(cassie) "born this way"

Deux heures du matin. Cassandre Westerfield est assise sur le canapé de son salon, dans son appartement de Londres. Les yeux fixés sur l’écran qui diffuse des images aux couleurs blafardes, elle chantonne sans même s’en rendre compte, laissant les mots pénétrer sa peau et rejaillir par sa bouche. « Let it go, let it go, can’t hold it back anymore… » Le personnage d’Elsa réapparaît devant ses yeux, et elle sourit de plus belle, les yeux brillants.
Elle lui a toujours fait penser à sa sœur, Elsa. Une personne peu sûre d’elle au fond, qui se cache derrière des apparences. Une personne douce et aimante, dont elle n’a jamais réussi à s’approcher vraiment. Cassandre se retrouve un peu dans le personnage d’Anna, bien qu’elle ne soit pas du genre à être aussi maladroite, ni à tomber amoureuse en l’espace de deux secondes d’un illustre inconnu.
Elle se lève, et hésite un instant, semble compter sur ses doigts. Elle saisit le téléphone et attend patiemment que quelqu’un réponde. « Hailey, c’est moi, Cassandre. Je sais que ça fait longtemps qu’on ne s’est pas parlé, mais j’aimerais bien avoir de tes nouvelles. Si tu veux…Tu peux me rappeler. » Elle n’insiste pas plus, sachant déjà qu’Hailey ne la rappellera pas.

Quatre heures du matin. Un de ces moments où Cassandre ressent l'envie de plonger dans ses vieilles photos. Au milieu du carton de photos toutes mélangées, il y a un paquet soigneusement mis à part de tout ce fatras, entouré par un élastique.
Cassandre sourit en voyant les clichés. C'est son premier voyage à Londres, quand elle était au lycée, qui lui a donné envie de venir habiter ici. La métropole anglaise l'avait fascinée dès le début. Ses camarades de classe avaient beau être fascinés, elle avait été émerveillée. Elle trouvait Londres fascinante, classe, élégante, avec une touche de je-ne-sais-quoi qui lui avait fait se sentir chez elle, malgré ses origines presque new-yorkaises.
Après ses études de communication, qui ne lui avaient servi à rien, elle avait annoncé sa décision à ses parents, abasourdis. Elle partait pour Londres, forte du seul argument qu'elle avait en main : elle serait serveuse dans un bar - où elle avait fini chanteuse.

Cinq heures du matin. Une insomnie, encore une. Cassandre aurait aimé avoir quelqu’une pour partager ce genre de moments avec elle, mais sa dernière relation remonte à il y a presque un an déjà, et entre-temps elle n’a trouvé que des jeunes femmes en recherche d’aventures d’une nuit pour étancher son manque criant d’affection, de tendresse. De quelqu’un près d’elle dans son lit. De quelqu’un contre qui se blottir.
Bien sûr, c’est difficile de parler de ce manque à ses proches quand on est attirée par les femmes et que sa propre famille n’est pas au courant…Cassandre aimerait bien franchir le pas, enfin passer à autre chose, plutôt que de rester confite dans sa peur tétanisante d’en parler à ses parents, à ses sœurs. Hailey n’écouterait probablement même pas ce qu’elle lui dirait, et Felicity l’assurerait de son soutien. Mais concernant ses parents, la jeune femme est loin d’être aussi confiante. Veronica, sa mère, a été élevée de telle façon que les seuls couples acceptables à ses yeux sont ceux constitués d’un homme et d’une femme. Et son père pense strictement la même chose, vu que c’est sa femme qui porte la culotte dans leur couple.

Huit heures du matin. Le soleil se lève, Cassandre n’a toujours pas fermé l’œil. Pendant ces longues nuits où elle ne dort pas, elle tâche de s’occuper comme elle le peut. Elle écrit des chansons, gratte sa guitare ou effleure doucement les touches de son piano. Elle écrit vaguement au cours de ses pensées. Elle regarde des Disney ou des séries auxquelles elle rigole comme une débile, en mangeant des cochonneries. Elle essaye de survivre à ces insomnies comme elle le peut. Et dès que l’aurore pointe le bout de son nez, la jeune femme sent enfin le sommeil s’emparer d’elle, pour essayer de l’attirer dans ses tréfonds. Elle dort jusqu’à dix-sept heures, se réveille l’œil blafard et le cheveu très ébourriffé, pour recommencer l’une de ces nuits interminables où elle se demandera une fois de plus ce qu’elle va faire de sa vie.

Seize heures. Cassandre s’est réveillée plus tôt que d’habitude, pour se rendre à l’université des Arts de Londres. Pour ce faire elle a dû prendre le métro, l’une des choses qu’elle déteste le plus au monde, mais il s’agit là de son propre avenir et la jeune femme est bien décidée à se bouger pour le changer. Elle monte les marches, traverse plusieurs couloirs, pousse des portes, parle à des secrétaires, est « priée d’attendre quelques instants » et la voilà enfin devant un bureau, assise face à une femme qui a l’air de s’ennuyer à mourir. Elle lui tend son dossier d’inscription, attend patiemment que la chargée d’administration lui confirme que tous les documents sont présents, qu’elle peut rentrer chez elle et attendre patiemment la réponse.
En sortant du bureau, la jeune femme emprunte à nouveau le métro pour finir par rentrer dans le bureau de son médecin. « Bonjour docteur, je souffre d'insomnies chroniques depuis des années, et je voudrais savoir ce qu'on peut faire contre ça... »