais rapidement repéré un petit groupe qui faisait passer une bouteille d’Eristoff et quelques joints. Même si je me gardais de toucher au joint – j’avais depuis longtemps compris que ma résistance à ces substances était ridicule – je m’incluais savamment entre deux gars – je ne m’approchais pas tout de suite des filles, ne voulant pas qu’ils me voient d’emblée comme un envahisseur – vous savez, la loi de la savane ? Toujours respecter ça quand on veut se faire bien voir et chopper la vodka. Je ne savais même pas pourquoi je tenais tant à me bourrer la gueule. Pas que j’ai quelque à oublier ou que j’en ai réellement besoin pour m’amuser, ni même que la musique ne m’intéressait pas. C’était juste devenu une habitude, je crois qu’un psy trouverait quelques raisons profondes à ce comportement, du genre que je ne me sens pas vraiment moi-même et que j’ai besoin d’agir différemment – et Dieu sait que je suis très différent avec de l’alcool dans le sang – pour me sentir accepter par les autres. Genre, mal dans sa peau à cause d’un traumatisme dans l’enfance – est-ce que mes parents m’avaient déjà oublié dans un rayon au centre commercial ? Non, je ne crois pas, monsieur le psy.

L’alcool commençait à faire son effet ; je commençais à avoir des pensées existentielles, il fallait vite que j’enfonce un peu plus le clou avant que je me mettre à pleurer. Je décidais donc je quitter mes anciens nouveaux amis et en trouver d’autres avec des stocks un peu mieux fournis. Je trouve quelques que bière et finis par vider un shoot de tequila avec une fille quand les premières notes de Midnight de Coldplay viennent résonner dans ma poitrine et faire vibrer le sol sous mes pieds. Je lève brièvement les yeux vers la scène, puis reporte mon attention sur la fille, pas spécialement mon genre, mais elle m’offre gracieusement un deuxième shoot contre un sourire en biais. J’ai le sel sur le dos de la main gauche, le citron dans l’autre. Je lèche le sel et saisis le shoot qu’elle me tend et le descend rapidement, je m’empresse d’approcher le citron de mes lèvres, quand...

« Chriiiis ! Qu'est-ce que tu fais là ? s’exclame une voix féminine et m’enlaçant. »

À mon plus grand dam, le citron m’échappe des mains et se perd dans la foule, certainement piétiné. Je ne peux donc que ravaler mon haut-le-cœur tandis que le sel me ravage la langue et que la tequila repend au goût immonde dans l’ensemble de ma bouche et de ma gorge.

Et puis, c’est qui Chris ? Et elle, c’est qui ?

Je me retourne précautionneusement, toujours en train de saliver comme un imbécile pour faire passer le goût de la tequila et la dévisage un moment, jusqu’à juger qu’elle était trop bien foutue pour être remballée avec ma violente courtoisie habituelle.

«  C’est qui, Chris ? me contenté-je de dire. »

Elle éclate de rire, c’est le comble ! Mais l’odeur douce-amère qu’exhale sa bouche m’informe sur son degré d’alcoolémie. Et vu que je ne suis pas tout à fait sobre non plus, je n’ai pas le réflexe de la repousser. Je la laisse donc glousser, et me retiens d’en faire de même. Si je n’avais pas encore le goût écœurant de ma téquila raté, j’aurai sans doute ris à gorge déployé aussi.

« C'est pas toi en tout cas ! »

Merci, cap’tain Obvious, j’aurai pas deviné. Je me contente de lui faire un sourire désabusé et d’incliner la tête sur le côté. Elle se reprend rapidement et me regarde bien dans les yeux cette fois, agitant vainement la main devant son visage comme ça allait suffire pour dissiper la chaleur ambiante et la faire descendre de son nuage de bières.

« Excuse-moi, je t'ai confondu avec... enfin peu importe … Je crois que la bière de Mary Poppins y est pour quelques choses ... »

Cette fois-ci je souri franchement tandis qu’elle me montre une chope de bière à peine entamée, et je me doute que c’est loin d’être la première et que la Mary Poppins en question n’a d’autre pouvoir magique que celui de remplir son verre dans son dos.

« Je n'ai jamais bu une chope de bière aussi GRANDE !! Elle me semble maléfique … Je dois avoir l'air du folle ! Pardonne-moi, je m'appelle Mikyella, mais Miky ça passe très bien et toi ? »

Avoir l’air d’une folle, c’est presque certain. Mais on a tous le même air déchaîné et à côté de la plaque à ce festival, donc je ne m’en formalise pas. Je suis contente qu’elle me donne un diminutif. Même si je ne suis pas encore totalement bourré, je sais que le lendemain, je serai bien incapable de me rappeler d’un prénom aussi long et peu commun. Donc, Miky.

« Scotty, soufflé-je en relevant mes lèvres sur mes dents, t’es plutôt marrante, en fait. »

Je suis pas sûr qu’elle ait écouté ce que j’ai dit. La foule s’est mise en mouvement et visiblement curieuse, elle essaye désespérément de voir la scène. Mais étant trop petite, elle juge mes épaules comme un bon support et y prend appuie. Je ne suis pas encore assez alcoolisé – ou peut-être trop justement, je sais plus trop – pour ne pas remarquer le rapprochement soudain de mon visage et de sa poitrine. J’ai encore la galanterie de lever les yeux au ciel après y avoir jeter un regard.

« Viens ! C'est Linking Park ! »

Elle attrape mon bras et me traine vers la scène. Sauf que je ne suis pas vraiment de la même corpulence qu’elle et tandis qu’elle se faufile entre les gens, je ne cesse de me prendre des bras dans le visage et de trébucher sur des jambes. Et vu que mon équilibre commence à être douteux, je manque de tomber à plusieurs reprises.

« Regarde ! Ils sont trop géniaux ! »

Vu son visage d’enfant ravi, je n’en doute pas une seule seconde.

« Tu viens souvent ici ? finis-je par demander pour entamer la conversation. »

C’était tout ce que mon cerveau était capable de sortir en ce moment. Je me demandais vaguement si je n’allais pas la déranger pendant qu’elle écoutait ce qui semblait être son groupe préféré.