J’ai perdu le bébé. Avez vous déjà, à un moment dans votre vie, eu le sentiment que votre cœur venait de se briser en milles morceaux, que vous aviez eu l’impression de l’entendre se fracasser, exploser? Cette sensation que vous pouviez physiquement sentir cette douleur, comme si une main invisible s’emparait de votre cœur et tentait de le retirer de votre poitrine? Parce que c’est exactement la sensation qu’avait James à cet instant. Certes, rien de tout ça n’était prévu, mais au cours des quatre derniers mois, il s’était fait à l’idée. Il allait être père. Si, au départ, il était plutôt sceptique – n’ayant lui même pas une très bonne relation avec son père – il se dit qu’il serait difficile de faire pire et, sans dire qu’il était définitivement prêt à accueillir un petit être dans sa vie, il se préparait au changement qui était à venir du mieux qu’il le pouvait. Et puis, avec Charlotte à ses côtés, tout irait bien, pas vrai? Elle avait l’instinct maternel beaucoup plus développé que son instinct paternel à lui, c’était certain. Elle ferait une bonne mère… Un jour. Pas aujourd’hui, pas dans cinq mois non plus. Parce que petit rêve qui s’était tranquillement immiscé dans sa tête venait de disparaitre, s’envoler en fumée.
Tu l’as… perdu? Il avait compris, mais il lui fallait simplement un petit peu de temps pour assimiler la nouvelle, qu’elle fasse son chemin jusqu’à son cerveau. Elle hocha la tête et, instinctivement, il baissa les yeux pour regarder son ventre qui ne portait plus la vie. Il ne pouvait pas lui en vouloir, il n’en avait pas le droit parce qu’il savait pertinemment que ce n’était pas de sa faute. Ces choses-là arrivaient et puis, ils étaient jeunes encore. Ce n’était sans doute pas ce qui devait se passer. C’était le destin. Oui, c’était sans doute ça… Et pourtant, même s’il se répétait que ce n’était pas de la faute de Charlotte, que c’était tout simplement la nature qui avait fait son œuvre, décidée que les futurs parents n’étaient peut-être pas prêts, Helios ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à la jeune femme. Glissant une main dans ses cheveux, il lui tourna le dos.
Je suis désolée. Qu’elle murmura en s’approchant de lui. La mâchoire crispée, il ferma les yeux et inspira profondément. Ils allaient traverser ça ensemble, oui. Ils étaient plus forts à deux de toute façon. Ce n’était qu’une tempête de plus qu’ils auraient à affronter. En théorie. Mais ce qui n’était sensé être qu’un obstacle dans leur parcours se transforma finalement en montagne insurmontable.
Ce n’est pas toi qui disait que c’était trop tôt de toute façon? Une bière à la main, Helios regarda son ami et haussa les épaules. Il ne savait plus. Parce qu’en quatre mois, il s’était quand même attaché un petit peu à cet être grandissant. Il s’était résigné et avait cessé de s’imaginer que sa vie dans un avenir rapproché ne comporterait que Charlotte. Il pouvait le voir ce petit humain rampant au sol, s’accrochant à tout ce qu’il pouvait alors qu’il tentait de se tenir debout. Il arrivait même à s’imaginer les traits tirés, les yeux cernés du au manque de sommeil. Après tout, c’était la vie qui était sensé l’attendre alors pourquoi ne pas s’y faire le plus tôt possible? C’était sans doute pour cette raison que sa mère lui avait suggéré de ne pas être trop enthousiaste. Parce qu’elle savait. Elle en avait fait une fausse-couche elle aussi. Elle avait vécu la perte d’un enfant.
C’est con, tu diras, mais j’m’y étais attaché à cette chose. Commenta Helios avant de porter sa bouteille à ses lèvres et de prendre une autre gorgée. Le liquide ambré glissant dans sa gorge lui procurait une sensation de bienêtre qui était définitivement recherchée en ce moment, comme si, pendant les quelques secondes ou l’alcool circulait dans son corps, la douleur s’estompait. Ce n’était certes, pas le meilleur remède, mais pour le moment, ça conviendrait.
Ce n’est pas con. Rétorqua Gabe.
Je veux dire, tu devais bien t’être fait à l’idée, même juste un peu, d’être père, pas vrai? Les yeux rivés sur le goulot de la bouteille, il ne répondit pas. De toute façon, Gabe connaissait la réponse à sa question.
C’est comme pour toute chose, il faut faire son deuil. Mais c’est qu’ils devenaient philosophes, grands penseurs après quelques bières. Helios tourna la tête et regarda son ami, presque surpris par ses propos.
Je ne te savais pas aussi intelligent. Lâcha-t-il en riant brièvement.
Tu sauras qu’il m’arrive de dire des chose très brillantes. Rétorqua l’autre, faussement offusqué.
Mais tout ça pour dire qu’il faut vous laisser le temps de faire votre deuil, le temps d’accepter qu’il n’y aura pas d’enfant. C’est chiant, c’est moche, mais c’est la vie. Un long soupire passa les lèvres d’Helios. Oui, ce sentiment en était définitivement un de merde, le genre de truc qu’on ne souhaite même pas à son pire ennemi.
Ouais, et bien, life is a bitch. Qu’il conclut avant de finir ce qu’il restait de sa bière.
Tu en as d’autres? Demanda-t-il à son ami avant de se diriger vers le réfrigérateur lorsqu’il lui répondit d’un hochement de tête. Ce n’était sans doute pas ce dont il avait réellement besoin, mais ça lui faisait un bien fou alors pourquoi s’arrêter maintenant? Pourquoi ralentir alors que ça comblait le vide qu’il ressentait encore quelques heures auparavant?
et c’est ainsi que l’on devient alcoolique. oops. mauvaise histoire. se réveiller avec un sal mal de crâne le lendemain matin, certes, mais Helios savait très bien que l'alcool n'était pas la solution, que noyer ses problème ne ferait qu'empirer la situation.
Que veux-tu dire, c’est terminé? Allongé sur son lit, Helios regarda sa sœur.
Charlotte et moi, c’est terminé. Nous ne sommes plus un couple. Était-ce si difficile à comprendre? Il se redressa et s’assied, posant ses pieds au sol. Il regarda sa réflexion dans la porte-miroir en face de lui; il faisait peine à voir.
C’est à cause de cette histoire de bébé? Le brunet fixa le plancher comme si, soudainement, c’était la chose la plus passionnante, intéressante. En fait, il ne pouvait pas répondre à sa question. Il ne savait pas, il ne savait plus. Il se disait que ce n’était pas pour ça, qu’il avait surmonté l’épreuve que représentait la perte de leur enfant, mais c’était plutôt un mensonge qu’il se racontait pour tenter de se persuader que sa vie allait bien, qu’il allait toujours bien, mais c’était faux. Sa relation avec Charlotte était la seule véritable relation stable qu’il n’ait jamais eu, la seule relation qu’il qualifiait de telle. Pas d’amourette d’été, pas de romance à quatre sous qui ne veut rien dire. Jamais, auparavant, il n’avait aimé comme il l’avait aimé elle. Alors, évidemment que ça faisait mal. Depuis qu’elle lui avait fait cette annonce, il avait l’impression qu’ils étaient en chute libre, comme s’ils s’étaient élancés dans le vide sans parachute, sans moyen de ralentir la chute. Il était donc inévitable qu’ils s’écrasent à un moment ou à un autre. Peut-être qu’ils n’étaient pas aussi forts qu’il voulait le croire.
Ne me sors pas cette histoire de ‘ce n’était tout simplement pas la bonne’. Elle le regarda d’un air sévère.
Je ne t’ai jamais vu aussi heureux que lorsque tu étais avec elle. Jugea-t-elle bon d’ajouter. Pourquoi ne pas tourner le fer dans la plaie? Et c’est la phrase qui déclencha en lui une vague de souvenirs.
Il se revoyait encore, jeune adulte avec un niveau moyen de confiance en lui, l’aborder une première fois sous le regard bienveillant de ses meilleurs amis.
Tu devrais aller lui parler. Tu es son type d’homme. Il fallait dire qu’elle lui avait bien tapé dans l’œil. Il n’avait pas réellement de type de femme en particulier, mais s’il devait en avoir un, ce serait sans doute elle. Alors, prenant son courage à deux mains, il l’avait abordée, feignant une plus grande assurance qu’il n’en avait en réalité. Et elle lui avait poliment fait comprendre qu’elle n’était pas intéressée. Pourtant, il y avait quelque chose chez elle qui le poussa à insister, à l’inviter encore et encore jusqu’à ce qu’elle accepte… ce qu’elle a fait après plusieurs mois, comprenant sans doute qu’il ne lâcherait pas le morceau tant qu’il n’aurait pas, au moins, la chance de sortir avec elle une fois. Il se souvenait encore de la soirée qu’ils avaient passé au bowling, du terrible score qu’il avait obtenu après une partie – la dernière fois qu’il avait joué remontait déjà à quelques années – et des fous rires qu’ils avaient eus ce soir-là. Comment serait-il possible d’oublier son rire? Il était tellement contagieux, mélodieux. C’était d’ailleurs l’une des choses qui l’avait séduite en premier lieu. À cette pensée, un sourire triste se dessina sur son visage. Elle était unique, Charlotte, pas comme les autres. Elle n’était pas de celles qui succombent facilement, oh, ça non. Il avait bien fallu six rendez-vous à Helios pour qu’elle le laisse finalement l’embrasser. Et même là, pas question de dire qu’ils étaient en couple. Ils sortaient, s’entendaient bien, mais la relation n’était pas officielle. Ce n’est que deux rendez-vous plus tard que leur relation fut officialisée, qu’ils formèrent un couple.
Ça n’a tout simplement pas fonctionné. Rétorqua-t-il, visiblement irrité. Il ne voulait pas en parler. Devoir admettre que ça ne fonctionnait plus était déjà assez difficile comme ça. Et puis, il ne voulait pas s’étendre sur ses problèmes, ce n’était pas son genre. Il préférait de loin tout garder et allez s’entrainer pour faire sortir tout ce qu’il ressentait.
Tu ne veux pas en parler? C’est ton choix, mais si jamais tu as envie de discuter, je suis là, d’accord? Et je ne te sortirai pas de blagues pourries qui ne font aucunement rire, je te le promets. Répondit-elle avec un petit sourire. Évidemment qu’il savait qu’elle serait toujours là. Elle était là pour le consoler lors de sa première peine d’amour à quatorze ans, après qu’il eut vu sa copine de l’époque tenir la main d’un autre garçon.
Merci, Liz. Helios serra sa sœur dans ses bras et ferma les yeux, se demandant ce qu’il ferait sans elle. Sans doute serait-il perdu.
Juste un conseil. Ne reste pas enfermé dans ton coin. Sors un peu, d’accord? Je n’ai pas envie que tu finisses ta vie, seul et déprimé. Il hocha la tête et lui offrit son plus sincère sourire.
Réunis dans le salon de la maison familiale, Elizabeth et son copain se tenaient tous deux debout, main dans la main.
Je suis enceinte. Les mots quittèrent la bouche de Liz qui les regardait, les yeux pétillants, excitée comme une gamine la veille de Noël. Lorsqu’Helios croisa son regard, il lui offrit le plus sincère des sourires, mais en une fraction de seconde, il retomba quelques années en arrière. Non, ne pas y penser, se concentrer sur le moment présent. Ce qui était passé était passé. Inutile d’ouvrir de vieilles blessures à nouveau. Il avait pourtant envie de dire à sa sœur de ne pas trop s’emporter, de ne pas se réjouir trop vite parce qu’il savait trop bien ce qui pourrait lui arriver, que leur bonheur pouvait être éphémère, mais il se tue. Ne pas gâcher le moment. Après les accolades et les pleures – surtout de la part de Liz et de sa mère – la femme s’approcha de son frère.
On avait pensé que… tu pourrais être le parrain? Sa phrase avait plutôt l’allure d’une question et il fallu à Helios quelques secondes pour comprendre ce qu’elle venait de lui dire. color=steelblue[]Tu veux que
je sois le parrain?[/color] Elle hocha la tête. Quel honneur c’était. Comment pouvait-il dire non? Peut-être que c’était ce qu’il lui fallait pour passer à autre chose, pour réussir à tourner la page.
On va attendre avant de se réjouir trop, par contre, d'accord? Murmura-t-il tandis qu'il la serrait dans ses bras. Elle hocha la tête, comprenant sans aucun doute sa réticence à exprimer une trop grande joie face à la nouvelle.
Même après tout ce temps? Demanda Liz, soudainement inquiète pour son petit frère. Il se contenta d'hocher la tête de haut en bas sans dire un seul mot et lui offrir un sourire compatissant. Oui, même après tout ce temps, il avait toujours un petit pincement au coeur en voyant des enfants courir un peu partout, en pensant à celui qu'il n'aura au final jamais connu. Parce qu'il avait réellement tenté de passer à autres choses, tourner la page sur cette histoire. Il était sorti avec une fille ou deux sans que ça n'aie jamais rien donné vraiment. Après ces deux échecs, il s'était plutôt concentré sur son travail, s'y plongeant corps et âme. C'était, à son avis, la meilleure façon d'oublier... du moins, de tenter d'oublier.
Elyssa, ne cours pas. S’exclama Helios du banc ou il était assis, tandis qu’il regardait sa nièce jouer avec ses amis. Un sourire se dessina sur ses lèvres en repensant à tout le temps qu’il avait passé dans ce parc étant enfant, que ce soit avec Elizabeth à savoir qui était le plus rapide, qui pouvait se balancer le plus haut ou sauter le plus loin, ou encore avec ses copains, en vieillissant, à faire quelques mauvais coups. Un rire discret s’échappa d’entre ses lèvres lorsqu’il repensa à cette fois ou ils avaient fait bruler leurs cahiers d’école à la fin d’une année scolaire. Leu feu avait tellement bien pris qu’il avait fallu appeler les pompiers pour l’éteindre. Il se souvenait encore du sermon auquel il avait eu droit en rentrant à la maison. C’était surtout son père qui s’était défoulé, le traitant d’irresponsable, d’idiot. C’était aussi ce jour-là qu’il avait perdu énormément de respect pour la figure paternelle qu’il était. C’était là que tout s’était détérioré, qu’ils s’étaient éloignés. Et c’était sans doute à partir de ce moment qu’Helios avait décidé qu’être père n’était pas pour lui. Il ne voulait pas faire les mêmes erreurs que son père. Il ne voulait pas être responsable de la perte d’estime de soi d’un enfant. Il ne voulait pas causer souffrance et douleur à un être qu’il était sensé protéger et aimer plus que sa propre vie. Mais si on lui avait refusé cette expérience, voilà que la vie semblait vouloir lui donner une seconde chance. Certes, ce n’était pas la même chose qu’être père, mais être parrain était sans aucun doute mieux. Pourquoi? Parce qu’Helios avait le beau côté de la médaille. Il pouvait jouer les parrains super cool qui ne dit presque jamais non, offrant friandises et glace à profusion à sa nièce avant que sa sœur ne vienne la chercher et ne la ramène chez elle. Du coup, il était bien rare qu’il n’ait à vivre avec les conséquences de ses actions. Certes, il savait être raisonnable et ces moments n’arrivaient que rarement, mais il ne pouvait s’empêcher de rire lorsque sa sœur l’appelait pour lui dire à quel point Elyssa avait été un monstre lorsqu’ils étaient rentrés chez eux, qu’elle était plus que surexcitée.
Le bruit sourd d’un dossier que l’on laissa tomber sur un bureau parvint à ses oreilles et Helios leva la tête.
Ta nouvelle protégée. Que lui lança son patron. Il baissa les yeux et ouvrit la chemise contenant toutes les informations qu’il y avait à connaitre sur cette nouvelle sensation de la pop. Lui qui berçait plutôt vers le punk-rock, qui s’occupait d’artistes masculins, voilà qu’il se voyait offrir tout un défi.
On lui a prêté combien de relations avec d’autres artistes déjà? Demanda-t-il, ses yeux s’écarquillant au fur et à mesure qu’il en apprenait plus sur cette femme qui venait à peine de franchir la vingtaine.
Tu comprends maintenant pourquoi j’ai besoin de toi sur son cas. Je ne veux aucun débordement et tu es le plus qualifié dans le domaine. Il était vrai qu’il était bon dans son domaine. Il avait déjà fait taire des rumeurs d’agressions sexuelles auparavant. En effet, on avait déjà fait circuler la rumeur qu’un de ses anciens clients avait fait des attouchements à des mineures, une histoire qui avait, bien évidemment, pris comme un feu de paille. Heureusement, avec toute la diplomatie dont il savait faire preuve, Helios avait su calmer les ardeurs des journalistes et leur engouement pour la nouvelle. Il faut dire que deux jours après que l’étonnante révélation « d’une source sure » ait été faite aux journaux, la nouvelle coqueluche sortie tout droit de YouTube annonçait officiellement qu’il était en couple avec une jeune starlette hollywoodienne, le truc parfait pour éloigner l’attention des médias sur une nouvelle qui laisse à désirer. Mais comme son patron lui avait dit, il avait su saisir l’opportunité de détourner la majorité des sujets de conversation des entrevues pendant ces deux jours, il avait su imposer certaines limites aux interviewers et ceux-ci les avaient respectées.
Et je la rencontre quand? Avait-il demandé, son égo soudainement boosté et son intérêt pour ce nouveau client également rehaussé.
Dans trois heures. Il hocha la tête en signe de compréhension et replongea dans sa lecture. Il n’y avait pas à dire, ce serait décidément un cas intéressant et il verrait beaucoup d’action au cours des prochains mois.