told myself that you were right for me (scotty)

J’appuie distraitement sur le ressors du mon bic avec mes dents jusqu’à ce que celui-ci me revienne violemment dans les gencives. Cela m’arrache un grognement douloureux, mais a le mérite de me sortir de mes pensées. Ces dernières ne cessent de me ramener à un certain banc, au cœur d’un parc d’Hampstead. En somme, il est plutôt banal et au premier coup d’œil, il ressemble à n’importe quel autre banc, de ce parc ou de partout ailleurs à Londres. Et il le serait sans aucun doute si une jeune femme n’y avait pas gravé son trouble et si, comme n’importe quel autre passant anonyme, je n’y avais pas répondu.

Pourtant, nous l’avions fait et depuis lors, je développais une certaine obsession vis-à-vis de nos déboires étalés sur ce banc public, mais également, et surtout, pour cette fille dont je ne connaissais pas grand-chose, si ce n’est quelques-uns de ses problèmes de la vie quotidienne. Le soir, j’avais pris l’habitude de faire un détour par le parc pour m’asseoir quelques minutes sur ce banc et relire machinalement nos réponses, puis répondre aux derniers mots qu’elle y avait tracés. Je m’étais dit qu’on finirait par se croiser, tout naturellement, car tout comme moi, elle venait sur ce même banc, chaque jour. Mais ce n’était jamais arrivé ; on continuait de se croiser sans réellement se voir, dans cette vaste ville qu’était Londres.

Je repose mon bic et me lève. Peut-être y allait-elle le matin tandis que je me bornais à n’y aller que le soir. Je me douche, m’habille rapidement et file rejoindre ma voiture. Hampstead n’est pas très loin, mais chaque feu rouge me semble durer un temps infernal. Je ne sais même pas ce qui me m’est dans un tel état ni pourquoi je souhaite tant mettre un prénom sur « la fille du banc ». Ça gâchera sans aucun doute toute la magie de cette histoire, mais sur le moment, ça ne m’inquiète pas vraiment.

Je connais le chemin qui mène au banc par cœur pour l’avoir parcouru presque tous les jours. Mais quand j’y arrive enfin, il est déjà occupé. Mon cœur frémit, puis se serre. Maintenant qu’on y est, tous les deux, j’hésite.
Je m’avance, lentement, jusqu’à pouvoir entrapercevoir le visage anguleux de la jeune femme.
Je me fige : je la connais. Il s’agit d’Emma Spencer, que je ne qualifierai plutôt de connaissance. Mais elle écrit, sur notre banc. Le mien et celui de la fille du banc.
Elle se rend sans doute compte de ma présence car elle sursaute et se tourne vers moi, tentant de masquer ce qu’elle vient d’écrire – et l’enchevêtrement de mes conversations avec la fille du banc, par la même occasion – de son corps grêle.

« Je... J’aime bien dessiner des trucs sur les bancs, c’est mon passe-temps. »

J’arque un sourcil et je sens ma paupière droite tremblée. Au point où j’en suis, j’ai presque envie de la pousser pour voir ce qu’elle cache. Si elle répondait à mon dernier message. Si c’est elle, la fille du banc.

« Et... ça t’arrive souvent d’écrire sur ce banc-là ? me contenté-je de dire, un peu bêtement. »

Je me force à croire que c’est impossible que ce soit elle. Après tout, la fille du banc et Emma n’ont pas la même histoire.

Elle a l’air gênée mais résolue quand elle se décide à me montrer ce qu’elle écrivait. Une part de moi devait se douter que c’était bel et bien elle, ma mystérieuse fille du banc, car tandis qu’elle me montre nos conversations, je ne suis plus tellement surpris. Trop de choses se bousculent dans ma tête pour qu’une émotion aussi futile que la surprise ne me traverse. La fille du banc n’est pas divorcée, n’est-ce pas ? Je pense vaguement que je me suis trompé de banc, même si cela me parait bien impossible. Puis, je doute qu’il y ait beaucoup de gens s’échangeant des petits mots par bancs interposés.

« En fait je parle avec un homme depuis quelques mois par l’intermédiaire de ce banc... »

J’entrouvre les lèvres, mais rien ne sort. Je dois avoir l’air d’un poisson hors de l’eau. Elle semble guetter une réaction, mais rien ne me vient. Je me rend compte une fraction de seconde trop tard que je devrai afficher un sourire amusé, car pour n’importe qui, ce genre d’histoire serait puérile et fantaisiste. Pour d’autre, ce serait romantique, mais on n’est encore loin de pouvoir concourir dans cette catégorie.

« Je sais ça peut paraître étrange. Tu peux te foutre de moi, tu peux faire une vidéo sur moi, vas-y te gêne pas. »

Sa remarque me fait l’effet d’une baffe et me sort de mon hébétude. Comment pourrais-je faire une chose pareille ? Au-delà de me mettre en colère, ces mots m’attristent et c’est pour cela qu’au lieu de la laisser partir, je tends le bras pour lui saisir le poignet et la tire vers moi pour qu’elle me fasse face.

Je reste un instant hésitant, les yeux plongés dans les siens, une question muette au bord des lèvres : est-ce vraiment toi ? Son mensonge se profile dans un coin de mon esprit, mais il n’a pas vraiment d’importance pour l’instant. Le fait que cette fille soit Emma Spencer n’est un détail. L’important est qu’elle est la fille du banc, celle avec qui je me suis tout de suite senti sur la même longueur d’onde.

« Comment pourrai-je trouvé ça ridicule ? Commencé-je. »

Je ne la quitte pas des yeux et ne la lâche pas, de peur qu’elle s’évapore et ne redevienne cette douce et anonyme fille du banc.

« Ce gars, avec qui tu parles, articulé-je soigneusement, c’est moi. »

La bombe est larguée et je n’ai aucune idée du tournant qu’elle va faire prendre à notre relation. Je sais juste que les choses ne seront définitivement plus comme avant.