"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Et ce détour qui n’en finit pas _ Eleah&James - Page 6 2979874845 Et ce détour qui n’en finit pas _ Eleah&James - Page 6 1973890357
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Et ce détour qui n’en finit pas _ Eleah&James

James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
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() message posté Jeu 29 Nov 2018 - 18:14 par James M. Wilde


« Tu es mon toujours ou tu ne l'es pas
Tu es ce velours si doux sous mes doigts
Et ce détour qui n'en finit pas
Oui, ce détour qui n'en finit pas
Je voudrais que ce séjour dans tes bras
Que tes caresses ne s'arrêtent pas
Je voudrais compter les jours sur tes doigts
Ou tu es mon amour ou tu ne l'es pas »

Eleah
& James




Le passé ressurgit dans une mélancolie doucereuse, les arômes du café s’y glissent, s’y exaltent, réminiscences de ce campus devenu évanescent. Je la considère tandis qu’elle se laisse emmener par un songe, Faulkner aussitôt évoquée, nous sommes ramenés à une toute autre enfance, scindée, où nous ne nous connaissions pas, où sans le savoir pourtant, nous étions reliés par cette entité que j’ai toujours considérée austère. Austère et froide, si éloignée malgré tout de la froideur que peut dispenser ma mère, quand les sourires sont des pièges, les compliments des illusions. Ava avait cette intransigeance farouche, cette dureté naturelle, qui forcément ne pouvait se satisfaire d'un caractère comme le mien, nature imprévisible prompte à mordre et à bafouer celle ou celui qui pourrait l’encarter. Mais dans sa froideur, je sais aussi, surtout avec le recul que me permet aujourd'hui le peu de maturité que j'ai su acquérir, qu'elle a pu distinguer cette contradiction, mon besoin d'enfreindre les règles pour étendre une création qui ne savait encore comment s'exprimer. Des bases enseignées à la Royal, elle a façonnées celles qui firent mes fulgurances, cherchant à me contraindre, voire à me contrarier jusqu'à ce que je sache parfaire un talent qui demeurait embryonnaire. Lui déplaire était une sorte de mantra, mais la surprendre est devenu peu à peu une nécessité. J'ai longtemps cru échouer jusqu'à la voir dans le public de cette représentation d'été, où ma première œuvre classique, ma seule sans doute depuis que je ne fais que distiller des influences dans mes accents triviaux et électriques, fut interprétée par l'orchestre. Ava était là. Tutrice harassante qui ce soir-là fut fière, véritablement fière de ce que j'avais fait. J'ai toujours imaginé dans mes pensées les plus secrètes qu'elle suivait ma carrière, un regard ciselé sur les notes, ses sourcils s'arquant avec une élégance indiscutable sur la nouveauté de ces sons qu'elle trouverait dérangeants, absurdes. Surprenants. Mon mépris pour son milieu n'a d'égal que ce respect que je lui garde dans ces secondes dénudées où les confidences peuvent s'établir. J'ai persisté à l'aiguillonner depuis que nous l'avons rencontrée dans son bureau mais malgré son agacement non dissimulé je crois qu'elle entend ce projet qui a su l'atteindre. Peut-être y a-t-elle entendu un hommage à cette jeunesse tapageuse. Peut-être est-ce le cas. Avant cet album il ne m'était pas arrivé de verser autant dans ce classicisme qui m'a été inculqué. Je ne sais si c'est cette résurgence qui l'a réellement convaincue ou bien le mélange de ces mondes qui crevaient de se rencontrer tandis qu'Eleah et moi narrions ce que nous voulions rêver. Sans doute les deux… l'un et l'autre. Toujours. Je ponctue, en jouant avec ma tasse, du bout des doigts :
_ Elle sera toujours fascinée par ceux qui brisent ce qu'elle adule. Elle m'aurait fait disparaître de son cours si ça n'avait pas été le cas. Elle m'a viré un nombre incalculable de fois mais… j'ai toujours pu revenir. Mais bon, autant la tenir au courant. C'est une délicatesse qu'elle appréciera et j'en manque cruellement pour ces choses-là.
Je ris volontiers d'un constat qui ne peut qu’être salué pour sa clairvoyance. Je serais capable de m'en vanter devant elle rien que pour la voir me réprimander, narguer les carcans pour les dénouer, sentir la morsure des fers sur ma peau, surseoir à la douleur pour l’imaginer disparaître. Les chemins se nouent irrémédiablement, ce qui s’avérait n’être qu’une bravade devient l’évidence de deux destins. Je crois intimement que rien ne s’est produit par hasard, dans la seconde qui s’étanche dans nos regards avant que nous ne sortions. Les rues serpentent, la destination est accessoire, les mots filent sur la courbe de cette entente qui ne sait se briser. Et dans l’alcôve aménagée à mes peurs et mes envies, c’est son corps contre moi, sa détermination qui tisse un idéal. Pourquoi y aurait-il une fin, pourquoi oser la prononcer quand elle signifierait cette dernière trahison que ma bestialité saurait feuler. La trahison qui te laisserait écorchée, l’étoffe froissée de mes dépravations, les fils moirés de mes rêves que l’on sait au creux de la déchirure. Ma main serre la tienne, les phalanges contre un mur qui suinte et qui s'effrite, ma main serre la tienne, un appel, une réponse à ta phrase qui s’élance dans mon corps pour lui rappeler cette existence qu’il continue de convoiter. Pourquoi es-tu si abyssale, pourquoi me raccrocher ainsi à toi, celle que j’ai tenue entre mes mains serrées, je l’ai tuée. Je l’ai tuée. Te frôler rappelle tant de fantômes, ça n’a plus rien à voir avec ton apparence ou tes traits, la nuit s’est enfuie et les errances névrosées avec elle, c’est ce que tu représentes, ce que tu es devenue pour moi en si peu de temps, partout, partout, dans ma tête, et dans mes peurs. Tu es devenue une part de moi, tu es en train de la remplacer elle, et je ne sais pas ce que ça peut signifier. Je ne suis pas certain de pouvoir l’accepter, de me l’autoriser. Ensemble. Ensemble, est-ce seulement vrai ? Est-ce que cela peut l’être et puis-je en rêver à mon tour ? Suis-je capable de te laisser cet empire sur moi ? L’idée même devrait sombrer dans mes peurs ancestrales, rappeler l’animal qui m’habite, qui cherche la liberté dans la pire des perversions mais au contraire, elle me rassérène, me rappelle. Les moqueries dessinent de nouveaux sourires, j’embrasse ta bouche et t’emmène avec moi. Qu’importe l’emprise, je ne suis pas prêt à te laisser t’enfuir. A m’enfuir à mon tour. Je ne suis pas prêt. Ma langue roule les flashs délectables que ses mots peignent dans ma tête :
_ Peut-être ai-je une fibre exhibitionniste ? Ca ne serait pas étonnant. Mais j’ai hâte que tu m’apprennes cette discrétion qui te caractérise.
Les paupières un instant caressantes, celles d’un chat, un dernier sourire en coin pour que les ombres soient trompées par des lueurs aveuglantes. La journée est peut-être moins grise, et ses doigts sont toujours entremêlés aux miens.

Le nouveau temple de nos errances se dessine, approcher ainsi les matières et les lignes qui caractérisent la scène que je suis censé conquérir me met dans d’autres dispositions. Le personnage qui s’est glissé dans mes muscles lors de l’interview reparaît aussitôt, mes yeux traînent sur les vendeuses trop maigres, détourent les matières éclectiques, les ensembles tapageurs. J’ai déjà deux dressings pleins à craquer de ces frusques qui pourraient menacer le coefficient visuel de la population entière, mais une nouvelle tournée nécessite en général un investissement en costumes qui rendront les filles du premier rang idolâtres, les journalistes aigris. Mes doigts se baladent sur le cuir, couleurs et dégradés s’étendent alentours, mais mes prunelles s’aimantent à elle, tandis que des termes peu distingués s’évadent de ma bouche. Le personnage est entier, dans le décor moderne et froid, une autre scène à convoiter que ces planches qui sauront me porter, je demeure immobile, prêt à recevoir la contre-attaque qu’elle prépare déjà, ondulant jusqu’à moi, créature à ma mesure, fascinants égocentrismes qui joutent. Mon sourire devient luxure, les termes se versent dans mon oreille et ploient très légèrement ma nuque d’un frisson que je ne contiens pas. La brûlure est exquise parce que ce qu’elle évoque semble si proche, tandis que nos postures se frôlent ainsi, au milieu du monde, en pleine lumière. Je suis si conscient de son souffle dans mon cou, et je n’ai guère à fermer les yeux pour imaginer quelle serait la texture de sa peau sous ma main. Le trouble est complet, l’ivresse bascule dans mes regards, je pourrais l’invoquer sans avoir besoin de me forcer tant mon être vibre sur l’onde qu’elle est seule à dessiner. Elle se retire aussi rapidement qu’elle a su m’enflammer, le grondement dans ma cage thoracique sonne l’éloquence d’une frustration à peine dissimulée. Je lance par dessus mon épaule :
_ Je ne suis jamais sage et c’est pour ça que tu traînes en plein Paris avec moi quand tu pourrais continuer de jouer les parfaites petites filles avec ta bande de saltimbanques. Comme quoi…
Un dernier sourire sur une pensée. Je sais qui tu es. Je sais. Mais la vendeuse toujours trop maigre reparaît et la valse reprend, aux déambulations grotesques. Les néons décharnent mon corps, je cherche sur ma mine cave d’autres lueurs héritées de fantasmes, qui se nichent dans mes iris encore brillants. Gregory a raison, il est temps de lever le pied je crois. Avant d’imploser sans même que la tournée n’ait pu démarrer. J’ai ce réflexe presque dégradant, qui me pousse à vérifier que l’étui en argent est bien là, dans ma poche intérieure, et qu’il a le même poids que lorsque je l’y ai glissé. Je n’ai rien pris depuis que je suis ici. Le manque a été compensé par cette frénésie charnelle mais il a aussi rouvert le gouffre de ces terreurs qui envahissent mes nuits. J’insulte mon image en silence puis reparais entièrement vêtu, les choix qu’elle a opérés sont indiscutables. Je caresse distraitement la manche de la veste bicolore comme pour en éprouver le grain, alors qu’elle tournicote pour mieux arranger ces détails qui sont si abscons pour la gente masculine. Nos deux reflets, je ne me regarde plus, c’est elle que j’envisage dans cet avenir trop proche, bien trop proche. J’aimerais plus de temps, plus de temps pour t’attacher à moi. Peut-être est-ce mieux ainsi, évoquer cela comme un voyage, une ponctuation dans d’autres errances solitaires. Nous ne serons plus deux. Nous ne le sommes pas vraiment, c’est sans doute ce qui nous permet de respirer. De continuer à exister. J’ai la veste rouge dans les mains, et je l’accroche dans la cabine, distraitement, les idées se frayent un chemin. J’aimerais qu’elle vienne. Il faut qu’elle vienne. Les exigences tyranniques se teintent de tant d’irrésolus. Une autre part de mon existence, confiée avec la sobriété que confère toujours ces détails intimes. En dehors de la scène, de la grandiloquence, ou même du Viper.
_ Il n’aimerait pas trop qu’on l’appelle comme ça je crois. Mais c’est Marco, un gars qui bosse chez les flics, je le connais depuis… toujours en fait. Parce que c’est le neveu de celle qui m’a élevé.
Maria. Je hausse les épaules. Maria qui est toujours là… Avec moi. Plus que ma mère.
_ Mais on était deux petits garçons, et on ne se supportait pas. Et elle s’occupait souvent plus de notre maison ou de moi, alors il me détestait. Mais avec le temps, ça a changé tout ça. On s’est revus quand je suis revenu en Angleterre, et il m’a aidé à me… remettre d’aplomb. Et à mieux me battre aussi. Pour préserver mon outil de travail.
J’agite mes phalanges qui firent, il y a quelques mois, les frais de ma colère, de cette si sulfureuse colère, qu’il me faut tant contenir, drainer par d’autres moyens que ces violences terribles qui peuvent me posséder. Violences aveugles. Marco m’a montré comment mieux la canaliser, je lui tape dessus, c’est toujours plus constructif. Et comme ça, dans les rades où il m’arrive de traîner, je sors toujours entier. Toujours. Et sur les filles, j’ai des prises tout aussi exotiques, cette pensée me fait légèrement rire. Eleah ne connaît pas ce côté bagarreur, mais elle le sait autrement, sous la peau, dans les muscles, dans cette cicatrice qu’elle a frôlée une autre nuit.
_ Mais je suis d’accord. J’adore les ceintures. J’en ai toujours une, ça peut servir…
Et en effet, ça permet accessoirement de ne pas me retrouver à poil en crânant avec ma foutue guitare. Je papillonne des yeux sur ma remarque tendancieuse. Qu’elle évoque ainsi une éventuelle virée chez elle, avec tout autant de naturel que mes envies de la voir venir jusque dans des contrées étrangères en tournée, me déconcerte presque. Parce que cet avenir devient concret, il y a ces instants où je viendrai chez elle, comme ça, sans prévenir, juste parce qu’elle m’a invité de cette manière très détournée. Je suis ainsi. J’ajoute doucement :
_ Fais gaffe, je pourrais m’y plaire. Surtout s’il y a la perspective de me maintenir dans une certaine condition physique. Je parle des repas, bien entendu.
Je ne sais pas me nourrir, c’est une caractéristique prégnante dans mon quotidien. J’oublie souvent que c’est un besoin élémentaire, peut-être trop trivial pour ma tête. Tout est si évident, si léger, si profond pourtant, que ma phrase déboule toute seule, sans vaciller. Le miroir trahit cependant ma propre surprise qui s’affiche sur mes traits de seulement l’avoir dit ainsi. La gravité de cette seconde défile entre nous, sa tendresse appelle jusqu’à la surface des sensations plus inconscientes, plus imparfaites. De ma superbe héritée de mon personnage, plus rien, une sorte de mélancolie se trace à la place, laisse son empreinte sur mon visage. Je ne disais pas cela à l’époque, je ne l’ai jamais dit. J’ai envie que tu sois là. J’aimerais que tu viennes. Je ne l’ai jamais dit à personne, parce que je souhaitais que personne ne me manque, quand j’aurais laissé une silhouette éplorée derrière moi. Un pouvoir immense sur quelqu’un d’autre. On ne m’a pas appris à le dire. Ma gorge se serre et l’évidence s’imprime sous ce regard qui se fait plus direct, tandis que je me retourne pour lui faire face. Oui. Ma main frôle son épaule, trace une légère pression sur son bras, se referme sur ses doigts. Oui. Dans la foule t’espérer jusqu’aux prémices de la folie, et te voir apparaître. Oui. Dans la déliquescence de ces soirées pleines d’alcool, me sentir sombrer, et saisir ta main, t’emmener sur les récifs de mes perditions. Oui. Et alors qu’elle répond, je viens déposer cette réponse, cette envie, contre sa tempe, dans un hommage délicat avant que l’étreinte ne se brise. J’abandonne la veste pour la lui confier dans une étrange solennité, savoure le contact et ce présent qu’elle évoque. Ce sera celle que je préfèrerai oui… ça c’est certain. Et eux aussi alors. Eux aussi. Car ils vivent, ils ressentent, ils se confondent et se laissent emporter, à chaque sursaut de ma volonté. Je me sens soudain effroyablement démuni dans mon t-shirt noir, à demeurer planté-là, interdit, confondu par l’offrande, touché aussi, par cette marque qu’elle souhaite apposer, une marque que je serai le seul à connaître. Sur ses pas et dans le trouble de mon timbre, j’abandonne ma confession avant de m’en détourner, comme si elle n’avait jamais eu lieu, dans une étrange retenue :
_ Tu es déjà avec moi. Tu le seras là-bas aussi.
Dans ma tête, dans mon corps, dans ces envies que tu déclenches, façonnes, effarrouches aussi. Et même… Même jusque dans cette musique qui ne veut plus se taire, dans mes esprits, dans ces mots que tu décomposes, cette oeuvre qui commence tout juste à se créer et dont je ne t’ai pas parlé. Embryonnaire constellation, cachée dans mes esprits quand tu viens les habiter, plus encore depuis cette nuit. Bien plus encore. Je tremble lorsque je passe la seconde veste, trop rouge, elle m’éblouit et me laisse perplexe. Le pantalon est parfait, et j’ajoute en dégageant le rideau d’un geste trop nerveux tandis qu’elle est encore à portée :
_ Regarde, c’est impecc. Je te rejoins, j’en ai marre.
J’étouffe surtout, j’ai besoin d’air, de quitter cet endroit, de me retrouver avec elle, à l’écart de ces vendeuses qui furètent partout, de ces gens qui parlent trop fort. Je lui laisse à peine le temps de constater, parce que ma fragilité est entière, et je me sens bien mieux protégé avec mes propres fringues, entièrement noires, qui reviennent entraver ces mouvements que je ne sais plus où dessiner. J’emporte les pantalons et la veste, arrive d’un pas martial à la caisse avant de lister à une vitesse effroyable mes instructions. Je me fiche qu’elle les comprenne ou pas, mais le fait qu’elle me salue d’un très protocolaire “sir” me laisse penser qu’elle se débrouillera :
_ Je prends tout ça. Quinze de chaque. Vous livrez à l’international ? Parce que la dernière fois c’est ce qu’on avait fait. Bon. Bien. Donc vous adressez l’ensemble à l’adresse suivante. Viper Room. c/o Kaitlyn Dawn, Philip Baxter. 170-74 Wardour St, Soho, London W1D 6QU. C’est bien noté ? Parce que je ne veux pas que ça se balade dans la stratosphère ou sur la Manche à dériver jusqu’aux Pays-Bas. Voyez. Et passez par un vrai coursier, pas par notre poste de branques. Parce que ça n’arrivera jamais. Jamais.
La fille note avec une application toute professionnelle et je farfouille dans mon portefeuille jusqu’à trouver la bonne carte bancaire qui me permettra de m’affranchir d’un quelconque plafond, en espérant que ce soit bien celle-ci. Le prix exorbitant est une suite de chiffres que je n’analyse pas même si elle a la décence de me l’indiquer en pounds. Je ne suis pas certain que mon nom lui évoque quoique ce soit, et si c’est le cas, elle ne laisse rien paraître. Ils ont toujours été réglos ici, les boutiques où nous claquons ainsi notre fric nous vendent rarement aux écrivaillons, reconnaissons-leur au moins cela.
_ Par contre, celui-ci, je le prends moi-même.
Je saisis avec convoitise le sac qui contient la veste qu’Eleah vient de m’offrir, comme si je ne souhaitais plus m’en séparer. Puis, je remets aussitôt mes lunettes de soleil comme pour refermer la plaie béante qui continue pourtant de s’exposer, parce que la sensation demeure, ancrée dans mon ventre, dicte à ma main de s’arrimer avec désespoir à sa taille, et lorsque nous sortons, c’est dans de toutes autres dispositions que lorsque nous sommes entrés. L’atmosphère me semble lourde, presque orageuse, et je suis ombrageux durant de longues minutes, ne sachant trop si elle me suit, ou si c’est l’inverse, ou si nous marchons sans but. J’ai toujours le sac entre mes doigts, les phalanges blêmes sur la poignée, et les mots tournent, et tournent dans ma tête. Je serai un peu avec toi. Tu es toujours avec moi. Ce toujours et cet avenir confondu au sien, le nôtre, distinct, indistinct. Je ne sais plus comment respirer. Et je sais que mes doigts continuent de trembler, sur le sac, sur sa taille, j’ai chaud, j’ai froid, j’ai envie d’elle, j’ai envie de coke. Je serai un peu avec toi. Avec toi. Avec moi. Qu’est-ce que ça veut dire putain, et pourquoi ça fait ça, pourquoi ? Pourquoi ai-je envie de l’étreindre, de la remercier, d’étendre cette journée pour qu’elle ne se finisse jamais ? Quand elle se terminera. Quand il faudra partir. Partir d’ici. Partir là-bas. Aller et venir chez elle, ce sera aussi simple que ça ? Pourquoi ? Ça ne l’a jamais été. Jamais. Et quand je ne ressemblerai plus à rien, quand je ramperai comme un cadavre pour quémander une ligne de plus, est-ce que je me précipiterai pour la voir, pour qu’elle m’envisage ainsi, comme un dégénéré ? Et dans quel état viendra-t-elle me confronter, en pleine tournée, quand je serai déchiré, par les échos de mes chansons, par la détestation de celle qui les a portées, et par tout ce que j’ai voulu détruire et posséder ? Oui. Oui. Ce même oui, qui s’élance sous mon crâne douloureux, tandis que mes pas se stoppent brutalement, nous arrêtant sur le trottoir, au milieu d’une foule inconsciente du mal qui me ronge. Oui. Je veux que tu viennes voir et hurler. Je veux que tu saches. Je veux que tu le ressentes comme cette nuit. Je tente d’extraire mon paquet de clopes mais je n’y parviens pas, mon index frôle l’étui métallique qui contient mon poison, et provoque une sorte de décharge électrique qui me fait retirer ma main de ma poche comme si elle était réelle. Je jure entre mes dents serrées :
_ Bordel…
Mon humeur flanche, sombre dans cette erratique danse qui me mène toujours à des extrêmes fourbes. J’enlève mes lunettes de soleil d’un geste très agacé et elles menacent de valser dans la foule qui nous bouscule, je les rattrape au dernier moment et les balance dans le sac qui est toujours dans ma main. Je lui fais face, et la regarde, paumé, la réponse retardée échoue de mes lèvres dans une précipitation fébrile :
_ Oui je veux que tu viennes. Je veux que tu me voies là-bas. Le pire. Et le meilleur de moi. Et ces mots que j’ai pensés pour d’autres. Et ceux que je penserai pour toi. Et ces moments où je te détesterai de même me voir. Car ça arrivera, parce que tu seras là. Juste là.
Je désigne ma tempe, tel un forcené :
_ Tu ne devrais pas t’attarder mais c’est comme ça, hein ? C’est ce que tu souhaites, sous tes airs distingués, et bien éduqués. A m’allumer d’un seul regard, à jouer de ton personnage comme je joue du mien. Mais tu es paumée, aussi paumée que je le suis déjà… Tu veux tout, tout prendre, tout dévoyer, sans même savoir ce que ça va coûter, hein ? Tu ne sais pas, pas plus que moi. Une contradiction. Partir et rester. Ingénue et surprise, quand tu sais que ce nouveau cuir mordra mes chairs et me rendra dingue. Quand je sais que mon invitation est un foutu piège. Je veux que tu viennes, et que tu t’en ailles quand tu ne pourras plus me supporter. Rester sur ton seuil comme une loque parce que tu n’ouvriras pas. Puis défoncer la porte. Je veux tout Eleah. Absolument tout. Je te l’ai dit. Tout. Et te voir danser. Je veux te voir danser pour moi, encore, encore une fois. Oui, encore une fois.
Mon discours échauffé meurt dans la douceur de cette contradiction, ce spectacle qui me passionne et me dévore, que j’espère et que je crains, cette relation que j’adule et qui me plonge dans une fébrilité assassine. Je frôle sa joue et ajoute avec tendresse, toujours aussi paumé qu’auparavant :
_ Merci pour la veste. Maintenant je veux une ligne ou bien ton corps dans une nuisette ridicule. Parce que je ne suis pas quelqu'un de sage. Et toi non plus.
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Anonymous
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() message posté Dim 2 Déc 2018 - 19:56 par Invité
ET CE DÉTOUR
QUI N'EN FINIT PAS
james & eleah

« I'm gonna swing from the chandelier, I'm gonna live like tomorrow doesn't exist. Like it doesn't exist.  I'm gonna fly like a bird through the night, feel my tears as they dry, Keep my glass full until morning light, 'cause I'm just holding on for tonight. »
Délaisser la tiédeur sécurisante d’un monde aux codes soigneusement étudiés, se laisser basculer, quelque part, dans l’abîme ouverte au creux de ses paumes. L’après-midi se mordore de nuances dont les subtilités échappent à son contrôle. Elle suit la ligne tracée dans le cuir de la veste, espère y trouver une réponse, le signe qu’elle attend, bicolore peut-être, l’invitation qu’elle ne doit pas forcer, bicolore certainement. En noir et blanc. Rien ne s’échappe, rien de s’évade.  Comme lui … Si noir parfois, si blanc aussi, lorsque jeux et indécences pavent leur route tracée de lueurs vagabondes, qui ne trompent personne non … Personne. Ses pensées furètent jusque des recoins enfouis de sa mémoire. Le premier corps qu’elle vit se mouvoir, à côté du sien. Cette fascination étrange à regarder les muscles parler tour à tour, s’étirer et geindre. La torture des nerfs qui ploient, des résolutions qui assassinent. Inflexion des résolutions, le long de la pointe qui saigne, sur la courbe des bras, en arabesques. Musique silencieuse, qui ne parle qu’à ceux qui savent l’entendre, la regarder, la toucher aussi, juste de la pulpe des doigts. Soie délicate et incomprise, malmenée, choyée, délivrée lorsqu’on sait la voir telle qu’elle est … Telle qu’elle est dans l’instant de la note où elle décide de se montrer, où il n’y a plus rien d’autre, avant la déliquescence des spasmes qui ont su la traverser et l’émouvoir. C’est cela un corps qui vit, qui s’acharne, qui lutte. Sur le fil tendu d’une réalité qui crisse, suinte d’espérances incomprises et de rêves qui n’existent plus dès lors qu’on leur imagine une fin toute proche. L’acuité de ses œillades, sur sa nuque amaigrie. Ce corps dont elle commence à connaître les tensions, à les éprouver jusque dans sa propre chair. Trembler pour lui, vibrer pour elle. La distinction est troublante, de plus en plus confuse. Ses doigts époussètent des imperfections qui n’existent pas, traquent tout ce qui pourrait déranger ce semblant d’équilibre dans lequel elle s’efforce de l’envisager. Mais il n’y en a pas. L’équilibre est trompeur. Elle le sait … Elle le sait déjà. Elle l’a su tout de suite, depuis la conjecture de leurs rencontres éphémères, depuis Galway, depuis cette nuit, où son petit parapluie de couleurs s’apposait sur le noir et blanc de sa nature. Fantaisie de passage, coloris agrafé sur le rebord, sur laquelle on appose les doigts pour la chérir, que l’on finit très vite par oublier sauf lorsqu’on se rappelle à la matérialité de sa présence. Il oubliera jusqu’au souvenir de son parfum, il en traquera d’autres, au loin. Des errances dont elle ne fera pas partie, où tout ce qu’elle aura su graver en lui se décomposera, pièce après pièce, bribe après bribe. Il oubliera la texture de la peau qui le trouble aujourd’hui pour s’apposer à de nouvelles, ou du moins y aspirer. Il oubliera ces détails qui la composent, parce que la mémoire est fragmentaire, qu’elle est ainsi lorsque le vide sépare les personnes qui un jour ont su se trouver et se voir. Se voir oui … Jusqu’à ces recoins immondes, ces notes de couleurs infâmes, pourrissantes, la peau couturée de ces cicatrices que le temps a su apposer sur elle. Le temps et les errances, au loin, si loin de l’autre. Elle sait depuis le début qu’il partira, ou que ce sera elle qui s’en ira au loin. Pas pour toujours, pas sans fin. Mais parce que l’éloignement sera quelque chose de nécessaire, pour éviter la brutalité qui devient trop grande, trop abrupte, dès lors qu’elle est envenimée à deux, paume contre paume. Elle veut le regarder revenir. Aller oublier ce qu’elle fut pour venir quémander encore ce qu’elle pourrait être. Mais reviendra-t-il dans la folie de ses sillages ? Il n’y a pas de certitudes, il n’y a que des doutes. Alors une veste, qu’est-ce finalement ? Ce n’est rien, ce n’est pas grand-chose. C’est ce petit parapluie de couleur que l’on accroche au bord de son cœur, que l’on oublie jusqu’à se rappeler de sa présence, de son histoire, lorsqu’on le touche. Lorsque l’on se souvient qu’il est là, toujours agrafé, toujours épinglé, attendant le moment où l’on se rappellera lui, où on lui murmurera du bout des doigts qu’on ne l’a pas oublié. Pas totalement en tout cas. Malgré les errances, malgré les troubles venus d’ailleurs. Toujours là, au bord du cœur. Tout au bord.
« Comment s’appelle-t-elle ? »
Celle qui se rapprocha le plus d’une mère. Par inclination, par contrat, par obligation et affection sans doute. Ce monde où l’on laisse à d’autres le soin de s’occuper de ses enfants, Eleah ne le connaît pas. Elle se trouble un peu, de ces repères qui se distillent chaque fois qu’il égrène des indices qui composent son existence. Sans retenu, sans honte. Naturels confondus, confondants. Elle aimerait savoir ces êtres qui contribuèrent à faire de lui ce qu’il est devenu aujourd’hui. Les rouages d’un caractère. Une mère qu’elle imagine absente, trop préoccupée par des mondanités et les complications d’un mariage pour se dire qu’il y a un petit garçon, quelque part, dans le flou, auquel il faut donner des repères pour ne pas le regarder basculer. Il est souvent trop tard, lorsqu’elles finissent par se rendre compte. Qu’il était là, à attendre la voix pour le guider. Il est trop tard quand la voix n’en est plus une, qu’elle est un cri qui transperce. Elle appose une pression sur son épaule, inconsciente. Signe d’une compréhension muette, de cette affection arrachée à une autre. Ses regards suivent l’agitation de ces phalanges. Cette violence en étalage, qu’elle a toujours devinée sans jamais en être le témoin manifeste. Une violence qui lui fait peur, une violence qu’elle ne saurait sans doute pas affronter si elle devait y faire face. Il n’y a que des violences intrinsèques en Eleah, dont les signes s’érodent dans ses larmes, dans ses passions trop grandes, dans ses élans irrépressibles. Accolés à eux, la faiblesse d’une douceur acide, d’émotions trop nombreuses, à fleur de peau, qu’elle ne sait pas contenir. La violence, la vraie, elle ne saurait pas la déployer sur quiconque. A part sur lui peut-être. Lui qu’elle a tué en songe une première fois, puis une autre. Dont elle a rêvé lacérer le visage, entendre les phalanges qui se brisent. Les craquements des os sous l’assaut de sa haine, la souillure éventrée pour en honorer le créateur et le broyer à son tour. Ces pensées-là la terrifient la plupart du temps. Elle ne sait pas comment les envisager. Les imaginer devenir réelles est impensable. Cela ne doit être que dans sa tête … Dans sa tête. Nulle part ailleurs.
« Te remettre d’aplomb, après tes errances aux États-Unis tu veux dire ? »
Le reflet de leurs deux silhouettes, dans le miroir de la cabine. Elle devine qu’il la regarde. Son profil demeure intact, derrière la décontraction de façade, les airs en parade de petite fille. Son cœur bruisse encore à l’intérieur de sa poitrine, ponctue chacune de ses phrases. Mais elle sent pourtant, le cheminement de ses pensées à ses côtés. La tension qui monte, sous le cuir, dans sa peau, dans ses nerfs. Ce quotidien dont elle lui ouvre la porte, dans une invitation qui a toujours existé, depuis le tout départ. Elle lui a souvent dit qu’il pourrait venir lorsqu’il en aurait envie, que son appartement pouvait être le réceptacle de leurs parenthèses, de leurs errances aussi. Elle n’a jamais voulu lui interdire l’accès à sa sphère, l’y a convié dès le départ, sans aucune peur, sans aucune pudeur. Par habitude surtout. Parce que c’est là-bas un terrain conquis, où elle se sent en sécurité. Où nul ne peut l’atteindre, tant qu’elle s’y trouve repliée. Tous ceux qui y sont venus étaient des invités de passage, venus ponctuer son univers, le temps d’un souffle, d’un soupire. Ses premières invitations avaient ce goût d’éphémère. Cette arrière-pensée qui le classait au même rang que tous les autres. Intérieurement, elle pensait qu’il serait de ces météores qui passent quand ça leur chante, avant de disparaitre. Mais aujourd’hui cela n’a plus le même sens. Elle s’aperçoit espérer parfois qu’il laisse la marque de sa présence, dans les contours de son univers. Qu’il ne fasse pas qu’en fouler l’intérieur et être oublié par lui une fois le seuil franchi. La proposition se préfigure sur le bout de ses lèvres, insensée, inédite, même s’il n’imagine pas à quel point il est rare qu’elle promulgue ce genre de propositions. Cela n’est jamais arrivé en réalité. La temporalité absente, l’idée du « maintenant, tu dois partir » totalement enrayée par l’idée de l’inscrire dans un quotidien dont elle ne connaît pas vraiment les rouages.
« Bien entendu … Mais de toute façon, mon piano se languit toujours que tu l’accordes. »
Elle ponctue sa phrase d’un léger clin d’œil complice dans sa direction. Elle ne sait pas ce que cela veut dire. Cette envie de l’avoir près d’elle, morcelé, dans l’univers qu’elle a façonné au gré des âges. Le désordre rigoureux de sa nature, éparpillé dans son salon rangé de manière aléatoire. L’entendre jouer, frénétique, alangui, n’importe quand, à n’importe quelle heure, même en pleine nuit si cela lui chante, juste parce qu’il l’aura décidé ainsi. Elle ne veut pas qu’il soit un invité, ne sachant où poser ses doigts, où s’arroger une place. Et la proposition arrive, en écho, comme un tressautement des âmes qui se rencontrent, sur la même longueur d’onde. Quelque chose d’indicible se passe alors en elle, sans qu’elle ne puisse réfréner l’émotion qui la taraude. Aller là-bas avec lui. Pas tout le temps, juste assez pour faire partie de ses errances, pour ne pas le laisser l’oublier, quelque part, dans la courbe alanguie d’une anonyme. Avoir cette place indistincte dans ce monde qui ne lui appartient pourtant pas, la porte ouverte d’un quotidien prêt à l’accueillir, lorsqu’elle le voudra, lorsqu’il faudra le rejoindre parce que ses absences deviendront trop lourdes. Des pensées toutes neuves renouent avec de plus anciennes, habillent ses traits d’une expression plus douce. Ses paupières s’abaissent au gré de l’étreinte furtive, éprouvent un peu plus un trouble qui grandit, en lui, en elle, sans qu’elle ne sache distinguer si l’essence vient de l’un ou de l’autre.
« Je sais … Mais … Ce sera pour ces moments où tu croiras avoir tout oublié. Où tu ne sauras plus faire la différence … Entre ce qui est de moi … ce qui est d’elles. Il y aura des instants ainsi … Je le sais. Leurs frénésies te rendront sourd, t’entraineront dans des recoins où je n’aurais plus ni forme … Ni odeur … Ni âge. Tu oublieras tout. Alors tu pourras passer cette veste … Et quand tu en toucheras le grain … Tu te souviendras de moi … Intacte. »
Ses lèvres se tordent d’un sourire, presque triste, presque confus par cette confidence, murmurée dans l’espace intime de leurs silhouettes en abîme. Ses doigts caressent le cuir, l’enserrent entre ses bras menus. Elle n’ajoute rien, disparaît vers la caisse où la vendeuse s’empresse de la rejoindre, avec cette euphorie à peine dissimulée face à la perspective d’une belle vente.  Elle est telle d’ailleurs, qu’elle s’efforce de lui donner le prix en anglais, écorchant les chiffres au passage, leur donnant une tournure presque drôle. James est martial lorsqu’il les rejoint, le débit triomphal et protocolaire. La vendeuse se fait studieuse, prend des notes. Eleah jette un œil par-dessus le comptoir, et l’aide un peu sur l’orthographe de l’adresse qu’il vient de lui fournir. Elle explicite en français ce qu’il a voulu dire sur le transporteur, note au passage les stigmates d’une tension qui galope sur ses traits, en cavalcade jusqu’aux expressions ciselées dont il gratifie la vendeuse. Sa main se resserre sur sa taille, la tension passe de l’un à l’autre. Elle la sent à travers ses doigts, et se raidit un peu, comme pour mieux l’appréhender et la recevoir. Poliment elle salue la vendeuse, la remercie de ses attentions pour leurs demandes particulières. Des politesses qui s’ébruitent dès lors qu’ils rejoignent les rues passantes, plus peuplée et tumultueuses qu’auparavant, à moins que ce ne soit son esprit qui lui joue des tours. Elle n’ose pas parler sur le coup, ne peut rien dire. Comme si prononcer un mot, ce serait libérer le fauve. La tension qui continue de grimper, chaque fois que la vindicte de ses pas frappent le sol. Il va plus vite, il la porte, elle le suit, non elle le guide. Elle ne sait plus, affolée intérieurement par cette humeur à laquelle elle ne s’attendait pas, calme en apparence, comme une eau tranquille, dont les courants dangereux grouillent sous la surface. Il s’arrête, ponctuation d’un souffle. Point à la ligne. Espace entre eux, si loin, si prêts toutefois. Ses yeux s’agrandissent, suivent le rythme cadencé de ses phrases. Ce qu’il sait, ce qu’il ne comprend pas encore. Tout ce qu’elle ne saura pas lui expliquer, mais qu’elle sera là pour recevoir pourtant. Moins impulsive sans doute, moins irréfléchi, elle demeure dans cette tranquillité caressante, qui s’attendrit plus qu’elle ne s’affole, maintenant qu’elle s’aperçoit ne pas être la seule, a nourrir ces troubles qui rongent, au point de rendre fou. Le tout résonne à l’intérieur de sa tête, tressaute au fond de son corps. Ce tout qu’elle lui a déjà donné, cette nuit, et les autres avants elle. Le pire, dans la félicité d’injures caressantes, qu’il a crut bon de magnifier plutôt que de les rejeter. Ce tout offert sans fard, déparé de la honte, cruel et intrépide. Ce tout qu’elle ira chercher en lui aussi, parce qu’elle ne saurait faire autrement, parce que c’est tout ce qui compte à présent. Ses errances s’achèvent, là où les siennes commencent. Pour mieux le continuer. Pour mieux le concevoir. Il n’y a qu’un point où il se trompe : elle sait ce que cela coûtera. C’est un prix qu’elle veut bien payer, parce qu’il est le seul qui saurait la réveiller, qui saurait la mener là où elle n’est jamais allée. En revenir est autre chose, en revenir est superflus. Seule la destination compte, et le chemin que l’on décide d’emprunter pour s’y rendre. Il n’y a pas de retour en arrière possible, dans l’existence qu’elle a toujours décidé de tracer. Elle s’approche avec la prudence d’un chat, déploie ses doigts avec la précaution d’un fauve pour les refermer autour d’un pan de sa veste noire. Noire … Si noire. Comme l’opacité de son humeur, dont elle s’aperçoit ne pas avoir peur. Elle tire sur le cuir, se hisse sur les pointes, vient ponctuer son discours (ou bien l’interrompre, elle ne sait pas) d’un baiser digne d’une morsure, délicate, sur les secrets de sa bouche trop bavarde, trop enflammée. Qu’on les regarde, qu’on les capture, elle n’y songe pas une seconde. Cela lui est égal, cela n’a pas d’importance. Son attention est là pour crever l’abcès de ces tensions qui le trahissent, de ces pensées trop nombreuses qui l’assassinent. Ses mots l’ont touchée, l’ont marqué. Elle marque légèrement sa lèvre, pour toute vengeance. Une morsure qui n’en est pas une, qui n’en a que le nom.
« Tout prendre … Tout donner … L’un ne va pas sans l’autre. C’est terrifiant … Mais je n’ai pas peur. C’est pour ça que je viendrais même quand tu ne sauras plus me voir … Que je viendrais te rappeler qui tu es quand tu auras oublié … Je te laisserais tout prendre, je subirais tout … Et toi aussi … Toi aussi James. »
Son pouce caresse la surface de sa joue légèrement rugueuse, appose sur elle l’augure, cette réalité dont ils ont l’un et l’autre conscience, même s’ils n’en mesurent peut-être pas encore les conséquences.
« Je ne veux pas danser pour toi une seule fois … Je veux danser pour toi … Le temps qu’il le faudra. Une fois … deux fois … Trois fois … Quelle importance hein ? Je veux danser jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à dire … Plus rien exprimer … Plus rien à ressentir. Une seule fois ne suffira pas … Cela ne suffit jamais. »
Elle frisonne légèrement sous son souffle, affronte ses regards sans appréhension ni trouble. Son sourire est tendre, dépourvu de ces fantaisies trompeuses dont elle se pare d’habitude. Il a cette délicatesse subtile que la grandiloquence abhorre, et rend moins véritable en d’autres temps, d’autres jours, où il faut apparaître autre.
« Et si je te dis que se sont les lignes de ton corps que je veux, maintenant, tu souhaites quand même aller te perdre dans les parures de soie roses ? »
La fermeté de ses doigts s’arroge le droit de se lover entre les siens. Ses lèvres se fendent d’un sourire plus complice, plus détendu aussi. Elle a conscience que les troubles de ses humeurs demeurent juste là, au creux de sa paume, dans laquelle elle perçoit encore des tensions indissolubles. Elle ne veut pas refermer la parenthèse. Elle veut l’étendre tout le jour, l’étreindre dans cette nuit qui ne connaîtra jamais de semblable. Mais elle sait aussi la sensation d’enfermement qui le taraude, dans ces boutiques tapageuses, resserrées sur elle-même. Alors si attrayante et amusante soit la perspective, de mettre à l’épreuve la fiabilité de leurs indécences, elle lui laisse la possibilité de s’enfuir. Avec elle, contre elle. Ici ou ailleurs. Pour échapper à l'enfermement qui saurait le tarauder.


(c) DΛNDELION
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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
Et ce détour qui n’en finit pas _ Eleah&James - Page 6 1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
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() message posté Ven 7 Déc 2018 - 16:08 par James M. Wilde


« Tu es mon toujours ou tu ne l'es pas
Tu es ce velours si doux sous mes doigts
Et ce détour qui n'en finit pas
Oui, ce détour qui n'en finit pas
Je voudrais que ce séjour dans tes bras
Que tes caresses ne s'arrêtent pas
Je voudrais compter les jours sur tes doigts
Ou tu es mon amour ou tu ne l'es pas »

Eleah
& James




Les errances deviennent indistinctes, errances de corps, errances d’esprits, je ne sais où m’emmènent les soubresauts qui animent mon être. Le précipice se dévoile, profond, une gorge acérée qui saurait enfin recevoir la tourmente déjà peinte sur les muscles, irisée sur les nerfs. Ma posture se modèle, la veste de cuir manipule mes réactions, le personnage rencontre ses travers, l’inquiétude et la frénésie dans les épaules qui se tendent, l’impatience dans les jambes à chaque pas, la prégnance d’une envie sous la paume qui tremble. Moiteur de ces idéaux contradictoires, la liberté en pâture à l’obsession. Elle est cette obsession, une note aérienne qui devient châtiment de chaque instant, l’accord oscille dans des textures changeantes, la dissonance à mon oreille résonne comme un cri, m’enchante et m’effraie, parce que les mots en dérivent, glissent sur les contours abrupts de ce précipice pour mieux l’emmener avec moi. Dans les ombres où elle est venue me trouver. La nuit et ses échos se déploient dans mes entrailles, j’ai des réflexes qui palpitent leur virulence dans les doigts, quand ma bouche s’appose sur sa tempe c’est à la fois une condamnation et un autre serment à honorer. Le remerciement tel un affront, mes doigts sur sa taille qui menacent. Je la lâche aussitôt de peur de ne plus pouvoir le faire, savoir me séparer d’elle quand j’imagine l’étreindre autrement, parce que les sensations se disloquent, appellent la cocaïne ou l’oraison de la douleur dans sa chair. L’obsession est si brutale, si viscérale, mes sentiments tournent à l’orage, ils ne savent plus comment se contenir ou se dévoiler, l’attention touchante revêt le visage de l’injure, car jamais présent ne put être fait sans que l’on amorce ainsi l’aube d’un souvenir, d’un souvenir impossible à balayer. Ce même souvenir qui s’avoue sur ma langue, dans un constat par trop pesant, le ton de ma voix est si bas, presque bouleversé. D’autres yeux noirs me sondent et m’observent à la dérobée du passé, c’est une pointe inséré le long de ma colonne vertébrale, la morsure d’un fantôme profané, ces oublis successifs qui finiront par l’effacer. Une disparition qui saurait m’absoudre enfin quand une part de moi ne souhaite pas l’être, la damnation en partage, hérésie commune que personne n’a su distancier, à l’époque déjà, personne ne savait réellement se mettre entre elle et moi. Elle a tant voulu suivre cette tournée, elle aurait tant souhaité en faire partie, et j’aurais tant aimé qu’elle sache s’infliger ce mal, comprendre la brutalité entre mes mains, brûlante et dévorante, abyssale triomphe qui ne peut que se coucher dans l’absolu qui dévaste les liens, les êtres, les corps, les âmes. Et même la musique. Plus rien ne compte, plus rien alors. Contradiction encore, quand Eleah habite des horizons qui m’ensorcellent, quand l’absolu c’est elle, c’est le corps, c’est l’âme, à retrouver, à briser, à recomposer. Encore et encore. Déchaîner ce qui la malmène déjà, pour qu’elle ose confronter tous les abysses dans lesquels je plonge. Sous le cuir, le serment de le lui faire découvrir, qui suit les prémices d’une demande. Les confidences sont comme un préambule, même si le prénom qui s’abat ressuscite par trop ces souvenirs qui sont déjà bien trop présents sous mes yeux absents. Une seconde de flou où Rebecca est là elle aussi, entre nous, devant toi. Une existence qu’elle a connue, qu’elle a entièrement manipulée à son tour jusqu’à ce que je puisse m’affranchir d’elle. Sous la veste, mon coeur est étreint par ma mémoire. Je respire difficilement.
_ Maria.
Aux souvenirs abscons se substitue l’image maternelle, aplomb espagnol, encore flamboyant malgré les années, cette façon qu’elle a de me surnommer me fait très légèrement sourire.
_ Elle s’occupe encore de moi, même si elle ne me connaît plus de la même façon. Elle me regarde et ce qu’elle voit c’est celui qui est parti pendant presque dix ans, un fils absent.
Un fils violent, façonné par une haine née dans les nuits de l’asile, décharné par la lumière d’une scène où il a cherché à disparaître. Depuis quand ne lui ai-je pas parlé, vraiment parlé, à Maria. Lui raconter ce que ça a été, que de m’en aller, lui raconter ce que ça m’a fait, de ne pas avoir pu l’enterrer, de ne pas avoir pu coucher des mots sur sa tombe quand il aurait fallu le faire ? Lui dire la drogue, et l’absence… La dérive, et puis la construction d’une carrière, de plus en plus immense, trop grande, bien trop grande, jamais suffisamment pour remplir tout le vide que ce départ avait creusé. Je n’aime pas parler de tout cela, mais le confier à Eleah est si différent, je ne vois aucune menace dans les questions qui cherchent à tracer une jeunesse où elle n’était pas. Je n’ai pas appris à me confier car chacun a su renier ce que nous avions laissé et détruit derrière nous. Ils n’ont pas posé de question sur l’enfermement, ils n’ont plus jamais évoqué Rebecca, et quand je suis revenu, ça a continué ainsi, comme si rien n’avait existé. Rien. Moi non plus, c’est comme si ces années s’étaient effacées tout autour, et qu’elles ne demeuraient qu’à l’intérieur, cachées. Cachées. La violence, cette même violence que je sens monter en moi, celle qu’elle devine sur mes doigts encore très légèrement marqués, où j’aperçois parfois du coin de l’oeil tout ce sang qui les a maculés. Je baisse les yeux, la honte me transperce, parce que cette violence crève de savoir se tracer sur elle, contre elle, une part de ma nature jamais assouvie, jamais complète si ces élans ne peuvent se dessiner. Elle a sans doute su apprendre à gérer autrement la blessure qu’elle a enfouie, parce que nos rôles n’ont pas été les mêmes, ils ne l’ont jamais été. Eleah a été brisée par quelqu’un comme moi, elle est l’écho de la violence quand j’en suis l’origine, nos douleurs se prolongent, nos hontes se répondent. La souillure qu’elle détient me fascine, la brutalité qu’elle contient m’enivre, et la bête les réclame. Mon visage se ferme quelque peu, parce qu’il me faut quelques minutes pour recomposer une temporalité aussi nébuleuse que mon arrivée au USA. Mon retour a été… catastrophique. C’est un outrage que je n’ai jamais véritablement su pardonner à Gregory, car je suis rentré en grande partie pour lui, pour faire cesser cet exil qu’ils avaient subi à mes côtés, malgré eux, à cause de ce que j’avais fait.
_ Celles qui firent mon retour surtout. Cette toute première année à Londres a été… difficile. Et le Viper qui n’était encore qu’à ses origines, tu sais, c’était un terrain de perdition assez tentateur.
Je ne souris pas et n’explicite pas non plus le genre d’horreurs que j’ai su perpétrer, sur ces filles qui étaient là, si nombreuses à vouloir nous côtoyer, nous étions dans une notoriété plus absconse au Royaume-Uni, et le peu de fric qu’il restait ne nous permettait pas de ne pas être en permanence dans le nightclub, à servir, animer, gérer tout ce que nos ambitions nous dictaient. Un lieu à mon image, torve, compliqué, la drogue y a toujours circulé sans que je ne m’y oppose, et les nuits étaient… dégradantes. La plupart je ne m’en souviens plus, j’étais bien trop ivre. Je crois que certaines filles qui trainent encore, cinq ans après, dans ma propre boîte, me connaissent dans cette violence mieux que quiconque, et qu’elles la savent, la cherchent sur mes traits, tandis qu’elles demeurent anonymes pour moi. Je ne les reconnais pas. Un quotidien assez éloigné mine de rien de celui qui est mien désormais, quand je me suis retiré de ces errances pour éviter de trop m’y consumer, le nouvel album m’a aidé à le faire, la notoriété grandissante aussi, hormis cette semaine des plus glauques après le concert au RAH. Je pense à la fille brune que Greg a raccompagnée, cette nuit-là, et je ne me rappelle pas. Je ne sais pas, je ne sais pas. Est-ce que je l’ai frappée, est-ce que ça a été si facile de renouer avec cette violence-là ? Si simple… Si simple. Alors quand elle me propose de passer, d'immiscer ce pouvoir et cette envie jusque dans l’appartement qui la contient et la protège, d’y avoir ma place à mon tour, la violence est presque palpable. J’ai mal, si mal d’imaginer y trouver le repos, la paix, suffisamment longtemps pour me permettre de tout dévoyer, chaque endroit, chaque seconde, qui ne lui appartiendra plus tout à fait, et qu’il faudra partager avec cette déviance. L’envie est telle que je sais, oui je sais, que je viendrai, que j’aspire déjà à profaner jusque son foyer pour que nous ne puissions plus qu’imaginer l’horreur qu’il faudrait endurer si nous devions broyer les liens. Espérer qu’elle préfère encore les ténèbres que je saurai porter parfois, plutôt que l’absence, c’est un poison violent, qui brille de lueurs farouches dans mes iris assombris. Cette même absence que je ne peux imaginer supporter à mon tour, quand je ne lui ai pas ouvert la porte de chez moi. C’est étrange, et à la fois éminemment plus intime comme invitation, car lui demander de venir en tournée, quand cela lui chantera, c’est lui donner accès à tout. Absolument tout ce qui me constitue. La violence et la douceur, entremêlées de doute. La description qu’elle fait de tout ce qu’elle subodore déjà, ces filles, ces corps, désirs brutaux, animaux, qui pavent les heures de ces nuits où je ne trouve plus le sommeil, car il y a l’adrénaline, et le pouvoir. Ce putain de pouvoir. Ma gorge se serre, car je suis incapable d’avouer ce qui gît dans ma tête, palpite, encore, et encore, devant ces tableaux qu’elle sait parfaitement brosser. Et je la dévisage, muet, borné par le sursaut d’une angoisse qui grimpe, grimpe et tourbillonne dans mon ventre. Tout s’accélère, tout se distend, je deviens automate, dictant des règles dont je me fous, cherchant de mes regards agacés cet extérieur, car j’étouffe, j’étouffe. C’est trop petit ici, cette boutique pourtant immense me semble si étroite, les murs trop blancs, les sols trop gris, et les lumières trop crues. J’ai l’impression d’être assailli, par tous les gens, la voix des vendeuses, mes nerfs à vif à chaque mot teinté par l’accent français. La tension en partage quand je l’emmène, loin, loin, et vite, si vite. Les rues nous avalent et nous enferrent, je me mets à marcher sans but aucun, la foule m'indispose, et les images continuent de se précipiter tout contre ma rétine, rendues flamboyantes par l'appel de la coke, images déviantes et instincts bestiaux. Intacte… Intacte… Comment peut-elle seulement le croire quand dans ma tête il y a ces reflets changeants, où elle est autant protégée que profanée ? Les mots sont toujours interdits, les lèvres closes par la peur de l’aveu, cette réponse qui précipite un malaise grandissant, et les tremblements qui tentent de se contenir quand cela devient impossible. Mes nerfs clament leur allégeance, je pourrais me prostituer pour une ligne, m’agenouiller pour avoir le droit de la baiser, et chaque regard qui s’égare sur elle prend l’accent d’une autre convoitise. Une convoitise qui n’a strictement rien de délicat. Je n’ai jamais dévoilé les contours lunatiques de ma maladie devant elle, bipolarité tranchante qui me donne plus honte encore de moi, tant ici elle me nargue, à cause de toute cette came que j’ai avalé ces dernières semaines. Alors les mots, les phrases qui se nouent, semblent nous enfermer au milieu de la foule, reniant pourtant la sensation de cloisonnement qui ne cesse de me torturer. Les syllabes sont crues, et les images défilent, défilent, continuent de m’enivrer sans que je ne cherche un seul instant à rétablir une bride pour mieux maquiller ma nature. Elle demeure démunie devant le flot qui s’abat, clair-obscur qui clame ces envies interdites, où elle serait le substitut à mes perditions, à la fois la frénésie et l’oubli, le souvenir et le trauma. Elle a raison, j’oublierai tout, tout le reste, tout le reste sauf elle, car rien ni personne ne saura me délivrer du désir qu’elle a logé dans mon corps et qui demeure fiché comme une maladie. Comment absoudre et étouffer l’adrénaline si elle n’est pas là pour subir tous mes imaginaires brutaux, comme la nuit où elle m’a retrouvé dans le Viper ? Elles… Elles… Elles ne suffiront pas. Elles ne suffiront plus. Et cela me terrifie et m’enrage, car me porter au bord du précipice, c’est me pousser dans le pire des outrages. Ceux que j’ai un jour appris à manier le plus savamment du monde. Elle est si proche, et je la respire avec violence, avant de subir son baiser tel une énième brûlure, qui n’apaise guère l’émoi qui continue de rugir dans mon souffle. Je me fous des gens autour, et des journalistes, des regards intrigués, et des présences parasites. La morsure est si douce, implacable pourtant, si je me tais c’est pour mieux ravaler la frustration que mes désirs enflamment. Elle n’a pas peur, bien sûr qu’elle n’a pas peur, car nous sommes l’horreur, l’origine et l’écho. Nous sommes la douceur froissée, la luxure qui s’invite comme une trêve empoisonnée. Elle n’a pas peur et je suis terrifié. Toutefois je sais que mes peurs n’ont jamais rien freiné de mes destructions. J’expire le mal, cette douleur qui feule, tandis qu’elle caresse ma joue, ma barbe repousse peu à peu. J’ai oublié de me raser depuis que je suis ici. Ses promesses enchantent ma monstruosité, nos visages presque embrassés joutent, observent cet après qui ne pourra que prendre les atours du déchaînement. Je souffle :
_ Ensemble, n’est-ce pas ? Voilà pourquoi tu avais tort tout à l’heure. Car les recoins où mes envies m’emmèneront, ces errements et ces troubles dont tu parles, ces ombres opaques, si délectables, oh si tu savais… Ce sont les ombres où je te rêve, des heures entières à t’imaginer, dans le plaisir ou dans la douleur. Tu crois que je ne saurai plus te voir mais c’est l’inverse, je ne verrai que toi, et tu seras tout sauf intacte, mon amour.
Mes imaginaires s’enfièvrent, c’est comme évoquer l’obsession et la sentir tout dévaster. Combien de nuits déjà, hein ? Combien de nuits quand elle ne donnait plus aucune nouvelle, où il n’y avait qu’elle. Que cela pour accompagner ma frénésie ? Des filles j’en ai eu tant, tant… L’écho qu’elle fait de mon trouble complète ma pensée, je glisse une main si possessive dans ses cheveux pour mieux la regarder. Ses lèvres me tentent, le frisson est entier sous le cuir de la veste qu’elle retient encore :
_ Non ça ne suffit pas… ça ne suffit pas, Eleah. Comme ce type qui quittait ta chambre. Et comme cette fille que j’ai sautée en imaginant que c’était toi. Ca n’a jamais suffi…
La colère et la frustration, et cet aveu comme une lame que l’on plonge dans la délicatesse d’un instant, car mes étreintes font mal, l’appartenance est une chaîne qui déchire tout. J’ai l’impression d’être fou, dans cette fébrilité qu’elle contient avec la sensualité de son sourire, si doux, si dépourvu de ce jeu que nous avons tracé. Je ne joue plus non plus, je ne peux plus le faire, et j’apparais dans tout ce qui me constitue, ces besoins dévorants, ces infidélités manifestes qui n’en ont jamais été quand quelqu’un me possédait déjà. Et aujourd’hui elles deviennent impossibles, libertés amères et instables, qui donnent au plaisir un goût de cendres, c’est comme la deuxième injection d’héroïne, qui ne vaudra jamais la fois où l’on s’est donné entièrement à la morsure de l’aiguille. Je tremble, contre elle, ma main dans sa nuque, l’autre sur sa taille, l’indécence d’une étreinte qui se prolonge. Danse… Danse encore pour moi. Toujours. Elle, face à moi. Moi, face à elle. Impudique violence de sensations qui ne savent plus comment se tuer. Mes paupières se plissent légèrement, caressantes, quand mes doigts s’enfoncent dans sa chair, la seule réponse, la seule. Les battements deviennent erratiques, et tout mon corps réclame le feu dans ces sillons creusés par le manque de cocaïne. Le manque d’elle. De toi mon amour. La parenthèse se brise, broyée sous mes doigts, car il y a le sursaut implacable d’un besoin qui présage une sorte d’éternité. Tortueux écho de nos cris silencés. En avouant la convoiter ainsi, le détour dévoile une perspective effroyable, infini où elle viendrait tout prendre, où elle saurait tout abandonner à son tour, dans la fièvre et la contrition. Je me presse plus encore contre elle, tandis que ma langue vipérine susurre à son oreille :
_ Parce que tu crois que c’est incompatible ?
La complicité se fait ferveur, et nos doigts s’entremêlent dans le secret de cette étreinte, tandis que mon corps se donne entièrement à la frustration d’un désir, qui devient une sorte de douleur que je savoure, et qui vient contrebalancer le manque.
_ Je te donne dix minutes d’avance. Choisis une boutique très chère. Les cabines sont plus grandes. Tu sais quel genre de parure j’ai envie de voir sur toi.
Je me recule, daigne lui donner plus d’espace, même si ma main refuse encore de la lâcher, je porte ses doigts à mes lèvres, embrasse nos jointures blêmes tellement la douceur de nos yeux côtoie la ferveur déclenchée par ma sensation d’enfermement. Je la lâche soudain.
_ J’attends ton message.
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() message posté Sam 8 Déc 2018 - 13:26 par Invité
ET CE DÉTOUR
QUI N'EN FINIT PAS
james & eleah

« I'm gonna swing from the chandelier, I'm gonna live like tomorrow doesn't exist. Like it doesn't exist.  I'm gonna fly like a bird through the night, feel my tears as they dry, Keep my glass full until morning light, 'cause I'm just holding on for tonight. »
Rythme cadencé de ses phrases, qui dérangent, qui s’arrangent. Accords d’une réalité qui suppure de ces exaltations insensées. Des assertions fragiles, ces intimités toutes déployées. Maria … Maria. C’est ainsi qu’elle s’appelle. Toute sa matérialité retrouvée, figure à l’ombre de ses doutes, de ses morsures, de ses troubles d’enfant devenu homme avant d’avoir eu le temps de s’en rendre compte. Elle voudrait regretter d’avoir seulement demandé, d’avoir poussé la porte qui mène à ces rivages ravagés par d’autres, où sa candeur passée ère encore sans savoir retrouver d’autre chemin que celui pavé de désespoirs. Mais elle n’éprouve pas le moindre remord. L’incandescence de ses désirs de savoir, sur l’ourlet de ses lèvres closes. Pourquoi rester à ses côtés si elle ne le reconnaît plus ? Si elle ne voit plus en lui que le pâle reflet de celui qu’il fut, un jour, petit garçon terrible ? Au fond, elle croit qu’il se trompe un peu. Qu’elle sait le voir, qu’elle sait se raccrocher à ce qu’il est. Que c’est pour cela qu’elle demeure dans cette fidélité à ses côtés, qui ne s’encombre ni de préjugés, ni de jugements pénibles. Elle est là, c’est tout. Prête à entendre ce qu’il voudra bien lui dire, lorsqu’il estimera devoir le faire enfin. Avant qu’il ne soit trop tard peut-être. Avant qu’elle disparaisse à son tour. C’est le véritable rôle que devrait avoir une mère à ses yeux, envers la progéniture qu’elle n’a pas su totalement préserver.  C’est le rôle qu’elle a su tenir au fil des années, Winnyfried, malgré son inexpérience. Elle n’avait jamais imaginé pouvoir avoir des enfants, fracturée dans sa chair elle aussi … Comme elle, comme elle. Elle a fini par lui ressembler davantage qu’elle ne ressemblait à sa propre mère. Elle a toujours été là pour les écouter, présence discrète, socle indestructible venu se lover dans toutes les failles béantes que l’enfance avait su faire craqueler. Elle ne les a jamais jugés, ou reniés. Elle n’a jamais tu ce qu’il fallait dire, par commodité, par convenance. Même quand Arthur plongeait tête la première dans les affres de l’héroïne, même quand elle devinait la sensualité sulfureuse d’Eleah, prompte à aller toujours plus loin, en quête de ces rencontres abruptes qui sous ses masques de petite fille sage, endiguaient la souillure originelle en en créant de nouvelles. Elle le lui a dit une fois. Pourquoi Winny, pourquoi je suis comme ça ? Pourquoi cela ne suffit pas ? Pourquoi cela ne suffit jamais, dis-moi ? - Je ne sais pas mon trésor. Je ne sais pas. J’aimerais pouvoir te le dire, t’expliquer ce qu’il faut faire. Mais quoique tu dises, quoique tu fasses, il fera toujours partie de toi. Ce qu’il a fait, ce qu’il a gravé à l’intérieur de toi, cela t’habitera toujours, ce sera là. Et si pour que cela soit supportable, tu dois en passer par là, alors vas-y. Ravage-les. Ravage-les tous. Venge-toi de lui, sur ces corps qui ne t’appartiennent pas. Blesse-toi à d’autres luxures pour oublier celle, dérangeante et putride, qu’il a niché en toi. Sois entière. Et moi je serais toujours là, ma puce. Je serais là pour te rappeler les limites qu’il ne faut pas franchir. Je serais là pour panser tes plaies, essuyer tes larmes, te peindre tout ce que tu es, et qu’il ne pourra jamais atteindre. Tout ce dont tu auras oublié de te souvenir. Parce que je te protège Eleah. Depuis toujours. Jusqu’à la fin. Celle que tu décideras. Je serais là.  Les expressions s’érodent sur son visage, affadies par les souvenirs qui passent au-devant de ses regards. Il faut qu’elle retourne en Cornouailles. Leur présence lui manque. Son parfum à elle, son timbre suave à lui. Cette tranquillité de façade qu’ils savent arborer en permanence, cette quiétude indissoluble qui a toujours su la fasciner chez eux, et l’apaiser en toutes circonstances. Elle doit repartir, lui dire que tout ira bien. Que le fait qu’il soit dehors, à présent, ne change rien. Elle saura deviner ses mensonges, ses troubles. Elle saura trouver les mots qui rassurent. Elle sait toujours. C’est sa force à elle, Winny … Winnyfried.
« Penses-tu qu’elle serait restée à tes côtés si elle ne voyait en toi que le reflet de ce que tu as été ? Ce n’est pas parce qu’elle ne dit rien, qu’elle dans l’ombre, qu’elle ne voit pas ce que tu es. »
Elle incline légèrement la tête, tout à côté de son épaule, croise son regard dans le reflet du miroir de la cabine. Ses attentions se resserrent sur lui lorsqu’il se retourne, la confronte, décide de ne plus la regarder à travers le prisme d’autre chose. Elle ôte une poussière invisible sur son épaule. Une impression enfle dans sa poitrine, compresse peu à peu sa cage thoracique. Elle voit son trouble, qui grimpe à l’unisson des tensions dont son corps se fait le réceptacle. Ce qu’elle distingue la fascine. Cette façon qu’il a, de changer d’humeur, aussi simplement que de passer un vêtement sur ses épaules. Elle n’a jamais rencontré quelqu’un de semblable, si commun à elle, si différent toutefois. La dissemblance l’effraie, l’attire. Elle l’imagine dans les dérives d’une réalité toute autre. Plus sulfureux, aussi maigre qu’aujourd’hui. Plus ombrageux peut-être, plus abrupte dans ses rencontres. Son accent anglais qui jure dans la grandiloquence américaine. Des filles, de l’alcool. La drogue, en nuage poudreux, tout autour de lui, en auréole blanche. La fuite irrésolue en avant, qui ramène jusqu’au point de non-retour. Cette genèse dont elle devine peu à peu les contours, dont l’évanescente esquisse la rappelle aux ombrages de la nuit qu’ils ont passé, l’un contre l’autre. Cette violence qu’elle connaît, qu’elle convoque, qu’il murmure et sait lover indistinctement, contre son corps, avec encore cette maîtrise qu’elle craint de désirer vouloir lui arracher parfois, comme si les instincts malades de sa nature rêvaient de le voir sans brides aucune, dans toute sa splendeur, sans le joug de ses craintes et de sa honte pour le retenir.  
« J’imagine … Mais pourquoi revenir dans ce cas ? Pourquoi n’es-tu pas resté là-bas ? C’était pour Grégory et Ellis n’est-ce pas ? »
Son visage se ferme. Il devient de ces énigmes que l’on déchiffre en suivant l’arrête du nez, en imaginant déterrer les troubles qui se cachent derrière les prunelles noires. Elle sait les errances, elle devine les violences. Mais elle ignore les limites qu’il a su franchir, toutes ces nuits qu’il a oublié, dont il vaut peut-être mieux ne pas se souvenir. C’est là un univers qui lui appartient et dont elle ne sait pas grand-chose, ses perditions à elle étant plus mesurées, plus contenues, souvent dans la sécurité d’une étreinte dont personne n’était le témoin. Elle ne s’est jamais affichée comme il a pu le faire, le flagrant-délit interdit si elle souhaitait continuer de prétendre être autre chose. Cette personnalité rigoureuse, qui s’entrainait jusqu’à faire saigner les orteils et craquer les os. Rien n’aurait pu entraver sa soif de réussir. Rien, pas même ses appétits crus pour la chair. Les pas se précipitent, l’échange s’accélère. Ils regagnent l’effervescence de la rue à ciel ouvert. Cet espace immense et en même temps si étroit lorsqu’il se resserre sur leurs deux silhouettes en quinconce. Elle ne maquille rien du trouble qui la saisit lorsqu’il s’arrête. Coupure en syllabes rapides, l’aveu si délicat et trivial qu’il la laisse pantoise, à ignorer comment réagir, face à cet être qui ne sait rien contenir, quand elle n’est que mesure et maîtrise d’elle-même. Ses émotions s’affolent. Toute sa liberté durement acquise feule, saigne, s’abîme sur ses traits qui s’aimantent et se logent à l’intérieur des siens. Ce qui est de lui, ce qui est d’elle. Une fois encore, elle ne sait plus exactement. Et la sensation, sur le coup, l’oppresse. Il lui semble être de ces animaux sans défenses que l’on accule, sur lesquels le prédateur fond avec toutes les âpretés de son désir. Se débattre ne sert à rien, tenter de fuir encore moins. Sa main contre sa hanche, ses doigts qui s’enfoncent dans la tendresse de la chair. Elle a presque une grimace parce qu’il appuie sans s’en rendre compte sur le bleu qu’il lui a laissé en héritage, au gré de leur étreinte. Les pas précipités, la marche une course dont le temps d’arrêt est un présage. Elle ne croit pas être capable de l’aider à contrôler ses humeurs furibondes, aussi tranchantes que des éclairs qui martèlent la terre pendant l’orage, et aspirent à ravager tout sur leur passage. Le veut-elle seulement ? Le veut-elle policé et contenu ? Patient et délicat, tout le temps, toujours ? Non … Non. Elle commence à comprendre qu’il n’est jamais aussi sincère que dans l’implacabilité des phrases qu’il avoue lorsque ses élans sont les plus noirs. Que derrière la cruauté parfois terrible de ses aveux, il y a cette délicatesse indicible qui se planque, qu’il faut savoir regarder au travers. Des images sulfureuses s’installent dans sa tête, se nichent jusque dans les replis de son corps qui tremble et réagit à la pulpe de ses doigts, à la texture de ses lèvres qu’elle mord, inconséquente et triviale créature, qui dépose les hommages où elle sait qu’il saura les recevoir. Le bout de son nez frotte la rugosité de sa joue. Cela pique, cela fait presque mal. Elle aime cette négligence-là, rude sur l'épiderme fragile, qui ajoute à ses airs de mauvais garçon. Elle n’a pas peur, non. Son souffle s’allonge sous la virulence de sa main. La nuque ploie un peu, pas totalement toutefois. Elle impose une légère résistance, se donne sans pour autant se soumettre. Ses lèvres s’entrouvrent pour lui répondre, rêvent de savoir prononcer l’implacabilité d’une réponse. Mais l’émoi est entier. Ses nerfs s’affolent, s’égarent. Ébranlée, quelque chose chavire à l’intérieur. Il la contrarie, lui donne tous les torts, quand se dire qu’il l’oublierait ailleurs rassurait les instincts encore trop farouches de sa nature. Il la raccroche à lui, à son intransigeance, impitoyable. Et elle le voit la traquer, là-bas, au loin, si loin d’elle, au gré de toutes ces autres. Quelque chose dans l’idée la révulse, la captive, l’inonde. Une chaleur s’éprend de ses reins, devient cuisante. La brûlure est immense, elle fait mal, c’est insupportable. Le « mon amour », en ponctuation inexorable. Sa nuque devient raide sous ses doigts. Ce n’est pas du rejet, seulement la réaction mécanique de son corps, affolé, tiraillé par des envies impérieuses contraires, contraintes. L’hideuse créature qu’elle renferme s’éveille de sa trop longue torpeur, s’affiche sur son visage qui n’a plus rien de candide, quand la morsure des ardeurs qu’elle éprouve sont là pour irradier ses prunelles obscures. Aucun répit, aucune trêve.
C’est cela que tu veux, n’est-ce pas, mon amour ? Aucun point d’arrêt où demeurer deux, quand à force de se conjuguer, de se traquer, de s’enfermer l’un dans l’autre, nous ne sommes plus qu’un seul ? Tu veux me garder prisonnière, à l’intérieur de toi. Que j’y reste parce que j’y aspire, parce que j’y consens. Les clefs de ton salut, entre mes doigts serrés, contre nos corps embrassés.  Tu ne me laisseras pas partir, même quand tu seras loin, même quand tu ne seras plus là pour me rappeler à toi. Je ne peux pas de toute façon … je ne peux pas. Je ne veux pas te laisser oublier ce qui fut. Je veux être cette plaie qui suinte, qui fait mal, qui suppure. Cette plaie qui jamais ne cicatrise, qui au contraire perdure, dans le temps, jusqu’à l’âme. Je ne veux pas que tu puisses m’imaginer au gré de quelqu’un d’autre. Je veux ta frustration, tes terreurs, ta rage, lorsque tu te rendras compte, que je suis fichée si profondément en toi, que tu ne peux rien trouver sur d’autres rivages si ce n’est l’impuissance. C’est ce que tu mérites. C’est le mal que je veux t’infliger, que tu as déjà su nicher en moi. Cruelle et impérieuse créature. Tu l’as voulu. C’est toute la condamnation que tu mérites.

Surtout lorsqu’il poursuit, rend à une entité qui aurait dû demeurer silencieuse toute sa matérialité. Cette fille anonyme, sans nom, sans visage, dont son frère s’est plu à lui envoyer le portrait. Lui à côté d’elle. Elle contre lui. Ces abrutissements dont elle n’aurait voulu rien savoir, qui doivent rester à l’état de non-dit. Ses ongles s’enfoncent et marquent le cuir de sa veste, au niveau de sa taille.  Elle demeure mutique, la virulence farouche de sa nature toute réveillée par l’implacabilité de ses aveux. L’évoquer, l’imaginer, c’est une chose. L’avouer en est une autre, surtout en des termes si crus. Quelque chose qu'elle ne reconnaît pas rugit dans son ventre, sait qu’il lui faut attendre pour infliger le revers. Elle a mal, elle s’enorgueillit. Elle le hait d’avoir su trouver ce pâle substitut ailleurs quand elle-même en fut incapable. Elle n’a pas su se contenter des caresses policées d’Isaac. Son odeur qu’elle appréciait autrefois lui a semblé âcre. Sa peau sans saveur, au goût de cendres. Les cendres du brasier que James avait su déclencher. Alors pendant une courte seconde, elle le hait. Elle le hait de tous ses membres, de toute son âme. Et elle l’aime plus encore, avec cette ferveur malsaine qui lui donne envie de ravager son corps pour le punir d’avoir tenté de la traquer ailleurs, quand elle aurait préféré qu’il débarque au milieu de la nuit, n’importe quand, à toute heure, pour la sauter elle, sans préambules, sans discrétion, sans subterfuges.  Bestialités en partage, dérangeantes et nébuleuses, lorsqu’elles se fracassent l’une contre l’autre. L’expression qu’elle arbore alors marque son mécontentement ; le signe que si elle ne dit rien pour l’heure, il ne pourra cependant pas échapper à la réponse qu’elle lui donnera, tôt ou tard. Elle le condamne par son silence, par ces phrases qu’elle laisse en suspension, planquées derrière le pragmatisme de sa nature. Eleah ne réagit pas à chaud, hormis sous les influences de l’alcool. Il lui faut songer, ruminer, poser les jalons. Les émotions sont trop nombreuses, elle doit y faire face, les comprendre. Elle mord sa lèvre inférieure, esquisse un rictus presque narquois. L’idée … l’idée se dessine déjà dans sa tête. Diabolisme d’un plan qui vaudra toutes les réponses. L’envie est si virulente, dans sa tête, dans son corps, qu’elle pourrait se jeter sur lui, là, devant tout le monde. Mais ce serait si simple … Trop simple. Il n’y aurait pas ce temps de silence et d’attente auquel le damner. Elle s’offrirait tout de suite, sans lui rappeler l’impiété de ses aveux parjures. Ces paroles qu’elle ne peut pas oublier, dont le sens se grave et périclite jusqu’aux prémices de sa folie enfouie, furieuse et vulnérable, comme lui … Comme lui. Son regard le tance, le dévisage, le défie, ses doigts entremêlés aux siens mordent sa chair avant de la libérer :
«  Soit. Penses-tu pouvoir me retrouver à temps ? Parce que je n’attends pas … je n’attends jamais. Une minute … Et il sera trop tard … Trop tard. »
Un sourire s’égare sur ses lèvres. Elle s’éloigne, elle disparaît, emprunte une direction torve, parmi les passants en rangs serrés, sur les trottoirs. Elle aurait pu partir en ligne droite, rendre la tâche facile. Mais non, elle tourne, elle bifurque, elle s’enlise. Paris labyrinthique, le quadrillage des rues qui défilent. Elle ne sait pas où elle va, c’est un quartier dont elle ne sait pas grand-chose si ce n’est que les boutiques y sont toutes très luxueuses. Il n’y a qu’à regarder les étalages, où se battent en duel quelques pans de tissus aux prix exorbitants. Les lignes épurées, qui trahissent la richesse et la débâcle des étoffes rares. Son humeur n’est plus totalement guillerette. Elle chavire, bascule, prend des accents de menaces qu’il faut exécuter avant de les regarder s’évanouir. Son désintérêt pour les parures qui défilent sous ses yeux est équivoque. Les vitrines ne succèdent, les mannequins trop maigres et trop grandes prennent toutes des visages ignobles, déformés par les impressions qui grondent dans son ventre. Ses mots martèlent ses tempes. Ces terribles mots, qu’elle crevait au fond d’entendre, mais que certains accents de sa personnalité craignent encore de recevoir. La frustration nargue ses sens, le sang palpite dans ses veines à un rythme effréné. Elle pousse enfin la porte vitrée d’une boutique dont l’intérieur l’inspire. Il y a plusieurs vendeuses, affairées avec des clients. Le vigile lui ouvre la porte, incline la tête dans un salut respectueux au passage. Ses allures décontractées auraient pu l’inciter à la laisser sur le seuil. Mais il a remarqué une sorte de distinction dans sa façon de se mouvoir. Son sac à main de marque aussi, qui lui a fait penser que souvent, l’habit ne fait pas le moine. Que richesse et distinction ne vont parfois pas si bien ensemble. Elle déambule dans les allées, apprécie les lumières plus tamisées et moins criardes de cette boutique aux décors épurés. Ses doigts furètent sur la soie blanche d’un kimono, puis sur la dentelle de Calais d’un ensemble crème. Elle reconnaît aux parures une élégance. Ce n’est pas tapageur, ou affriolant. Ce n’est pas racoleur comme ce qu’ils imaginaient plus tôt dans la journée en riant. Mais c’est réellement délicat. Dans la finition du travail, dans les matières, dans les couleurs. Elle ne regarde pas les prix, se contente de fureter jusqu’à arrêter son choix sur un ensemble rose pâle. Elle dégaine son téléphone, le rallume, ignore la vague des notifications qui défile sur l’écran d’accueil. Elle prend en photo l’étiquette de l’ensemble, n’ajoute rien d’autre. L’étiquette, juste cela, sur laquelle est inscrit dans une calligraphie élégante le nom de l’enseigne. A lui de trouver l’endroit, le lieu. Elle n’attendra pas.
« Madame, puis-je vous renseigner ?
- Cela ira, je vous remêrcie. Je suis assêz … Pudique vous sâvez. Je vâis essayer seule. Mon conjoint ne devrait pas tarder à arriver.
- Très bien, n’hésitez pas à nous solliciter si vous avez un problème de taille. »
Elle la remercie, avec un sourire poli. Trop poli. Trop policé. Si faux, même si elle n’en sait rien. Qu’elle ignore toute l’impudence de sa nature, et toute la trivialité des pensées qui s’insinuent dans sa tête comme des lames d’acier qui transpercent la chair tendre. Elle disparait dans ce qui ressemble davantage à un living room d’essayage plutôt qu’à des cabines traditionnelles. La cabine est immense, le rideau dans un velours gris clair très épais. Il y a un petit fauteuil aux pieds chantournés, d’un style très Louis XV. De quoi accrocher ses fringues aussi, et apprécier son reflet dans un miroir immense. Méticuleuse, avec une lenteur étudiée, elle se déshabille, enfile la guêpière qu’elle a sélectionnée, couturée de dentelle, lacée sur le devant de la poitrine qu’elle rehausse de manière éhontée. Ses attentions se portent sur le porte jarretelle. Elle a oublié de prendre des bas, pour aller avec. Avec une timidité toute feinte, elle passe sa tête dans l’embrasure du rideau et interpelle au hasard une vendeuse, à laquelle elle demande le reste de la tenue. Elle le lui rapporte, toute contente, croyant y voir une invitation pour demeurer derrière le rideau et l’aider encore. Mais Eleah la congédie lorsqu’elle entend une voix familière, à l’extérieur. Elle attend de percevoir la tonalité de ses pas dans le salon d’essayage, repasse sa tête à travers le rideau épais en ne laissant dépasser que son visage.

« Tu as fait vite. J’ignorais que tu étais désespéré au point de courir. » le nargue-t-elle, le laissant arriver jusqu’à sa hauteur. « Je n’ai pas fini. Viens m’aider tu veux. C’est tout un attirail ce truc là. » dit-elle, avant de le saisir brusquement par un pan de sa veste et de le tirer à l’intérieur de la cabine, en refermant le rideau derrière lui. « Aide moi à fermer toutes les petites attaches, derrière … » Elle se retourne, lui présente le dos de la guêpière qu’elle n’a pas réussi à refermer toute entière. Du bout des lèvres, alors qu’elle ajuste l’ensemble sur son corps, elle finit par tourner légèrement la tête sur le côté, l’interrogeant par-dessus son épaule. « Tu le pensais tout à l’heure n’est-ce pas ? … Tu ne masque pas ce que tu penses … Tu n’épargnes personne … Tu ne m’épargneras pas … Jamais … » Elle pivote avec lenteur, au gré de ses phrases, plaque une main sur son épaule, et le repousse jusqu’au fauteuil. « Assis. » La directive est abrupte, incisive. La tonalité autoritaire, sous la douceur de façade qu’elle arbore. Il s’assied, il n’a pas vraiment le choix. Elle se recule un peu, pose la pointe de son pied nu sur son genou, et enfile précautionneusement le bas qu’il lui manque, en déroulant la finesse du tissu le long du galbe de sa jambe, jusqu'à mi-cuisse. Lenteur méthodique, minutieuse. Lenteur d’une attente qui prend son temps, qui déploie les griffes d’une cruauté parjure. « Ça n’a pas suffi n’est-ce pas … C’est toi qui l’a dit … Ça ne suffit pas … » Ses regards le caressent, hermétiques, glissent sur les contours de son visage. Elle se redresse, analyse quelques instants son reflet dans le miroir. Elle n’aime pas la couleur. Le rose pâle, ça n’est pas ce qu’elle préfère. Mais cela ressemble à leurs espérances. Le ridicule affriolant en moins, la sensualité ravageuse en plus. « Ça n’est pas si mal. » Elle passe une main dans ses cheveux qu’elle trouve trop longs depuis quelques temps, resserre ses attentions sur lui en s’avançant, glissant jusqu’à s’asseoir sur ses genoux, à califourchon, caressant de son index une ligne invisible sur son épaule. « Et la prochaine fois … Ce sera pire. Tu te diras que tu peux me traquer ailleurs … Autre part. Une jolie brune, au hasard, perchée sur ses talons aiguilles … Tu essaieras de la baiser en pensant que c’est moi mais … » Méticuleux, ses doigts saisissent la pince du porte jarretelle qu’elle n’a pas encore pris soin de fixer. « Tiens, accroche ça sur le haut du bas tu veux bien ? » Elle dirige sa main sur la hauteur de sa cuisse, soulève le haut du bas pour qu’il puisse fixer l’attache sur la dentelle. « Ce sera pire encore, à chaque fois… ça aura un goût de cendres. Parce que, que tu le veuilles ou non … je me suis logée à l’intérieur de toi … Si profondément … » Sa main furète, s’arrête sur sa jugulaire, étreint sa gorge sans appuyer pour autant, tandis que ses lèvres s’approchent avec la dangerosité d’un fauve. « Je ne peux plus partir. C’est ta condamnation … mon amour. Tu as voulu m’emprisonner, à l’intérieur de toi … J’y suis … J’y suis. Et aucune autre ne pourra se substituer et avoir cette emprise que j’ai sur toi. » Ses doigts serrent un peu plus, s’attendrissent lorsqu’ils sentent battre le pouls, sous la peau. Ses hanches se pressent contre les siennes, ondulent, narguent, torturent. « Tu essaieras de me traquer là où je ne serais pas. Tu essaieras sans doute … Mais tu ne trouveras rien. Rien à part la frustration, et le dégoût. Parce que les autres ne suffisent pas non … » Son pouce caresse sa joue, étend l’intimité d’une sphère où ses traits revêtent des atours plus délicats. « Décompose toi dans toute la fadeur des étreintes que tu veux … Mais reconstruis-toi contre moi. Que tu sois cruel, ou délicat … Il y a une partie de toi qui m’appartient … C’est comme ça. Je ne te la rendrais pas, et je ne t'épargnerais pas non plus. » Un rictus orgueilleux et espiègle s’empare de ses lèvres vipérines. Elle sait pertinemment que l’inverse est vrai. Qu’il détient aussi une partie d’elle dans la dangerosité de ses doigts. Elle n’a pas peur non. Ni de lui, ni de ces autres. Jamais. Jamais.



(c) DΛNDELION
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James M. Wilde
James M. Wilde
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() message posté Dim 16 Déc 2018 - 21:09 par James M. Wilde


« Tu es mon toujours ou tu ne l'es pas
Tu es ce velours si doux sous mes doigts
Et ce détour qui n'en finit pas
Oui, ce détour qui n'en finit pas
Je voudrais que ce séjour dans tes bras
Que tes caresses ne s'arrêtent pas
Je voudrais compter les jours sur tes doigts
Ou tu es mon amour ou tu ne l'es pas »

Eleah
& James




Les confidences se déroulent sous la cruauté des néons, lueurs blafardes pour toute parure quand l’intime s’émancipe dans une tonalité resserrée, presque solennelle. Le passé un instant ressurgit, c’est elle qui le reçoit, qui en détient une bribe désormais et c’est aussi dérangeant que délicat. C’est lui permettre d’atteindre l’enfance quand elle n’a fait que rencontrer l’âge d’homme, ses travers, ses éclats, et les ombres qui permettent aux cicatrices de se dissimuler. J’ai des souvenirs heureux, si je les laisse ainsi divaguer dans ma tête, il y a des rires, et le son du piano, les mots déformés par la petite bouche d’Ella, puis l’accent hispanique de Maria. Ses doigts sur mon épaule, sa bouche sur ma joue. Ce moment où elle m’a écouté jouer un morceau de Mozart, en entier, et rien que pour elle, émue et pudique comme elle a toujours su l’être. Elle était fière de moi, lorsque je cesse de me mentir, j’en suis intimement persuadé, sa fierté n’avait à voir ni avec l’argent, ni avec les mondanités. Sa fierté était celle d’une mère, sans concession. Elle a encensé certains de mes talents, elle m’a parfois durement réprimandé pour mes fautes. Elle a pleuré mon départ de la maison, je l’ai su bien après, quand nous nous sommes retrouvés, elle et moi, dans le Penthouse à peine aménagé tout en haut du Viper. Alors quand Eleah laisse tomber sa douce affirmation en retour de mes certitudes froides et faciles, je la couve d’un regard aussi intense que brutal. Je sais… Je sais. Mais j’ai tellement peur aujourd’hui de ce qu’elle voit, de ce qu’elle craint pour moi. Il n’y a parfois pas pire douleur que celle qu’on sait infliger à un parent, à celui qui la souffre à vos côtés comme si le mal appartenait à sa propre chair. Que reste-t-il de sa fierté délicieuse et prude dorénavant qu’elle voit toutes les preuves de mes difformités, cette colère, cette folie, placardée parfois sur les murs de mon appartement ? Nous nous regardons longuement jusqu’à ce que le passé rouvre la faille et que je ne puisse plus ni la maquiller ni l’éluder. Elle est partout dans ma posture, dans mon humeur, et dans mes yeux, et cette manière qu’elle a de la traquer, de s’en nourrir, rouvre la porte à des élans déraisonnables, des idées crues. D’invincibles tortures. L’interdépendance à cet instant-là est presque palpable, l’attrait, la corruption, la peine, forment un choeur plein de discordance. C’est aussi beau que désagréable. Un son aigu, qui sature tout, rend ma peau presque transpirante quand de ses prunelles sombres, elle boit toutes les évidences, se noie en elle pour mieux les discerner. Les évocations de la fuite, de nos aventures américaines finissent en un point d’orgue magistral, un écroulement si douloureux que j’en tremble tout à fait. Pour eux ? Pour eux… À cause d’eux, oui. À cause. C’est tout ce qui hurle dorénavant, le nerf d’un affront toujours vibrant, une blessure qui n’a pu se refermer. Une décision aux airs de concession. Aux relents de compromission. Mon corps s’abrutit dans un sursaut de colère, qui referme notre échange avec une précipitation terrifiante. Je ne réponds pas, je ne réponds pas car sa question n’en est pas vraiment une, elle a su remplir tous les blancs et trouver l’évidence qui trahit ainsi notre retour en Angleterre. Le Viper est comme une hérésie, une sorte de cataplasme que l’on pose pour tenter de maintenir une enveloppe à un cadavre en décomposition. Dérive sans subtilité cependant, je sais que sous les assauts vindicatifs que semblent parfaire les battements de mon coeur, tout est bien plus complexe, un mélange entre la compromission et l’envie, comme toujours. Comme toujours. Comme ce qui se trame avec Eleah, peut-être. Un accident qui sursoit à une décision qui devait être sans appel, un rêve chimérique pour croire encore pouvoir se montrer homme quand on est plus qu’une bête, qui s’est appliqué à crucifier un corps en souffrance contre un mur. Une souffrance qui semble suinter tout autour de nous, tandis que la marche arrêtée nous laisse une sensation de noyade en pleine ville, le flot des passants, le bruit de la circulation autour, et des travaux un peu plus loin nous entraînant dans un marasme qui menace de me rendre fou. Alors les mots s’abattent sur elle, comme l’on userait de ces armes malignes pour mieux déparer les chairs de leurs attraits. Tout est palpable, tout est trivial, presque obscène. Car ce que je lui avoue, c’est sans doute l’un de mes plus beaux outrages, cette vérité que d’autres ont subie avant elle, mais qu’elles n’ont jamais su. L’obsession qui confine au carnage, le besoin de posséder jusqu’à l’âme, que l’on détourne sur d’autres victimes consentantes pour s’en débarrasser, car une telle envie, un tel besoin de l’autre dévore tout, dévoie les rêves, les rend tous détestables, et pourtant l’on souhaite s’y vautrer, encore, et encore, sans ne plus savoir où l’on pourra s’arrêter. Le point d’arrêt, le seuil qui une fois franchi ne peut plus jamais se dessiner, le corps en ressort décharné, l’esprit hérite d’une folie qui ne peut plus se taire. C’est la mort de l’autre, littérale ou symbolique. J’ai su expérimenter les deux… Tous les fantômes dansent entre nous, les passants disparaissent, ce sont des amas d’ordures, corps scarifiés, serments putrides qu’il a fallu violer pour savoir s’en défaire. C’est ce qui sourde dans ma voix lorsque je lui rappelle, mes yeux durement plantés dans les siens, les vices qui sont miens. Une possessivité qui pourrait passer pour une injure, qui dans mes instincts très tordus demeurent des hommages. Je ne sais convoiter à moitié, aimer quelqu’un doucement, paisiblement. Je ne sais pas faire ça. Je n’ai finalement jamais su, parce que les sentiments s’allient aux sensations qui me menacent et me corrompent. Je ne les vis que comme des camisoles qu’il faut savoir déchirer. L’on ne peut aimer vraiment que dans la plus infinie violence, car l’amour fait mal, s’infiltre dans la tête, rend les songes incohérents, empêche même de s’imaginer libre quand pourtant l’on est de ces êtres qui ne peuvent survivre entravés. L’amour est une contradiction terrible, une chaîne et une perspective irréelle. L’infini que l’on trouve dans les chairs que l’on envahit, cet infini trompeur, si enchanteur que l’on aimerait y demeurer toujours, jusqu’à ce que l’on vous l’arrache aussitôt dans la douleur d’une extase pour vous rendre à votre corps, si faible, si illusoire. Inutile créature aux avidités insatiables. Je n’ai trouvé qu’une sensation similaire en me portant sur la scène, en laissant dériver mes compositions dans la brutalité d’une performance, parce qu’elles ne pouvaient se suffire aux frontières de mon corps. C’est ce genre d’amour qu’elle m’inspire, cette frénésie idolâtre qui la dessine divine pour mieux l’imaginer déchoir à chaque coup de reins. La violence de mes mots concentrent mon désir, je ne mesure plus mes gestes, je me nourris des sentiments contrariés qui défilent sur son beau visage, frémit sous la morsure qu’elle m’inflige. L’aveu danse dans l’air froid, un aveu si dégradant en apparence, un aveu que bien peu pourtant auraient su mériter. Élue de mes obstinations, image dévoyée que je menace d’emporter au loin, dans les méandres les plus insatiables. Son émotion palpable, sous mes doigts la résolution du combat, la confrontation la plus exquise qui soit. Ce que l’on peut prendre, détenir, envahir, sans jamais entièrement oublier ce que l’on est. Je la possède dans ce regard, je la possède vraiment, mais je ne la domine pas, et cette ambivalence déchaîne mon souffle et mon désir. Ce que je continue de lui imposer est une injure à toutes ses libertés, les miennes depuis cette nuit projetée dans les flammes. Le brasier s’élève dans ce regard qui prolonge la dureté de mes phrases. Elle se statufie entre mes bras, affolement viscéral que je reçois dans mes chairs lorsque je comprends ce que j’ai dit. La stupeur d’un instant me permet d’entrevoir sur ses traits toute la monstruosité de ses propres besoins. La bête s’y conjugue, enfonce ses griffes dans sa proie lorsqu’elle comprend que le sang qu’elle verse, qu’elle lape, se constitue d’humeurs empoisonnées. C’est bien cela oui… C’est tout ce que je souhaite. Que tu cesses d’être en dehors de moi, que tu deviennes l’entité qui habitera la ruine de mon corps, qui détruira les hérésies contraires, celles qui prétendent vouloir être soi, quand tout mon être n’aspire plus que d’être en toi, en toi. Tout autour, à l’intérieur, partout. Dans tes respirations les moins chastes, l’inflexion d’un plaisir dans ta concentration la plus abyssale. La prisonnière de mes fantaisies les plus infernales, la geôlière de mes fantasmes les plus interdits. Je te veux ici, je te souhaite ailleurs, je veux te regarder et me deviner à l’intérieur, te renvoyer une image déformée, celle de ta liberté entre mes doigts serrés. Car c’est cela être libre, c’est cela, n’est-ce pas ? Appartenir jusqu’à ce que l’autre devienne une extension du corps, une blessure à l’âme, prolongeant la torture de l’existence pour la rendre un peu plus magistrale. Alors je lui balance, et les images et les plus irrémédiables tourmentes, des souffles pleins de fièvre et une jouissance imparfaite, le corps d’une étrangère en pâture à mes délires de puissance. La morsure est entière, douloureuse et brutale, ses ongles y font écho sur le cuir de la veste qui portera la preuve de mes plus beaux parjures. Je la regarde, je la regarde comme si elle était tout, tout ce qui pouvait encore déclencher cette bestialité et les accords implacables qui l’accompagnent. Son silence me rend sourd, l’éclat de sa haine me submerge, réveille toutes les harmonies, mettant en exergue les tonalités les plus inflexibles, les plus dérangeantes. Elles se lisent sur les tendons qui saillent dans mon cou, mes yeux dévoilent une pointe de sadisme qui se mire clairement dans les réactions qu’elle expérimente avec la violence unique des premières fois. Pas une seule seconde mon emprise sur elle ne cesse, pas une seule seconde. La haine verse bientôt dans la même luxure, identique à la mienne, l’envie qui frôle la dévoration, l’on veut posséder autant que l’on souhaite détruire dans ces instants-là. Les fantasmes nous entraînent, loin, loin, si loin de la foule, de Paris, du monde même qui sait encore nous détenir, et l’appartenance est totale, plus prégnante qu’une fièvre. Bientôt, ses airs furibonds se font mutiques et je n’ajoute rien, strictement rien si ce n’est cette expression satisfaite, aussi monstrueuse que celle qu’elle a dévoilée quelques secondes plus tôt. Ça fait mal n’est-ce pas ? Si mal… Les minutes passent, puis se navrent, je reviens à l’existence avec une sensation de langueur qui joute avec les courbatures dans mon corps. Je la relâche avec une très fausse douceur, la laisse recouvrer et sa prestance et ses esprits. Les miens ressurgissent, emmêlés et troublés, un peu perplexe quant à ce qu’ils ont su délivrer ainsi, dans la frivolité d’un instant. Mais ce qui s’est passé ici n’avait rien de frivole, ça n’avait rien d’un jeu. Rien… C’est pourtant un jeu qui nous sauve, nous permet de poser les jalons à une trêve menteuse, où nous nous observons encore, sans pour autant nous retenir. Reprends ta liberté, simple costume que je saurai te faire quitter dans le noir, ou dans les entrailles d’une cabine surchauffée, à l’abri des regards outrés d’une société qui ne nous ressemble pas. Car rien ne nous ressemble, rien ne nous ressemble, mon amour, voilà pourquoi tu m’appartiens, et je t’appartiens en retour. Je demeure presque protocolaire, me détache, divague, les envies sont si nombreuses, si éblouissantes. Et elle les contre toutes en me laissant ainsi, dans l’ombre, dans ce silence ambiant qui peu à peu cherche à me désincarner. Je tente de tenir bon, d’afficher un stoïcisme quand tout hurle à l’intérieur. Cette bouche qu’elle offre, mutique et mutine, vient bientôt sculpter le masque de mes impiétés sur mon visage, un mélange de froideur qui cherche à maquiller les flammes qui menacent, qui sourdent. Vas-tu parler enfin, répondre, avouer ce que j’ai lu sur tes traits ? Vas-tu offrir ce que je quémande ? La colère n’est pas très longue à poindre, j’ai été tant subjugué par l’instant qui nous a déchirés que je ressens une frustration abyssale, dévorante. Mes doigts jouent, joutent sur mes bras, tandis que je prends une posture de défense, qui n’ôte rien à ces regards qui la dévisagent, la tancent. Parle donc. Accepte ou fuis, couarde créature. Le défi est entier cependant, avide, implacable expression qui vient manger ses allures enfantines, la rendant femme dans la spontanéité d’une seule oeillade. Je demeure en arrêt, suspendu à ses lèvres. Ma mâchoire comprime mes instincts. Qu’est-ce que tu crois, qu’est-ce que tu crois… Je n’attends pas non plus et je trouve toujours ma proie. Je relève le menton, exprime un souffle presque méprisant. Je ne lui souris pas, la laisse partir, lui daigne cette avance promise, mais bientôt, dans la foule cerné, je me sens pris au piège. Je finis par tracer quelques pas incertains, dans son sillage, sans véritablement chercher à la suivre ce qui serait sans doute trahir les termes de notre jeu équivoque. Je finis par trouver le secours d’une voie moins passante, m’y engouffre comme si je manquais d’air, enferme la panique qui cherche à me submerger. Je deviens dingue, marche de long, en large, regarde les vitrines sans voir leur contenu, je reconnais à peine ma silhouette qui prend les allures d’un fauve. Je sors d’un geste ample mon cadeau, intervertit les veste, revêt le cuir bicolore, l’admire par le biais de quelques cajoleries sur mes bras. Je resserre les pans, elle est beaucoup moins appropriée que celle que je porte en hiver, mais je la porte en imaginant qu’elle m’étreint, car sa sorcellerie marche déjà. Mon souffle est plus lourd. Combien de minutes, combien de temps ? Je rallume l’écran, vérifie le réseau, recouvre les arcanes d’un objet qui d’habitude ne me passionne guère. Je passe même un appel, en mains libre pour être certain de voir la petite enveloppe s’afficher si jamais elle m’écrivait.
_ Oui, oui, c’est moi. Mais… Non. Greg, je t’ai déjà dit quand je rentrais. Oui je vais bien. Non je n’écrirai pas un mot d’excuse. Bon tu veux bien la fermer ? Pour le réseau français, quand on reçoit le bon, à Paris, c’est bien marqué les trois lettres là ? Un S, un F, et un R ? C’est ça qu’on reçoit nous quand on y est, non ? Oui c’est vrai. Je t’appelle, en effet. Donc je reçois.
La petite enveloppe apparaît.
_ Pourquoi t’appelles déjà ? Tu m’emmerdes avec ta cohérence. Bye.
Je lui raccroche au nez et ouvre avec une frénésie non déguisée le contenu du MMS qui consiste en une seule photo. Je déchiffre en fronçant les sourcils la marque qui dévoile mon unique indice. Je marche, dans une direction choisie par hasard, tandis que je tape sur l’application consacrée le nom du magasin, en priant pour qu’il s’agisse d’une enseigne unique dans le quartier. L’adresse apparaît, ma convoitise devient acérée, et je reprends la route, bifurquant, manquant de bousculer quelqu’un, fixé à mon téléphone plutôt qu’attentif à mon environnement. Le sac contenant mon autre veste se froisse dans ce qui devient une sorte de cavalcade effrénée. La sensation de liberté, au creux de cette appartenance presque létale, se déploie dans mon ventre, je rêve, je crève d’elle, je l’imagine, la convoite et la désire. Je la déteste aussi d’avoir eue cette cruauté si parfaite de m’abandonner là, sans même un tout dernier regard. Je cours, encore un trottoir trop encombré, je traverse la route, dérange la circulation, tandis que les klaxons m’accablent. Je reconnais bientôt les couleurs du logo, et lorsque je pousse la porte, c’est comme si je l’enfonçais. Il y a les élans de la conquête sous mes pas. C’est terrible toutefois, vu qu’elle n’est plus là pour m’aider à jouer les interprète. J’articule un “Bonjour” en français, l’un des termes que je ressasse lors de mes concerts avant de dire en anglais le seul mot qui me vienne à l’esprit, qui je crois est presque semblable ici :
_ My fiance is here I think, she’s really shy and small, and maybe is hiding in one of your fuc… your lovely fitting room.
J’assortis ma description d’un geste pour montrer la taille d’Eleah, qui m’arrive à peu près à l’épaule, et la vendeuse me sourit, sans doute émue par ce fiancé qui a l’air entièrement paumé sans sa promise. “Oui. Elle est ici. Là-bas. They’re iff you sea hit.”
Il ne me faut qu’un très court instant pour déchiffrer l’anglais exécrable et le geste. Un instant qui palpite dans mon crâne au moment où j’aperçois les cabines d’essayage. Je tends l’oreille, marche bien plus doucement même si elle n’est pas longue à apparaître, sa tête uniquement dévoilée par un lourd rideau de velours. Je ne maquille plus rien, la fièvre de la traque pulse encore dans mes iris sombres. Je déglutis difficilement pour retrouver une once de contenance, essayer de faire surgir l’homme dans le corps animal.
_ J’étais juste à côté. C'était presque trop facile.
Je mens effrontément, ne laissant aucun mot venir confirmer ce qui pourtant est visible dans ma mise générale, mes cheveux en vrac, mon teint légèrement moins blême. J’ajoute avec un geste dédaigneux, tout en exhibant amplement sa veste que je porte comme une seconde peau désormais, tant pis pour ceux qui l’auraient entr’aperçue sur le chemin, spoiler alerte :
_ Hmm. Si tu veux…
Mais elle m’attire dans l’antre sans me laisser voie au chapitre, l’ombre d’un sourire danse sur ma bouche tandis que la cabine immense nous enveloppe l’un et l’autre :
_ Voyons mademoiselle O’Dalaigh… Et votre pudeur naturelle… Outragée ainsi par des yeux étrangers.
Les mots sont délicats, ils cherchent à se frayer un chemin quand mes yeux dévoilent déjà la nudité ainsi offerte, tombent sur la parure d’un rose poudré qui bien loin d’être hideux sur elle devient irrésistible. Chaque attache. Chaque attache. Une à une sous mes doigts, et sa peau au passage que je frôle. Brûlure exquise. La lenteur de mes gestes accompagne une concentration de façade, mes yeux vacillent, gravent une envie si furieuse sur son corps. J’ai envie de tout arracher, je ferme un instant les paupières pour chasser l’image brutale qui m’assaille, les doigts qui tremblent, qui continuent pourtant leur ouvrage tortueux. Je saisis son regard au vol, interromps mon office sur la toute dernière attache qui demeure entrouverte. Blessure béante. Mes joues se creusent tandis que je murmure, en écho à ses phrases :
_ Jamais.
Non jamais je ne t’épargnerai. Si j’en ai conçu un jour l’effroyable dessein, c’est maintenant impossible. Impossible. Les miroirs bousculent mes observations, elle tourne, me touche un peu durement, mes muscles lui répondent comme toujours lorsque l’on m’impose un mouvement. Comme la toute première nuit à Paris, lorsqu’elle était ivre. Ivre et toutefois si clairvoyante. Je m’assieds, parce qu’elle me l’ordonne, la fureur brûle dans mes iris, m’exécuter ainsi est comme une douleur, une douleur à laquelle je consens parce que je lui ai infligée une souffrance similaire tout à l’heure. J’attends qu’elle me rencontre, dévore son image, la brûle et la maudis, mais elle trace un pas en arrière, vipérine engeance. Inaccessible. Ma gorge se serre, la nonchalance de ma posture dans ce fauteuil ridiculement rococo n’a strictement rien à voir avec tout ce qui se précipite dans mon souffle. Mes prunelles avides cherchent à demeurer sur son visage, dérivent malgré elles sur sa jambe nue qu’elle exhibe éhontément devant moi. Ma cuisse se tend, ses bravades me rendent dingue, et le silence, notre silence se charge d’un désir langoureux, qui semble envahir tout l’espace. Je ne peux plus répondre, car les mots m’assaillent, me touchent, me font mal, me violentent. Elle le sait, elle le sait. Ce qu’elle est en train de faire, me destiner ainsi à une frustration plus sadique encore que celle que j’ai apposée sur son front tout à l’heure, en évoquant Mary, Mary et son corps que j’ai pris en pensant à une autre. À toi. À toi. Quand ça ne suffit pas, non… Ça ne suffit pas, et cela me rend fou, ça me rend fou Eleah. J’ai tellement peur, tellement peur que tu ne le payes un jour. Et je ne peux pas m’en empêcher, je ne peux pas. Je ne réponds rien mais la laisse voir, la laisse me voir tout à fait, dans ce qu’il y a de laideur quand les désirs déviants se peignent ainsi, dans la cruauté du jour, quand ils se glissaient en elle à la faveur de la nuit, plus insidieux, plus faciles à repousser. Mais quand ils s’exposent, là, devant elle, sans aucun préambule, ils revêtent quelque chose de plus détestable, de bien plus dangereux. Car tout ce qui retentit ici, dans cet espace confiné, ça n’est plus hors du temps, ça n’est plus l’ombre tacite de notre parenthèse. Cela devient une vérité à porter, une vérité encombrante, lourde, si lourde. Tranchante. Qui se nourrit de destruction et de création, sans que l’on ne puisse augurer ce qui saura triompher. L’un ou l’autre. L’un et l’autre. Son constat ébauche un assentiment sans équivoque. C’est plus que ça. C’est pire. Bien pire. Pire encore quand elle vient ainsi me dominer d’une position pleine de sensualité, m’obligeant plus encore à lever la tête pour l’observer. Je ne dis toujours rien, je suis la damnation qu’elle trace, qu’elle dépose d’une seule caresse sur mon épaule qui porte déjà les stigmates de ce qu’elle affirme. Des filles faciles, des chairs factices, des extases froides. Un goût de cendre… Un goût de mort. Une autre destruction. Son langage trivial accélère le battement courroucé dans mes tempes, mon expression est si sclérosée dans le désir et dans cette once de peur qui se niche derrière. Parce que ce qu’elle répond à ma convoitise est tout ce que j’augure et qui me terrifie. Ces substituts qui ne suffiront pas, qui ne suffiront plus. Que faudra-t-il chercher alors ? Que saurais-je infliger quand elle apparaîtra, me laissant au tourment dès qu’elle renoncera à toutes mes cruautés ? Est-ce que la folie me portera à ces excès qui me feront l’imaginer brisée, broyée tout contre moi ? Comme ce soir-là. Comme ce soir-là. J’ai envie qu’elle se taise. Je la laisse poursuivre. Je bois le poison jusqu’à la lie, mes doigts tremblent sur l’attache, retrouvent leurs réflexes, je la regarde toujours tandis que je referme ses atours sulfureux, avec une sorte de brutalité sourde, à peine dissimulée sous la pulpe qui demeure là, à la frontière, de sa peau, et du synthétique. Du vrai. Du faux. Je suis comme un automate entre ses cuisses, j’ai tant d’envie contraires, un appétit qui m’effraie. Un besoin d’elle identique à ce qu’elle dépeint. Tais-toi, tais-toi. Ne place pas la fureur du langage sur ce que je ne dis pas. Pas totalement, pas tout à fait. Pas encore… Pas encore… La sentence se déroule dans une délicatesse fantoche, sa main menace sur la jugulaire, le sang combat, combat la frénésie d’une pulsion, l’angoisse de cette asymétrie qui me démunie, me laisse affaibli sous elle, rendu à une violence plus trouble, prégnante. Les instincts de survie qui me dessinent toujours dans ce que je représente de plus implacable. J’attends pourtant, j’attends encore, les mots qui sauront se graver, entrer dans les chairs comme elle est entrée, elle, jusqu’à l’os et jusqu’à l’âme. Le pouvoir, le pouvoir. Cet empire qu’elle étend, qu’elle rend si douloureux dorénavant que son aveu répond au mien. Je souhaitais tant qu’elle parle, quand les mots me dérangent. M’enchantent, me navrent, me tuent et me délivrent. Mon pouls est effréné, ma respiration se saccade, devient presque sifflante quand elle joue ainsi, avec le désir et le corps. Des mouvements qui irradient dans ma nuque, dans mon ventre, tout mon être lui répond et la clame. Tu es là. À l’intérieur. À l’intérieur. C’est vrai. Sa caresse me bouleverse, autant que cet augure qu’elle poursuit, insatiable, les mots iridescents sur la peau. Mes mains qui n’en peuvent plus, qui cherchent à déchirer, à faire mal, en retour de tout ce qu’elle dépeint, mes doigts s’enfoncent dans la peau de sa cuisse, d’autres hématomes pour lui rappeler tout ce qu’elle jure ici de m’infliger. L’appartenance feule, s’arrime à nos chairs qui ne se touchent pas, quand elle la laisse ainsi fleurir dans son discours. Je lui appartiens, je lui appartiens. L’écho est brutal, effroyable incandescence qui me possède tout entier. Je la regarde. Je la regarde. Je suis à toi. C’est un écho, un appel, les deux à la fois. Tu es à moi. Miroir déformant, bestialité qui se dévoile, se défie dans les iris enflammés. Je le sais, je le vois, tout comme je la laisse observer l’impiété de ce qu’elle dépose dans le creux de mes esprits dérangés, tout ce qu’elle détruit au passage, disputant des serments donnés un jour et repris dans le sang et l’opprobre. La seconde se suspend, avant que ces discours ne referment mes serres sur son corps ainsi paré, luxure soyeuse que mes doigts dévalent, impurs, une fausse lenteur, une virulence qui n’en peut plus de se contenir. J’appuie bientôt ses reins plus violemment contre moi, infléchis sa posture pour parvenir jusqu’à ses lèvres, embrasser tous les mots, les lui reprendre, les déformer, m’approprier un tout autre langage pour répondre à tout ce qu’elle a su avouer. Ma bouche est dure, le désir insatiable étend une ferveur qui déchaîne les images dans ma tête, la douceur de la langue, la menace d’une morsure, tout se précipite tandis que mes hanches répondent aux ondulations qu’elle a tracées tout contre moi. Mon avidité suit la ligne de toutes les attaches, renonce bientôt à l’en débarrasser, cherchant le secours de la peau là où elle se dévoile. Ce sont des caresses voraces sur la ligne de ses épaules, ma possessivité sur ses cuisses, mes doigts dans ses cheveux qui continuent de la forcer à boire de ces poisons qu’elle cherche à partager. En elle, en moi, l’intimité d’une journée déchue dans les serments les plus invincibles. Si je romps un instant ce qui commence à ressembler à une lutte passionnelle, c’est pour encadrer son visage de mes mains, arrêter mes regards sur elle, chercher encore la compromission qu’elle affiche, qu’elle insinue dans chacun de mes souffles, l’avenir et le présent se conjuguent, cherchent à se conjurer dans l’accent d’une douleur qui dévale mon visage. Je la vois, je ne vois plus que toi. Toi, et pas une autre, mon fantôme ne parvient plus à m’éloigner, tu ranimes les passions les plus aveuglantes, les violences les plus viscérales. J’ai envie de te faire mal, j’ai envie de te posséder jusqu’à l’injure, parce que tu as cru bon de m’arracher une partie de mon destin pour l’enchâsser dans le tien. Je caresse ses joues, une caresse pleine de désir, pleine de folie. C’est elle, elle. Il n’y a que toi, il n’y a plus que toi, je te l’ai dit cette nuit. Tu es à moi. Tu es à moi. J’exhale un souffle, presque un gémissement, oublie où nous nous trouvons. Seul ce besoin qu’elle a su graver par la fureur de ses mots, il n’y a plus que cela, plus que cela. Tu es à moi. L’une de mes mains dérive jusqu’à son cou, caresse la jugulaire, suit son épaule. L’autre s’aventure jusqu’à la dentelle qui la dérobe à mon avidité, glisse entre nous une invitation fiévreuse, n’attend aucun assentiment quand mes yeux continuent d’exalter l’appartenance maudite. À moi. La ceinture de mon jean, l’indécence d’un morceau qui s’amorce à l’abri des regards, dérobe les corps enflammés sous le rideau de velours. Les entraves à peine levées, les vêtements qui aménagent une intimité dont on abuse, quand il faut s’étreindre dans la voracité d’un instinct, la ferveur d’un instant. Sceller le pacte, infliger plus profondément encore le plus douloureux des serments. Je la guide contre moi, m’impose plus que je ne m’invite, le besoin devient maladif, infâme. Il pulse, palpite, dérive sur des sensations qui se bousculent toutes. Pourtant, claires, si claires. J’en perds ces factices douceurs, ces préambules lents, ces possessivités sinueuses. Il n’y a plus rien de maîtrisé, ni de doux à cet instant-là. Mes yeux dans les siens sont au supplice, ils quémandent ce que mon corps se voit incapable de demander. Je rencontre ses hanches, retiens un soupir perdu entre la satisfaction et la douleur, approche mon visage, embrasse ses lèvres avec la seule fébrilité que je peux prodiguer, quand mes envies la pressent, resserrent mes mains sur sa taille et l’entraînent. Dans cette appartenance, qui ne cesse de s’élever quand elle devrait se savoir condamnée.
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() message posté Mer 26 Déc 2018 - 13:01 par Invité
ET CE DÉTOUR
QUI N'EN FINIT PAS
james & eleah

« I'm gonna swing from the chandelier, I'm gonna live like tomorrow doesn't exist. Like it doesn't exist.  I'm gonna fly like a bird through the night, feel my tears as they dry, Keep my glass full until morning light, 'cause I'm just holding on for tonight. »
A l’abris des regards, si proches de leur convoitise doucereuse. Le velours sous les doigts, tout autour, qui calfeutre, qui aveugle, qui rend sourd. Les pulsions de l’amertume palpitent dans sa chair : la pudeur, jetée en pâture, injuriée par des phrases trop crues, balancée sur la soie d’une innocence qui n’existe plus. Laideur intime, qui ne vient pas de la surface. C’est plus profond que cela. Cela naît du dedans et se projette vers le dehors, armes insidieuses, qui s’abattent pour torturer et non pour vaincre d’un coup unique. La rupture est si proche à l’intérieur de son crâne : ses esprits pleutres, terrifiés toujours, aspirent à le délaisser pour s’enfuir. Aller le plus loin possible de ses élans, de ses troubles, de ses crises. Parce qu’il ne l’épargnera pas, jamais, et qu’elle le sait déjà. Depuis le prologue de leur relation sans doute, elle n’ignore pas tout ce qu’il couve. Cette cruauté qui la terrifie, qui l’attire aussi. Qui ressemble tant à celle dont son père fit preuve, qui n’a rien à voir toutefois. Dans la boutique elle tremble d’une rage contenue, abrutie par la rigueur d’émotions qu’elle s’impose, en façade. Elle ne regrette pas la condamnation au mutisme qu’elle lui a infligé : c’est un moindre mal, pour cet amour déviant qu’il lui voue, dont il la nargue, qui l’enflamme autant qu’il sait la refroidir. Paradoxal amour, qui n’a rien à voir avec tout ce dont les autres parlent ou aspirent. Un code dont elle ne sait rien, dont on ne lui a pas appris les mécaniques. Elle cherche avec l’acuité du désespoir dans son entourage, au gré de ces êtres qui ont su se trouver autour d’elle. Son oncle, sa tante, son frère, sa mère … Cela n’y ressemble pas, cela n’a rien à voir. Il n’y a en James aucune demi-mesure, aucun caractère policé pour la protéger de lui et d’elle-même. Ses doigts griffent une dentelle au hasard, retiennent les aspérités des fils qui s’entrelacent pour créer la délicatesse d’un motif. C’est ce qu’ils sont n’est-ce pas ? Caractères métissés, entrelacés, auteurs de motifs en nuances changeantes, si beaux, si inquiétants aussi. Elle entend à peine les vendeuses qui babillent autour d’elle, à l’affût de la rare clientèle passant le seuil de la boutique. Elle ne voit que sa rage, la pureté de cette violence, tout contre sa peau diaphane. Alors qu’il murmurait des injures … Des injures qui auraient dû la révulser, asseoir les élans putrides de son amour. Mais le plus terrible, c’est de s’apercevoir à rebours que ses déviances la happent. L’âpreté de ses perditions, un hommage à ce qu’elle est, à ce qu’elle est devenue pour lui, par lui, en lui aussi. Une place assez importante pour donner à toute autre tentation un goût de cendres. Une exclusivité amère, tendancieuse, qu’elle n’a jamais connue, qui ne lui rappelle rien. Possessivité altière, plaquée contre ses membres pour la retenir auprès de lui, de corps et d’esprit. La liberté exsangue, lorsqu’il n’est pas là pour venir la puiser au bord de ses lèvres. Elle le hait pour cela. D’avoir su effacer tout ce qu’il pouvait y avoir alentour. Ces météores qui ponctuaient son univers de leurs lueurs blafardes. Des étreintes au goût de cendres, dont elle savait se satisfaire parce que sa liberté n’en éprouvait aucune brimade. Elle était libre. Libre d’astreindre son corps à des mécaniques satisfaisantes et entêtantes. Libre de les adorer tous sans pour autant en aimer un seul. Poupée de cire, poupée de sang, que l’on prend par les mains et cajole le temps d’un jeu, que l’on oublie ensuite, derrière la porte des perditions au passé. Cela lui convenait … cela lui convenait si bien. Des abandons faciles, sans saveurs, sans dangers. Cela répondait à toutes ses couardises. Elle ne peut plus se planquer à présent. Il sait … Il sait. Ce qu’elle est. Ce que je suis.

Ton si beau monstre. Tes mots me reviennent, glissent sur ma langue âpre d’un désir perfide, si proche de la hargne qu’il s’imprègne de toutes ses saveurs. J’aimerais savoir te gifler pour ces injures que tu balances, sans aucune honte. Ces injures qui dans ta bouche ressemblent à des hommages. Des hommages si terribles que je devrais savoir te les faire ravaler pour que tu t’y étouffes. Devenir sourde à leurs appels, être de ces femmes qui refusent d’entendre car cela froisse les aspirations toutes faites dans lesquelles on les a bercées depuis l’enfance. Je ne me souviens pas de ces mélodies-là. On ne m’a jamais appris à penser au futur, à imaginer une existence où être deux serait une évidence. J’ai toujours été deux. Avec lui … Avec Arthur. Cela aurait dû suffire. Cela aurait dû. Cela a suffi, le temps de l’enfance. Le temps de m’apercevoir de l’imperfection de notre binôme, lié par le sang, corrompu par les larmes. J’aimerais savoir lui dire que je m’en vais, que la rupture se fasse sans la déchirure de l’un par rapport à l’autre. Je suis déjà partie autrefois. Suis-je vraiment revenue ? Parfois je l’ignore, souvent je ne sais pas. Il a disparu lentement dans le souffre d’un passé que je ne savais plus regarder en face. Je suis devenue autre, entité unique, entité libérée, qui n’aspire à rien d’autre que cette vie où être un est la seule chose qui compte. Et toi, tu viens, tu t’imposes. Tu déranges la torpeur dans laquelle je m’étais vautrée, les mensonges contre lesquels je m’étais lovée. Avec toute ton unité tu arrives pour bouleverser la mienne, pour en ébranler jusqu’à l’essence. Je ne sais plus qui je suis, ce qu’il y a de faux, ce qu’il y a de vrai. Crois-tu pouvoir me posséder d’âme et de corps, juste en apposant la pulpe de tes doigts, la ferveur de tes humeurs en aléas ? Je ne suis pas prête à sacrifier une liberté durement acquise pour l’intensité de tes beaux yeux, pour ces envies destructrices dont tu marques les peaux pour t’y imposer. Je ne suis pas prête à te laisser indemne, si c’est cela que tu veux, si c’est cela que tu traques. Tu boiras les poisons que tu auras su concocter, parce qu’il n’est pas question, mon terrible amour, que je te laisse me briser.

Elle se saisit d’une parure, au hasard. L’orgueil malmené, certain pourtant que quel que soit le modèle qu’elle pourra choisir dans la boutique, il lui permettra d’asseoir la cruauté de ses charmes sans aucune mesure. C’est cette idée qui se greffe, à l’intérieur de son crâne, qui caresse ses tempes et alanguit avec lenteur la prégnance de ses humeurs. D’émotive, elle devient d’un calme dérangeant, les contours d’habitude virulents de ses réactions adoucis par la certitude de le vaincre à son tour. Une assurance désarmante, derrière laquelle ses instincts de fuite se planquent parce qu’ils en ont peur, alors qu’elle rejoint l’intimité de la cabine. Avec une lenteur méthodique, elle se déshabille, dépare un corps qui ne tremble plus, dont la rage s’est modelée en une faim insatiable, qui fait monter des aigreurs au bord de ses lèvres. Son cœur cogne contre sa cage thoracique. Des coups mesurés, sans précipitations, plus douloureux encore que lorsqu’il s’emballe. Le bruit se répercute et résonne dans l’ensemble de ses muscles. Elle l’entend à l’extérieur, resserre ses attentions sur lui alors qu’il semble déjà avoir oublié la cruauté de ses attentions précédentes. L’euphorie sur ses traits, sur ses membres qui tremblent. Eleah ne dit rien mais elle se repaît de la vision qu’il lui offre, ses doigts tremblants sur les attaches de la guêpière. Elle attend un peu avant de répondre, assoit le calme qui dénote une maîtrise parfaite de ses émotions. Une œillade discrète le tance par-dessus son épaule, alors qu’une main plaquée sur son ventre, elle ajuste de façon très méthodique la parure sur son corps.
« Menteur. »
Elle n’ajoute rien d’autre, la condamnation au mutisme toujours poignante avant qu’un pivot de sa part n’amorce les mécanismes de la riposte. De délicate, elle devient autoritaire. La douceur dangereuse, appuyée sur sa silhouette qui ploie parce qu’elle n’a pas d’autre choix que de s’exécuter. Elle a toujours mis un point d’honneur à lui laisser le choix en toutes circonstances. Mais dans l’instantanéité de l’instant, elle le lui retire, comme il le fit plus tôt à son égard. Elle le lui prend et le ravage, entre ses doigts qui s’imposent auprès de sa jugulaire. Menace sous-jacente, menace prégnante. Le jeu sensuel qu’elle déploie n’est rien d’autre qu’une vile manipulation destinée à le torturer. Lui montrer haut et fort que ce n’est pas elle qui tremble de désir, qu’elle sait et saura toujours demeurer tête haute, que personne, pas même lui, ne saurait dompter les élans sauvages de sa nature si elle n’y consent pas d’abord. On ne la prend pas sans qu’elle ne décide de se donner. C’est comme ça … C’est comme ça. Ses regards le narguent, ses regards le tancent. Elle se nourrit de sa fureur avec une voracité dérangeante, un rictus cruel dérangeant ses lèvres roses pour y apposer sa marque. Cruauté de façade, en réverbère à celle dont il fit preuve, en miroir de cette rage qui gronde à l’intérieur de lui et qu’elle sent pulser derrière sa peau albâtre. Elle remarque qu’il a changé de veste, passant dans la précipitation celle qu’elle lui a offerte comme le font les enfants auxquels on vient d’offrir un nouveau vêtement qu’ils adorent, et ne peuvent s’empêcher de porter tout de suite. Son orgueil ronronne un peu plus, satisfait au plus haut point, très conscient des augures qu’il porte en lui. Elle se met à parler, sort de son mutisme pour le lui rendre, cloisonner les mots qui défilaient en légion tout à l’heure pour les bloquer au fond de sa gorge. Qu’il se taise, qu’il se taise, son si bel amour. Qu’il se taise pour la laisser parler à son tour. Elle trace une évidence sur le contour de son épaule, lui renvoie l’hommage de ses possessivités en pleine figure, pour le damner à son tour. Il est à elle. Qu’il le veuille ou non, qu’il cherche à se perdre entre d’autres bras, entre d’autres cuisses, contre d’autres corps, c’est elle qu’il traquera dans le noir. Il l’a dit, elle n’invente rien. Elle ne fait que lui renvoyer une évidence en l’enfonçant dans sa chair comme l’assassin love sa lame d’acier dans le cœur de celui qu’il cherche à condamner. Sa lame à elle se loge entre ses côtes, fait perler le sang qu’elle prendra un délicieux plaisir à venir lécher. Il est trop tard. Il l’a dit … Il l’a dit. Le fiel est immense, la cruauté un hommage. Il est à elle. Les spectres n’existent plus, ils ne sont que le fruit d’une imagination au passé dont elle broie les réminiscences contre sa paume. Elle ne tremble pas face à ses rivales factices. Elle n’éprouve pas de honte, ni d’humiliation. Ce serait si simple, de lui accorder les trivialités de sa douleur. Elle préfère les noyer en lui, lui faire payer au centuple ses injures en les lui rendant difformes. Déformées par son essence qui aspire à le posséder jusqu’à la souffrance. Parce que c’est ce qu’il mérite. C’est le prix à payer. Il l’a voulu … Il l’a dit. Il est trop tard oui, trop tard. La faiblesse de sa position enorgueillit son pouvoir : à escient elle se redresse, allonge le dos, étire la nuque pour l’avoir dans le contrebas de sa posture. Les mots se gravent, poisson détestable qui dévale les veines pour gangréner l’intégrité de son âme. Elle joue avec tous les réflexes de son corps, dénoue les mécaniques de défense, les déchire, s’impose comme maîtresse à leur place pour les posséder toutes. Il l’a dit … Il l’a dit. Sa cuisse combat la virulence de ses doigts, les muscles se contrastes, deviennent cet acier tranchant qui enserre en étau sans laisser la possibilité d’une échappatoire. Il est à elle. Les injures ne comptent pas. Les injures ne font que confirmer cela. Il est à elle.
« Tu es à moi … C’est comme ça … C’est comme ça. »
L’écho d’un murmure, qui s’affranchit de la haine en s’imposant contre son corps. Elle courbe l’échine, assoit la virulence de son désir sur sa bouche dans l’impériosité d’un mouvement qu’il recueille, qu’il mord, qu’il nourrit. La rudesse de ses lèvres, la morsure des siennes en réponse. Son baiser est implacable, assoiffé d’une langueur mort-née à l’instant où l’animalité prend le pas sur la douceur. Ses ongles griffent le cuir de sa veste, s’imposent à elle aussi. Elle en portera les stigmates, seconde peau qui le rappellera à elle, qui le fera se souvenir de la brûlure de ses ongles sur sa peau moribonde. Elle ne cherche même pas à le déshabiller, à la lui enlever. Au contraire elle la maintient sur ses épaules, se fait plus pernicieuse en glissant sa main sur son dos à travers le col de son tee-shirt, celui-là même qui dessine à présent une ligne sur sa gorge, alors que ses ongles dévalent la ligne de sa colonne vertébrale. Des impressions voraces lui répondent, des grondements font enfler sa poitrine avant de tous s’avouer contre sa peau. Ses doigts l’accompagnent entre leurs deux silhouettes, les paupières balbutiantes, alors qu’il convoque tous ses regards en maintenant son visage à l’orée du sien. Ses yeux se posent dans les siens dans le temps d’arrêt d’une seconde, où elle le voit, où elle le hait, où elle l’adore. La conjecture des émotions se fait dans cet instant de trouble, la respiration sifflante, les caresses désordonnées et rudes. Elle lui arrache ses complaintes en y apposant la virulence de ses lèvres, étouffe sur sa langue le désespoir d’une fièvre qui n’en peut plus de se contenir. Sa main s’immisce, leurs doigts agiles malgré la précipitation. Plus qu’une invitation, l’appel brutal de la chair la fait le rencontrer dans une saccade abrupte où le plaisir s’enjoint à la douleur pour lui donner l’impression d’une déchirure. Un râle rauque s’échoue contre sa lèvre, elle mord, sans douceur, sans pudeur, sans frein non plus. Le rose devient écarlate. Il saigne sans doute. Il saigne un peu, pas beaucoup, juste assez, sur ses lèvres qui s’abreuvent de ses douleurs multiples et contraires. Ses hanches ondoient, murmurent leur appartenance dans un ballet qui oscille entre bestialité et délicatesse, parce qu’une émotion indicible galope à l’intérieur de son ventre, remonte jusque dans sa gorge de la même façon que le font les sanglots. Ses doigts serrent plus fort, oscillent avec la prégnance d’un désespoir qui rend plus rudes ses phalanges autour de son visage. La pulpe s’impose sur ses joues, sur sa mâchoire, gravent chaque contour pour se les approprier davantage. Un gémissement plus sourd s’échoue contre sa bouche, alors qu’à l’unisson, elle hoquette de surprise, à mi-chemin entre l’extase et la torture la plus crue, tandis qu’une petite voix fluette se fait entendre depuis l’extérieur de la cabine :
« Tout va bien messieurs dame ? La taille vous convient ? Souhaitez-vous essayer un autre modèle ? »
Le timbre dénote une forme de curiosité, à laquelle s’enjoint un malaise incertain. Elle ne sait pas exactement ce qui se trame, à l’intérieur de la cabine. Mais une partie d’elle s’en doute, même si son côté très bien élevé lui interdit de songer qu’ils auraient pu réellement oser. Eleah réprime un sourire, les joues brûlantes, à présent rosies par l’adrénaline qui est montée comme une mélopée à l’intérieur de son corps. Indécente créature, qui surveille pourtant toujours ses arrières. Toujours prudente, toujours discrète. Plusieurs fois elle s’est adonnée à des ébats dans des lieux publics, mais jamais à des endroits où elle aurait pu se faire prendre. Une forme de candeur se devine alors en filigrane de ses joues roses. Son cœur s’affole dans sa poitrine. Elle a la projection d’une image, où la jolie vendeuse ouvrirait le rideau en grand pour les trouver dans une posture indécente. Cela l’inquiète, cela l’enflamme. Ses yeux se brouillent, elle a l’impression de s’être arrêtée mais il n’en est rien. La rythmique changeante, elle renoue avec une langueur plus sinueuse, lui impose une lenteur plus intrusive. En même temps elle caresse ses cheveux, embrasse son front, sa tempe, se reculant un peu pour l’observer de ses prunelles devenues rieuses. Son pouce se pose à plat sur ses lèvres rouges, elle lui intime le silence, convoquant ce qui lui reste de contrôle d’elle-même pour arborer une voix neutre, quoique légèrement haletante :
« … Yes ! … Oui ! Tout va bien, mêrci. »
Les syllabes se décomposent, une lutte s’installe dans sa tête, dans son corps. Son souffle se love tout contre sa nuque, pour masquer les expirations trop lourdes qui s’échappent de ses lèvres sans qu’elle ne puisse les réprimer tout à fait. En tendant l’oreille, elle se rend vite compte que sa réponse n’a pas satisfait la vendeuse, et qu’elle n’a pas encore décidé de partir. Alors elle tente de se recomposer, enfonce ses doigts dans sa chair, comme pour y puiser une forme de contenance :
« Pourriêz-vous me râpporter … the other one … un autre modèle ? Celui … Celui à l’entrée … On the left. La même … La même taille que l’autre.
- Oh le rouge ? Magnifique choix ! Je vous rapporte ça dans une minute. Je vous le glisserai sur le côté, votre fiancé m’a dit que vous étiez pudique et que vous n’aimiez pas être dérangée. Apprécie-t-il le précédent modèle d’ailleurs ? »
Mais quelle pipelette celle-là. Qu’elle se barre, qu’elle se casse. Par pitié. Eleah projette un soupire de dépit contre son épaule, qui s’évanouit dans un sourire. Elle ajoute en convoquant toute la concentration dont elle est capable aux vues des circonstances, son français se faisant plus guttural et entrecoupé qu’à l’habitude.
« Thank you … Oh yes … Oui … Oui … He like it … » La réponse semble enfin convenir à la vendeuse. Son pas sautillant s’éloigne, rendant à la posture d’Eleah toute sa langueur et sa férocité. Elle caresse sa joue du bout de son nez, ajoute en ronronnant contre son oreille : « Tu l’aimes bien ce modèle n’est-ce pas ? » Ses reins s’apposent à nouveau, assument la virulence d’instincts contraires, où l’adrénaline bat la mesure. Il est à elle. Dans toute l’inconvenance de leurs natures. Dans toute cette laideur sublime née d’instincts triviaux. Il est à elle.
(c) DΛNDELION
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James M. Wilde
James M. Wilde
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Et ce détour qui n’en finit pas _ Eleah&James - Page 6 1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
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() message posté Dim 30 Déc 2018 - 21:28 par James M. Wilde


« Tu es mon toujours ou tu ne l'es pas
Tu es ce velours si doux sous mes doigts
Et ce détour qui n'en finit pas
Oui, ce détour qui n'en finit pas
Je voudrais que ce séjour dans tes bras
Que tes caresses ne s'arrêtent pas
Je voudrais compter les jours sur tes doigts
Ou tu es mon amour ou tu ne l'es pas »

Eleah
& James




Que faut-il être prêt à donner à cette haine viscérale qui s’insinue dans toutes les chairs, les empoisonne, les cajole avec la ferveur des condamnations les plus insidieuses ? Que faut-il être prêt à concéder, dans les flammes, ces cris hérétiques que l’on ne porte pas, qui habillent un silence où deux amants se toisent, croisements de deux natures qui ne peuvent s’allier sans s’entremêler davantage, se perde l’une dans l’autre, jusqu’à devenir de ces créatures hideuses. Inacceptables engeances qu’il faudrait tolérer quand on ne sait déjà plus qui l’on est, qui l’on veut être, sans que le souffle de l’autre ne vienne caresser les infinis trompeurs que l’on se plaît à regarder. Faut-il continuer le parcours, ou bien cesser la lutte, laisser de soi l’aveu sanglant sur la peau blême qui se refuse, s’offre dans l’injure ? Faut-il arrêter la tourmente, dessiner l’effroi d’une absence brutale pour éviter le pire, épargner celui qui se mêle à l’être, crève de constituer une essence qui finira par immanquablement le détruire, le corrompre, le changer ? Dois-je l’abandonner, la laisser là, exsangue de moi et de mes promesses déviantes, épargner ce que j’admire pour ne pas un jour hurler d’horreur en considérant la blessure, ouverte et putride, que j’aurais alors su lui donner en héritage ? Laisser de moi une liberté falsifiée, que je t’ai offerte et enfoncée dans la gorge pour que tu ne puisses plus jamais la clamer, la clamer seule. Impossible, implacable prison, dont les barreaux se plantent telles d’assassines armes, dans la tête devenue folle. Pleine de toi, mon amour, pleine de ce que tu représentes, de ce que j’aime imaginer de toi désormais que tu m’appartiens entièrement, parce qu’il ne peut plus en être autrement. Alors… Alors courir, courir et te rejoindre, car te délivrer aujourd’hui serait bien illusoire, une grâce plus infâme que mes condamnations, quand tu ne saurais plus jamais quitter mon corps, ni mes pensées. L’obsession aveugle qui feule, qui feule à travers le souffle contrarié, le rideau qui la dissimule, la cache encore à mes regards fiévreux, la traque au coeur, au coeur qui bat, qui combat l’inflexion malade qui me ramène vers elle, le chant tentateur de ses silences me rendent sourd à tout ce qui aurait encore pu me sauver. La facilité de mes désoeuvrements, cette toute dernière danse que je lui avais promise pour qu’elle soit cette dernière illusion que la vie m’apporterait avant que je ne décide de la clore. Je l’avais élue comme mon dernier témoin, je voulais abandonner dans son corps les idéaux, laisser fleurir dans son âme les harmonies qui auraient ainsi été épargnées. Sauvées de l’opprobre, une oeuvre fragmentaire sans plus aucune souillure vu qu’elle aurait su la porter à son tour, la porter sans moi, la danser et l’oublier enfin, m’oublier après cela. Nous nous serions quittés tout au bord de la scène, elle aurait rejoint les lueurs éphémères auxquelles elle a toujours souhaité confier son onirisme, j’aurais embrassé les ténèbres pour la contredire une dernière fois. Fin du débat. Mais aux promesses de rédemption se sont mêlées les ferveurs de nos épidermes embrassés, de nos murmures d’abord chastes, où les choix offerts ressemblaient tous à d’autres mises en garde. La laisser partir est devenu chaque jour une hérésie de trop, l’obsession versée sur les lèvres dès qu’elle les embrassait, les sursauts d’une vie impure recomposée entre ses reins, la cruauté dans un corps qui refusait la condamnation que j’avais apposée contre lui. Comment savoir crever quand elle devenait peu à peu, le souffle qui manquait, l’inspiration déviante qui revenait empreindre un univers en souffrance ? L’expression dans son corps, ancrée dans sa peau, alors que je continuais de me verser, implacables ravages, murmures sous le sceau du secret. Le choix n’en devenait plus un, peu à peu c’était l’évidence d’une contrition où il fallait l’emmener, plus loin, plus loin. J’ai repoussé la tournée, les répétitions, enchaîné mon univers au sien pour en rêver un autre, je me suis souvenu de ce que cela faisait, les espoirs blessés au front de la fatalité. Et aujourd’hui, aujourd’hui, j’ai vu, j’ai su qui elle était. Je l’ai regardée, mon si beau monstre, me conter la difformité de sa nature, ces envies tues, enchaînées à ses tortures d’enfant, je me suis imaginé bourreau de ses premiers émois, j’ai volé l’innocence, violenté la femme en l’abandonnant petite fille entre mes bras. Mon si beau monstre, aucune de mes perversités n’a égalé ce que tu m’as donné cette nuit, aucun émoi ne fut plus dérangeant, j’ai senti s’épanouir toute cette bestialité que je planquais sous la surface, que je plaquais sur d’autres victimes moins consentantes que toi, distiller la maladie pour oublier un peu qu’elle continuait de me posséder tout entier. Jamais, jamais l’on ne m’a su comme toi, jamais l’on a voulu voir l’horreur d’aussi près, jamais. Je me suis mis à imaginer que tu pourrais accepter ce que j’étais, ce que j’étais depuis toujours. Je me suis mis à penser que tu serais celle en mesure de le supporter, sans que la destruction ne te menace ou ne t’ébranle, que tu saurais devenir invincible face à moi, car je n’étais pas celui qui t’avait modelée ainsi, non. Je suis celui qui a attendu dans les ombres, qui a continué de perpétrer l’horreur en crevant de rencontrer celle qui l’aurait subie en miroir, et qui saurait la distinguer chez moi sans vouloir ni la changer ni la fuir. Alors je suis un menteur, je te mens c’est vrai. Au moment où j’apparais devant toi, je te mens tout en exposant cette vérité dans mes yeux qui te traquent. Je suis celui à ta mesure, tu es la seule qui puisse me supporter. Accepter le pire en distinguant sous la laideur l’aveuglante luxure qui s’y garde tapie, et les beautés qu’elle dispense. Une goutte de poison pour une éternité de nos intensités, cela vaut bien la peine. Cela vaut toutes les peines. Je suis venu accepter. La condamnation, et l’absence de liberté, la folie et ses revers, nos disputes et nos élans contraires. Ma bouche exhibe une sorte de sourire équivoque. Je mens, je mens. J’ai couru jusqu’à toi, j’aurais rampé je crois, me serais avili pour te trouver. Et je ne me suis jamais avili pour personne, personne n’en a jamais été digne. Pas même elle, oh non, mon amour, elle n’a pas su en être digne, elle n’a pas su me mériter, et elle en a payé le prix. Mais toi… toi tu es autre chose, n’est-ce pas ? Tu pourrais me détruire, tu pourrais me détruire mais tu ne t’en sortirais pas, tu te détruirais contre moi. Alors tu ne peux plus rien faire, tu ne peux plus que clamer cette appartenance qui t’échoit, une condamnation supplémentaire quand on t’a déjà refusé de demeurer enfant, que l’on t’a rendue femme dans le plus honteux des châtiments. Sais-tu comment je suis devenu un homme, sais-tu ce qu’il a fallu faire pour être enfin ? Tu ne sais pas… Tu ne sais pas. Mais tu devines je crois. Regarde, regarde. Son autorité me ploie, je laisse alors se délivrer tous ces élans de ma nature, menaces sous-tendues qui se tiennent prêtes à riposter, les mises en garde ne sont plus de mise quand il s’agit de regarder celui que l’on mérite, la bête qu’on a décidé d’exciter dans la hargne jusqu’à ce qu’elle dévoile toutes les aspérités de sa nature changeante. L’absence de choix, celui que j’ai distingué sans doute avant elle, qu’elle m’inflige à rebours, quand je ne lui en ai plus laissé un seul en la suivant ici. Mon sourire demeure, puis se fane avec langueur, la menace exsangue, je regarde mon bourreau bien en face, la laisse déployer la palette ensorcelée de ses tortures, abandonne pour le moment toute velléité qui pourrait la contredire, car je sais de quelle sauvagerie elle est entièrement constituée. Je l’ai su, je l’ai vu dans la seconde où nous nous sommes retrouvés, il y a dans ses allures ces accents souverains, dont elle ne se dépare que pour mieux enferrer sa proie, imaginer la posséder en la brisant est illusoire, la prendre sans qu’elle n’y consente est chimérique. Et je sais, oui je sais, jusque dans ma chair, jusque dans la honte la plus nue, ce qu’il en coûte de falsifier le jeu inégal qui s’instaure entre un homme et une femme, pour n’être plus que celui qui dérobe, et prend, prend jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, ni de l’autre, ni de soi. Nous sommes cette contradiction infamante, deux entités qui aspirons à ce qui devrait être irréconciliable. Jeu de pouvoir irrésistible, qui menait le monde bien avant qu’il ne nous soit donné de le fouler, qui le mènera sans doute lorsque nous aurons abandonné la partie. Tu veux ma soumission, demeurer reine quand je t’imagine putain. Je veux ta contrition, pour m’enfoncer en toi et posséder ton corps, dérober jusqu’à ton âme, et me perdre à mon tour pour que tu saches me détenir. Me retenir. Je veux ployer l’échine tout en restant debout, tu veux me mépriser dans tes postures de femme quand ton plaisir ne peut se concevoir qu’en écartant tes cuisses. L’avilissement et la convoitise, le pouvoir et la domination, la conquête et la fadeur de l’échec. C’est toi, c’est moi. Tu peux continuer de me regarder de tes hauteurs, petite fille, imaginer l’emprise de ta cruauté sur moi, je te l’abandonnerai volontiers si c’est pour gagner tes faveurs et toutes les ravager. L’asymétrie aiguise mes colères, irrite mon désir qui pour elle palpite entre un amour aveugle et une haine primale. Je l’idolâtre, orgueilleuse créature, la dévore en pensées, mes regards rejoignent le point de jonction de ses libéralités, mon corps se brusque de ce qu’elle lui inflige et je me force à accepter, et la douleur, et le plaisir, qui s’entremêlent ainsi, à l’imaginer souveraine de mon univers, prisonnière de mes imaginaires. Jamais, jamais, mon amour, on a voulu de moi ce que j’ai pu te confier en pleine rue. Jamais personne n’a voulu l’entendre, et cela continue de résonner n’est-ce pas, dans ta tête, dans ton ventre. Tu sais ce que cela signifie, je l’ai appris en d’autres bras que les tiens, je l’ai su dans la fureur la plus crue qui soit. Je t’ai haïe, je t’ai tellement haïe quand il a fallu te convoquer dans un sursaut de jouissance, quand il n’y avait plus que toi, et la fadeur de ton absence, qu’il a fallu supporter par la suite. Comprendre ce que tu avais dérobé de moi, emporté dans ta chair, dans ces jours qui s’épanouissaient sans moi. Apprendre à le tolérer avant de te retrouver, car te traquer alors aurait pu être cette condamnation précipitée à laquelle je n’aspire pas. Je ne veux pas, je ne veux pas que tu me fuies, je veux que tu me résistes ainsi, je veux que tu sois celle qui me fasse mal, celle qui sache apaiser la douleur, faire naître le désir, dessiner ses idéaux trompeurs, tous les retirer pour courroucer ma peine, savoir goûter tous les revers sadiques de mes instincts pour les briser enfin. Son murmure chante, l’ivresse est dans mes esprits enfermés en elle, le monde n’existe pas quand elle est ainsi, à me dire ce que je ne voulais pas entendre. À toi… À toi. La veste souffre de sa possessivité qui m’arrache un souffle tourmenté, plus ténu lorsque le t-shirt vient menacer ma respiration, dessinant des élans de panique dans mes muscles contractés. Les entraves qu’elle maintient à escient me portent sur des rivages où les ombres menacent, rendent l’échange brûlant de cette folie que je ne souhaite plus silencer ou dissimuler, pas devant elle. Pas quand elle la caresse ainsi, me l’arrache avec ses ongles, dans les assauts furieux de ses lèvres. Ma main emmêle ses cheveux pour mieux ployer sa nuque, brutalité qui n’a plus rien de façade, qui s’élance dans l’air lourd de la cabine d’essayage. La guerre ouverte de nos deux silhouettes contraires, presque contraintes, vibre dans cette atmosphère irrespirable, où nos yeux joutent, la désespérance d’une haine qui se tient en équipage d’un amour déchaîné, sulfureux, libéré par la violence de nos gestes, bête monstrueuse accouchée cette nuit quand nos deux corps étouffaient les ravages que nos esprits ne pouvaient plus supporter. La possession s’inflige comme une blessure, je la contrains et l’encourage, l’oblige à tolérer l’assaut à la faveur d’une seule oeillade bestiale, mes doigts enfoncés dans ses hanches gainées par la soie qui crisse de l’affront. La douleur engonce le plaisir, le rend plus implacable et plus virulent qu’une fièvre, j’étouffe un murmure contre elle, le sang perle sur ma lèvre qu’elle mord, partageant la douleur infligée sur les rives d’une douceur offerte, à l’orée de la bouche. Le baiser mêle les humeurs animales, le goût métallique fait écho à mes plus impitoyables joutes, et le plaisir qu’elle déclenche, ne cesse de convoquer, délie tous les serments amoureux et fragiles pour les noyer dans une bestialité affranchie de la honte et des quelques restes de cette peur ancestrale. Le joug de l’étreinte, rythme qui confine au supplice, entraîne toutes mes convoitises, mes doigts froissent, griffent, marquent cette appartenance qui bien loin de crever semble vouloir briser tous ses carcans pour apposer son sceau sur nos chairs offertes. Elle enserre mon visage, modèle les traits de son bourreau, de sa victime, regarde bien en face celui qu’elle possède et qui l’entrave. Mes yeux, mes yeux ne quittent pas les siens. À toi… À toi. Je suis incapable de le dire mais je l’avoue à chaque coup de reins, je bois ses gémissements, lape avec avidité ce plaisir qu’elle partage, que je n’ai jamais partagé qu’avec une seule personne qui sut me précipiter ainsi dans les abîmes de la folie. Cela fait si longtemps, si longtemps. Quelque chose exulte, s’exalte dans le ventre, continue d’imposer la compromission la plus crue qui soit, d’enfoncer en elle cette injure fanatique. Je suis à toi. Le monde extérieur perce les abysses, modèle ma respiration sifflante, mes doigts brutalisent ma proie que je retiens comme pour l’empêcher de s’échapper ou que l’on ne me l’arrache. L’animalité comprime mes prunelles qui se tournent vers l’importune, tous les muscles prêts à rompre, sans plus aucun reste de pudeur ou d’humanité. Incapable de parler, de convoquer ce langage qui me fait entièrement défaut dorénavant que s’exprime tout ce que mon corps enferme et retient, un rictus se peint sur mes lèvres, une agressivité masculine et orgueilleuse, prête à recevoir une oeillade indiscrète pour exhiber la fureur obscène qu’elle croit bon de déranger. Eleah module le rythme de la danse, je peine à ne pas exhaler un gémissement frustré, revenant à elle pour l’observer, interdit, corrompu, dépossédé. J’opine discrètement, tout en ployant le dos pour imposer dans ses chairs la lame d’une fureur déterminée, au moment où elle parle, par pure malignité. Son souffle haletant, si lourd, si lourd. Si la connasse de l’autre côté ne se doute de rien, c’est vraiment qu’elle est sourde. Mes dents courent contre la peau fragile de son cou, ma langue adjoint une sinueuse caresse, pour mieux contrarier cette concentration qu’elle cherche à s’imposer. La langueur de l’étreinte rend mes mouvements plus lents, dans une brutalité contenue, intrusive, douloureuse. Mon murmure chante à son oreille, moqueur :
_ C’est ça, ma belle, cause… cause donc à la gentille vendeuse, qui t’imagine prude quand tu joues les traînées tout contre moi. Sois bien polie surtout… Voilà… Comme ça…
Je mordille le lobe charmant à ma portée, continue de la malmener dans un silence qui prend des atours fatidiques, la conversation devient diffuse, seuls ses ongles sur mes épaules modèlent ma posture. Mais la gourde ne cesse d’improviser des phrases aux atours d’inquisition, dans sa langue lourdingue, et la situation me laisse perplexe, une sorte de ricanement s’éprend de ma gorge, s’échoue sur son épaule pour qu’il s’y étouffe. Je ne comprends pas vraiment les détails mais je devine la teneur des propos. Une caresse d’amant longe le dos d’Eleah jusqu’en bas de ses reins, je l’étreins plus doucement et lorsque la fille se casse, se casse enfin, j’embrasse délicatement ses lèvres, tout en lui répondant, dans une imitation où le souffle corrompu par le plaisir entrecoupe les mots de la même manière qu’elle :
_ Oh oui… Yes… Oh. Oui… Oui… Oui.
J’ai un sourire en coin avant d’imposer de nouveau une brutalité à l’échange, plus joueuse, instinctive délivrance que je réclame tandis que je me suis tenu au tourment, fiché ainsi dans son corps alangui tout contre moi. Je reviens à sa gorge, élabore d’autres hommages à sa poitrine si joliment mise en valeur dans cet ensemble qui me plaît en effet, bien qu’il ne consiste qu’en ce prétexte dont nous abusons pour affirmer la possessivité qui nous étouffe encore. Je courbe son dos, profite de l’éloignement de l’autre bavarde pour me venger sur le fauteuil ridicule qui fait crisser le sol de la cabine d’essayage sans aucune élégance avant d’obéir à cet élan instinctif qui me fait tourner les yeux en direction du miroir, pour observer la fièvre, et la bestialité, sur mon visage, gravée dans ses muscles saillants sous l’épiderme qui brille de l’affront qu’elle impose. Ma main vient cueillir son menton pour la forcer à rouvrir les yeux, à tourner ses regards dans la direction de notre tableau déviant, à se voir telle qu’elle est pour moi, échevelée, naïade affranchie de tout carcan, prompte à me dominer tout en se laissant posséder dans une cabine d’essayage, sous l’influx d’un appétit vorace et animal. Mon sourire crève, la solennité de notre reflet m’aveugle, nos visages embrassés qui se jaugent ainsi, je suis le contour de sa joue, frôle avec adoration ses lèvres de mon pouce. Je suis à toi. Je suis à toi. Tu le sais, tu le vois. Regarde, regarde. Regarde ce que tu es pour moi. Écarquille tes jolis yeux sur ta déchéance, et la mienne. Le mouvement arrêté par une seconde de stupeur, je continue de la juger ainsi tandis que je reprends, m’insinue en elle, serre sa taille pour mieux étreindre d’elle tout ce qu’elle saura me donner. Car tu es à moi. Tu es à moi, désormais. Le désir d’elle, allié au plaisir, fait vaciller l’image, éblouissante gravure de nos natures qui se complètent, nos corps enchâssés, enchaînés l’un à l’autre. Encore. La torture est plus lente, une fausse sobriété, serpentine luxure qui comprime ma gorge. Regarde. Regarde-toi. Regarde-moi. Mes doigts malmènent, la convoquent, la convient, la possession est entière, sous l’oeil qui adule, observe, dépare de tous les faux semblants. Je ne t’épargnerai pas… Jamais… Jamais. Car, je suis celui à ta mesure. Et tu es la seule qui puisse me supporter.
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() message posté Lun 31 Déc 2018 - 17:58 par Invité
ET CE DÉTOUR
QUI N'EN FINIT PAS
james & eleah

« I'm gonna swing from the chandelier, I'm gonna live like tomorrow doesn't exist. Like it doesn't exist.  I'm gonna fly like a bird through the night, feel my tears as they dry, Keep my glass full until morning light, 'cause I'm just holding on for tonight. »
Liberté éventrée, damnée contre l’autre, contre lui. La douleur enclave le corps, tient les ravages des esprits torturés en étau. De la décence, il ne reste qu’un murmure, le soubresaut d’un apprentissage, les marques des enseignements trop lourds, impropres, infâmants, que l’on n’écoute que d’une oreille pour mieux en enfreindre les règles dès qu’il est possible. Membres arc-boutés, esprit tendu, fiché, dans le grondement de cet être que son essence reconnaît comme semblable. La haine est indocile, elle rêve de s’enfoncer à l’unisson de ses ongles pour asseoir une cruauté sordide qui brisa tour à tour les démons de son enfance torve. L’injurier en pensée, l’imaginer mort. Mort à sa place à elle. Mort sur le carrelage froid de la salle de bain, défiguré, enlaidi par la détestation qu’il aura su recevoir, à coups de phalanges sur les lignes circonscrites d’un visage d’ange. Cette imagination qui inventa le pire, c’est la même qui s’étend sous la moiteur de ses doigts, sous cette menace qui s’appuie tout contre sa jugulaire et prend la mesure de son poult en le rêvant altéré. Il l’est. Il l’est sous la pulpe, il l’est tout contre elle. Altéré par cette impériosité qu’elle tend à vouloir déchaîner sur d’autres quand des politesses surfaites l’en empêchaient toujours. Etreintes remâchées, au goût de cendres sur la langue. Caresses parcimonieuses, qui ne s’aventurent pas plus que ce qu’elles ne devraient. Tous ces excès de conduite qu’elle s’est toujours plus ou moins refusé, choisissant ses proies pour être sûre de les regarder se taire, quand lui se vautrait dans des écarts florilèges, aux goûts sans doute encore plus écœurants. Car l’excessivité, c’est peut-être cela qui tue en premier. Qui fait se lasser de tout, très vite. Qui amène à consommer plus que de raison, puisque rien n’est jamais assez. C’était peut-être pire … Pire d’être lui. Alors elle le rejoint, dans cet élan abrupt que la souffrance subjugue. Beauté immonde. Laideur sublime. L’impiété de son imaginaire souillé depuis l’essence l’entoure, se love à l’intérieur de son corps pour en ébranler les mécanismes. La blessure s’expose, suppurante et poisseuse, se lit dans ces souffles qu’elle vient dérober aux secrets de ses lèvres qu’elle cajole davantage dès lors qu’elle les rêve tuméfiées par ses baisers. Le déchaînement de sa nature la laisse pantelante. La soif de lui est abyssale, la lame de son désir mortifère. Elle veut le regarder ployer sous la courbe de ses reins, ramper sous l’ondoiement sauvage de ses hanches. Elle veut le posséder au-delà du corps, s’abreuver directement à l’âme qu’elle distingue, à l’intérieur, qui rugit par mécanisme, et refuse de se laisser prendre. Elle veut être cette plaie qui ne se referme pas, cette blessure immonde que l’on s’est faite un jour, sans trop savoir comment ni pourquoi. Cette blessure qui ne guérit pas, qui continue de saigner malgré le sang qui coagule, tout doucement, trop lentement. Elle veut qu’il n’ait mal rien qu’en songeant à cette blessure qu’elle incarnera. Qu’elle la hante, qu’elle habite. Qu’elle lui soulève le cœur que l’esprit. Qu’il s’écœure à la regarder fleurir, sur ses bras, sur ses jambes. Héritages en hématomes, portés sur les contours acérés d’un corps qui renie les appartenances, tout en les honorant malgré lui. Soumission impropre, soumission infâme. Ses propres pensées ouvrent un abîme à l’intérieur de son ventre : jamais elle n’a souhaité asseoir une possession aussi triomphante sur quelqu’un. Elle en a désiré d’autres, convoité certains. Jamais de cette façon-là, non jamais. Les amours mortes avant d’avoir su naître. Des amours qui n’en avaient que le nom. Amour. Amours. Amourettes. Perditions faciles et insipides. Perditions qui avaient le goût de luxure, et de ce plaisir que l’on charrie lorsqu’on s’astreint à une activité plaisante. Un passe-temps, de quoi réchauffer le ventre et l’appel de la chair qui gronde depuis l’intérieur des cuisses. Des plaisirs dont on oublie vite le sens, puisqu’ils sont très vites remplacés par d’autres. Tout aussi illusoires. Tout aussi dégradants. Amours insensés et factices, broyés sous l’appel de ses doigts qui s’enfoncent dans ses hanches, marquent les os, marquent l’âme qui cesse d’errer pour mieux s’ancrer à l’intérieur de lui. Il est à elle … A elle … A elle. De le dire à voix haute, de le graver sur sa peau, ça n’a plus le même sens. Toute la matérialité danse, les idées s’affranchissent des échappatoires qu’elles s’imaginaient encore pouvoir prendre. A elle. En réverbère, ses prunelles se noient dans la folie des siennes, lapent toute sa rage pour mieux la déconstruire et la modeler en la virulence d’un désir pugnace. Elle le caresse, elle le griffe, elle le mord. Hommages triviaux à ses instincts bestiaux, offrandes animales à ses obligeances monstrueuses. Son si beau monstre. Si beau … Si beau. L’orgueil gonfle à l’intérieur de son sein, se repaît de ses frayeurs, de ses souffles qui se perdent sous l’oppression de ses assauts de femme. Il est à elle. Dans ses élans de paniques, dans l’obscénité de ses murmures, dans ses cajoleries les plus ignobles et ses hommages les plus crus. Dans l’âpreté de ses silences, dans le soubresaut de ses humeurs, dans la sauvagerie de ses prévenances et de ses douceurs déchues. A elle. Il ne l’épargnera pas. Alors elle lui rend la pareille, le prend avec cette précipitation qui confine à la déraison. Elle grogne son assentiment lorsqu’il fait ployer sa nuque, qu’il cherche la corruption de ses chairs à ses propres assauts. Elle les lui offre toutes chaque fois qu’elle sait lui en arracher d’autres, l’étreinte une lutte, l’ébat un duel au corps à corps, où chaque coup porté doit s’attendre à recevoir non pas une parade, mais un contre-coup en échange. Ils se blessent, l’un contre l’autre. L’un dans l’autre. La sensualité absente, la bestialité triomphante. Eleah devient sourde à toutes les exigences de la bienséance. Elle plonge avec lui, n’entend plus le fauteuil rococo qui geint des injures sous le balancement de ses reins, ses lèvres qui exhalent des harmonies trop indiscrètes pour ne pas éveiller les soupçons d’une curiosité malsaine, au dehors. Elle vient laver ses plaies pour en créer de nouvelles. Lèche le sel de ses avidités pour les accroître contre son corps, ses mains posées derrière sa nuque, arrimées à lui, immanquablement agrippées. La voix cristalline de la vendeuse la ramène à une réalité toute confuse : les pensées se tordent, les mécanismes incandescents cherchent à reparaître. Son cœur bat si vite à l’intérieur de sa poitrine : il pourrait s’arrêter et rugir, juste sous sa paume. Elle sait qu’il n’a cure de la bienséance, de cette jolie image qu’il convient de renvoyer pour les duper tous. Cette arme factice, qu’elle a su façonner depuis la nuit des temps, qui menace de s’effondrer, alors même qu’elle croit voir le rideau de velours légèrement bouger. Elle sait qu’il n’attend que cela, que ses déviances se repaîtraient de voir dans un angle mort le regard outré de la jolie vendeuse, les surprenant en indécente posture. La fracture à l’intérieur d’elle est terrible. Elle dévale comme un métal sirupeux chauffé à blanc le long de son ventre, met en exergue une facette oubliée de sa nature, qui sort de sa torpeur, et saisit l’opportunité de pouvoir s’exprimer enfin. L’idée qu’elle ouvre, cette indiscrète, qu’ils les voient tous. Elle échevelée et brûlante, les reins incurvés à l’outrage pour mieux le recevoir et s’imposer à lui tour à tour. Sa monstruosité en étalage, mise à nue devant tous les regards. Les siens, les leurs. Cruauté d’une débauche qui se préoccupe peu de ceux qui l’entourent. L’image est si distincte dans sa tête qu’elle la croit véritable pendant une courte seconde, et peine à reprendre son souffle. Et il sait … Il sait. Il sait le trouble qui s’éveille à l’intérieur d’elle. Ces limites qu’elle franchit consciemment avec lui, ne boudant pas son plaisir. Ces limites qu’ils pervertissent ensemble pour les façonner à leur image. Alors il y a ce léger temps d’arrêt où elle se rend compte, de ce qu’elle fut, de ce qu’elle est en train de devenir, sous ses regards, à la lueur de leurs corps libérés pour se déchaîner l’un contre l’autre. Ses doigts empoignent avec virulence les cheveux sensibles sur l’arrière de sa nuque, ponctuent son trouble, le plaisir déviant qui l’inonde, qui la façonne et fait vibrer sa chair tout contre la sienne. Elle rougit presque, trace d’une gêne indistincte, qui trahit un plaisir si grand, si inavouable, si interdit aussi, surtout quand on l’apprivoise pour la première fois. Elle cherche vainement à retrouver de sa contenance, articule des mots, des phrases, avec le débit d’un automate qui aurait appris son texte par cœur. Ses ongles s’enfoncent, martyrisent le plaisir qu’il lui dérobe, créature inconvenante, impitoyable, alors qu’elle tente de leur sauver la mise. Sa mise à elle surtout … Oui la sienne, puisque lui n’en a cure. Son sadisme s’épanche sur la courbe de son cou, la fait gémir en plein milieu de l’une de ses phrases, alors qu’il pousse l’injure en lui arrachant ses dernières barrières, bribes par bribes, au gré de l’ondulation de ses reins. Elle se mord la lèvre, rougit peut-être un peu plus. Il fait trop chaud, dans cette cabine. Bien trop chaud. L’enfer revenu des abysses pour les calciner tous. Le courroux de ses prunelles noires retombe sur lui, affirment leur vindicte face aux noms fleuris dont il décide de la gratifier. Prude. Traînée. Une ambivalence qui assassine son orgueil de femme et réveille toutes ses cruautés bafouées. Jamais personne n’a osé la qualifier ainsi. Jamais personne n’a jamais su … ce qu’elle pouvait être. Il est le premier, il est le seul. Elle le hait, elle a honte. Et en même temps, son corps continue de la trahir. D’avoir cette manière unique de le recevoir, de s’apposer contre lui. Elle ondoie sans même s’en rendre compte, dérangée par le feu qui continue de la consumer de l’intérieur. Malmenée par ce plaisir, cet amusement qu’elle trouve, à l’entendre murmurer à son oreille. Plus encore depuis qu’il emploie des termes très crus et fleuris pour honorer ses tourmentes. Sa langue claque sur son palais de mécontentement. Elle se redresse un peu, prend appui sur ses épaules, le surplombe, appose dans un mouvement une intrusion plus rude, presque un coup, promulgué par ses hanches, comme pour le punir, même si la douleur se répercute en partage. La vendeuse finit par détaler. Eleah oscille entre deux émotions. La fureur, l’amusement. Son esprit revanchard crève de le faire payer au centuple cette position inconvenante dans laquelle il a su la compromettre. Et en même temps … En même temps. Ses moqueries la caressent, ne peuvent l’empêcher d’osciller davantage. Le trouble suppure toujours, dans ses prunelles où refluent un mélange soyeux de rage et de désir. Elle résiste un peu lorsqu’il saisit son menton, plus par principe que par réelle intention de se refuser à lui. Son visage se détourne, rencontre le reflet de leurs deux silhouettes enchâssées dans le miroir. Réverbère de sa honte, de tous les plaisirs malsains qu’elle couve, qui rendent sa position indécente, sur sa silhouette affaissée sur le fauteuil. Son regard dérive vers son reflet à lui. Le voir par le prisme du miroir le rend à cette réalité composite que l’on oublie de regarder avec sobriété, comme l’on contemple une toile de maître en espérant en déchiffrer les secrets. Le voir ainsi, par le biais de cette interférence qui n’appose aucun filtre, aucune subjectivité la laisse exsangue, le souffle court, le désir comme arrêté dans le ventre, pulsant en saccades sous sa peau immobile. Elle serre un peu plus ses cheveux entre ses doigts sans même s’en rendre compte, admire ce qu’elle distingue, ces visages transfigurés par un plaisir ignoble qu’elle reconnaît alors comme l’essence même de ce qu’elle a toujours été. Souillée … Souillée. Mais elle n’a pas honte. Elle n’a plus honte, maintenant qu’elle les voit. Ces deux êtres déviants, libres l’un contre l’autre. Qui se blessent ensemble, qui ne tuent que les autres. Ceux qui ne savent ni voir, ni regarder. Qui n’ont que leurs yeux pour juger. Elle le regarde bien en face alors, à travers le miroir. Dans cet immobilisme qui la caractérise parfois, où elle se fige dans une altérité sans âge. Et puis elle lui revient, tourne avec lenteur, l’inonde de ses regards de prédateurs.
« Cette langue est trop venimeuse, il faut la faire taire. »
Elle reprend sa bouche avec implacabilité, maintient ses deux mains à lui sur les jolis accoudoirs chantournés le temps de lui faire ravaler tous les mots qu’il pourrait inventer en réponse. La valse reprend. Staccato enflammé, qui monte, qui prend, qui donne. Les pieds du fauteuil grincent sur le lino de la cabine, elle le relâche, relie ses doigts à ses épaules, sa nuque, ses cheveux, son visage enfin. Elle croit entendre une voix à l’extérieur, tend une main virulente vers l’ensemble rouge que la vendeuse vient de laisser filtrer sur le côté du rideau, et le balance derrière elle, par terre, sans aucuns égards. Les questions qui suivent s’assourdissent dans le tumulte douloureux des plaisirs qu’elle arrache, qu’elle cueille sur son corps, à chaque coup de reins, jusqu’à le rompre, jusqu’à se rompre. Des « Tout va bien là-dedans ? », ignorés dans l’indécence, puisque la vendeuse n’ose guère braver l’intimité de la cabine, même si elle sait pertinemment ce qui s’y trame, maintenant qu’elle en entend distinctement les chants entonnés. Elle s’affranchit de la honte, vient cueillir sur ses lèvres les râles qu’elle lui quémande, qu’elle lui impose, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus un seul, qu’il n’y ait que leurs souffles altérés, en quinconce. Et un silence dérangeant, en dehors de la cabine. Comme si tout s’était brutalement figé à l’extérieur. Il lui faut un petit temps pour reprendre ses idées après cela, alors que, brûlante d’une fièvre entièrement consommée, les impatiences commencent à lui parvenir, depuis derrière le rideau.
« Tu sors le premier. Je dois me rhabiller. Je suis pudique tu comprends, j’ai pas envie que tu me vois toute nue. »
Son sourire est goguenard, alors qu’elle décide à escient de le laisser sortir en premier, pour affronter les regards, lui qui n’en a pas peur. Elle l’aide à se relever en le tirant par la ceinture de son jean, s’assure qu’il s’est bien reboutonné comme il faut avant de le pousser à l’extérieur, par l’entrebâillement du rideau, en appuyant sur ses fesses. Une fois seule, elle repasse ses fringues, se réapproprie une forme de contenance, comme si à ses yeux la seule échappatoire était d’afficher une assurance sans failles aucunes. Elle réorganise un soupçon sa coiffure, même si ses rougeurs ne tromperont personne, puis elle se décide enfin à ressortir, les deux ensembles sur cintres. Elle laisse le rouge sur les articles qui n’ont pas inspiré la satisfaction, garde le second, celui qu’ils ont déjà inauguré de fait. Elle ne se voit de toute façon pas le remettre en rayon, tel quel. A croire que les habitudes ont la vie dure. Avec un aplomb dérangeant, ignorant les regards inquisiteurs, elle se dirigea vers la caisse, en prenant James par le bras au passage.
« Je vais prendre celui-ci. Ce sera tout, merci. »
La vendeuse n’ose pas trop broncher, mais Eleah la voit qui plie avec parcimonie l’ensemble, du bout des doigts, comme s’il avait déjà été souillé. Elle se maintient tête haute, un sourire de satisfaction bien en place, à faire douter les plus expérimentés de ce qu’ils ont cru entendre dans la cabine d’essayage. Ils ressortent après cela. Ils ressortent et foulent le trottoir, dont elle n’avait pas remarqué la surpopulation à l’allée. Son bras vient enlacer la hanche de James, qu’elle rapproche de son corps, nichant le bout de son nez dans le creux de son cou, où s’emmêlent des odeurs différentes. Les notes de son parfum à elle, superposées aux siennes.
« As-tu toujours été un petit fripon indécent ? Enfin … Cette nuit, je te kidnappe. Non mieux, je te séquestre, toi et ta perversion. Si tu crois que je vais me contenter d’un piètre essayage, tu te trompes. » ronronne-t-elle, un sourire enjôleur sur ses lèvres diablotines, avant de lui emboîter le pas dans la direction de son hôtel.

***
Ses paupières s’ouvrent sur un jour qui s’éveille. La torpeur en dedans, au dehors aussi. Les bruits de la ville indistincts, masqués par le double vitrage nimbé de brume. Il est encore tôt, l’aube à peine, d’une nuit sans lune. Son souffle s’alanguit un peu, les mécanismes de sa conscience se réarrangent en une musique trouble, où les souvenirs s’enchâssent dans sa mémoire, font ressurgir des images changeantes, suaves et tumultueuses, impérieuses et délicates. Le naphte de trivialités conjointes, inondant les murmures prononcés du bout des lèvres, au bord du souffle. Des réminiscences débridées lui rappellent la sensation de son corps contre le sien, de cette manière qu’ils ont eu de se prendre ou de se donner, tour à tour, jusqu’à l’éraillement de la raison au creux de la tempe. Le cœur un sombre tambour, qui frappe son courroux contre les côtes. Tambour en lui, tambour en elle. Note abrupte qui se consume en résonnant dans une sensualité licencieuse, tendancieuses aussi. Des ombres mortifères, projetées sur les moulures de la chambre. Ombres d’une beauté bestiales, enchâssées, embrassées, soupesant dans le creux de la paume ou sous la courbe du sein la virulence d’émois contraires, contradictoires, si semblables toutefois … Si semblables. Elle ne se souvient pas exactement du nombre de fois qu’ils ont su se trouver. Ce qu’elle a traqué en lui, sans relâche, le corps fébrile et prêt à se rompre. Elle a cru effleurer un court instant ce qu’elle cherchait, mais il a fallu courir encore, courir. Cavalcade essoufflée sur la courbure d’une hanche, érosion d’un plaisir sur la ligne des reins. Elle l’a traqué dans le noir, ne lui accordant que des répits lorsque lui-même consentait à lui en accorder. Tantôt facétieuse et cruelle, autre fois docile et tendre, un baume de caresses graciles sur ses épaules tendues, sur son dos griffé, sur ses bras indomptés. L’affaissement de l’être en sécurité, qui ne craint plus rien ni personne, puisqu’il a vaincu et s’est laissé vaincre, jusqu’à se laisser prendre une dernière fois par les bras d’un sommeil trompeur, et lourd, si lourd, qu’il se détourna d’un onirisme tentateur.

Il est encore tôt. La nuit qui se dépare, qui disparaît sous des lueurs changeantes. Eleah s’extirpe du lit après avoir jeté un regard attendri sur son visage endormi. Ses jambes sont cotonneuses, la maintiennent à peine dans cet équilibre qui lui manque tout à coup, et manque de la faire chavirer. Elle se saisit d’un plaid qui gît sur un fauteuil d’appoint de la chambre, le glisse autour de ses épaules nues. Piètre parure, piètre voilure, pour son corps nu, entièrement nu. Avec langueur, presque torpeur, elle va s’asseoir sur le renfoncement de la fenêtre, juste au bord. Qui donne une vue sur l’extérieur. Son dos posé sur le mur, les jambes surélevées, en équilibre, sur le rebord, elle regarde la nuit qui s’éteint. Guette le jour, qui amène avec lui d’autres humeurs. Elle voudrait demeurer-là toujours, dans cette quiétude illusoire qui bientôt n’existera plus. Il faudra reparaître au monde. Reparaître oui. Rien ne sera plus semblable après ça. La France un hommage à ce qu’ils furent, un point de départ à ce qu’ils seront. Son front s’appose sur la vitre, un léger sourire flotte sur ses lèvres roses. Du bout de l’index elle caresse une marque laissée en héritage sur sa peau nue. Elle la cajole, de la pulpe du doigt. Elle se rendort peu à peu, sans s’en rendre compte. Elle se rendort oui, pour fuir cette réalité qui les affronte.
(c) DΛNDELION
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James M. Wilde
James M. Wilde
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Et ce détour qui n’en finit pas _ Eleah&James - Page 6 1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
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() message posté Jeu 3 Jan 2019 - 19:13 par James M. Wilde


« Tu es mon toujours ou tu ne l'es pas
Tu es ce velours si doux sous mes doigts
Et ce détour qui n'en finit pas
Oui, ce détour qui n'en finit pas
Je voudrais que ce séjour dans tes bras
Que tes caresses ne s'arrêtent pas
Je voudrais compter les jours sur tes doigts
Ou tu es mon amour ou tu ne l'es pas »

Eleah
& James




Dans la liberté entravée par ses bras, mise à nue dans le secret de ses chairs, il y a un autre absolu qui s’éveille. La sensation d’être à deux lorsqu’il s’agit de s’enchaîner, de rogner d’autres jougs pour choisir celui que l’on sera seuls à supporter. L’un et l’autre, l’un dans l’autre, des plaisirs emmêlés qui deviennent de ces serments que l’on verse, que l’on détient avec la jalousie des fauves assiégés. L’extérieur ennemi pourrait bien nous dévoiler de son oeil perfide, les jugements échoueraient quand nous savons, nous savons pertinemment qui nous sommes. Je sais avec une brutalité effroyable qui elle est. Qui tu es. Quand tu retiens ainsi un plaisir sulfureux dans l’âpreté d’une atmosphère fiévreuse, pour mieux opposer des discours factices à la vendeuse hautaine d’un magasin de bourges, quand tu me silences ainsi, d’un seul geste, pour mieux inclure la douleur dans cette extase que tu sens naître dans ton ventre, quand les mots s’allient à la chair qui exulte, quand l’épiderme convoite les termes infamants pour mieux les laisser pénétrer la tête, le corps, remplacer des idéaux simplistes par des images qui se délitent d’un désir sourd. J’aime la rougeur qui cavale sur son visage, qui trahit l’éducation quand je n’en ai aucune, qui dévoile subrepticement la honte que l’on savoure à n’être plus que deux à savoir. À savoir ce qui dans l’interdit permet de s’épanouir, la brûlure d’une impiété sur la nacre de la peau qui se couvre d’un frisson plein de gêne. Je ne sais plus trop quand j’ai commencé à manier ce langage-là, à susurrer les mots qu’il ne faut pas à l’oreille des filles pour les sentir lutter, contre moi et les certitudes qui les enferraient. Peut-être quand ma mère me disait de bien me tenir, peut-être quand on m’expliquait que les femmes sont des créatures sensibles, farouches, qu’il ne faut pas brusquer. Toute cette éducation ridicule, souffreteuse, emplie de relents nauséabonds où la bienséance cherche à voiler avec pudeur une vérité qui effraie. Je déteste ces manières de considérer les êtres dans des schémas arrêtés, je hais ce qu’on essaye de leur faire, comment l’on rogne tout ce qu’il reste de nature en clamant épanouir les civilités. Je n’ai jamais connu de vérité plus crue et plus absolue que celle qui se dévoile dans des instants comme ceux-là, où le corps cherche à posséder, à prendre, quand l’esprit cherche à imploser pour se disséminer dans l’autre, une fusion presque malsaine où l’on ébrèche le masque, ce portrait parfait qui se teinte de rouge, qui saigne de ce qu’il cherche à exprimer. Exprimer à tout prix ce qu’il peut y avoir de pire, dans un esprit qui dévie plus loin qu’il n’ait jamais voyagé, à chaque coup de reins, parce que c’est l’intime qui déjoue les postures, la souffrance de cette euphorie éphémère qui met à bas tout ce que l’on sait composer de soi. Il n’y a rien de plus véritable que cette injure violente que l’on dépose dans l’oreille d’une compagne, sulfureuse indécence qui se niche en son sein pour qu’elle sache, qu’elle sache tout ce qu’elle représente. À cette seconde-là, Eleah est tout pour moi, la déesse qui m’assiège, la courtisane qui m’étreint, la petite fille honteuse de son plaisir et la femme qui détient le mien. Elle est tout à la fois. Tout. L’amour et la déviance paradent sur mon visage en une combinaison inconvenante, à son ire répondent mes envies insatiables, qui s’épanchent dans la brutalité qu’elle montre, que je connais, que je sais. Plus que quiconque à cet instant-là. Et elle reçoit la mienne, virulence amoureuse, adoration parjure qui fait d’elle le témoin de cette nature bestiale qui cherche à mourir tout contre elle, à se façonner jusqu’à la trahison de l’être, la sensualité qui embrasse une sensibilité douloureuse, presque aussi honteuse que la sienne. Car par le biais du miroir, c’est tout l’hommage de ma personne qu’elle reçoit, à batailler un peu elle me ressent, elle comprend tout ce qu’il y a d’urgence dans le geste que je couche sur elle. Ce regard qui trahit ce que nous sommes, reflet d’une entité presque monstrueuse, fureur siamoise qui s’échange dans la clarté du miroir. Je l’aime sans commune mesure à cet instant, cette seconde déploie toute la folie qui s’est abreuvée un jour dans la liberté la plus ignoble qui soit, la plus impure, mes mains l’étreignent avec une frénésie où la fragilité atermoie. L’abandon est fureur, une délectation ineffable que je laisse transparaître, que je nourris aux reflets pernicieux qu’elle renvoie. Tu la sais, tu la sens, n’est-ce pas, cette liberté apposée au fer rouge d’une possession inavouable. Être libre, libre Eleah, d’appartenir enfin. Un infini qui se dévoile, dans les prunelles sombres, les tiennes, les miennes, les deux ensemble. Un seul moment d’absolu pour une éternité de corruption partagée, que l’on se murmure, enchaînés l’un à l’autre. Un sourire s’épanouit contre sa bouche lorsqu’elle revient déposer son jugement tout contre ma carcasse, menace de silence dans les gémissements de plus en plus lourds. Qu’importe l’indiscrétion, je me laisse emporter, les mots fragmentaires au dehors, une seule vérité au dedans, qui pulse, et pulse encore, de toute sa suavité. Elle m’arrache un peu plus de moi que ce que je ne suis venu offrir sans doute, il y a dans l’ivresse de l’étreinte des tonalités presque contraintes, mais ce que je lui dérobe est sans commune mesure à ce que nous avons jusqu’alors expérimenté. Et soudain je suis sûr, je ne peux plus douter, ni de son pouvoir, ni de cette emprise que je rêve de porter. Il n’y aura pas de limite, il n’y aura jamais de limite à ce que nous saurons nous infliger. La liberté a un prix, la liberté… Eleah… Tu te souviens ? Tu te souviens… Le temps perd de sa cohérence, je sais simplement que je cajole une marque, preuve d’une brutalité sur sa peau. Une seconde ou une éternité, c’est difficile à dire, j’ai ce moment de béatitude ridicule, imbécile, que traversent tous les hommes, puis un apaisement qui ne dure pas, car l’euphorie s’y niche encore. Ce que j’ai su voir, et ressentir en elle, provoque des onirismes qui n’ont rien de policés, le sentimentalisme rencontre les prémices d’une obsession qui ne souhaite plus ni s’éteindre, ni renoncer. Je la laisse se relever, j’ai un sourire qui ressemble au sien, prononçant avec une très fausse délicatesse :
_ Tu as raison, protège ton honneur, qui sait ce qui pourrait arriver…
Je hausse un sourcil avant de m’attifer rapidement, dans des gestes très sûrs, qui trahissent ces habitudes qui poussent à puiser sa délivrance dans des espaces publics, où l’on doit être prêt à sauver si ce n’est pas une image, au moins des apparences fières pour savoir appuyer un ascendant sur ceux qui pourraient vous juger. Les jugements me sont absolument étrangers dans ce genre de débauche, mais j’avoue un plaisir certain à empêcher mes détracteurs de savoir en porter. Laisser tous ces gens dans le doute est d’une saveur indicible. Je débaroule le premier, grandement aidé par ma très pudique promise, la coiffure en vrac, la veste plutôt débraillée. Toujours est-il que ma ceinture et mon jean sont rebouclés, si bien que l’on ne me poursuivra pas dans toute la boutique pour atteinte à la pudeur. Je balance un sourire carnassier à la vendeuse qui fait le planton avec ses airs renfrognés, où la discrétion blessée bataille avec une sorte de mépris très prononcé, dans son nez qui se fronce. J’espère qu’elle comprend en définitive très bien l’anglais car je me penche un peu dans sa direction comme pour lui confier :
_ Elle l’a enfilé et ça lui va comme un gant, ça m’étonnerait qu’elle en change. Vous avez dû entendre à quel point elle était… satisfaite. Vous savez ce qu’on dit. Il faut toujours essayer avant d’acheter.
Je papillonne des yeux avant de passer mon chemin et de la dédaigner tout en m’adressant à Eleah, toujours planquée derrière ce velours qui fut témoin de nos essayages :
_ N’est-ce pas, sweetheart ?
Je balance de ces épithètes dégoulinants, ceux qui jouent d’un contraste désopilant face à ce langage que je dévoile lorsque les plaisirs se délivrent, puis marche un peu avant que la brunette ne me rattrape. J’ai ces allures satisfaites et fières, presque arrogantes sur mon visage, et ne me lasse pas du spectacle de cet ensemble qui disparaît dans du papier de soie, cachant sous le voile du secret nos sulfureux dévergondages. Je tends un moyen de paiement et hausse une épaule pour Eleah :
_ Vu que je ne l’ai pas ruiné celui-ci, tout du moins pas encore, je t’en fais cadeau. Rose poudré… Comme la teneur de tes pensées.
Je souris une fois encore, mes yeux dans les siens, puis nous nous en allons dans le bruit, la foule, et ces émotions qui trahissent encore les chairs qui peinent à se mouvoir convenablement. Jusqu’à ce que toutes les courbatures, héritées de cette nuit à dormir par terre, s’envolent sous l’élan de son invitation. Je peine à maquiller ma satisfaction mâle :
_ Je me disais bien… Allons vérifier que ça te va toujours, petite fille, je m’en voudrais que tu ne te lasses.

***

Seul. Seul. Et la peau encore frissonnante des souvenirs qui y nichent, souvenirs hérités d’une nuit étanchée au point du jour. Je suis épuisé, rompu, étrangement serein, même si ma main cherche sa présence, froisse les draps parce qu’elle ne la trouve pas. J’ai un moment d’arrêt, je ne sais plus où je suis exactement, dans quel pays, dans quel hôtel. La mémoire s’épanche en des harmonies indélicates, échos de ces aveux qui furent de nouveau portés dans la chair insatiable et douloureuse. Le plaisir apposé sur elle, arraché par ses exigences, innombrables luttes qui furent dessinées à chaques heures qui m'arrachèrent un peu plus de ces doutes ou de ces peurs. J’ai bu les relents extatiques de nos tortures enfiévrées sur ses lèvres, j’ai puisé dans son corps… Je ne sais ce que j’ai voulu y chercher, absolument tout peut-être, le passé, et de ces avenirs complexes qui je sais, dorénavant, seront côte à côte. J’ai cherché en elle tout ce que l’on avait su un jour me dérober, l’homme et le monstre, la déraison et le rêve, les angoisses et les entraves aussi. Je les ai plaquées à son corps, glissées dans sa tête, jusqu’à ne plus savoir vraiment, ce qui provient d’elle, ce que j’hérite de moi. Je n’ai plus peur, car la sentence a été portée, enfoncée sous la peau, mordue, ployée, brutalisée, gémie dans une luxure effroyable. Je n’ai jamais emmené quelqu’un sur ces chemins-là, pas ainsi, pas en me laissant guider à mon tour lorsqu’il le fallait. J’ai toujours conservé un certain contrôle, imaginé de ces issues torves qui permettent de rétablir un ascendant sur l’autre, pour le renier, l’expulser des replis de l’être pour savoir s’en protéger. Mais avec elle… avec toi, me protéger n’a strictement aucun sens. Te protéger est devenu impossible, car tu ne le veux pas, tu cherches, tu cherches, le souffle court, l’âme en peine, tu cherches tout ce que l’on t’a infligé, la déviance d’un plaisir, la violence d’une douleur, tout ce qui peut te faire ressentir ces impérieux envols qui te libèrent enfin. Et je ne sais pas, je ne peux pas te détourner de ces chemins que je cherche à arpenter depuis si longtemps. Une compagne à ma mesure, une folie conjointe, c’est ce qu’elle est. C’est ce que j’ai toujours traqué, oui, c’est ce que j’ai toujours traqué dans les limbes de nuits inavouables. Relever ma victime pour qu’elle sache être plus que cela, pour qu’elle cesse de subir, qu’elle cesse enfin de me subir pour me rappeler à elle, m’enchaîner à son empire, me rappeler la morsure de ses fers. Une appartenance sans âge, sans fin. Personne n’a su… Personne n’a su me prolonger ainsi, comprendre, seulement comprendre ce que je m’évertuais à chercher. J’ai dû m’endormir, je crois. Elle était tout contre moi, je l’ai étreinte, je n’ai su faire que cela, même dans l’inconscience. Je suis comme démuni désormais. Au petit jour, j’ai froid, parce qu’elle n’est plus là, et la douleur se fige, ravage tout mon corps décharné, une seconde de stupeur affreuse avant que je ne distingue sa silhouette assoupie contre la fenêtre de la chambre. Je sais… Je sais quel calvaire ce sera. Ces instants qu’il faudra supporter quand elle sera absente, les envies qu’il faudra noyer, détourner autrement. Je l’ai toujours su quelque part. Car ce que nous nous promettons, cette liberté-là, de corps et d’esprit, cette liberté a un prix. L’on est toujours libre aux dépens de quelqu’un d’autre, parfois même de soi. Eleah… Un prix que je suis prêt à payer aujourd’hui.

Je me redresse dans la langueur de mon corps fourbu, je n’ose même pas étirer les muscles endoloris et c’est à petits pas que je la rejoins, je m’assieds par terre, directement sur la moquette, appuyé contre la bordure de la fenêtre qu’elle a choisi comme perchoir. Je glisse une caresse sur l’une de ses jambes, avant de poser ma tête, contre le mur, comme un guetteur à ses pieds, cet être élu qui veille la silhouette endormi de sa maîtresse. Figure antique, je l’observe un instant, en contre-bas, laisse dériver l’émoi que l’on ne peut que confier au silence. Que je ne suis pas capable de lui dire, pas encore, pas maintenant. Il est encore trop tôt. Ou bien trop tard. Je me suis endormi après cela. Endormi une fois encore, auprès d’elle, une main posée sur sa cheville, enchaîné à elle. Oui Eleah. C’est un prix que je peux payer désormais.

***

J’ai quitté le hall, habillé avec ces fringues entièrement froissées, ma veste habituelle sur les épaules, l’autre soigneusement rangée dans ce sac qui me donne toujours l’air d’un vacancier. Je ne lui ai rien dit. Ou alors juste de ces banalités qui étouffent, qui cherchent à transiger avec le temps enfui, ce temps qu’on a plus. Qui s’est barré dans l’espace de cette dernière nuit, que l’on devinait encore dans les regards portés. Ces banalités comme l’heure de l’avion, le terminal de l’aéroport. J’ai croisé le groupe de danseurs je crois, qui doivent être sur le même vol que nous, ou un autre, ou alors ce n’était même pas eux et je reconnais des gens que je n’ai en réalité jamais vus. C’est encore possible ou probable. Parce que je suis perdu, je suis paumé, je dérive dans ces incertitudes qui referment les moments suspendus. Lorsqu’on ne sait rien de ce qui pourra se produire ensuite. L’on croit que cela ne nous appartient plus et c’est un peu vrai. Parce que le quotidien se charge de vous brusquer, de vous dicter des lieux où vous rendre, des horaires à respecter. L’on navigue dans un environnement connu, l’on est plus cet étranger à côté d’elle, qui plaisante dans la rue sur les passants. Dans une ville qui nous connaît, il n’y a pas de baisers volés, ou d’étreinte maladive. Je ne crois pas. Ou alors… Je me trompe. J’ai juste peur que tout s’écroule maintenant. Qu’elle revienne sur ce qu’elle a su donner, qu’elle me rende toute la laideur qui s’est insinuée dans son corps, qu’elle renie ces instants-là parce qu’ils se seront estompés. C’est encore possible. Ça n’est pas vraiment probable, quelque part, je le sais. Je le sais. Mais… nous ne serons plus protégés, nous serons au milieu de tous ces gens à qui il faut rendre des compte, c’est forcé. Son frère, mon groupe, mon personnel, ses amis. L’engeance des journalistes qui va nous assaillir. Puis surtout… surtout il va falloir partir. La parenthèse est terminée. Elle se referme au moment où la porte bascule pour me laisser m’échapper.

L’enceinte de l’aéroport est surchargée. Il doit y avoir deux vols retardés au moins, mais le nôtre ne semble pas particulièrement impacté. J’ai fait deux selfies sur le chemin avec des connards qui me l’ont demandé, mais vu que je suis dans un jour de clémence, j’ai accepté. Je ne me rends pas compte que ma présence dans le même aéroport qu’elle, le même jour, dans des clichés qui auront été pris à notre insu, corroboreront des rumeurs folles qui ne manqueront pas de nous retomber sur le coin de la gueule. Je n’ai pas l’habitude d’entretenir une relation avec quelqu’un qui pourrait être exposé. Je n’ai que des filles d’un soir, anonymes, oubliées. Ou alors comme cette pute de Jessy, Jenna, Jenny qui a publié nos ébats quand elle était mineure, des cas plutôt rares qui cherchent à se payer une réputation en utilisant mon nom. À la fin des années 90 ça n’était pas comme ça, c’était plus simple, nous étions moins connus, et la fièvre des réseaux n’avait pas rendu marteau la moitié de la planète. Alors les selfies, et autres obligations sociales. Nous nous sommes donné rendez-vous dans la salle d’embarquement, histoire d’être tranquilles. Je viens de fourguer mon bagage à une hôtesse, fièrement estampillé Business Class. Oh ça va hein, je ne suis pas si bourge que ça. J’ai l’impression d’entendre Greg se moquer, penché sur mon épaule et me murmurer l’insulte que nous nous distribuions étant plus jeunes “Posh”. Bref. La salle d’embarquement, j’ai mes lunettes noires, mon teint des nuits presque blanches que l’on passe à baiser, si bien que je ne suis pas si blafard que ça, il y a les résidus du plaisir dans les joues qui se creusent sur une expression presque (j’ai dit presque) aimable. J’ai pris ma dernière clope à l’extérieur en arrivant et j’ai déjà envie de déclencher tous les protocoles de sécurité en en allumant une ici. Sur le chemin, j’ai acheté de la flotte, parce que le manque commence à me tarauder. Il faut dire que je ne sais pas non plus comment gérer ça, dans une relation comme la nôtre. Je ne vais pas consommer une ligne sur l’un de ses seins l’air de rien, en passant. Je ne consomme en général en présence de personne d’ailleurs, c’est une addiction et un plaisir jalousement protégés. Et puis surtout, avant de concevoir l’idée de rentrer, alors que je passais mon temps avec elle, l’envie de coke n’était pas la même. Je hausse les épaules, nerveux, et la cherche du regard, enfonçant mes mains dans les poches de ma veste. Je ne suis pas long à la trouver, et j’ai ce sourire, ce putain de sourire qui se plaque à ma tronche. Je ne l’ai pas vue depuis… Je ne sais pas, quatre heures peut-être ? Pas besoin d’avoir l’air con, Casanova. Je la rejoins, en faisant mine de ne pas me presser :
_ Alors, prête à affronter ce que tu as déclenché ?
Je fais référence à sa petite allusion à notre future association qui, semble-t-il, a beaucoup plu à nos fans respectifs. De quoi assurer en effet un détournement très sain à mon comportement outrageant lors de l’interview. Ou bien je fais allusion à tout le reste, à nous, à elle, à moi. C’est possible. Et même très probable.
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() message posté Dim 6 Jan 2019 - 18:35 par Invité
ET CE DÉTOUR
QUI N'EN FINIT PAS
james & eleah

« I'm gonna swing from the chandelier, I'm gonna live like tomorrow doesn't exist. Like it doesn't exist.  I'm gonna fly like a bird through the night, feel my tears as they dry, Keep my glass full until morning light, 'cause I'm just holding on for tonight. »
Pensées reliées, rêves enchâssés. Contre les corps qui se cherchent, contre ceux qui se traquent, dans l’obscurité tapie de la chambre, et se rejoignent en quelques fracas alanguis, aussi triviaux que sublimes. Onirisme insatiable, nourrit à la morsure de toutes ces lueurs que l’on poursuit, qui ne suffisent jamais totalement toutefois. Ses pensées se teintent, du rouge, du blanc, il ne reste que le rose. Le rose poudré, grâcieux mélange qu’il a su malmener, avec ses doigts, avec sa bouche. Rose poudré … Comme la teneur de tes pensées. Il l’a dit. Il les a murmurées, dans toute son insolence qu’elle a tancé d’un faux air courroucé, les prunelles rieuses en vérité, presque caressantes. Ces phrases prononcées qui campent à l’intérieur de sa tête et s’installent, correctement vautrées, pour observer avec dédain ce monde alentour qui ne comprendra pas, qui ne saura pas regarder, ce qu’ils sont devenus à s’écorcher l’un contre l’autre … ce qui les a sauvés. Il est là son amour, il dort encore. Rompu dans sa chair, l’âme encore à vif, si exténuée qu’elle ne peut que se laisser aller à cet alanguissement nécessaire. Ses airs endormis se font légion sur sa peau diaphane. Les jambes sont cotonneuses, les mains étrangement lourdes. Elle se repose sur le renfoncement qui encadre la fenêtre close, laisse surseoir des émotions indistinctes, apprivoisées pour la première fois, contemplées avec un calme délétère.  Il dort son amour, il dort. Elle distingue une main qui froisse les draps, qui la cherche dans le noir. Une emprise venue les envelopper, dans l’irrémédiable chute qu’ils ont entrepris de braver ensemble. Elle a l’impression d’être le drap rendu frais par son absence, de sentir ses phalanges contre sa peau, le souvenir intime et résolu de sa présence contre ses chairs encore intact, tatoué sur ses côtes à la douceur brutale d’ébats où se rejoindre ne suffit pas, où prendre et donner n’est pas assez. C’est plus que cela. Bien plus. Il s’agit de chuter en l’autre, de s’écorcher à être soi dans le naphte sauvage d’une entité contraire. Un sourire vient s’égarer sur ses traits, la créature tapie au fond de son ventre repue est intacte, quand elle le voit la chercher dans le noir, même depuis les affres de l’inconscience. Elle s’est gravée à l’intérieur de lui. Il s’est blessé à l’intérieur d’elle. Ses paupières alourdies par l’épuisement triomphent sur sa volonté de demeurer éveillée pour l’observer à son insu, bête curieuse, bête caressante. Elle s’endort, avec cette forme de quiétude alarmée, nichée sous les ongles, sous ses épaules qui retombent lentement tandis qu’elle sombre dans le sommeil. Elle ne l’entend pas se lever, ni la rejoindre. Il y a juste cette présence, qu’elle éprouve. Elle irradie depuis sa cheville, tiédeur délicate remontant le long de la jambe, qui court jusqu’à se perdre en ses esprits. Elle ouvre les yeux une fraction de seconde, le distingue là, en contrebas, son amour. Elle ne sourit pas, mais l’une de ses mains retombe et se love sur son épaule ployée par le sommeil. Le savoir loin ne sera pas facile, mais elle se souviendra de cette image. Elle s’y accrochera peut-être, dans les moments les plus rudes. Parce qu’il y en aura. Elle le sait déjà, l’a toujours su sans être capable de se mentir. Il y en aura oui. Mais il demeurera ces instants de trouble, où il restera le gardien de sa pudeur, qu’elle sera la protectrice de ses lueurs. Celles qui substitueront toujours, parce qu’elles le composent.

***

Il est parti dans la matinée, sous des prétextes des plus banals. Il a enfilé sa veste, les vêtements froissés en dessous, les cheveux en bataille, trahissant tous les ravages qu’elle avait su y porter. Elle l’a regardé passer la porte en souriant avec un air espiègle, se nourrissant de l’image qu’il renvoyait avec une avidité de fauve à peine contenue, pas même contrainte. Elle était calme de son côté, presque féline, à travers une satiété de façade que la nuit avait porté jusque sur son sein. Se retrouver seule dans la chambre vide, délaissée de sa présence, n’a pas été si complexe. Parce qu’elle savait qu’il se reverrait très vite, dans le hall de l’aéroport, parés de leurs airs résolus et insatiables. L’idée lui a plu. Elle s’est tout de suite dit que par principe, il allait rabrouer au moins une hôtesse. Ou au moins mimer une hostilité latente. Elle l’imagine mal à son aise, dans les espaces confinés des cabines d’avion. Elle ne lui a pas demandé comment il voyageait, elle n’en a pas eu besoin. La classe affaire, forcément, quand elle se perdra dans les méandres de la classe économique en y prenant un certain plaisir. Eleah n’a jamais pris de ces habitudes luxueuses dans lesquelles s’enlisent parfois les artistes, par principe, ou simplement pour se donner un genre. Elle aime se perdre dans ce dédale de gens et de clichés à escient, qu’elle observe avec un amusement mutique en faisant mine de ne rien voir. Les parents excédés par leurs progénitures qui crapahutent partout sur les sièges et dans le couloir, une adolescente renfrognée avec ses écouteurs sur les oreilles et la mine immanquablement fermée, le quinquagénaire paniqué par le décollage, qui a déjà pris trois cachets pour calmer ses nerfs et a déjà imaginé quinze fois les scénarios les plus rocambolesque avant même que la chef de cabine ait annoncé le décollage. Les couples de personnes âgées aussi, qui se tiennent la main tout du long, sauf lorsqu’ils se penchent sur leurs tablettes pour faire leurs mots croisés, ou lire le journal papier. Parce qu’il n’y a qu’eux qui les achète encore. Des fragments de vies qui s’entrecroisent, qu’elle ne se lasse pas d’observer.

Eleah arrange ses cheveux indociles devant le miroir jusqu’à ce qu’ils daignent répondre à ses attentes. D’un look rock décontracté, elle se confond dans une tenue plus sophistiquée, composée d’une robe patineuse rouge, d’escarpins délicats, d’un trench noir plus élégant, et d’une capeline noire, sur le dessus de son crâne. Un raffinement nécessaire, pour le rendez-vous chez Repetto en fin de matinée. Elle les a prévenus qu’elle avait un vol à prendre en début d’après-midi. Qu’il faudrait sans doute lui commander un taxi pour la mener directement à l’aéroport. Elle a franchi le seuil de leur siège avec une excitation grandissante, ses rêves de petites filles triomphants dans ses esprits alors qu’elle parcourait les couloirs, rencontrant ici et là des pièces connues de cette marqué initialement dédiée à la danse. Elle a rencontré le directeur du projet, accompagné de sa jolie et menue assistante. Elle l’a trouvé charmant tout de suite, avec de ces idées oniriques qui ne pouvaient que parler à sa fibre créative. Ils ont convenu d’une ambiance, des closes du contrat à respecter. Si elle signait avec eux, elle s’engageait à devenir le visage de l’une des collections de la marque pendant trois ans, avec la possibilité d’un renouvellement à la clef. Trois ans, trois campagnes. Trois ans, aux yeux d’Eleah, c’est une éternité. C’est un fer brûlant qui marque ses poignets, pendant trop longtemps. Mais elle a fini par accepter, parce que les perspectives étaient enchanteresses. Parce que ce n’est pas tous les jours, qu’une marque mondialement reconnue vous propose de devenir le visage d’un parfum qui n’existe pas encore. La campagne lui plaisait aussi. De la danse moderne, contemporaine même, pour asseoir leur volonté de sortir d’une vision très classique avec cette image d’Épinal d’un Repetto en tutu et en ballerines roses. Il n’y aura pas de rose non, pas de rose. Le parfum s’appellera Celestial. Céleste en français. Quelque chose d’aérien, et de délicat. Quelque chose qui lui ressemble, dans toute cette liberté à laquelle elle aspire. Les idées de matières fluides, de lumières caressantes et de danses alanguies lui ont plu tout de suite. Elle en a oublié sa réticence à se retrouver sur le devant de la scène, autre part que dans un milieu où ne se perdaient que des habitués. Devenir égérie d’une marque mondialement reconnue, même si moins imposante que des maisons comme Dior, ou Channel, elle n’y a jamais songé. C’est le passage d’une sphère intime, à l’avidité du public. Parce qu’il y aura des clichés, forcément. Et des publicités, sur les chaînes nationales. On ne saura pas qui elle est, parce qu’à moins qu’il s’agisse d’actrices mondialement connues, on ne sait jamais qui sont les visages des parfums que l’on porte, à moins de s’y intéresser. Mais on la verra. On la verra partout. Cette idée-là ouvre un gouffre au fond de son ventre en même temps qu’une excitation grandissante. On la verra oui, c’est ce sera sans doute tout. C’est ce qu’elle s’efforce de se dire, dans le taxi qui la mène à l’aéroport avec ses bagages. Parce qu’il le faut, qu’elle le doit. Il ne sera pas là pour la voir, non. Il ne sera pas là, où qu’il soit, où qu’il se cache. Il ne faut pas.

***

Le hall de l’aéroport, dans ses lignes métalliques et ses longs boulevards cliniques surpeuplés de silhouettes pressées, leurs valisettes en extension de la main qui traîne, en arrière. Qui tire aussi. Sa silhouette s’avance dans la délicatesse d’un pas qui prend son temps, qui frappe d’une certaine élégance, parce que sa tenue est trop distinguée. Elle voyage avec moins de prestance d’habitude. Mais elle se voyait mal se déshabiller dans les toilettes de l’enseigne sous prétexte qu’elle devait prendre l’avion une heure plus tard. Alors elle a juste changé de chaussures dans le taxi. Elle a remis ses Converses, ce qui créé d’ailleurs un drôle de contraste. L’élégance féminine incarnée, sauf au niveau des pieds, où elle retrouve des airs d’adolescente. Elle enregistre ses bagages, connaissant déjà par cœur les couloirs à emprunter, les démarches à suivre. Cet aéroport, elle le connaît comme sa poche, à cause de cette période où elle faisait des allers-retours entre Paris et Londres, il y a quelques années. Son sac à main sur l’épaule, délestée de sa grosse valise qui a rejoint ses comparses en soute, elle emprunte un sillage pour le rejoindre dans le hall d’embarquement. Elle n’imagine pas le trouver, comme s’il lui semblait plus logique qu’il arrive dans les dernières minutes. Elle ne maquille même pas son ravissement lorsqu’elle le distingue, plus loin. Dans ses airs décontractés, et en même temps sur le qui-vive. Une légère tension dans la posture, toujours. Surtout les épaules, le haut du corps. Il est assez pâle, moins que la veille toutefois. Les stigmates d’un mal qu’elle reconnaît bien pour l’avoir appris sur les traits de son frère, lorsque la drogue était le seul refuge qui savait l’apaiser. Il n’a pas consommé en sa présence, elle l’aurait remarqué. Elle ignore depuis combien de temps il s’y refuse, et à quel point le mal est fiché à l’intérieur de ses membres. Elle dissimule ses inquiétudes, claquemurées derrière un sourire enfantin et une manière distinguée de réajuster sa capeline, sur le sommet de son crâne. Lorsqu’elle le rejoint, elle a cet élan qui gronde à l’intérieur, et la pousse en avant. Une envie de poser sa bouche sur sa peau, n’importe où. Sur la ligne de son cou qu’elle voit apparente peut-être, où ses baisers ont déjà laissé des marques en héritage. Elle les voit, les rougeurs devenues diffuses. D’y songer, un petit air satisfait se peint sur ses traits réhaussés par une légère touche de maquillage.
« Non. Ce que nous avons déclenché trésor. Tu es au moins de moitié responsable. »
Elle lui fait un clin d’œil, en arborant un air facétieux et provoquant à la fois, lui emboîtant le pas dans une démarche au roulement de hanche volontairement accentué, par pur esprit de provocation. Alors qu’il se trouve à ses côtés, elle lui jette un regard en biais :
« Laisse-moi deviner … Classe affaire pour toi ? Tu ne te refuses vraiment rien. C’est honteux. On se revoit à Londres alors ? Sauf si tu ne peux pas t’empêcher de descendre dans la cabine du peuple, juste pour le plaisir de mes beaux yeux. »
Elle se mord la lèvre, bat des cils, désinvolte et sensuelle, sous-couvert des regards alentours qui s’arrêtent parfois, surtout sur sa silhouette à lui. Probablement parce qu’à cause de l’annonce de la tournée, sa personnalité n’a jamais été si publique qu’en ce moment. Eleah est pourtant assez peu soucieuse de faire preuve de méfiance, simplement parce qu’elle ne se rend pas vraiment compte. Les regards qui s’arrêtent, elle ne les voit pas, arrêtée qu’elle est sur sa présence qui est la seule à réellement la happer et l’intéresser. Elle se fout des autres, et de leurs regards. De leurs jugements, de leurs jalousies et de leurs désirs. Elle ne sait pas non … pas comme lui en tout cas. L’ignorance la laisse sans peur d’au moins cela. Ils embarquent tour à tour. Lui d’abord, parce que la classe affaire a l’immense privilège de passer en premier. Elle ensuite, perdue entre un couple de retraités, une petite famille sans doute recomposée, et un homme avec sa mallette de businessman en déplacement professionnel. Elle sait que les autres de la compagnie sont rentrés dans la matinée, sous la bonne garde de Charly. Ils ne risquent pas de se recroiser. Les minutes défilent dans le couloir d’embarquement. Il s’agit ensuite de se frayer un chemin jusque dans l’appareil, d’enjamber les valises du couloir principal qu’un père de famille n’a pas encore eu le temps de fourrer dans les compartiments au-dessus des sièges. Eleah traque sa place et finit par la trouver, proche d’un hublot. Au bord du couloir, sur sa rangée, il y a une dame âgée qu’elle a aidé pour ranger son bagage, qui voyage avec son petit fils, juste entre elles deux. Un petit garçon d’environ quatre ans, qui balance avec un air un peu inquiet ses pieds dans le vide. Après qu’elle se soit assise, il se met à la regarder avec de grands yeux ronds, rendus plus ronds encore par la paire de lunettes rouge pompier qui trône sur son nez. Elle lui fait un petit sourire, qu’il doit prendre pour une invitation.
« Madame, tu ressembles à une poupée. Et tu sens bon le tout propre. »
S’ensuit une conversation hautement intellectuelle, où il tente de lui prouver par A + B que décidément, elle ressemble plus à une poupée qu’à une fée, et que les ogres, ça n’est vraiment pas pareil et beaucoup plus effrayant que les géants. Même si c’est vert. Souvent vert. Dans sa vision à lui en tout cas.

(c) DΛNDELION
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